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60. Pendant que les intendants redoublaient de rigueurs et que les missionnaires se rendaient à leur poste, on s'aperçut donc qu'il restait des calvinistes à convertir et que le nombre en était bien supérieur aux chiffres officiels. Bien plus, on voyait les calvinistes grâce à la tolérance de l'édit, cesser de se convertir ; on voyait les convertis venir à abjuration. La révocation les enhardissait à rester
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dans l'hérésie ou à y revenir. On fit, au roi, de chaudes représentations sur ce double péril ; le dépit poussa l'autorité à redoubler de rigueurs. Les édits se multiplièrent contre les récalcitrants ; il y eut recrudescence obstinée de dragonnades. Le 12 janvier 1686, un édit signifia que les enfants des religionnaires, depuis cinq jusqu'à seize ans, seraient soustraits à l'autorité de leur famille, remis aux mains de leurs parents catholiques, ou à défaut de ces parents, à des catholiques nommés par les juges qui régleraient la pension. Une déclaration du même jour interdit aux religionnaires d'avoir d'autres domestiques que des catholiques, à peine de flétrissure et de galères. Par une autre déclaration, du 12 mai 1686, les nouveaux catholiques arrêtés en flagrant délit de sortir du royaume, sans permission, étaient condamnés, les hommes aux galères perpétuelles, les femmes à être rasées et enfermées pour le reste de leurs jours, après confiscation de leurs biens. D'autre part, Louvois s'irritait en proportion de la résistance et devenait impitoyable. On peut l'en croire lui-même ; et nous ne disons rien qui ne soit extrait de ses lettres. Le barbare ministre, emporté par l'ambition du succès, ne connaît plus d'équité, ni de discipline, lui, le grand organisateur de la discipline militaire en France; il prescrit de mettre garnison chez les petits gentilshommes, d'exciter contre les gens de qualité les rivalités du voisinage, de leur donner tort s'ils se plaignent, d'informer contre eux s'ils se font justice eux-mêmes. Contre l'opiniâtreté des religionnaires de Dieppe, il ne trouve pas de meilleur moyen que d'introduire chez eux une nombreuse cavalerie, de la faire vivre fort licencieusement. Comme il y a eu, en quelques lieux du Languedoc, des rassemblements armés et que les femmes se sont jetées dans un temple pour en arrêter la démolition, il regrette que les dragons n'aient pas tiré sur les femmes et il organise avec l'intendant Baville et Noailles, la déportation en Amérique, sinon de tout le peuple des Cévennes, au moins de ceux que l'âpreté de leur pays dispose le plus à la sédition. Et si l'on cherche quelle est la nature de ce zèle, quel intérêt le pousse et le justifie à ses yeux, il n'a qu'une raison inflexible et un grief uniforme: Ces gens-là demeurent dans une religion qui
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ne plaît pas à sa majesté; ils ne veulent pas se soumettre à ce que le roi désire d'eux ; il n'y a pas de parti que sa majesté ne prenne pour mettre ce pays-là sur le pied d'être soumis à ses ordres. « Ce n'est pas, dit Gaillardin, un zèle religieux qui l'aveugle ; c'est l'orgueil blessé, l'autorité outragée par la désobéissance qui se venge; c'est une passion humaine et personnelle qui appelle à son aise toutes les violences de l'honneur» et, j'ajouterai, toutes les fureurs de l'égoïsme (1).
