Bysance 15

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36.  « Cependant, dit l'hagiographe, on apprit à Damas que Léon l'Isaurien venait de déclarer la guerre aux images. Lion rugissant, il épouvantait l'Eglise par ses fureurs ; non-seulement il brûlait les images, mais il jetait des milliers de chrétiens dans les flammes des bûchers. A cette nouvelle Jean sentit passer dans son âme, comme un souffle impétueux, le zèle du prophète Élie, l'héroïsme de son homonyme Jean-Baptiste. Armé de la parole sainte, glaive spirituel, il s'élança pour frapper la tête du monstre, la doctrine de l'empereur hérésiarque. Il adressa, sous forme de lettres aux chrétiens persécutés de Constantinople, trois discours où il relevait leur courage et vengeait la foi outragée 1. » Nous avons encore ces Logoi apalogètixoi 2, premiers écrits du grand visir de Damas. « J'aurais dû peut-être, connaissant mon indignité, dit-il, me condamner à un perpétuel silence ; mais quand l'Église de Jésus-Christ, ma mère, est sous mes yeux outragée, calomniée, persécutée, le cri d'un amour filial s'échappe malgré moi de mon cœur. La parole jaillit de mes lèvres pour sa défense, parce que je crains Dieu plus que l'empereur 3. » Il discutait ensuite la ques­tion dogmatique avec une profondeur, une clarté, une érudition saisissantes, prouvant par l'Écriture sainte, la tradition des pères et les arguments d'une saine logique, la légitimité du culte des images. « Ce qu'est un livre à ceux qui savent lire, dit-il, une image l'est à ceux qui ne le savent point. Ce que la parole opère par l'ouïe, l'image le fait par la vue. Les saintes images sont un mémo­rial des œuvres divines 4. — D'ailleurs, ajoutait-il, la décision de ces sortes de matières n'appartient pas aux princes, mais aux conciles. Ce n'est point aux rois que Jésus-Christ a donné la puis­sance de lier et de délier; c'est aux apôtres et à leurs successeurs, aux pasteurs et aux docteurs de l'Église. Qu'ils se souviennent, ces

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novateurs téméraires, des paroles de l'apôtre saint Paul : « Si un ange descendait du ciel pour vous prêcher un autre Évangile que celui que vous avez reçu..... » n'achevons pas ce texte pour leur laisser le temps de se repentir; mais si, ce qu'à Dieu ne plaise, ils persistent opiniâtrement dans l'erreur, alors nous ajouterons le reste : « Qu'il soit anathème 1 ! » L'éloquent apologiste n'oubliait pas l'objection familière aux iconoclastes, lesquels prétendaient couvrir leur impiété sacrilège du grand nom de saint Épiphane. « Oui certes, dit-il, Épiphane fut un homme divin et vraiment admirable : vous soutenez qu'il partageait votre erreur et proscri­vait, comme vous, le culte des images. Je vous répondrai d'abord que l'épisode d'Anablatha, raconté dans une lettre de saint Épi­phane à l'évêque Jean de Jérusalem 2, pourrait être complètement apocryphe. Les falsifications de ce genre dans les œuvres des pères de l'Église sont tellement passées en habitude chez les grecs, que je ne m'étonnerais nullement de celle-ci. Mais en admettant l'au­thenticité du texte, que prouverait-il? Jadis le bienheureux Athanase défendit aux fidèles d'Alexandrie de conserver dans des châsses le corps des saints; il prescrivit d'inhumer ces osse­ments sacrés. Est-ce que le grand Athanase prétendait interdire le culte des reliques? Non, mais il voulait combattre chez les Égyptiens la coutume idolâtrique qui conservait dans des sympodia 3 les cadavres momifiés. En Palestine, au milieu d'une popula­tion juive, remplie de préjugés contre les chrétiens, Épiphane jugea qu'il était prudent de ne pas exposer d'images à l'extérieur d'un oratoire. Mais la preuve qu'il n'entendait point les proscrire d'une manière absolue, c'est que son église de Salamine, laquelle subsiste encore de nos jours, est enrichie de mosaïques, de peintures exécutées sous les yeux et par les ordres du grand docteur4.» Jean Damascène achevait sa démonstration par des extraits empruntés

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p627 CHAP.   IX.   —  LES  ICONOCLASTES  EN  ORIENT.     

