Darras tome 16 p. 97
13. Après cet interrogatoire dont le procès-verbal fut rédigé séance tenante, le sacellaire revint près du pontife, et dans un accès de véritable rage, il osa porter une main sacrilège sur l'oint du Seigneur. Constant assistait à cette scène, d'un lieu où il pouvait tout voir sans être vu. Un soldat, sur l'ordre du sacellaire, déchira le manteau du pape, et le dépouilla de ses ornements pontificaux. Réduit à une nudité presque complète, Martin fut chargé de fers et traîné à travers les rues de la ville. Au milieu de ces outrages, le martyr conservait la même tranquillité qu'il eût montrée au milieu d'une assemblée de pieux fidèles. Il présentait à ses bourreaux un visage plein de majestueuse douceur et ne cessait de prier pour eux. Arrivé au prétoire, il fut jeté dans la prison de Diomède, réservée aux voleurs et aux assassins. On l'y laissa une journée entière sans nourriture. Sur ces entrefaites, le patriarche Paul étant tombé malade, l'empereur l'alla voir, et, lui raconta de quelle manière le pape avait été traité. Poussant un profond soupir, le moribond s'écria en se tournant vers la muraille : « Hélas ! c'est ce qui va mettre le sceau à ma condamnation 2. » Il expira peu après. Pyrrhus attendait impatiemment
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1 Pass. S. Martin.; Pair, lat., tom. LXXXVIRcol. 114. — 2. Pass. S. Martin.; Patrol. lat., tom. LXXXVIJ., col. 117.
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p98 PONTIFICAT DE SAINT MAKTIN I (6-19-654).
cette mort pour rentrer en possession du siège patriarcal. Sa rechute dans le monothélisme lui avait rendu les bonnes grâces de la cour. Mais le peuple byzantin, toujours hostile à la domination de cet intrigant deux fois parjure, s'agita au point de faire craindre une émeute. On répandit dans le public le texte de l'abjuration remise autrefois par Pyrrhus entre les mains du pape Théodore. Aux yeux des monothélites, c'était là une apostasie qui rendait à jamais Pyrrhus indigne de l'épiscopat. « Le très-bienheureux Paul l'a anathématisé pour ce fait, disait-on, et l'anathème subsiste encore. » Durant huit jours l'émotion fut au comble. L'empereur voulut avoir des renseignements précis sur ce qui s'était réellement passé entre Pyrrhus et le saint-siége. Par son ordre, Démosthénès, agent du sacellaire, accompagné d'un greffier, se rendit à la prison de Diomède pour obtenir à ce sujet les informations que voudrait donner le pape captif (décembre 654). « L'illustre empereur notre maître nous envoie près de vous, dit Démosthénès au pape. Comparez votre gloire passée à l'état où vous êtes réduit. Nul autre que vous n'en est responsable, c'est vous seul qui vous êtes précipité dans cet abîme. — Martin ne répondit pas à cette interpellation insultante. Levant les yeux au ciel, il s'écria : Dieu soit loué de tout ! — Démosthénès reprit : L'empereur veut savoir ce que l'ex-patriarche Pyrrhus a fait à Rome. Pourquoi s'y était-il rendu? obéissait-il à un ordre ou venait-il de son plein gré? — De son plein gré, répondit Martin. — Qui le força à signer un libellus d'abjuration? — Personne ne le contraignit. Il le fit de son propre mouvement. — De quelle manière fut-il accueilli par le saint pape Théodore votre prédécesseur? Fut-il traité par lui en évêque? — Comment, répondit Martin, aurait-il pu en être traité autrement? Le bienheureux Théodore n'avait-il pas, longtemps avant l'arrivée de Pyrrhus à Rome, protesté contre l'usurpation de Paul, qui s'était emparé ici du siège patriarcal ? Lors donc que Pyrrhus se présentait en personne au tombeau du bienheureux Pierre prince des apôtres, comment mon prédécesseur aurait-il pu se dispenser de l'accueillir et de le traiter en évêque ? — C'est vrai, fut obligé de répondre Démosthénès. Mais, ajouta-t-il, aux
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frais de qui Pyrrhus fut-il entretenu durant son séjour? — Cette question, dit le pape, porte avec elle sa réponse. Il était à Rome, il y fut entretenu aux frais du patriarcat romain. —. Démosthénès insista : Quelle sorte de pain lui fournissait-on? — Seigneurs, vous ne connaissez donc pas l'église romaine? s'écria le pape. Je vous dis, moi, que quiconque vient y demander l'hospitalité, fût-il réduit à la dernière misère, y reçoit tout ce qui est nécessaire à sa subsistance. Saint Pierre ne refuse ses largesses à aucun des pèlerins : il distribue à tous un vin pur et le pain le plus blanc. S'il en est ainsi pour les hôtes les plus obscurs, vous pouvez juger de l'accueil réservé aux vénérables évêques. — Démosthénès reprit : On nous a dit au contraire que Pyrrhus avait été contraint, le poignard sur la gorge, de signer le libellus ; que durant son séjour à Rome on l'avait tenu dans les entraves et soumis aux plus cruels traitements pour lui arracher une rétractation. — Non, répondit Martin, c'est un affreux mensonge. Du reste, si dans cette ville de Constantinople il est encore possible de trouver des hommes auxquels la terreur ne ferme pas la bouche, vous avez ici plusieurs témoins qui se trouvaient alors à Rome. Ils savent ce qui s'est passé. Pour n'en citer qu'un seul, le patrice Platon était exarque à cette époque ; ce fut lui qui envoya à Rome des agents pour négocier avec Pyrrhus. Interrogez-les, ils vous diront la vérité s'ils l'osent. Mais à quoi bon toutes ces questions? Je suis entre vos mains, faites de moi ce que vous voudrez, Dieu permet que vous en ayez la puissance. Coupez ma chair en morceaux, ainsi que vous en aviez donné l'ordre à Calliopas, je ne recevrai point l'église de Constantinople à la communion du saint-siége. Voici que surgit de nouveau au milieu de vous l'apostat Pyrrhus, tant de fois déjà frappé d'anathème et dépouillé de toute dignité ecclésiastique ! — Démosthénès ne put s'empêcher de témoigner son admiration pour le courage apostolique du vicaire de Jésus-Christ, prêt, comme son divin maître, à boire le calice de la passion. Il se retira tout ému, emportant le procès-verbal de l'interrogatoire 1. »
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1. Pass. S. Martin. ; Pair, lot., tom. cit., col. 118.
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14. Pyrrhus n'en fut pas moins rétabli sur le siège de Byzance, mais il n'y resta que cinq mois et la mort vint le frapper à son tour. Constant II lui donna pour successeur un prêtre monothélite, Pierre, qui perpétua le schisme durant les douze années de son intrusion. Le 10 mars 633, les portes du cachot de la prison de Diomède s'ouvrirent une seconde fois, et saint Martin vit entrer le scribe Sagoleba, qui lui dit : « J'ai ordre de vous transférer dans ma demeure, pour y attendre les intructions que d'ici à deux jours doit me transmettre le sacellaire. —Le pape demanda où l'on voulait définitivement le conduire; mais le scribe refusa de répondre. Du moins, dit le pape, laissez-moi dans cette prison jusqu'au moment de partir pour l'exil. — Cette grâce ne lui fut point accordée. On était à l'heure du coucher du soleil. Le vénérable pontife appela ses compagnons de captivité. — Frères, dit-il, faites-moi vos adieux, car on va m'enlever d'ici. — Un calice était tenu en réserve pour cette agape du départ. Martin y but le premier, le passa aux autres captifs, puis s'adressant à l'un d'eux, celui qu'il aimait davantage : Venez, frère, dit-il, et donnez-moi le baiser de paix. — Comme autrefois les apôtres en face de la croix du Calvaire, tous les assistants fondaient en larmes. Celui que le pape avait appelé éclata en sanglots, et le bruit des lamentations retentit jusqu'au dehors de l'enceinte. Le bienheureux pontife, ému de cette démonstration , les pria de cesser leurs plaintes, et imposant ses mains vénérables sur leur tête, il dit avec un angélique sourire : Ce sont là devant Dieu les vrais biens, les faveurs célestes. Réjouissez-vous avec moi de ce que je suis trouvé digne de souffrir pour le nom de Jésus-Christ. — En ce moment, le scribe apparut avec ses satellites; il emmena le pape dans sa demeure 1. » Quelques jours après, l'auguste prisonnier était embarqué, dans le plus grand secret, sur un navire qui le transporta à Cherson, la Crimée actuelle. Il arriva au mois de mai 633. Ses souffrances qui semblaient à leur comble augmentèrent encore. « La famine et la disette, écrivait-il au clergé de Rome, sont telles en ce pays,
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1. S. Martin., Epist. xvn; Pair, lai., tom. cit., col. 119.
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qu'on parle de pain mais sans en voir 1. » Il avait quelque droit d'attendre que l'Église romaine, dont il avait dispensé lui-même les aumônes avec tant de libéralité, n'oublierait pas la détresse du pontife exilé. Mais les cruelles précautions de Constant empêchaient tous les secours d'arriver jusqu'à lui. Les plaintes du pape sur son délaissement et sa misère, mêlées au sentiment de la plus ardente charité, méritent d'être citées. « Nous sommes, disait-il dans la même lettre, non-seulement séparé du reste du monde mais comme enseveli tout vivant au milieu d'un peuple presqu'entièrement païen, chez lequel on ne trouve aucun sentiment d'humanité, pas même la compassion naturelle qu'on rencontre chez les barbares. Il ne nous vient quelques vivres que du dehors, je n'ai pu me procurer autre chose qu'une mesure de blé pour quatre solidi d'or. Qu'il ne me parvienne aucun secours, c'est chose aussi étonnante que certaine ; mais j'en bénis le Seigneur qui règle nos souffrances comme il lui plaît. Je le prie, par l'intercession de saint Pierre, de vous conserver tous inébranlables dans la foi orthodoxe, principalement le pasteur qui vous gouverne maintenant. Pour ce misérable corps, le Seigneur en aura soin ; il est proche. De quoi suis-je en peine? J'espère en sa miséricorde, elle ne tardera pas à terminer ma carrière. »
15. Le pasteur auquel faisait allusion saint Martin était Eugène I, qui lui succéda immédiatement et que les fidèles de Rome, dans la crainte d'être abandonnés aux mains d'un pape monothélite, avaient élu pour les gouverner pendant la captivité de saint Martin. Les paroles de l'auguste exilé sembleraient faire entendre qu'Eugène I était dès lors souverain pontife, ce qui n'aurait pu avoir lieu que du consentement et après la démission volontaire du légitime pasteur. Quelques historiens cependant, Baronius entre autres, pensent qu'Eugène, pendant la vie de Martin, fut seulement vicaire du saint-siége. Il ne serait devenu réellement souverain pontife qu'après la mort de saint Martin. Les ennemis de l'Église ont prétendu arguer de ce fait contre l'autorité
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1 Idem, ibid., col. 203.
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toujours visible qui doit présider à ses destinées. Mais il est certain, comme nous venons de l'entendre, que saint Martin ne réclama point contre l'autorité exercée par Eugène soit que cette juridiction fût déléguée, soit qu'elle fût celle d'un pape titulaire. En effet saint Martin, au lieu d'appeler Eugène « le pasteur de l'église romaine, » ne l'eût traité que d'usurpateur si réellement Eugène n'avait pas été légitimement investi du pouvoir spirituel. Il est donc incontestable que l'autorité du pontife romain n'avait pas cessé d'être visible dans l'Église ; que cette lumière «placée sur la montagne » continuait, au milieu des circonstances les plus difficiles, à éclairer toutes les nations. Dès lors il importe assez peu de savoir si le pontificat d'Eugène commença du vivant même de Martin; ce n'est plus là qu'un point historique sur lequel manquent les documents décisifs. La captivité de saint Martin n'explique que trop la disparition des pièces écrites qui auraient pu l'éclaircir. Le pontife exilé mourut le 46 septembre 655, martyr de la foi qu'il avait si courageusement défendue. En écrivant son histoire, il nous est bien souvent venu à la pensée des rapprochements avec de grandes infortunes, que nous aurons aussi à raconter à une époque plus voisine de nous. Dans l'une et l'autre circonstance, la force brutale s'est trouvée aux prises avec l'autorité spirituelle ; dans l'une et l'autre circonstance, brusquement arraché de la ville pontificale, jeté violemment en exil, le vicaire de Jésus-Christ se montra digne de souffrir pour le nom de son Maître ; dans l'une et l'autre circonstance, la victoire définitive resta à la vérité ; l'oppression puissante fut vaincue, la faiblesse opprimée demeura triomphante.
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PONTIFICAT DE SAINT EUGÈNE I. (16 octobre 654-2 juin 657.)
16. . « Eugène, né à Rome dans la région première, quartier de l'Aventin, fut, dit le Liber Pontificalis, clerc dès le berceau 1. Son père se nommait Ruffinien. Il siégea deux ans, huit mois et vingt-quatre jours. Il fut bienveillant, doux, rempli de mansuétude, affable à tous et d'une sainteté éclatante. Il prescrivit à son avènement et pour ses funérailles la distribution accoutumée au clergé, aux pauvres et aux familles indigentes. Le nouveau patriarche de Constantinople, Pierre, lui adressa une lettre synodique où il affectait, malgré la définition du concile de Latran, de ne pas reconnaître deux volontés ni deux opérations en Notre-Seigneur Jésus-Christ 2. Cette conduite indigna le clergé et le peuple
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1 Clericus
a cunabulis. Selon l'usage de la primitive Église, perpétué d'ailleurs
pendant tout le moyen âge, les
parents offraient dès le berceau leurs enfants aux basiliques ou aux monastères pour les consacrer à la cléricature. Ces « oblats, » ainsi qu'on les appelait, n'étaient nullement par cette mesure voués à une vocation contrainte. Leur enfance et leur jeunesse
s'écoulaient sous la direction des évêques ou des abbés, dans l'école de l'église ou du monastère, jusqu'à l'âge de vingt ans, limite fixée par une constitution du pape Zozime : Si ab infantia ecclesiasticis nornen dederit,
inter
lectores usque ad vigesimum annum continuata
observatione perduret. A cette époque, choisissant librement leur carrière, ils rentraient dans le
monde
ou continuaient à servir l'Église. Cependant les « oblats » recevaient tous, dès leurs premières années, la tonsure cléricale. On sait en effet que l’esprit de l'Église, ainsi que l'atteste le concile de Trente, est que cette cérémonie
ne soit pas différée trop longtemps pour ceux qui se destinent à la cléricature.
L'ancien Ordo romain, dans l'oraison que l'évêque prononçait en coupant
les cheveux de l'«oblat » s'exprime en ces termes : Domine Jesu Christe qui es caput nostrum et corona omnium
sanctorum, respice propitius super infantiam famuli tui N, etc. Le
titre même de cette prière est celui-ci : Oratio ad puerùrri tonsurandum. (Cf. Not. ad Libr. Pontifie.; Patr. lai., tom.
CXXVlli, col. 766.)
2 Nous
n'avons plus la lettre synodique du nouveau patriarche monothélite Pierre, digne successeur des Pyrrhus, des Paul et des Sergius. Le fait seul d'avoir osé adresser une communication de ce genre à Rome, en un
temps où saint Martin I était
prisonnier à Constantinople, serait une audace inexplicable, si, comme nous le verrons bientôt par les interrogatoires de
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p104 PONTIFICAT DE SAINT EUGÈNE I (054-657).
romain; la lettre du patriarche fut conspuée, et comme le pape célébrait les saints mystères dans la basilique de Sainte-Marie ad Prœsepe, l'assemblée ne laissa point sortir le pontife avant qu'il eût donné l'assurance qu'il n'admettrait jamais une pareille lettre comme un témoignage de communion à la foi catholique. Eugène consacra vingt et un évêques destinés à diverses églises. Il fut inhumé dans la basilique du bienheureux Pierre apôtre le Iv des nones de juin (2 juin 637). Après lui le siège épiscopal demeura vacant un mois et vingt-neuf jours 1. »
47. Nous n'avons plus la correspondance échangée entre saint Eugène Ier et le patriarche monothélite Pierre de Constantinople. La mention du Liber Poniificalis, confirmée d'ailleurs par les interrogatoires de saint Maxime dont nous allons bientôt reproduire la substance, ne laisse aucun doute sur l'audacieuse tentative de l'intrus byzantin. Il espérait surprendre la vigilance du pape Eugène, et sans doute il maintenait le thème adopté dès lors par la cour de Byzance, où l'on affirmait hautement que saint Martin Ier avait été légitimement déposé pour fait d'hérésie. La lutte de l'erreur contre la vérité revêtait les formes les plus insidieuses, en même temps qu'elle déployait la tyrannie la plus barbare. Les légats envoyés par saint Eugène à Constantinople ne se montrèrent ni plus fermes ni plus clairvoyants que ceux dont saint Martin Ier avait dû flétrir la conduite à Thessalonique. Porteurs des lettres pontificales qui affirmaient dans toute sa netteté la définition orthodoxe du concile de Latran, ils se laissèrent séduire par l'or et les faveurs de la cour, circonvenir par les flatteries du patriarche, tromper par les arguties et les subtilités de ses théologiens. Enfin, au mépris des instructions formelles du pape, il consentirent à communiquer avec le clergé monothélite de Byzance. Cette défection acheva de ruiner en Orient les espérances
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saint Maxime, nous ne savions que le mot d'ordre donné par la cour de Byzance était de répéter partout que Martin avait été canoniquement déposé de l'épiscopat. Dès lors on n'éprouvait pas le moindre scrupule à supposer que son successeur professait ouvertement le monotbélisme. 1 1. Lib. Pontifical., Notit. lxxvii; Patr. lat., tom. GXXVIII, col. 703.
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p105 CHAP. II. — SAINT MAXIME.
des catholiques, et ranima la fureur des sectaires. Saint Eugène dut alors déplorer amèrement de n'avoir point eu sous la main des évêques comme saint Éloi et saint Ouen, pour leur confier les intérêts de l'Église. Il rappela les indignes apocrisiaires, et leur infligea les peines canoniques dues à leur apostasie.
18. Cependant l'empereur s'applaudissait du succès de sa politique. Avoir acheté quelques consciences vénales, avoir étouffé dans les chaînes la voix de quelques martyrs, lui semblait aussi glorieux que s'il eût vaincu l'islamisme. Un grand nombre d'évêques du midi de l'Italie et de la Sicile furent exilés par son ordre : ils moururent de misère et de faim 1. L'illustre abbé Maxime, vieillard presque octogénaire, était plus particulièrement désigné à la vengeance impériale. Son érudition, son éloquence n'avaient d'égales que son zèle pour l'orthodoxie, dont il était le plus courageux défenseur. C'était lui, on se le rappelle, qui dans la fameuse conférence de Carthage2 avait réduit au silence l'apostat Pyrrhus, et en avait arraché une abjuration dont les monothélites gardaient le plus vif ressentiment. Il ne fut point oublié sur les listes de proscription. L'exarque Calliopas reçut ordre de l'arrêter avec son disciple Anastase, qui l'avait accompagné dans toutes ses pérégrinations. On saisit en même temps un ancien apocrisiaire nommé aussi Anastase, jadis légat du pape Théodore Ier en Orient; Tous les trois furent jetés à bord d'un navire qui faisait voile pour Constantinople. A leur arrivée, Maxime et ses compagnons furent tirés presque nus du bateau, traînés dans les rues de la ville et jetés dans des prisons séparées. A quelques jours de là, le saint vieillard fut conduit au palais où le sénat était assemblé. L'infâme Bucoléon, qui avait déjà outragé un saint et un pape dans la personne de Martin Ier, procéda à l'interrogatoire. Es-tu chrétien? demanda-t-il d'un ton plein d'ironie et de colère. — Oui, par la grâce de Jésus-Christ mon Dieu, je suis chrétien, — Non, c'est faux. Si tu étais chré-
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1 S. Maxim-, Vita ac certamen, n° 17 ; Pair, grœc, tom. XC, col. 87. —
2. Cf. drap, précéd., n° 16.
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p106 PONTIFICAT DE SAINT EUGÈNE I (C54-657).
tien tu ne professerais pas contre l'empereur une haine implacable. — Mais la haine aussi bien que l'amour, répondit le serviteur de Dieu, sont des sentiments intérieurs dont la conscience seule a le secret. Sur quel motif pouvez-vous préjuger que j'aie dans le cœur une telle haine? — Sur l'évidence des faits. Qui donc ignore tout ce que tu as tramé contre l'empereur et contre l'empire ? C'est la trahison qui nous a enlevé l'Egypte et Alexandrie, la Pentapole, Tripoli et l'Afrique. Tu les as livrées aux Sarrasins1.» Pour appuyer cette accusation aussi étrange qu'invraisemblable, le patrice avait suborné un faux témoin qui vint dire: « Il y a vingt ans, Pierre, alors préteur de Numidie, reçut d'Héraclius aïeul de notre illustre empereur l'ordre de conduire son armée en Egypte contre les Sarrasins. Il consulta Maxime sur le sort de l'expédition, et en reçut cette réponse : Ne vous engagez point dans cette guerre. Le Seigneur a abandonné Héraclius et sa dynastie. — Si le témoignage de cet homme est vrai, dit Maxime, qu'on produise les lettres échangées, dit-on, entre le préteur de Numidie et moi. Dans ce cas, je me soumets à toute la vindicte des lois. — Mais, répliqua le témoin, je n'ai aucune espèce de lettres; j'ignore même si le préteur de Numidie vous a jamais écrit ; je me rappelle seulement que ce bruit circulait alors dans l'armée. — Maxime se tournant alors vers les sénateurs ; Vous êtes juges, leur dit-il. Votre conscience décidera s'il est permis d'appeler en témoignage des calomniateurs de ce genre. » Un autre misérable, Sergius Magudas, requis par le sacellaire dit : « Il y a neuf ans, l'abbé Thomas, à son retour de Rome, me fit cette confidence : Le pape Théodore m'envoya au patriarche Grégoire (l'exarque d'Afrique qui s'était déclaré indépendant dans sa province), pour lui dire :
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1 Nous avons raconté précédemment, p. 10-12, comment ces diverses provinces et cités avaient été conquises par les musulmans. Il est assez curieux de voir des catastrophes uniquement dues à l'impéritie et à la faiblesse du gouvernement de Constant II, reprochées comme un crime de lèse-majesté à un vieillard octogénaire, aussi étranger au métier des armes qu'à la politique humaine.
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p107 CHAP. II. — SAINT MAXIME.
Soyez sans inquiétude, le serviteur de Dieu, l'abbé Maxime, dans un songe, a entendu les chœurs angéliques prophétiser votre victoire en ces termes : Grégoire Auguste, tu seras triomphant! » — Après cette déposition, le sacellaire, dans un accès de serviisme frénétique, laissa échapper cette invective : «Misérable Maxime, Dieu t'a envoyé ici pour que tu sois brûlé comme un raître ! » — Le saint vieillard répondit : « Je rends grâce à ce Dieu qui, par des supplices immérités, voudra peut-être me faire expier les péchés que j'ai pu commettre dans ma longue vie. Quant à ce prétendu récit d'un songe fabuleux, pourquoi ne pas amener ici l'abbé Thomas qui le tient, dit-on, du bienheureux pape Théodore? S'il réussissait à me prouver que le pape lui a tenu ce ridicule langage, ce serait la faute du pape et non la mienne. S'il réussissait même à prouver que réellement j'ai eu ce songe, je demanderais encore si l'on est libre ou non de rêver, et si le rêve tombe sous le coup de la loi? — Tu oses plaisanter! s'écria Troïlus avec rage. Oublies-tu devant qui tu parles? — Je ne plaisante pas, répliqua Maxime. Je déplore d'avoir assez vécu pour disputer ma tête à des impostures et à des songes. — Ainsi tous les autres, dit Troïlus, sont des menteurs. Toi seul, tu dis la vérité ! —En ce moment le serviteur de Dieu versa des larmes et reprit : Vous avez, puisque Dieu le permet, la puissance de me mettre à mort. Cependant j'atteste que si ces gens-là ont dit la vérité, il faut croire que Satan est Dieu. Par l'avènement du souverain juge au dernier iour, je jure que je n'ai jamais eu le songe que vient de vous raconter le seigneur Sergius, le dévoué serviteur de l'empire. » Un troisième faux témoin, Théodore, gendre du patrice Platon, vint dire : « Durant son séjour à Rome, je parlai un jour à l'abbé Maxime de notre auguste empereur, et il se permit de le tourner en ridicule. — Je ne vous ai parlé à Rome qu'une seule fois, répondit Maxime, et ce fut en présence du très-saint prêtre Théochariste, fils du primicier. Qu'on l'interroge, et s'il confirme votre accusation je m'avouerai coupable 1. »
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1 S. Maxim, acta; Pair, grœc, tom. XC, col. 110-114.