61. Le spectacle est bien différent du côté de ceux qui ont vraiment le zèle du salut des âmes. Les évêques, loin d'abandonner à des intrus une œuvre qui leur appartient refusèrent, sur beaucoup de points, l'assistance de la force matérielle. Le Camus, évêque de Grenoble, se refusa avec une telle vigueur aux logements militaires que Louvois retira ses troupes. A Orléans, l'évêque Coislin, n'ayant pu prévenir l'envoi d'un régiment, mit les chevaux dans ses écuries et retint les officiers à sa table : au bout d'un mois, il obtint son rappel et vit se multiplier les conversions. A Meaux, il n'y eut de troupes que dans un château dont le propriétaire avait personnellement irrité le roi ; l'évêque les fit partir en recueillant le persécuté dans son palais épiscopal. Dans une lettre pastorale aux nouveaux convertis, Bossuet put dire, sans craindre la contradiction : « Loin d'avoir souffert des tourments, vous n'en avez pas seulement entendu parler ; aucun de vous n'a subi des violences, ni dans ses biens, ni dans sa personne. » Missionnaire actif et inépuisable, il parlait, il écrivait ; par ses conférences et ses livres, il instruisait à la fois son diocèse et la chrétienté. On raconte qu'il se présentait inopinément aux lieux où il savait les protestants réunis : « Mes enfants, leur disait-il, là où sont les brebis le pasteur doit être. Mon devoir est de chercher les brebis égarées et de les ramener au bercail. C'est à cette date que se rattachent l'Histoire des variations, un des plus beaux livres qui soient sortis de la main des hommes, et les Avertissements aux protestants, chefs-d'œuvre de controverse. Cependant, la maison de Bossuet s'ouvrait aux ministres convertis, et sa charité allait à l'étranger
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(1) Rousset, Histoire de Louvois,t. III, chap. VII»
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leur prêter assistance. Bossuet ramena ainsi à la foi catholique Saurin et Papin, œuvre plus belle que ses plus belles compositions.
62. Bussy nous a déjà parlé des missions où parut le P. Bourdaloue. Il y eut alors, de la part du clergé français, un grand mouvement de zèle pour convenir, par la prédication, les protestants. De toutes les missions, la plus célèbre et la plus populaire est celle du Poitou. Un jeune abbé de Fénelon la dirigeait. Directeur d'une communauté de nouvelles converties, il avait déjà composé un opuscule sur l'éducation des filles et un traité du ministère des pasteurs. Missionnaire, il voulut que tout appareil militaire disparut, et prêcha, avec ses compagnons, dans toutes les campagnes du Poitou et de la Saintonge. Dans ses prédications, il s'appliquait à combattre les préjugés et à exposer les vérités essentielles ; il gagna surtout la confiance par sa simplicité ; quoique personnellement fort doux, il sut résister à Seignelay, qui aurait voulu s'entremettre à ses missions. Entre autres mesures de sagesse, Fénelon avait plusieurs fois demandé « qu'on fit trouver aux peuples autant de douceur à rester dans le royaume qu'il y avait de danger à entreprendre d'en sortir. » Fénelon excellait à se faire aimer ; c'est toujours avec regret qu'on le voyait partir. « S'ils ne sont pleinement convertis, dit-il, du moins il sont accablés et en défiance de leurs anciennes opinions ; il faut que le temps et la confiance de ceux qui les instruiront dans la suite fassent le reste. » Un rapprochement historique suffit pour juger de l'importance des résultats. Le Poitou, le centre du protestantisme en France et qui en avait été la citadelle jusqu'à Richelieu, fut si bien changé par le passage de Fénelon, qu'il a produit, contre les excès de la révolution française, les plus nobles et les plus sincères défenseurs du sacerdoce et des autels catholiques.
63. Mais enfin, tout arbitraire qu'il était, le système de la violence finit par l'emporter, même dans les conseils de Louis XIV, irrité d'une résistance à laquelle il ne s'attendait pas et trompé sur les véritables causes de cette résistance. L'influence catholique fut éclipsée pendant un temps ; elle ne devait reparaître qu'après la mort de Louvois et la paix de Riswick. Depuis les premières dra-
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gonnades, la crainte des rigueurs précipitait les huguenots hors de France. Les avances des états protestants stimulaient cette espérance de sécurité dans l'émigration. Dès 1681, Louvois constatait avec inquiétude les sommes d'argent recueillies par la politique anglaise au profit des fugitifs ; Fénelon lui-même avait trouvé en Poitou des lettres de Hollande qui promettaient, à quiconque voudrait fuir, des établissements avantageux et l'exemption d'impôts pendant sept ans. En dépit des prohibitions menaçantes du roi, le mouvement suivait son cours et prenait des proportions alarmantes. Vauban, dans un mémoire à Louis XIV, évalue l'émigration à 80,000, et la perte en argent à trente millions. Le duc de Bourgogne abaisse à 60,000 le chiffre des émigrants et ajoute que leur départ ne cause aucun préjudice, ni à l'industrie, ni au commerce. La perte fut moindre pour la France que ne fut grand le profit de l'étranger. Des industriels habiles portèrent au dehors, avec leur argent, le secret de leurs manufactures. Des soldats, des marins, des généraux comme Schombert, des diplomates comme Rumigny, allèrent mettre au service de l'Angleterre, de la Hollande et de la future Prusse, une valeur et des talents dont le roi avait jusque-là tiré bon parti. La coalition se renforçait par avance de tous les mécontents français. Louis XIV méritait cette leçon pour avoir prétendu diriger, au gré de son orgueil, la conversion de ses sujets, et par des voies qui n'étaient pas celles de l'Église et du souverain pontife.
