Louis XIV 4

Darras  tome 37 p. 68

 

   46. Le Pape cependant ne négligeait pas la défense du Saint-Siège. La dignité, comme la justice et la raison étaient de son côté ; il

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savait s'en prévaloir. Avec son parfait bon sens; il déclarait, en plein consistoire et dans le bref à Louis XIV que les Corses avaient été provoqués, mais qu'ils avaient excédé le droit de légitime dé­fense ; que le gouvernement pontifical devait une réparation, mais qu'il ne demandait pas mieux que de l'offrir. Au demeurant, il ne permettait pas de supposer que lui, ou quelqu'un de sa famille eût, en aucune façon, préparé ou approuvé l'action des Corses; et il regardait cette supposition comme un outrage beaucoup plus grave que celui dont se plaignait l'ambassadeur français. Enfin, il signalait, comme excédant toute mesure, le traitement indigne in­fligé au représentant du Saint-Siège. « Que dira donc l'univers? Que dira donc la république chrétienne ? Que jugera Dieu qui in­terroge les actions des rois et qui sonde leurs sentiments ? disait le noble Pontife. Notre nonce, un homme ecclésiastique et innocent, qui tenait auprès de Votre Majesté non seulement la place de celui que Dieu vous a donné pour pasteur et pour père, et de l'Eglise qu'il vous a donnée pour mère, mais la place de Dieu même, a été exilé par une puissance séculière, pour le crime particulier de quelques soldats. Comme nous sommes obligé de rendre compte de votre âme au Roi des rois, nous avons cru devoir vous représenter paternellement toutes ces choses. »

 

Le roi avait expulsé le nonce, il ne répondit pas au Pape et lui imposa l'obligation de traiter avec le duc de Créqui, cause de la querelle et odieux à la cour de Rome par son caractère et par ses actes. En même temps, il dédaigna de faire des ouvertures, laissa au Saint-Siège le soin de lui faire les soumissions les plus humi­liantes, qu'il se réservait, par devers lui, de mépriser. Le fils aîné de l'Eglise se conduisait en parricide : il est impossible de trouver, dans un prince chrétien, un plus complet oubli de tous ses devoirs envers l'Église de Jésus-Christ.

 

47. Une négociation s'ouvrit entre Créqui retiré à San-Quirico, et Rospigliosi, puis Rasponi, représentant du Pape : j'ai   raconté cette négociation  par le détail dans l'Histoire apologétique de la papauté, je n'y reviendrai pas. Du côté de la France, le parti-pris de rompre, pour envahir l'État pontifical, ôte toute justice et toute

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raison. Louis XIV ne veut pas de négociation directe entre les deux cours ; il veut que Créqui, l'auteur de la brouille, reste pour négo­cier l'accommodement, et Créqui a pour mandat secret de n'accéder à rien. On disputa longtemps pour ou contre le gouverneur de Rome,  cardinal Impériale. La France veut une peine infamante ; Rome répond que le condamner serait une infamie.  Impériale se dévoue et se sacrifie ; Louis XIV (oh, petitesse I), le poursuit jusque dans sa retraite. D'un autre côté,  il lève des troupes en Suisse et cherche à soulever le Sacré-Collège contre le Pape. Créqui rentre par Toulon et va s'aboucher sur la frontière de  Savoie, avec Rasponi. Plus on négocie, plus  les affaires s'embarassent. Nous tou­chons cependant au terme de la dispute. Le duc de Créqui retourna auprès du roi, et Rasponi alla rejoindre le nonce Piccolomini à Chambéry, où il demeura jusqu'au mois d'août, espérant toujours une reprise des conférences. Mais Louis XIV se préparait sérieuse­ment à ouvrir les hostilités. Il réunit deux mille chevaux  et trois mille cinq cents hommes de pied, comme avant garde d'une armée plus considérable. Par ses ordres,  le parlement d'Aix rendit un arrêt qui réunissait à la couronne Avignon et le Comtat-Venaissin ; le vice-légat fut chassé et conduit militairement à la frontière de la Savoie et des commissaires prirent possession du territoire au nom du roi. Vainement les ducs de Parme et de Modène réclamèrent contre l'envoi de troupes françaises dans leurs États : leur allié les protégea malgré eux. Le roi d'Espagne intéressé personnellement à prévenir une guerre en Italie, ayant redoublé d'efforts pour rap­procher les deux cours, Louis XIV remit, le 3 novembre 1668, à l'ambassadeur de Philippe IV à Paris, un écrit, aussitôt rendu pu­blic, qui faisait de l'article de Castro et Comacchio une condition absolue de la reprise des négociations, et où le roi se livrait, contre le Pape, sa famille et ses ministres, à de tels excès  d'outrage, que Régnier lui-même se sent embarrassé de son rôle d'apologiste : « L'âcreté des termes, dit-il, n'y avait pas été épargnée à l'égard des parents du Pape ; en quoi on avait peut-être été plus loin qu'il ne convenait à la bienséance et à la propre dignité du roi. »

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48. Le Pape ne pouvant plus douter que Louis XIV ne fût décidé à envahir ses Etats, prit enfin la résolution d'en finir. Rasponi reçut un nouveau pouvoir et se rendit à Pise où il devait rencontrer le plénipotentiaire français, l'abbé de Bourlemont, auditeur de Rote, âme servile et cupide, qui n'avait pas le moindre souci des intérêts de l'Église, et qui montra dans la négociation contre les Romains, l'animosité la plus puérile et la plus indécente. Le traité de Pise fut signé le 12 février aux conditions suivantes : Légation du cardinal Chigi en France ; déclaration de Mario qu'il est étranger à l'attentat des Corses ; voyage du cardinal Impériale en France, pour se justifier ; récep­tion honorable du duc et de la duchesse de Créqui par les parents et les ministres du Pape ; indemnité à Césarini ; amnistie aux Ro­mains qui se sont déclarés pour Créqui ; le barigel de Rome cassé et banni ; la nation corse déclarée incapable de servir dans l'état ecclésiastique ; pyramide et inscription ; réintégration du cardinal Maidalchini ; amnistie aux Avignonnais ; désincamération de Cas­tro, et indemnité en compensation de Comacchio.

 

Régnier Desmarais reconnaît que le Pape exécuta de bonne foi toutes les conventions, mais il ne dit pas qu'Alexandre VII ressentit vivement l'humiliation infligée au Saint-Siège. Il paraît, du reste, que la joie du triomphe ne fut pas sans mélange dans l'âme du vainqueur ; on en jugera par la lettre suivante :


« Vous direz que je ne désire pas recevoir aucun nonce en France que l'accommodement en ce qui regarde ma satisfaction ne soit consommée par le discours que le légat me doit faire en son audience, et il sera même bien à propos, si on veut agir à Rome avec pru­dence, qu'ils ne s'avantagent pas à déclarer celui-ci ou celui-là pour nonce qu'ils n'aient auparavant consulté ma volonté sur le choix de la personne, suivant ce qui a toujours été pratiqué ; car j'entends déjà parler de quelques sujets que je ne recevrais pas ici dans cet emploi.

 

« Vous pourrez même ajouter à cela, comme de vous, qu'il pour­rait arriver que le légat viendrait ici avec si peu de pouvoir de me témoigner que lui et sa maison ont véritablement envie et dessein de rentrer dans mes bonnes grâces, que reconnaissant par là que

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le Pape n'a pas intention de vivre avec moi d'autre manière qu'il a fait par le passé, je prendrais la résolution de le prier de s'abste­nir de n'y envoyer aucun nonce durant son pontificat, d'autant plus que, pour l'expédition des affaires, il suffira de l'ambassadeur que je tiendrai près de lui.

 

« Enfin, avant que de m'engager en rien là-dessus, il est bon de voir par quels moyens, le légat ici voudra et aura pouvoir de ré­parer l'effet de la dernière promotion de cardinaux, où Sa Sainteté a montré faire si peu de cas de mes sentiments qu'il a fait évidem­ment connaître que, pourvu qu'il évitât le coup du passage de mon armée, il ne se souciait pas beaucoup que nous rétablissions en­semble une véritable bonne correspondance, et que ses parents rentrassent effectivement et réellement en mes bonnes grâces. Il n'y a qu'à considérer d'un côté la précipitation dont il a usé à faire cette promotion hors des temps accoutumés afin que je n'eusse pas lieu, par la conclusion de l'accommodement auquel il se voyait forcé, de lui faire aucune instance là-dessus, et d'autre part la mauvaise volonté qu'il a affecté de me témoigner, soit en compo­sant ladite promotion de cinq sujets naturels ou dépendants de la couronne d'Espagne et du sieur Piccolomini qu'il a cru mal satis­fait de moi, soit par la clause qu'il a prononcée en créant les six autres qu'il a réservés in pectore, que c'étaient tous sujets réelle­ment du Saint-Siège, afin d'exclure toutes nos demandes, soit à l'égard de mon cousin le duc de Mercœur, soit pour quelque autre sujet.

 

« Je vous avoue que ce procédé m'a tellement piqué que je déli­bérai quelque temps à la réception de cette nouvelle, si je vous dépêcherais un courrier exprès pour révoquer mes premiers or­dres ou au moins pour vous ordonner d'augmenter mes préten­tions de la demande de deux chapeaux de cardinal, qui était ce que la cour de Rome méritait par sa bonne conduite, et qu'elle eût été bien empêchée de me refuser en l'état où ses affaires se trouvaient réduites, mais l'avancement du repos de la chrétienté qui en a tant de besoin, pour s'exposer à l'ennemi commun l'emporta sur le ressentiment particulier que j'avais de cette nouvelle injure.

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« Il reste de voir à présent si le légat viendra muni de quelque bon moyen pour me la faire oublier et pour m'obliger à le recevoir sincèrement et sa maison en mes bonnes grâces. Pourquoi je veux bien vous dire que je ne compterai pour rien, quand on voudrait ne m'offrir que cela, ni l'avancement du cardinalat du duc de Mercœur en l'une des six places qui ont été réservées, ni l'expédition des indults d'Artois et de Roussillon.

 

« Un des principaux soins que vous devez avoir doit être à l'é­gard de la pyramide, afin qu'elle soit dressée d'une forme et d'une élévation convenables, que les caractères de l'inscription soient si gros et si bien gravés qu'ils soient facilement lisibles pour toute personne qui voudra s'arrêter à les voir ; mais surtout qu'on prenne toutes les précautions nécessaires pour rendre stable et durable ce monument, sans qu'on coure risque que quelques malins ou jaloux de l'honneur de cette couronne puissent se servir des ténèbres de la nuit pour y gâter ou altérer quelque chose ; et, pour cet effet, il serait bien à propos d'y faire comme des barrières à l'entour que personne ne pût outrepasser, mais avec cet égard pourtant qu'elles ne soient pas si éloignées de la pyramide que, de dehors, on ne puisse, comme j'ai dit en lire fort facilement l'inscription... S'il arrivait jamais que cette pyramide tombât, ou par les mauvais fondements qu'on lui aurait donnés ou par l'aide ou la malice de qui que ce fût, il faudrait bien qu'à l'instant même on la fit rebâtir en conformité non seulement de l'article, mais aussi des dernières clauses du traité où le Pape et moi nous sommes réci­proquement promis d'en entretenir à perpétuité toutes les condi­tions. Après tout ils ne sauraient que perdre à cette infraction, car s'ils ont la pyramide en leur pouvoir, je pense encore avoir de deçà en main de meilleurs gages. »

 

49.   Pendant que l'on jetait, sur la place d'Espagne, les fondements de la pyramide infamante qui  devait être remplacée plus tard par le monument de l'Immaculée-Conception,  Alexandre VIII consignait, dans un acte secret,  contre la violence  qu'il devait subir, une ineffaçable protestation. Cette pièce se trouvait   parmi les papiers transportés du Vatican à Paris  après l'enlèvement de

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Pie VII ; elle a été publiée par l'ex-oratorien Daunou, dans son livre sur la puissance temporelle des papes. Nous en citons seulement la fin, où le Pape flétrit l'orgueil du roi de France et la lâcheté des autres princes qui l'abandonnèrent.

 

« Pour qu'il soit manifeste à nos successeurs, dit le Pontife, que nous avons été contraint à ces transactions par la force, la vio­lence, par la juste crainte des armes de sa Majesté très chrétienne, et par l'étroite nécessité de prévenir de plus grand maux que produirait en Italie une guerre entreprise par une main si puissante contre le Siège apostolique, abandonné de tous les princes catholiques qu'on avait requis de le secourir ; quand d'ailleurs le Turc, non content d'avoir mis le pied dans Candie, menace toutes les autres îles du domaine vénitien, et la Dalmatie et le Frioul, et qu'ayant déjà occupé une grande partie du royaume de Hongrie, il se pré­pare à ouvrir, avec des forces formidables, une nouvelle campagne « Dans ces circonstances et pour ces motifs, de notre propre mouvement, de notre parfaite science et pleine puissance, nous protestons devant le Dieu béni, devant les glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul, que nous n'avons ni fait, ni approuvé, ni ordonné, et ne sommes pour approuver, faire ni ordonner aucun des actes susdits, aucune des satisfactions diverses qu'on dit avoir été accordées, spécialement celles qui concernent l'affaire des Corses, non plus que celles qui nous ont été demandées pour le duc de Modène, ou qui sont relatives à l'affaire du duché de Castro et du territoire de Ronciglione et de leurs dépendances ; déclarons que lesdits actes et lesdites satisfactions ne sont point des effets de notre volonté libre, mais bien de la force insurmontable, de la pure violence, de la nécessité d'obvier et de remédier aux plus grands dommages et préjudices, qu'entraînerait pour la religion, pour le Saint-Siège, pour tous ses États, pour ses sujets et vassaux, une guerre que la France allumerait en Italie, en même temps que le Turc, employant toute sa puissance et ayant déjà envahi tant de lieux, étend plus loin ses menaces et se met en mouvement pour attaquer l'Église, etc.

    « Déclarons en conséquence que les susdites choses... se doivent

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attribuer aux susdites force, violence et nécessité auxquelles nous ne pouvons résister seul, et point du tout à aucune volonté qui nous soit propre ni à aucun consentement donné par nous... De plus même nous admettons dès ce moment les protestations et dé­clarations faites et à faire en quelque forme que ce soit, par toute personne, particulièrement ecclésiastique, sur la nullité et l'incon­sistance des satisfactions ainsi accordées... ordonnons que les pré­sentes protestations et déclarations, par nous écrites, soient vali­des, qu'elles aient leur véritable, plein et total effet, et toute leur force, bien qu'elles ne soient point enregistrées dans les actes publics...

 

« Donné en notre palais de Monte-Cavallo, ce dix-huitième jour de février de l'année 1664, et, par la miséricorde divine, la neu­vième de notre pontificat.

« Alexander, Papa VII, manu propria »

 

Louis XIV fit frapper des médailles pour éterniser le souvenir de son triomphe, non pas sur les Corses, mais sur le Pontife romain. Malgré toutes les médailles, la conduite du roi très chrétien en cette circonstance, ne peut exciter que l'indignation : ce n'est pas ainsi qu'un souverain traite un autre souverain et qu'un chrétien traite le chef de sa religion. Alexandre VII était innocent de toutes les accusations de la cour de France ; il n'avait refusé, à Louis XIV, aucune satisfaction légitime. Le traité imposé à Pise, en mettant l'épée sur la gorge du Pape, était une double infamie. Louis XIV se chargera lui-même de détruire le monument qui devait illustrer sa mémoire. Quant aux Corses, chassés de Rome par la France, ils seront bientôt annexés à la France et un lieutenant corse montera sur le trône des Bourbons pour leur apprendre que ce trône, si peu menacé par les papes, n'est pas hors des atteintes d'un soldat corse. Nunc erudimini.

 

50. On voit assez, par ces excès contre Rome, à quoi se pousse l'absolutisme royal. Sur les ruines de la noblesse, des constitutions d'État, des traditions nationales et des libertés publiques, s'élève rapidement l'autocratie. Les juristes césariens dirent au roi, comme

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leurs devanciers le disaient au divin Auguste: « Le Roy des roys, le Souverain des souverains... vous a constitué comme un dieu corporel,  pour être respecté, servi et obéi de tous vos sujets, et donné tout pouvoir et autorité suprêmes et affranchi de toute do­mination autre que la sienne. Dieu vous a seul délégué  avec tout pouvoir au gouvernement et régime de votre  monarchie (1). » La même doctrine descend de toutes les chaires de droit; elle retentit aux parlements et à l'Université. Faut-il être étonné  que, foulant aux pieds toutes les convenances, toutes les libertés, toutes les tra­ditions, Louis XIV soit entré une  fois  au Parlement son  fouet de chasse à la main ; qu'il ait, une autre fois interdit de bâtir dans Paris et à dix lieues à la ronde, sous peine des galères, afin d'avoir à meilleur compte les matériaux nécessaires à l'achèvement du Louvre. On ne s'étonnera pas plus, dans l'avenir, qu'il confère, à ses bâtards, le droit de succéder à la couronne ;  et qu'il donne, pour instruction à son petit-fils, ces exécrables maximes : « Choi­sissez pour ministres les premiers venus : tout doit se faire par vous seul et pour  vous seul. Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à lui seul d'examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet, obéisse sans discernement...Le défaut essentiel de la monarchie d'Angleterre est que le prince n'y saurait faire de levées extraordi­naires sans le Parlement, ni tenir le Parlement assemblé sans di­minuer son autorité d'autant. Il me semble qu'on m'ôte ma gloire, quand sans moi on peut en avoir. Le premier fondement des réfor­mations était de rendre ma volonté absolue (2).»

 

Grandir le roi chez lui, ce n'était pas assez; il fallait encore le grandir au détriment des rois voisins. On voit par sa conduite dans l'affaire des Corses, comment l'entendait Louis XIV. C'est la politi­que de Machiavel. Suivant Machiavel, le grand théoricien du Césarisme, la fin justifie les moyens ; et pour parvenir à son triomphe, l'absolutisme royal ne recule devant aucune bassesse, devant au­cune trahison, devant aucune de ces alliances adultères que le

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(1) Savaron, De la souveraineté du roi, p. 1, Ed. in-13,1G20.

(2) Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 336, éd. de 1800.

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p77 ÉVOLUTIONS DES  SCIENCES  NATURELLES  ET  PROCÈS  DE  GALILÉE     

 

moyen-âge eût regardées comme un scandale et une calamité publique. Depuis François Ier, nous sommes les alliés du Turc, l'éter­nel ennemi du nom chrétien ; depuis Henri IV et Louis XIII, nous sommes les alliés du protestant, l'éternel ennemi du Saint-Siège et le fossoyeur futur de la France. Louis XIV et Mazarin contribuent au régicide de Charles Ier et maintiennent l'alliance avec les Ottomans. Quel chrétien pourrait pardonner à Louis XIV, malgré la splendeur, hélas, peu solide, de son long règne, ses coupables sympathies pour les séditieux d'Angleterre, et ses sympathies plus coupables encore pour les Ottomans, alors à la veille de saisir dans Vienne la clef de l'Occident alarmé ; son hostilité contre Sobieski, qui devait briser pour toujours l'ascendant du Croissant; ses efforts pour ar­rêter dans sa marche et abaisser dans son héroïsme, le libérateur de l'Europe, le Charles-Martel du XVIIe siècle ? (1).

 

Cette politique païenne de Machiavel, Louis XIV ne se contente pas de la pratiquer, il l'enseignera à son fils. « En se dispensant également d'observer les traités à la rigueur, dit-il au Dauphin, on n'y contrevient pas, parce qu'on n'a point pris à la lettre les paroles des traités, quoi qu'on ne puisse employer que celles-là ; comme il se fait dans le monde pour celles des compliments, absolument né­cessaires pour vivre ensemble, et qui n'ont qu'une signification bien au-dessous de ce qu'elles sonnent... Plus les clauses par les­quelles les Espagnols me défendaient d'assister le Portugal étaient extraordinaires, réitérées et pleines de précautions, plus elles mar­quaient qu'on n'avait pas cru que je m'en dussent abstenir (2). » Il est impossible de dire plus clairement que les traités sont lettre morte ; la probité à les observer, une sottise ; et la politique moderne, une coquinerie.

 

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