La remontée de Jésus sur la rive du Jourdain après le baptême, anticipation de sa sortie du tombeau après la résurrection

La remontée de Jésus sur la rive du Jourdain après le baptême, anticipation de sa sortie du tombeau après la résurrection

Aux yeux de la pensée antique, l’océan était considéré comme une menace permanente capable d’ensevelir toute vie, un abîme de la mort. « Mais le cours d’eau est aussi symbole de vie. Les grands fleuves de la région – le Nil, l’Euphrate, le Tigre – sont des grands dispensateurs de vie. De même le Jourdain est source de vie pour sa région jusqu’à aujourd’hui »[1]. De ce fait, les eaux du Jourdain, source et dispensateur de vie jouaient un rôle symbolique de ranimer pendant le baptême, la vie humaine qui était étouffée par le péché. Nous pouvons comprendre dans ce sens que ce qui se passait pendant le baptême dans les eaux du Jourdain était une résurrection pour les baptisés. On pourrait donc dire que remonter sur la rive du Jourdain après le baptême était comme sortir du tombeau après la résurrection pour mener une vie nouvelle. Pour les baptisés, il s’agissait de renaître et repartir à zéro pour commencer désormais une vie nouvelle radicalement contraire à l’existence antérieure peccamineuse.

Bien que cette conversion ne concerne en aucune manière Jésus Christ, sa remontée sur la rive après le baptême intègre cette symbolique de sortir du tombeau après la résurrection. Puisque nous avons déjà vu que le baptême est comme une nouvelle naissance pour les baptisés, nous pouvons dès lors comprendre facilement que la voix qui se manifeste au baptême de Jésus Christ en ces termes– «Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Lc 3, 22) – est une anticipation de la résurrection. Dans les évangiles selon saint Matthieu et saint Marc, cette voix s’exprime en ces termes : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur » (Mt 3, 17), « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mc 1, 11). Mais alors, comment cette voix du Père annonce avant l’heure la résurrection que Jésus anticipe par le baptême ?

Dans cette voix, Dieu le Père reprend sa parole que son prophète Isaïe avait déjà prononcée en ces termes : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai mis sur lui mon esprit » (Is 42, 1). Ce serviteur dont parle le prophète Isaïe est le serviteur que Dieu a confié une mission dont l’accomplissement est associé avec les persécutions dures et les souffrances atroces, et qu’il supportera jusqu’à ce que Dieu lui accorde un triomphe définitif. Ce serviteur, le chéri de Dieu, est bel et bien Jésus Christ son Fils Bien-aimé qu’il a confié une mission de lui révéler à l’humanité et de nous sauver. Jésus Christ a accepté cette mission en reconnaissance de toutes les persécutions dures et les souffrances cruelles qu’elle comporte. Tout Fils de Dieu qu’il est, Jésus a obéi à son Père jusqu’à accepter ces souffrances mortelles pour notre salut, et puisqu’il est son Fils bien-aimé, il savait sans nul doute qu’« À la suite de l’épreuve endurée par son âme » (Is 53, 11), Dieu le Père le glorifiera de la gloire qu’il possédait dans sa préexistence divine et l’humanité reconnaîtra qu’il est vraiment le Fils bien-aimé de Dieu[2]. Puisque Jésus est vraiment le Fils bien-aimé de Dieu, Dieu ne pouvait pas l’abandonner aux enfers ni laisser sa chair voir la corruption à la suite de sa mort sur la croix (Cf. Ps 16 (15), 8-10 ; Ac 2, 25-36). Autrement, la voix qui se manifeste au baptême de Jésus Christ en ces termes : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur » (M t3, 17) serait vide de sens. C’est pourquoi la pleine et définitive épiphanie (manifestation)  de Jésus comme Fils unique et bien-aimé de Dieu le Père, sera la résurrection. Cependant, beaucoup de monde n’avait pas pris clairement conscience de cette vérité annoncée avant l’heure au moment du baptême de Jésus et doutait dès son vivant sur son titre de « Fils de Dieu ».

« Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » (Mt 4, 3) – ainsi commence la première tentation. « Si tu es le Fils de Dieu » – nous entendrons encore ces mots dans la bouche de ceux qui se moqueront de Jésus au pied de la croix : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Mt 27, 40). Le Livre de la Sagesse avait déjà envisagé cette situation : « Si ce juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera » (Sg 2, 18). Dérision et tentation vont ici de pair : le Christ doit prouver ce qu’il prétend être, afin de devenir crédible. Cette demande de preuve traverse tout le cours de la vie de Jésus, où on lui reproche continuellement de ne pas se justifier assez clairement : il devrait accomplir le grand miracle qui, éliminant toute ambiguïté et toute contradiction, démontrerait à tout un chacun, de façon indiscutable, qui il est et ce qu’il est ou n’est pas[3].

À notre avis, ce grand miracle est accompli au moment de la résurrection. Au moment de la résurrection, Dieu exaucé la prière que son Fils lui a présentée en agonie sur la croix, avec de grands cris douloureux et des larmes, des implorations et des supplications dans les gémissements ineffables, non point qu’il lui a soustrait à la mort physique, mais il lui a arraché à son pouvoir ; et le Père a transformé cette mort de son Fils en une exaltation de gloire. À tous les hommes qui ont demandé à Jésus d’accomplir un miracle qui, éliminant toute ambiguïté et toute contradiction, démontrerait à tout un chacun, de façon indiscutable, qu’il est Fils de Dieu, nous disons qu’il ne leur sera pas donné un autre grand miracle supérieur à sa résurrection. À ce sujet, il n’y a pas une preuve supérieure au grand miracle de la résurrection.

C’est donc après la résurrection de Jésus que sa filiation divine apparaît dans la puissance de son humanité glorifiée: « Selon l’Esprit qui sanctifie, par sa Résurrection d’entre les morts, il a été établi comme Fils de Dieu dans sa puissance » (Rm 1, 4 ; Cf. Ac 13, 33)[4]. Effectivement, la résurrection de Jésus a clairement manifesté de façon indiscutable, à tout un chacun, que Jésus est vraiment le Fils de Dieu, et la foi de ses apôtres a évolué jusqu’au point de confesser: « Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14)[5]. Au moment de la résurrection, en Jésus s’est accomplie cette prophétie d’Isaïe : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai mis sur lui mon esprit » (Is 42, 1), et Dieu lui a ressuscité, puisqu’il n’était pas possible que son Fils bien-aimé fût retenu par la mort, et lui a placé dans son état glorieux de Kyrios où il mérite son nom éternel de « Fils de Dieu », c’est-à-dire dans la jouissance des privilèges du « Fils de Dieu » qu’il possédait avant l’incarnation. De facto, nous osons dire qu’au moment de la résurrection, « de nouveau, dans le silence du tombeau, la parole a retenti : «Tu es mon fils, moi-même aujourd’hui je t’ai engendré » (Cf. Ac 13, 33). Aujourd’hui, je te rends toute vie »[6], je te ramène à la vie. Et voilà pourquoi nous avons affirmé que la voix qui se manifeste au baptême de Jésus Christ en ces termes – « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur » (Mt 3, 17) – est une anticipation de la résurrection.

Abbé Gratien KWIHANGANA

 


[1] J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth,  p. 35.

[2] Cette certitude pleine d’espérance qu’avait Jésus est exprimée dans un texte de l’Ancien Testament (Ps 16 (15), 8-10) cité par Pierre dans son discours à la Pentecôte, annonçant la résurrection du Christ à la foule rassemblée : « Je voyais sans cesse le Seigneur devant moi, car il est à ma droite, pour que je ne vacille pas. Aussi mon cœur s’est-il réjoui et ma langue a-t-elle jubilé ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance que tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès et ne laisseras pas ton Saint voir la corruption. Tu m’as fait connaître des chemins de vie, tu me rempliras de joie en ta présence » (Ac 2, 25-36). Nous n’avons pas préféré de citer le texte du psaume parce qu’il est la traduction du texte hébreu où nous lisons en français : « Tu ne peux abandonner mon âme au shéol, car tu ne peux laisser ton fidèle voir la fosse. Tu m’apprendras le chemin de vie » (Ps 16 (15), 10ss). Selon cette version, le priant parle dans la certitude que Dieu le protégera et le sauvera de la mort même dans la situation menaçante dans laquelle il se trouve manifestement, il est certain de pouvoir reposer en paix : il ne verra pas la fosse. Autrement dit, Dieu le sauvera et il échappera à la mort physique ou bien s’il meure, Dieu le ressuscitera sans qu’il soit enseveli dans la fosse car il est écrit « tu ne peux laisser ton fidèle voir la fosse ». Dans les Actes des Apôtres, Pierre présuppose que David est le priant original de ce psaume, mais cette espérance  ne s’est pas réalisée en David : « Il est mort et a été enseveli et son tombeau est encore aujourd’hui parmi nous » (Ac 2, 29). Le sépulcre avec le cadavre est la preuve que la Résurrection n’a pas eu lieu. Cependant, la parole du Psaume est véridique : elle vaut pour le David définitif, Jésus Christ. Mais, étant donné que Jésus n’a pas échappé à la mort menaçante et qu’il a vu la fosse c’est-à-dire qu’il a été enseveli, nous avons préféré d’utiliser le texte français traduit à partir de la version grecque cité par Pierre dans les Actes des Apôtres parce qu’il exprime réellement ce qui s’est passé pour Jésus, désigné dans ce passage comme vrai David justement parce que, en lui, s’est accomplie la parole de la promesse : « Tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption ». (J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Parole et Silence, Paris 2011, p. 165.)

 

[3] J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth. Du baptême dans le Jourdain à la transfiguration,  p. 50. Toutes les citations suivantes qui comportent le titre Jésus de Nazareth proviennent de ce livre que nous venons de citer. Nous jugeons nécessaire réécrire son sous-titre pour ne pas le confondre avec l’ouvrage cité dans la note infrapaginale précédente.

[4] CatÉchisme De L’Église Catholique, n. 445.

[5] Ici nous reprenons intégralement ce texte biblique tel qu’il a été cité dans le CatÉchisme De L’Église Catholique, n. 445.

[6] S. –T. Bonino, Homélie du 13 janvier 2013-Baptême du Christ. Texte consulté le 19 décembre 2021 à 15h28min sur ce site web : https://toulouse.domicains.com/homelie/tu-es-mon-fils/

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