64. Lorsque ces questions furent agitées dans les conseils de Louis XIV, le duc de Bourgogne fit remarquer qu'au cas où la paix ne serait pas troublée, un grand nombre sortirait du royaume et affaiblirait l'Etat. Louis XIV répondit que la question d'intérêt était peu digne de considération, eu égard aux avantages d'une mesure qui rendrait à la religion sa splendeur, à l'État sa tranquillité, à l'autorité tous ses droits. Ce qui paraissait peu digne de considération à Louis XIV, est devenu, de nos jours, le point essentiel. La prospérité de la religion, l'intégrité du pourvoir, la paix même de l'État ne préoccupent les hommes qu'après les intérêts. Pour condamner la révocation de l'édit de Nantes, on ne
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s'arrête à aucune des considérations qui parurent graves à Louis XIV ; on se fait fort de celles qu'il méprisait. On veut calculer les avantages matériels que la France a perdus et ceux que les puissances rivales ont acquis par cette mesure. Les protestants, toujours occupés à satisfaire l'esprit du jour dans ses mauvaises tendances, n'ont pas manqué de pousser leurs critiques à cet endroit. En exagérant les dommages apportés soi-disant à la France, on caresse les préjugés du siècle, — ce qui est toujours une faiblesse, — siècle qui met la gloire et la prospérité des États dans l'abondance de leurs richesses et le chiffre de leur population; et on blâme, par contre, Louis XIV, qui n'aurait pas vu les résultats de la mesure qu'il adoptait et l'on exalte le courage des églises réformées, qui auraient sacrifié leur repos à leur foi. Si l'on arrivait à ces conséquences en respectant la vérité, il y aurait à examiner leur valeur ; mais on doit contester leur exactitude historique. En examinant les rapports des intendants, on voit qu'ils se contredisent ; en examinant, pour Tours par exemple, le chiffre des naissances, avant et après la révocation, le total est si peu différent, qu'on ne peut pas admettre le quantum donné à l'émigration ; en examinant enfin les statistiques des pays où se sont retirés nos émigrants, on ne voit point que leur population ait augmenté dans la proportion ou la nôtre aurait dû diminuer. Toutes les disgrâces de la France après 1685, sont attribuées par les libéraux et les révolutionnaires, — deux noms qui indiquent la même impiété, — invariablement à la révocation de l'édit. Si la peste a ravagé une contrée, c'est la révocation qui en a fait mourir les habitants ; si la guerre a pesé lourdement sur les populations, c'est la révocation qui est la cause de leur ruine ; si l'inclémence du ciel et la pénurie des récoltes ont affligé certaines provinces, c'est la révocation qui est la cause de ces ravages ; enfin si l'un de ces changements industriels et commerciaux, qui communs de tous temps, ont produit ici raréfaction et là pléthore, c'est toujours la révocation qui en est cause. Des imputations si frivoles se détruisent par leur ineptie même. A tout prendre, il ne paraît pas que la France ait perdu plus de 70.000 sujets ; il ne pa-
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raît pas que leur émigration ait fait tort au génie français, ni ait diminué sensiblement la production ; il paraît plutôt que les étrangers ont profité de cet exode, et la France, même dans ses disgrâces, a continué sa vocation de peuple missionnaire, honneur et bienfait qui ne lui reprocheront pas sérieusement ceux qui parlent des États-Unis d'Europe et s'inspirent du cosmopolitisme (1).
65. On doit donc attribuer à Louvois et aux intendants tous les excès que reproche l'histoire à la révocation de l'édit de Nantes. En principe, le droit de révocation ne peut être l'objet d'un doute : « Il faut, dit Grotius, que les protestants sachent que l'édit de Nantes et autres semblables ne sont point des traités d'alliance, mais des ordonnances faites par les rois pour l'utilité publique et sujettes à révocation lorsque l'utilité publique le demande. » Considérée dans ses moyens et dans ses résultats, la révocation fut, sous divers rapports, blâmable et funeste. Mais ces moyens qui se résument dans la contrainte pour obtenir des conversions ne résultaient pas de la mesure elle-même ; ils y étaient même formellement contraires ; c'était l'œuvre de la passion humaine et de l'obstination politique ; elle fut désavouée, combattue, finalement vaincue par l'influence catholique, dont le triomphe fut celui de la sage tolérance. Au fond, le siècle était trop chrétien pour aboutir à ces oppressions de conscience dont le protestantisme a donné l'exemple, et dont le libéralisme et l'autocratie renouvellent souvent sous nos yeux le triste spectacle. Voici ce qu'écrivait sur ce sujet, l'atroce et sanguinaire Basville : « Le plus assuré et le plus solide de tous les expédients pour faire de véritables catholiques, c'est de trouver le moyen de mettre de bons prêtres dans les paroisses. Si le curé est bon et d'un mérite distingué, les paroissiens ne résisteront pas à ses soins assidus ; l'expérience l'a fait connaître en plusieurs endroits. C'est où consiste la principale difficulté... Pour remédier à un si grand besoin, le seul moyen est d'établir de bons séminaires dans les diocèses remplis de nouveaux convertis et de fournir tous les secours nécessaires aux évêques pour ces établissements, et dans les endroits où ils peuvent former des ecclésiastiques tels
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(1) Cf. Léon Aubineau, De la révocation de l'édit de Nantes, ch. IV et Y.
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qu'il les faut, pour instruire et gagner entièrement les cœurs. Les missionnaires que le roi a la bonté d'entretenir font du bien : mais il n'est pas comparable à celui qu'un curé, qu'ils regarderont comme leur véritable pasteur, pourra faire, s'il sait se faire aimer et estimer. — S'il était possible encore d'avoir quelques petits fonds d'aumônes pour assister de pauvres familles dans leurs besoins, sans que l'on sut qu'il y eût pour cela des fonds destinés, ce serait un bon moyen pour les attirer doucement à l'Église, et les empêcher de regretter le consistoire dont ils tiraient de grands secours. » (1) Ce sont là les principes mêmes de Fénelon ; les évêques, dans leurs mémoires au roi, ne raisonnaient pas autrement ; et l'on peut croire que le ministère des pasteurs, combiné avec l'action plus vive des missionnaires, eut ramené les hérétiques, sans jeter cette ombre sur un point de l'histoire de France.
66. Le pape innocent XI, toujours inflexible dans la justice et la sagesse, n'approuva point la conduite de Louis XIV. En envoyant la révocation au cardinal d'Estrées, Louis XIV écrivait :
« Vous pourrez dire cette nouvelle à ceux qui y voudront prendre part à la cour où vous êtes, et je m'assure qu'il n'y aura per-sonne, et dans le temps présent et dans les siècles à venir, qui ne soit surpris d'apprendre que, plus il a plu à Dieu de se servir de mon zèle, de mon application, de mon autorité et de tous les moyens que sa divine providence m'a mis en mains pour procurer à son Eglise les plus solides avantages qu'elle pouvait souhaiter, et y ramener près d'un million d'âmes qui auraient toujours demeuré dans l'erreur, si j'eusse fait de moindres efforts pour les en tirer, Sa Sainteté, bien loin de me donner tous les secours que je me devais promettre en cette occasion d'un Pape aussi zélé pour la gloire de Dieu et pour le bien de notre religion, aime mieux laisser les églises abandonnées de leurs pasteurs dans le temps qu'elles en ont le plus besoin, que d'accorder des bulles à ceux que je lui ai nommés et que je sais, par mes propres lumières et connaissances, être les plus capables d'y faire leur devoir et de seconder mes intentions. Vous pourrez en parler en ce sens au lieu où vous êtes, et au cardinal Cybo et à tous
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(1) Le mémoire de Basville fut adressé à Bossuet.
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autres qui pourront le rapporter au Pape, afin qu'il n'ignore pas que s'il y avait quelques huguenots qui demeurassent encore dans leur obstination, on ne pourrait attribuer ce malheur qu'au peu d'empressement qu'a Sa Sainteté de rétablir une bonne intelligence avec moi, et aux fâcheuses préventions qui l'attachent à des bagatelles et lui font négliger le plus grand et le plus solide avantage qu'on puisse procurer à la religion catholique apostolique et romaine. »
Peu de temps après, il écrivait au cardinal d'Estrées :
« ... Si la conversion d'un grand nombre de mes sujets de la R. P. R. et la juste espérance que j'ai de donner dans peu la dernière perfection à cet ouvrage n'est pas capable de dessiller les yeux de Sa Sainteté, on ne doit plus attendre qu'aucune insinuation étrangère lui puisse faire convenir que, comme notre religion ne peut trouver son agrandissement que dans la puissante protection quelle reçoit de moi et dans le bon exemple que je donne à tous les princes chrétiens de ce qu'ils ont à faire pour ce sujet dans leurs États, Dieu veut aussi que, bien loin de me chicaner les justes droits de ma couronne, Sa Sainteté emploie plutôt et verse même abondamment tous les trésors de l'Église que la divine Providence lui a confiés, soit pour exciter mon zèle, soit, s'il est persuadé, aussi bien que tout le monde, qu'il ne manque rien à celui qui m'anime, au moins pour seconder mes soins et me donner de nouveaux moyens d'exécuter la volonté divine, qui se sert de moi si efficacement pour l'augmentation de notre religion, et faire ce qu'aucune autre puissance n'aurait osé entreprendre (1) … »
On voit combien peu le Pape trempait dans l'affaire de la révocation ; il y était tellement étranger que rien n'était capable de lui dessiller les yeux ; ou plutôt il y voyait si clair et il démêlait si bien les raisons qui inspiraient Louis XIV, qu'il ne voulut à aucun titre être le complice du roi. Cependant l'édit laissait encore aux huguenots une situation plus favorable que celle des catholiques dans les États protestants. « Il conservait encore dans le royaume, dit Rulhière, quelque tolérance. Il défendait l'exercice public de la
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(1) Vol. Rome, 29i.
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religion protestante ; mais il ne touchait point à l'exercice privé. Il permettait aux protestants de demeurer en France. Il invitait ceux mêmes qui avaient fui dans les pays étrangers à rentrer dans leur patrie (1). » C'est plus tard seulement, et à l'instigation des intendants de Louvois que des arrêts nouveaux supprimèrent la liberté de conscience et ouvrirent l'ère des brutalités. Cependant jusqu'alors Louis XIV était personnellement opposé aux violences ; la persuasion qu'il avait qu'on ne dépassait pas ses édits l'entretenait dans des illusions qu'il faisait partager au Pape ; mais le Pape, même abusé par le roi, n'emboîtait aucunement le pas de Louis XIV. Cela est prouvé, non par les témoignages romains, mais par la simple production des correspondances françaises.
Le Pape toutefois n'était pas hostile à Louis XIV. Les ennemis de ce prince avaient vite compris le parti qu'ils pouvaient tirer de la révocation de l'édit de Nantes. A ceux qui reprochaient, au roi de France, ce coup de force, le Pape répondait qu'après tout, les réformés ne subissaient que les représailles de leurs violences. Les protestants avaient profité de la faiblesse du gouvernement pour l'amener à composition ; le gouvernement, redevenu fort, mettait les protestants à la raison : c'était un retour de bons offices.