 

aux œuvres authentiques des Pères et des historiens de l'Église. Nous avons eu précédemment l'occasion de reproduire le curieux document cité par lui au sujet de la statue du Sauveur élevée à Panéas, la Césarée de Palestine, par l'hémorrhoïsse de l'Évangile 1.


   37. Les lettres apologétiques du grand visir chrétien de Damas produisirent en Orient une sensation immense. La position offi­cielle de l'auteur ajoutait à leur mérite intrinsèque le prestige qui s'attache d'ordinaire aux productions des hommes d'État. « Jean Damascène avait recommandé à ses amis, continue l'hagiographe, de multiplier les exemplaires de ses lettres, afin de leur donner la plus grande publicité. On en fit des traductions latines, et l'Occident put à son tour admirer la foi vive et l'éloquence du nouveau père de l'église grecque 2. » Léon l'Isaurien, pour se venger du docteur catholique, eut recours à une fourberie infâme. A prix d'or, ses émissaires réussirent à intercepter une lettre écrite de la main de Damascène. Il ne manquait pas à Constantinople de plumes exercées, capables de contrefaire toutes les écrituras pos­sibles. Léon choisit le plus habile parmi les faussaires attitrés, et le prit pour complice. Il s'agissait de rédiger, sous le nom et de l'écriture même du grand visir, un billet supposé dans lequel Jean Damas­cène, trahissant le calife son maître, proposerait à Léon l'Isau­rien de lui livrer la Syrie et de lui ouvrir les portes de Damas. La contrefaçon réussit à merveille ; les caractères et la signature ressemblaient à ceux de Jean au point de s'y méprendre. La pièce apocryphe était ainsi conçue: «A l'empereur de Constantinople, salut. Les liens d'une foi commune m'attachent du fond du cœur à votre celsitude impériale. Je m'empresse de vous infor­mer que la ville de Damas est en ce moment dépourvue de troupes : les Agaréniens ont dispersé leurs forces, la garnison restée ici est insignifiante. Au nom de Dieu, je vous en sup­plie, prenez pitié des malheureux chrétiens de Damas. Faites avancer sur la ville un corps d'armée qui s'en rendra maître sans

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coup férir. De mon côté, je seconderai puissamment l'expédition, car dans cette contrée tout obéit à mes ordres. » Une fois en pos­session de ce billet, Léon l'Isaurien le joignit à un message officiel qu'il adressait au calife en ces termes : « Je n'ai rien de plus cher que la paix, rien de plus sacré que les relations amicales avec nos alliés. C'est par la fidélité à tous mes engagements que je crois mériter les faveurs du Dieu que j'adore. J'ai contracté une alliance avec votre sérénité, j'y demeurerai fidèle, malgré les clandestines communications que me fait passer chaque jour un traître et per­fide chrétien, qui vit à l'ombre de votre sceptre. Je prends au hasard une de ses lettres, et je vous transmets. Elle vous apprendra quel il est, et qui je suis 1. » Un ambassadeur byzantin partit pour Damas, et remit le message impérial au prince des croyants. L'effet en fut prompt comme celui de la foudre. Le calife n'eut pas plutôt reconnu l'écriture du grand visir, que sans écouter les protestations d'innocence de Jean Damascène, il lui fit sur-le-champ couper la main droite, cette main qui avait tracé, croyait-il, les lignes parjures. Le lendemain la tête du visir devait tomber sous le glaive ; mais le calife voulait laisser à sa victime le temps de souffrir. Or, durant la nuit, Jean Damascène pros­terné devant une image de la sainte Vierge suppliait Marie de l'aider à prouver son innocence. Soudain la main coupée vint d'elle-même se rattacher au bras sanglant. Une ligne rouge mar­quait seule autour du poignet la trace circulaire du sabre. Eclatant alors en hymnes de reconnaissance, Jean célébra par de pieux cantiques la gloire de Marie. On accourut à ses accents joyeux ; bientôt toute la ville retentit du miracle. Le calife vint lui-même : « Quel médecin t'a guéri? » demanda-t-il au captif. « Aucun autre que la reine du ciel, » répondit Jean. — Le prince contemplait la cicatrice miraculeuse; il regardait les flots de sang qui avaient coulé sous le sabre du bourreau. « Ce n'est pas toi, dit-il enfin, c'est l'empereur de Byzance qui est un traître.  J'ai  eu tort de céder à un mouvement de fureur.  Je

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p629 CHAP.   IX.   —  SAINT  BONIFACE  APÔTRE  DE  LA   GERMANIE.


crois à ton innocence, reprends tes fonctions accoutumées 1. » Jean, se prosternant aux pieds du calife, le remercia de ses offres bienveillantes; il obtint non sans peine la liberté de renoncer à tous les honneurs du monde, pour aller près de son ancien maître Cosmas passer le reste de sa vie dans la retraite et l'étude (431)………………..

 

Darras tome 17 p. 160


p160 PONTIFICAT  DE  SAINT ZACUARIE   (741-732).

 

   43. Les révolutions de l'empire arabe laissèrent à Constantin Copronyme le loisir de poursuivre son œuvre de tyrannie et d'irréligion. Un empereur digne de ce nom aurait profité des guerres sanglantes que les Ommiades et les Abbassides se livraient entre eux pour reconquérir la Phénicie, la Judée, l'Egypte, toutes les provinces arrachées au monde chrétien par les fils de l'Islam. Mais Copronyme était incapable de résolutions généreuses. Ses exploits, ou plutôt ceux de ses lieutenants, consistèrent à reprendre aux Sarrasins deux petites cités de la Comagène, Dolichium et
Germanicia (746)1. Personnellement il s'acharnait contre le catholi­cisme. Toutes les images saintes étaient abattues, il n'en restait plus à outrager ni à spolier : mais la foi orthodoxe survivait encore dans le peuple. Constantin s'avisa de ressusciter les hérésies su­rannées d'Eutychès et de Pierre le Foulon. Il fit venir d'Isaurie, patrie de son père, tous les parents de l'ancien marchand de bes­tiaux. On comprend que le nombre dut en être d'autant plus con­sidérable, que l'ambition de la famille s'était plus démesurément accrue par la fortune inespérée de l'un de ses membres. Ce fut
donc une véritable colonie qui arriva des frontières de I'Isaurie et de la Thrace, invoquant son alliance avec l'auguste dynastie de Copronyme. Tous ces paysans, transformés du jour au lendemain en patrices et en sénateurs, se drapant sous la toge et le laticlave, s'assirent le plus sérieusement du monde sur les chaises curules mises à leur disposition. Théologiquement les uns profes­saient la doctrine des patripassiens, et chantaient l'hymne de Pierre-le-Foulon, conservée dans leurs montagnes : Unus de Trinitate
passus est;
les autres tenaient pour l'hérésie des monophysites, ne reconnaissant qu'une seule nature en Jésus-Christ. Mais tous acceptaient avec enthousiasme et soutenaient de leur crédit naissant le dogme iconoclaste qui appartenait plus spécialement à leur dynas­tie. Ce fut donc partout un redoublement de fureur contre les images saintes; on n'eût plus trouvé une seule croix dans l'empire créé jadis en faveur de Constantin le Grand par ce signe victorieux.

   16. « Tout à coup, dit l'historien saint Théophane, le 10 août 746, d'épaisses ténèbres se répandirent sur la ville de Constantinople,

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comme autrefois à l'époque de Moïse sur la ville des Pharaons. Ces ténèbres palpables durèrent six jours consécutifs, jusqu'au 16 du même mois 1. » L'épouvante produite par ce sinistre phéno­mène n'était pas encore oubliée, lorsque, le 18 janvier 747, vers dix heures du matin, un effroyable tremblement de terre se fit sen­tir dans toute la Syrie, la Palestine et les régions du Jourdain. «Des myriades d'hommes, reprend Théophane, périrent dans cette catastrophe; le nombre des victimes fut incalculable: partout les cités, les églises, les monastères furent renversés ; en particulier les environs de Jérusalem subirent une dévastation complète. » La série de désastres n'était point encore à son terme. « En cette même année, continue l'historien, une maladie pestilentielle, dont les premiers symptômes parurent en Calabre et en Sicile, se propagea comme un feu lent, éclata à Monembasie (Nauplie de Morée), dans toute la Grèce et les îles de l'Archipel, où elle sévit durant l'indiction XIVe (746). Elle se manifesta dans l'indiction suivante (747) à Constantinople, avec des signes tels, que l'impie Copronyme, s'il n'avait eu le cœur endurci de l'antique Pharaon, aurait dû cesser sa guerre iconoclaste. Ce fut en effet chose inouïe de voir soudain une multitude de petites croix se dessiner sur les habits de la foule, et jusque sur les ornements sacrés des églises. Ces croix semblaient tracées comme avec une liqueur oléagineuse. Ef­frayé de ce prodige, et ne sachant encore ce qu'il présageait, le peuple était dans l'agitation et l'angoisse la plus vive. Ces manifes­tations surnaturelles se produisirent non-seulement dans la cité, mais dans les campagnes circonvoisines. Des fantômes, aux formes effrayantes, apparurent sur beaucoup de points. On vit des guer­riers aériens, armés de glaives, entrer dans les maisons, frapper les habitants ou les faire disparaître. La peste se déclara ensuite, vers le printemps de l'indiction XIVe (747), et, dès l'époque de la moisson, elle avait fait de si terribles ravages, que presque toutes les maisons de Constantinople demeurèrent désertes : les vivants man­quaient pour enterrer les morts. La place elle-même fit défaut pour

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' Thenphrm., Chronogroph.; Pair, grœc, toiu. GVIII, col. 850.'

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les sépultures. Après que tous les cimetières, tous les tombeaux de la ville et des environs eurent été comblés, on remplit de cadavres les citernes, les piscines desséchées; on défonça les vignes, les jar­dins, pour y creuser des fosses, et malgré tant d'efforts on réussit à peine à se débarrasser de l'immense multitude de cadavres 1. » Les présages surnaturels de la peste qui décima Constantinople en 747 ont, avec les divers phénomènes qui préoccupent aujourd'hui l'Al­sace et les provinces rhénanes, une analogie qui n'échappera à personne. Saint Théophane, abbé d'Agra, qui les décrit, en était presque le contemporain, puisque, né en 714 selon les uns, en 731 selon d'autres, dans les deux cas il dut entendre, dès sa première enfance, de la bouche de ses parents, le récit extraordinaire qu'il a depuis transmis à la postérité. Son étonnement se révèle, dès le début, par l'expression dont il se sert pour prévenir le lecteur que rien de semblable ne s'était vu jusqu'alors : "HpÇaTo ôè aiyvïiî àopâtuç yiyvîoOai. Théophane se trompait. Déjà un phénomène semblable s'était pro­duit à Jérusalem, lors de la tentative de Julien l'Apostat pour la reconstruction du Temple, et nous l'avons enregistré à sa date 2. Mais ce qui importe surtout à la science, c'est de constater histo-

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1 Voici le texte grec de Théophane, relatif aux croix mystérieuses, et aux visions surnaturelles qui précédèrent le grande peste de Constantinople : "Hp$ocTO os aïsvr,; àopïTw; y<YVêg9sk, ëv tï toî; t<T>v àvBpâmtov inaiiot;, xai sî; Ta Tûiv £xy.).r,Tt(5v ïîpà ivS-j^ata, ctaupta âî.aiiôoYi rc/.etcjTa. 'Eyîvsto ouv s\t£ùOev toî; àv6pû>-tcoi; lûnr) xai àOujiia 7io).).r] tt) toioûtou <rr]|ieîou àTiopia ■ xa7É).aëev 8è xai 6ïO|j.7)via à^eiôû; oXoGps'jouaa où [iôvov toù; h tJ tîoXec, à).).à xai '.où; ii Tcâerr] Tij 7ispiy_wp(j> aÙTvi;. 'EyevovTo Si xai çavTaaîac ;i; tioW.où; tiIv àvOpûraov, xai èv iy.atâoii yev0" [ievoi, èvé|j.iSav ÇÉvoi; tkjîv, iô; èêôxouv, xai |3piapoî; TCpoatùîioiç ffuvoîs'JEiv... 'Eûpuv toù; aÙTOù; -/.ai si; oï/.o'j; £Î<7£py_<>u.£votjç, xai -où; (Uv toù oîxou àvaipoûvta;, xoù; Si Çi^si TLTp(ia-/.ovTa;. Voici la traduction latine de ce passage : l'rimum guider» inviso quodam modo et derepente in hominum, vestibus, et in ecclesiarum sacrit indu mentis, cruces plurimœ oleagineo liquore eonspieiebantur. Quo signa quid por-tenderetur cum homines ignorarent, in magnum mœrorem animique angustias ndducti sunt. Ira divina ir.exorabili exitio non solum urbanos, sed tiiam vicinœ regionis incolas oppressit. Exinde plures hominum in mentis alienationem conj'ecti varias phantasiœ figuras vel spectra briarea videre credebant... Eosdem insuper in ilomoi pénétrantes quosdam ex obviis vel plane conficere, vel gladiis vulnerare wnspiciebant. (Theophau., loc. cit., col. 832-853/

2. Cf. tom. X de cette Histoire, pag. 121.

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p163 CHAP.   II.   —  CONSTANTIN  V   COrRONYJIE.     

 

riquement la réalité du fait enregistré par le vénérable chronographe. Or, nous avons un autre témoignage que celui de Théophane,  le témoignage  d'un  des  personnages les  plus illustres par la sainteté et la science qui aient honoré l'église grecque au VIIIee siècle, saint Théodore Studite. Sa parole a d'autant plus d'importance qu'elle fût prononcée publiquement devant un au­ditoire contemporain des  faits,   dans  le  panégyrique du  saint hégoumène Plato,   abbé  du monastère byzantin  de  Studium 1. Théodore était neveu paternel de Plato; il lui succéda dans le gouvernement de ce monastère. Le père et la mère de Plato avaient été au nombre des victimes de la peste de 747. On devait donc, dans leur famille, savoir tous les détails qui se rattachaient à ce désastreux souvenir.  Voici comment s'exprime  saint Théodore Stndite :  «Les parents du bienheureux Plato, illustres par leur naissance, plus illustres par leurs vertus, étaient Sergius et Euphemia ; ils habitaient Constantinople. Tous deux furent enlevés par le fléau que la colère divine déchaîna alors sur la ville de Byzance, et qui rappela les épouvantements de l'Egypte au temps des Pha­raons. Le récit du fait porte avec lui des enseignements terribles mais salutaires.  Chacun vit tout à coup paraître sur ses vête­ments des images de la croix vivifiante : ces croix semblaient tra­cées avec une matière grasse et huileuse, comme par un pinceau habile ; mais en réalité elles étaient l'œuvre surnaturelle du doigt de Dieu. L'effroi produit par ces manifestations fut universel. Bientôt on comprit ce qu'elles signifiaient : la peste se déclara et

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1 Saint Plato, hégoumène ou archimandrite du monastère de Studium, est honoré Je 18 mars. (Ct. Bollandist., Act. in hoc die.)\\ résigna sa dignité abba­tiale, en 794, pour achever ses jours dans une réclusion complète. Sou neveu Théodore, surnommé le Sludite, fut élu pour lui succéder. Il est honoré le 11 novembre. Le nom de Studium, donné au monastère qui produisit ces deux saints, était celui du fondateur, un noble romain, appelé Studius en Italie et Euprepiu; sur les rives du Bosphore. Varierai ab urbe Roma vir genere et opibus prœslans, Studius nomine [Evprepium lingua nostra vocare solet), qui et pntricii ct consutis honorem fuerat adapius. Hic cum in hac urbe domicilium Lollocnssel, ct omnia sua Oona ingeali excelsitate animi Deo consecrasset, prcecl-a-ruûi hoc templir.n Prœcursori mugno Bnptistœ posuit, monachorum députons habi-talioni. (Vita S. Theodor. Studit., cr,p. xxix ; Pair, grtec, tom. XClX.col. MG.)

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p164 PONÏIFICAT  DE  SAINT ZACUAIUE   (7(41-752).

 

frappa toutes les personnes qui avaient été ainsi marquée? 1. Ses coups étaient si rapides que, le soir, ceux qui avaient accompagné le matin les cadavres de leurs parents ou de leurs amis au sépulcre y étaient portés à leur tour. On réunissait les corps en monceaux, pour les jeter, sur d'autres monceaux de cadavres, dans des fosses presque aussitôt comblées qu'ouvertes. On n'entendait de toutes parts que lamentations et cris de désespoir : les bras manquèrent pour enterrer les morts, les maisons restèrent fermées, les rues désertes; les cimetières étaient remplis. Dans un espace de deux mois, cette capitale, la plus peuplée de l'univers, manqua d'habi­tants. Or, ceci se passait aux jours de Constantin Copronyme, cet empereur de funeste mémoire, qui outrageait la croix du Christ. Il osait appeler la croix une « idole d'imposture, » lui, cet imposteur sacrilège ! Ce fut donc un juste châtiment de Dieu sur un prince et un peuple coupables, en même temps qu'un moyen de conversion pour les âmes. » Les croix mystérieuses de Constantinople furent connues en Occident. Paul Diacre, dans son Historia miscella, les décrit dans les mêmes termes que saint Théodore Studite et Théophane 2. La peste qui les suivit ne cessa qu'après trois ans de

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1 Voici le texte rrree et la traduction litine de ce passage : 'EujSto égontivx lv toï; iy.iazav ÈTQrdAaTtv, ev (iaçtSt Ê).atwoei, xo <7r,i*scov toO Ço)O7toio0 exaupoû xaxeaT'.Y^Ivov, &ïa Tiapà X£tP°» wpaioyfia^o'icrr^, fià).).ov Se £7vi OeoO 2axTv).t5 xat ÛTTspxejiov. 'EGpostTO 6 ).r,ç9ei:, vtcôktiv ot ÈuQù; 6 Oxvaxo;. — Ccniebatur det'CpfHte in eujmgue veslitu vivificce crucis signum, tincturœ pinyuis et oleagineœ, velut a perita monu, seu pnlius dirino diyito superne efformatum. Id in se conspiciens turbabatur, suhintrabat adeleruta mars. (S. Theodor. Stiulit., Ijmdntio S. Pla-tonis begtimeni, cap. I; Putr. grac, tom. XCIX, col. 80:5-806.)

* Voici le texte de Paul Diacre : Cœperunt autem subito fieri tam in homimim vestimentis, et in sneris ccclesinrvm indumentis quam et in velis, cruciculœ pluri-mee, vetuti ex oleo designata. Facta est ergo hinc tristitia, et defectio animi multa, propter dubium hujusmodi signum. Venit nihilominus et divinitus indignatio dissipons incessunter non sotum urb>s cives, sed et in omnibus suburbanis ejus degentes. Factce sunt vero et phantasiœ in multos hon.inum qui in extasi facti existimnbant se cum peregrinis quibusdum, ut putabnnt, et trucibus faciebus, comit/iri, et eos qni in itincre obvii faciebant se quasi amicos salulare ac colloqui : notatis vero bis quai dicebuntur ab iis hœc poslea referebant. Contemplabantur autem eosdem domos ingredi. et alios guidon ex dmno deserere, atioi autem vut-nerare. (Paul. Diacon., Hislor. Miscell., lib. XX1I1 ; Patr. iat., tom. XCV, col. i09i.)

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 p165 .   II.   —  LE   PAPE   ET  L'ITALIE.

     

ravages. « Un autre fléau presque aussi funeste, dit l'historien du bas-empire, c'était l'empereur lui-même. Tandis que les oiseaux de proie dévoraient les cadavres, Copronyme se jetait sur les héritages vacants; il n'avait d'autre souci que de piller les maisons désertes, de faire passer dans son trésor les biens des familles que la conta­gion avait désolées. Il songea ensuite à repeupler Constantinople en y attirant de nouveaux habitants, venus de diverses provinces et surtout de l'Hellade. Le Péloponèse fournit une telle quantité d'immigrants, qu'il resta lui-même presque entièrement dépeu­plé : cette contrée, jadis si florissante, commença dès lors à rentrer dans la barbarie 1 (750). »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon