LETTRE IV (1)

LETTRE IV (1)

 

Augustin annonce à Nébride quels progrès il a faits, pendant sa retraite, dans la contemplation des choses éternelles.

 

AUGUSTIN A NÉBRIDE.

 

  1. J'ai été bien étonné lorsque contre toute espérance en cherchant celles de vos lettres auxquelles j'avais encore à répondre, je n'en ai trouvé qu'une seule qui me fît votre débiteur. C'est celle où vous me priez de vous dire quels progrès nous avons faits dans la connaissance des choses qui distinguent la nature sensible de la nature intelligible, pendant ce grand loisir dont vous croyez que nous pourrions jouir près de vous, ou que vous aimeriez à partager avec nous. Vous n'ignorez pas, je le sais, que si les fausses opinions s'enracinent en nous, à mesure que notre esprit s'y plonge davantage, il en arrive de même et plus facilement encore lorsqu'il est question de vérités; mais cela se fait par un progrès insensible, comme celui de l'âge. En effet, quoiqu'il y ait une grande différence entre l'enfant et le jeune homme, on aurait beau interroger chaque jour un enfant sur les progrès de son âge, il ne pourrait pas dire quand il est devenu jeune homme.

 

2. Ne croyez pourtant pas que je veuille par là vous faire croire que mon intelligence a grandi et s'est fortifiée dans ces choses élevées, au point d'être parvenue à cette jeunesse que l'âme peut acquérir; non : je suis toujours un enfant, mais comme on a coutume de dire un bel enfant, et qui n'annonce rien de mauvais en lui; car les yeux de mon esprit, troublés et aveuglés pour ainsi dire par les soins et les soucis que cause l'aspect des choses sensibles, s'ouvrent et se relèvent par ce court raisonne-­

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(1) Ecrite l'an 387. ‑ C'était la 117e, dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictins, et celle qui était la 4e est maintenant la 36.

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p252

 

ment que vous connaissez si bien ; savoir, que l'esprit et l'intelligence sont bien au‑dessus du sens grossier de la vue, ce qui ne serait pas, si les choses que nous percevons par l'intelligence n'étaient pas bien snpérieures à celles qui sont aperçues par nos yeux. Examinez, je vous prie, avec moi si l'on peut opposer quelque chose de bien solide à ce raisonnement : pour moi, depuis qu'il a, pour ainsi dire, renouvelé mon être, et qu'après avoir appelé à mon secours l'aide de Dieu, je me suis élevé vers le ciel et vers les choses éternellement vraies ; mon âme est tellement remplie de l'avant‑goût de ce qui est immuable, que je suis étonné d'avoir besoin de recourir à ce même raisonnement pour croire à l'existence de choses qui nous sont aussi présentes que chacun l'est à soi‑même. Examinez, je vous prie, car vous êtes en cela plus exact que moi, si je ne vous dois pas encore quelques réponses. Pour moi, je ne suis pas sûr de m'être dégagé si subitement du poids des dettes que, sous ce rapport, j'avais contractées envers vous. Je crois cependant que vous avez entre les mains quelques-unes de mes lettres auxquelles j'attends toujours une réponse.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon