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47. Les puritains, qui reconnaissaient, d'après Calvin, au conseil des ministres, la souveraine autorité, ne pouvaient, pas plus que les catholiques, s'accommoder du pontificat de Jacques Ior. D'ailleurs, ils n'estimaient et n'aimaient pas le roi, dont les excentricités pourtant les amusaient. Jacques les avait fait servir au triomphe de sa cauteleuse ambition; mais, après le succès, il dédaignait ces instruments dont il redoutait l'empire sur les masses. Quand ce prince voulait jeter, à tant de révolutionnaires besogneux, un os à ronger, il leur livrait quelques jésuites. Les passions du roi et des puritains cadraient à merveille : le roi se servait des puritains ; les puritains se servaient du roi. Les puritains abhorraient encore plus le papisme que la royauté ; la haine du parti l'emportait, dans leur cœur, sur l'ingratitude du pouvoir. Il y avait encore des jésuites à persécuter et des catholiques à livrer aux bourreaux ; les puritains s'improvisèrent les exécuteurs des basses-œuvres de Jacques et de ses théologiens. Eux-mêmes ne s'astreignaient à aucun serment, ou, selon les intérêts de leurs passions, ils se faisaient un devoir de les violer tous : ils crurent qu'en contraignant les catholiques à en prêter un, il leur serait permis de glaner dans ce champ des confiscations, où le roi et ses courtisans ne cessaient
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(1) Butler, L'Église romaine défendue contre les attaques du protestantisme, p. 3GO.
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de moissonner. Une formule fut proposée en 1607. Cette formule avait pour but de découvrir les papistes et pour objet de les contraindre à se dénoncer : elle portait sur deux points : sur le pouvoir temporel et sur le pouvoir spirituel du roi Jacques. Les puritains, qui doivent non seulement déposer, mais décapiter le successeur du roi, obligent les catholiques à déclarer sous la foi du serment : 1° Que le Pape n'a pas le droit de déposer les souverains ; 2° Qu'il n'a pas le droit de les excommunier ; 3" Que les peuples n'ont pas le droit de déposer les souverains excommuniés; 4° Que c'est une doctrine impie et hérétique contraire au droit divin des rois ; 5° Que le Pape n'a pas le droit de délier les Anglais de ce serment envers leur souverain. La formule est fort longue, très artificieuse, consommée avec les stratagèmes de Satan. Dans les engagements de fidélité au roi, on a caché l'apostasie. Celui qui jure limite le pouvoir du Pape, tranche des questions de doctrine et refuse au Pape l'autorité sur sa conscience. On disait, du reste, non sans ironie, aux catholiques, qu'ils étaient libres de prêter ce serment ; cette liberté se résumait, pour ceux qui le refusaient, dans la perte de leurs biens, dont deux tiers au roi, et l'autre tiers au clergé schismatique.
48. Le P. Richard Holtbey, supérieur de la mission après Henri Garnett, comprit tout le mal que produirait ce formulaire à double entente ; il ne croyait pas qu'il fût possible de s'y associer ; mais en attendant la décision du Saint-Siège, il enjoignit aux jésuites anglais de ne donner, sur ce sujet, aucune déclaration publique. Georges Blackvell, qui gouvernait les églises anglaises en qualité d'archiprêtre, s'effraya des calamités qui allaient fondre sur son troupeau et permit le serment. Mais Paul V consulté, répondit, le 22 septembre, par un premier bref : « Nous avons appris, dit-il, qu'on vous pousse, en comminant les plus graves peines, à fréquenter les temples des hérétiques, à suivre leurs assemblées, à entendre leurs discours. Nous croyons certainement que ceux qui ont, avec tant de constance et bravoure, affronté les plus atroces persécutions et subi des misères presque infinies, pour marcher devant le Seigneur, dans les sentiers de la justice, se garderont de
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se souiller par la communion avec les déserteurs de la loi divine. Cependant, poussé par le zèle du devoir pastoral et suivant la paternelle sollicitude avec laquelle nous travaillons au salut des âmes, nous sommes forcé de vous avertir et de vous conjurer de n'entrer sous aucun prétexte dans les temples des hérétiques, de ne pas écouter leurs discours et de ne pas communiquer à leurs rites... Quant au serment, on ne peut le prêter sans blesser la foi catholique et nuire au salut des âmes, parce qu'il contient beaucoup de choses contraires à ce salut et à la foi. Nous vous avertissons, en outre, de vous défier absolument de serments semblables, et nous l'exigeons avec d'autant plus de rigueur, qu'ayant éprouvé votre constance qui a été purifiée, comme l’or, dans la fournaise d'une longue tribulation, nous tenons pour assuré que vous subirez, d'une âme joyeuse, les plus atroces tourments et même la mort, plutôt que de blesser en ce point la majesté de Dieu.» Paul V avait parlé en pape ; il était impossible de s'exprimer plus clairement et d'exiger plus absolument l'abstention. Plutôt la mort que le serment. Il se trouva cependant, comme il se trouve de plus en plus de nos jours, dans les églises d'Angleterre, des esprits mous et des cœurs sans consistance, pour énerver, sous divers prétextes, la vertu du bref pontifical. On répandait le bruit que Paul V n'avait pas parlé de son propre mouvement, et qu'il ne fallait pas prendre ses ordres à la lettre. Un an après, presque jour pour jour, Paul V confirma, par un second bref, ses lettres apostoliques ; il déclara avoir parlé de science certaine et, après mûre délibération, prohiba de nouveau le serment. Le cardinal Bellarmin, dans une lettre à Blackwell, qu'il avait connu autrefois, évoqua les grands souvenirs de St Basile résistant à Valens, des Machabées rebelles à Antiochus, de Thomas Morus et de Fisher morts sur l'échafaud. « Dans le dernier acte de votre vie, gardez-vous donc, dit-il, d'attrister vos amis et de réjouir vos ennemis ; relevez glorieusement l'étendard de la foi, afin de mériter, non seulement le pardon, mais la couronne. » Maître Jacques voulut répondre à Bellarmin et à Paul V ; il le fit dans un écrit intitulé singulièrement : « Triplici nodo triplex cuneus : à triple nœud triple coin» c'est
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un ramassis de choses mal comprises et sottement dites. Bellarmin fit au roi l'honneur de lui répondre ; il répondit comme devait répondre l'auteur des Controverses, avec calme et force ; lorsqu'on lit aujourd'hui cette Réponse à l'apologie pour le serment de fidélité, on se prend volontiers à dire : « Et que diable Jacques Ier allait-il faire dans cette galère ? » Les coins de Jacques sont des coins de de bois employés maladroitement à briser des nœuds de fer.
49. L'exemple de Blackwell fut contagieux. Ce malheureux archiprêtre, qui avait fait des concessions pour épargner des calamités à son troupeau, causa, au contraire, les calamités que redoute le plus la sainte Église, quelques défections. A l'exemple de Blackwell s'ajoutèrent les sophistications anglicanes. Les docteurs de Jacques Ier et le roi lui-même essayèrent d'expliquer la lettre de ce serment et d'en torturer le sens afin de démontrer aux catholiques qu'on exigeait plutôt d'eux un acte de condescendance qu'un acte d'apostasie. Les Jésuites furent surtout le point de mire de ces argumentations. Ces hommes, qu'on s'est efforcé de peindre comme ayant toujours une équivoque à leur service, comme toujours prêts à justifier, par la direction d'intention, les péchés profitables, restèrent sourds au pacte conciliateur que la perversité puritaine proposait à la faiblesse de certains catholiques. Un certain nombre de catholiques prêtèrent donc cet insidieux serment. Leur défection jette, sur les temps postérieurs, un jour instructif. Si les catholiques d'outre-Manche faiblirent, c'est parce qu'ils ne croyaient pas au pouvoir, même indirect, des papes sur les souverains et parce qu'ils rejetaient l'infaillibilité ex cathedra. « Quant au serment d'allégeance, dit Butler, quelques théologiens transalpins ont porté si loin leur opinion en faveur de l'autorité du Pape, qu'ils ont soutenu qu'il possédait, de droit divin et directement, la puissance suprême dans les affaires temporelles et spirituelles ; d'autres ont beaucoup rabattu de ces prétentions, en soutenant que le Pape n'avait, de droit divin, aucun pouvoir temporel ; mais que lorsque le bien évident d'un État ou de quelque individu l'exigeait, il pouvait exercer le pouvoir temporel ou le faire exercer sur cet État ou sur cet individu, ce qui lui accordait indirectement le pouvoir tem-
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porel dans les affaires spirituelles. A l'époque où Jacques proposa un serment de fidélité, cette opinion était soutenue par un grand nombre de catholiques romains respectables, et quelques-uns de ceux qui y étaient contraires jugèrent l'autorité des autres si grande qu'ils ne crurent pas prudent d'y contrevenir par un serment ou par aucune expression d'aigreur. Cette opinion est actuellement abandonnée dans toutes les parties du monde, à l'exception du territoire qu'enferment les murs de Vatican. Les catholiques anglais, irlandais, écossais l'ont solennellement rejetée par leur serment. » Ainsi, d'après Butler, c'est parce que les catholiques de la Grande-Bretagne ne croyaient pas au pouvoir, même indirect, des papes sur les souverains, qu'ils ont cru au droit divin de Jacques Ier et qu'ils se sont, en prêtant serment, révoltés contre le Saint-Siège. « Les personnes qui prêtèrent le serment prescrit par Jacques Ier, dit encore Butler, rejetèrent absolument, et sans aucune qualification, le droit du Pape à déposer le souverain, et abjurèrent, « comme impie et hérétique, la damnable doctrine que les princes excommuniés ou privés de leur couronne par le Pape pouvaient être déposés ou mis à mort par leurs sujets ou par tout autre individu. » En ce qui regarde l'infaillibilité, ajoute Butler, quelques théologiens respectables l'ont soutenue ; néanmoins, ils admettent universellement que l'Eglise n'a point décidé ce point et que par conséquent il est encore abandonné au jugement individuel. Une opinion contraire est enseignée dans la déclaration du clergé gallican en 1682. Cette déclaration a été signée par presque tous les archevêques et évêques, et par le clergé régulier et séculier de France, et a été enseignée dans toutes les facultés de théologie du royaume : elle est défendue avec la plus grande habileté et avec la plus grande force d'arguments par Bossuet, par Marca, et par divers autres écrivains modernes, parmi lesquels notre compatriote, l'abbé Hooke, mérite d'être distingué (1). » Si les catholiques anglais avaient cru à l'infaillibilité et au pouvoir indirect des papes, ils n'eussent pas prêté le serment ; une foi plus entière eût gardé leur vertu et maintenu leur fidélité. (1) L'Eglise romaine défendue, etc., p. 368 et 372.
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50. Maître Jacques, qui croyait à son droit divin, et affectait de ne pas croire à celui du Pape, s'acharnait cependant contre les catholiques, avec cette persévérance de sectaire qui formait le fond de cette âme étroite, « Mais, dit Ranke, si l'on interrogeait le roi en particulier, ses intentions étaient très modérées. Il déclara positivement, à un prince de Lorraine, qui vint lui faire visite, non sans que Paul V en eût été informé : «Qu'il n'y avait cependant qu'une légère différence entre les diverses religions ; il est vrai, il regardait la sienne comme la meilleure, et la préférait, non par raison d'État, mais par conviction ; toutefois, il était loin de dédaigner les autres, et, comme il jugeait trop difficile de convoquer un concile, il verrait avec plaisir se former une assemblée d'hommes savants, dans le but de tenter une réconciliation. Si le Pape, disait il, faisait seulement un pas pour venir au-devant de lui, il en ferait quatre de son côté. Lui aussi, il reconnaît l'autorité des saints Pères ; il estimait plus S. Augustin que Luther, et S. Bernard que Calvin ; lui aussi reconnaît l'Église romaine, même celle des temps présents, pour la véritable Église, pour la mère de toutes les autres ; seulement, elle a besoin d'être purifiée ; il avoue encore ce qu'il ne dirait pas à un nonce, mais ce qu'il peut bien confier à un ami et à un cousin, que le Pape est le chef de l'Église, l'évêque suprême ; on est très injuste envers lui, quand on le désigne comme un hérétique ou un schismatique ; il n'est pas hérétique, car il croit précisément ce que le Pape croit lui-même, excepté seulement que celui-ci admet quelque chose de plus ; il n'est pas non plus schismatique, car il regarde le Pape comme le chef de l'Église (1). « Avec de tels sentiments et une aversion prononcée contre la secte puritaine, le roi eût dû s'entendre pacifiquement avec les catholiques ; on disait, au contraire, qu'il ne s'ingénia qu'à les persécuter. Le fils de l'archevêque d'York, Tobie Mathews, avait renoncé à l'hérésie, pour rentrer dans la communion romaine. Avec trois de ses amis de la famille Gages, il se prononce contre le serment : il est jeté dans les fers. Le jésuite William Wright fait entendre de solennelles protestations contre la doctrine (1) Hist. de la Papauté, t. III, p. 97.
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de l'anglicanisme, recommandant le parjure mental pour arriver au parjure matériel. Wright subit le même sort. Jacques Stuart, le fils apostat de la nièce des Guises, s'adressait aux souverains pour les exciter contre Rome ; et lui-même, par les cardinaux Aldobrandini et Bellarmin, avait sollicité un chapeau de cardinal pour un Ecossais, afin de traiter plus facilement et plus sûrement avec le souverain pontife.
51. Jacques était pris en flagrant délit de duplicité ; pour apaiser les colères que les révélations des controversistes faisaient fermenter dans le cœur des puritains, il ne trouva qu'un expédient. Ces jésuites, qu'il n'avait pu corrompre, il les condamna aux bêtes. Thomas Garnett, neveu d'Henri Garnett, allait être déporté ; Cécil n'avait trouvé aucun indice pour le rattacher à la conspiration des poudres, mais son titre de prêtre de la Société de Jésus suffit pour le condamner à l'exil. La veille de son départ, l'archevêque anglican, Bancroft, lui propose de souscrire la formule hérétique de serment. Thomas refuse : « Je professe, dit-il, et c'est l'expression sincère du véritable sentiment de mon cœur, que j'aurai, envers mon roi légitime, Jacques, toute la fidélité et l'obéissance due à Sa Majesté, selon les lois de la nature, de Dieu et de la véritable Église de Jésus-Christ. Si l'on croit insuffisant ce gage de ma loyauté, je m'en remets au jugement de Dieu et du monde entier. Aucun roi ne peut demander une plus grande fidélité que celle que la loi de Dieu prescrit, et aucun sujet ne peut promettre et jurer au roi une obéissance plus grande que celle approuvée par l'Église de Jésus-Christ. » Cette déclaration, qui le croirait ? fut la raison déterminante d'un arrêt de mort. Suivant l'attorney général, Thomas tombait sous une quadruple prévention : il était prêtre, jésuite, réfractaire et séducteur de catholiques. Le jésuite se glorifia des trois premiers chefs d'accusation et démontra facilement qu'il n'avait séduit personne. « Le 23 juin 1608, sixième du régne de Jacques, dit la Chronique protestante de John Stow, Thomas Garnett fut supplicié à Tyburn. On lui avait offert la vie à condition qu'il consentirait à prêter le serment : il refusa l'un et l'autre. » Le comte d'Exeter, conseiller d'État, l'attendait au pied de l'échafaud. De
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concert avec le prédicant, il l'engage à faire ce que le roi ordonne ; il peut même user d'équivoque et de restriction mentale. «L'existence et la liberté, répond le jésuite, sont peu de chose pour moi ; dans ces matières, il n'y a rien à dissimuler. » Puis, après avoir raconté sa vie, et dit, avec des paroles que l'échafaud rend plus éloquentes, tout le bonheur de sa vie, il ajoute : « Seigneur, mon Dieu, que votre colère contre ce royaume s'apaise ; ne demandez point vengeance de mon sang à la patrie et au roi ; pardonnez au prêtre apostat qui m'a trahi ; à Cross, qui m'a arrêté ; à l'évêque de Londres qui m'a chargé de fers ; à Wade, qui a voulu ma mort ; à Montagne et aux témoins. Puissé-je les voir tous sauvés, avec moi dans le ciel. » A la fleur de l'âge, le P. Thomas, même d'après les anglicans, mourait pour la défense de la foi ; néanmoins, le roi avait écrit, dans la Préface de sa défense : «J'affirme toujours, et j'ai établi dans mon Apologie, que, sous mon règne, comme sous celui de la défunte reine, personne n'a été tué pour cause de conscience et de religion. » Jacques mentait doublement : il mentait pour Elisabeth, qui fut une terrible pourvoyeuse du bourreau ; il mentait pour lui-même ; et quand les rois mentent, les pieds dans le sang de leurs sujets, ce sang doit crier vengeance.
52. Thomas Garnett ne fut pas la dernière victime du sophiste qui régnait sur la Grande-Bretagne. Les catholiques d'Ecosse et d'Irlande cherchaient à se protéger contre les envahissements du protestantisme. Le sang coulait ; et quand l'hérésie n'en trouvait plus à verser, elle appelait à son aide les lois draconiennes promulguées pour le compte de la liberté de conscience. Ces deux royaumes, devenus provinces anglaises, l'Irlande principalement, avaient à endurer des douleurs de toute espèce. « Plantez l'Irlande de protestants, disait-il, déracinez les papistes, alors vous serez tranquilles. » Ces opérations d'arrachage pour planter d'autres essences, quand il s'agit de l'espèce humaine, s'appellent des assassinats. Les Jésuites soutenaient les assauts du protestantisme ; les Jésuites mouraient sur la brèche ; le P. John Ogilbay se vit, en Ecosse, destiné au même sacrifice. Des puritains le prient de se
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rendre à Glascow pour abjurer entre ses mains, le presbytérianisme. Ogilbay accourt ; ces puritains le livrent aux officiers du roi. On le conduisit de Glascow à Edimbourg; on essaya de le séduire par des promesses et de l'effrayer par des menaces. Quand on s'aperçut qu'il était insensible : « Vous ne consentez donc pas, lui dit-on, à obéir au roi?» — Je rendrai au roi tout ce qui lui est dû. — Le roi prohibe la messe et vous ne craignez pas de la célébrer. — Faut-il obéir au roi plutôt qu'à Dieu, prononcez vous-mêmes. Jésus-Christ a institué la messe. Si le roi la condamne comme un crime, pourquoi veut-il qu'on ne le prenne pas pour un persécuteur ? — Vous n'auriez pas dû pénétrer dans le royaume contre la volonté du souverain. — Le souverain, sans motif légitime, ne peut pas m’interdire l'air de la patrie ; j'en suis aussi bien le citoyen que Jacques Stuart. — Pour lui et pour son royaume, il a lieu de se défier des Jésuites. — Qu'il fasse ce qu'a fait sa mère et tous les monarques d'Ecosse, il n'aura rien à redouter de nous. Que lui devons-nous de plus que nos aïeux ne devaient aux siens? S'il tient de ses ancêtres un droit incontestable à la couronne, pourquoi exiger plus qu'ils ne lui ont transmis en héritage ? Ses ancêtres n'eurent point et n'usurpèrent pas la juridiction spirituelle: ils ne professèrent que la foi apostolique romaine. » — On l'interrogea spécialement sur la conspiration des poudres : « Je n'en loue point les parricides auteurs, je les ai en abomination. — Ce sont pourtant des Jésuites qui ont été leurs maîtres ! — Lisez les actes du Concile de Constance et vous verrez précisément que ces excès sont enseignés par les sectaires et flétris par les catholiques. La doctrine de l'Anglais Wiclef prétend que les sujets peuvent mettre à mort les souverains. Vous-mêmes avez cherché à tuer le roi Jacques dans son palais. Le plus éminent de vos prédicateurs, votre Achille, votre Robert Bruce, qui n'est pas loin d'ici, écrivait au père du marquis d' Hamilton, de venir arracher la couronne à cet indigne roi, fauteur des papistes, et que lui et ses souverains lui seraient en aide. » Le P. Ogilbay devenait gênant pour ses adversaires, ils le condamnèrent d'abord au supplice de l'insomnie. Pendant huit jours et huit nuits, des bourreaux, placés à ses côtés, le piquaient avec des stylets et
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des aiguilles pour le priver de sommeil. Ce tourment l'abattit au point qu'il en perdait la raison. Bientôt il est ramené à Glascow devant un jury puritain: « Si l'on vous exilait, demandent les sectaires, reviendriez-vous en Ecosse?— Si j'étais proscrit pour crimes, non, je ne reviendrais pas ; mais, banni a cause de ma religion, je reviendrais et je voudrais que chacun des cheveux de ma tête pût convertir mille hérétiques au culte de mes pères. » Le jury n'en demandait pas tant, il condamna, et, le 10 mai 1615, Ogilbay mourut, comme Thomas Garnett, à l'âge de trente-quatre ans, et avec le même courage (1).
53. Tels sont, en gros, les faits et gestes de Jacques Ier, persécuteur des catholiques. Cet indigne fils de Marie Stuart, la reine martyre, était passé à l'ennemi. S'il ne pardonna pas à Elisabeth le meurtre de sa mère, il épousa ses erreurs et continua sa tradition d'hostilité à l'Église. Les puritains, réprimés par les lois sévères d'Elisabeth, avaient espéré sinon une protection spéciale, du moins un traitement plus doux, de la part d'un prince nourri dans leur secte. Mais, choqué de leurs maximes et de leurs manières républicaines, fortement attaché à sa prérogative royale, il favorisait le culte anglican, comme le plus conforme à ses opinions et à ses intérêts. Néanmoins, le désir de faire briller ses connaissances théologiques le détermina à permettre les conférences d'Hamptoncourt entre les principaux docteurs des deux religions. Après de longues et inutiles controverses, en présence du roi et de ses ministres, les deux partis se séparèrent diversement satisfaits du monarque, qui, dans le cours de la discussion, avait souvent répété cette maxime chère aux anglicans et odieuse aux presbytériens : «Point d'évêques, point de roi.» Dans la suite, Jacques déclara ouvertement sa préférence et tenta d'établir en Ecosse les cérémonies du culte anglican. Ce rôle équivoque de protecteur du parti protestant amena, contre Jacques, une double conspiration. Deux factions se disputaient les faveurs du monarque : les épiscopaux, ralliés à Cécil, arrivèrent les premiers au pouvoir. Le comte de Northumberland, lord Grey, Walter-Raleigh, se voyant
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(1) Un jésuite anglais vient de publier la vie de ce martyr.
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disgraciés, se laissèrent aller aux suggestions de la vengeance. Tantôt abouchés à la France, tantôt à l'Espagne, ils essayèrent de s'emparer de Jacques, de le contraindre à changer de ministre et de politique. A ce grand complot, dit de la main se rattacha un petit complot de sir Griffin Markham. Tous les conspirateurs furent arrêtés, jugés et condamnés à mort. Jacques les fit conduire au lieu du supplice; mais, arrivés là, le shérif les mettait en liberté. Quanti à Raleigh, homme d'un mérite supérieur, il fut détenu douze ans à la Tour de Londres. On l'en tira, en 1616, pour l'envoyer en Amérique ; à son retour, Jacques l'envoya à l'échafaud. En voyant la hache de l'exécuteur: « Ce remède est aigu, dit-il, mais certain pour tous les maux. » — Ce même Jacques, roi bel esprit, Salomon manqué de l'Angleterre, avait un autre ridicule: il s'occupait de sorcellerie et médita longtemps sur la grave question de savoir pourquoi le diable communique plus volontiers avec les vieilles femmes qu'avec les jeunes. Dans la pensée qu'il avait trouvé une solution satisfaisante, il ne traita pas les sorcières plus doucement que les conspirateurs; il en faisait pendre, chaque année, une ou deux, non pour en garder l'habitude, mais pour faire apprécier sa sagesse.