Darras 4-8

ARRIVE JEAN-BAPTISTE!

 

§ IV. Visitation. Naissance de saint Jean-Baptiste.

 

   15. Après cette communication céleste, «Marie se dirigea, en toute hâte, à travers les montagnes de la Judée, vers la cité sacerdotale d'Hébron. Arrivée à la demeure de Zacharie, elle salua Elisabeth. Au son de sa voix, il arriva que l'enfant d’Élisabeth tressaillit, dans le sein maternel. L'Esprit du Seigneur se reposa sur Elisabeth. Vous êtes bénie entre toutes les femmes, s'écria-t-elle, et le fruit de vos entrailles est béni! D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Dieu daigne me visiter? Aussitôt que votre parole a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli dans mon sein. Bienheureuse êtes-vous, d'avoir cru à la promesse divine! Car, toutes les paroles qui vous ont été révélées, au nom du Seigneur, seront accomplies. — Marie dit alors: Mon âme glorifie le Seigneur; et mon esprit surabonde d'allégresse, en Dieu mon Sauveur. Il a voulu abaisser un regard sur l'humilité de sa servante, et voilà qu'à dater de ce moment toutes les générations me proclameront bienheureuse! Parce que le Tout-Puissant a opéré en moi de grandes choses; son nom est saint. Sa miséricorde s'étend, d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras; son souffle a abattu les orgueilleuses pensées des superbes, il a renversé les puissants de leur trône, et exalté les humbles. Il a comblé

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1. Nazareth interpretatur flos; unde dicit Bernardin, quod fto^i aaici voiuit df fhre, in flore et floris tempore (Jacob, de Voiuijiue, in AnnuHciaiwHe).

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de biens l'indigence, et renvoyé les riches dans le dénûment. Il a ouvert les bras de sa tendresse à Israël, son fils, en souvenir de ses antiques miséricordes. C'est là ce qu'il avait annoncé à nos pères; telle fut sa promesse à Abraham, et à sa descendance, jusqu'à la fin des siècles! — Or, Marie demeura trois mois avec Elisabeth, sa cousine, et elle revint ensuite à Nazareth 1.»

  16. Il y a, dans la seule lecture de l'Evangile, une telle harmonie de ton, une simplicité si exquise, jointe à une si haute majesté, que la conviction pour éclore n'attend point d'autre démonstration. C'est le caractère propre de la parole de Dieu, de porter en soi la lumière, et de n'avoir besoin d'autre justification qu'elle-même. L'évidence s'impose, et ne se démontre pas. Ainsi, le rationalisme aura beau nous dire que le Cantique de Marie est un de «ces procédés de convention, qui forment le trait essentiel des Évangiles apocryphes 2.» On cherchera vainement à nous persuader que nous avons sous les yeux «une légende sans valeur, une puérile amplification 3.» Est-il vrai qu'un Dieu, Sauveur du monde, a été promis depuis l'Eden, prédit par tous les prophètes, attendu par toute la suite des âges, dans le Testament Ancien? A moins d'anéantir l'histoire, on ne saurait le nier. Est-il vrai que, depuis deux mille ans, Jésus-Christ est adoré, comme Sauveur, comme Fils de Dieu dans l'éternité, et comme fils de Marie dans le temps? A moins de se nier soi-même, on ne saurait le contester. Or, pour qu'un seul front d'homme se soit jamais prosterné devant Jésus-Christ (et c'est par milliers que se comptent ses adorateurs), il a fallu que l'histoire de Jésus-Christ fût environnée de signes incontestables de crédibilité. Plus vous arracherez de pages à sa divine histoire, plus vous rendrez impossible la foi à sa divinité. Le miracle d'avoir cru, sans preuves, surpasserait alors, dans une proportion infinie, la preuve des miracles, que vous niez. Ainsi, vous pensez avoir tout dit, en rejetant le Magnificat sur le compte d'un faussaire; vous croyez avoir tout anéanti, en reléguant le récit de la Visitation parmi les crédules inventions d’un apocryphe. Et pourtant, vous n'a-

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1.Luc, 1, 39-56. — 2. Vie de Jésus, introd., pag. xu. — ' Id.^ ibid.

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vez fait que multiplier, en les reculant, des difficultés inextricables. Supposons donc, si vous le voulez que saint Luc n'a point écrit cette page; qu'elle est le fruit d'une plume inconnue, au IIe siècle de l'Ère chrétienne. Il vous faut, en effet, donner une date à l’œuvre, bien que vous ne puissiez, dans votre hypothèse, nommer son auteur. Prenons IIe siècle, mais ne descendons pas plus bas que l'an 150, car à cette époque, Celse, le païen, connaissait l'Évangile de saint Luc. Il le lisait déjà, tel que nous le lisons aujourd'hui; et, s'il eût soupçonné l'imposture d'un légendaire, il n'aurait pas manqué de la signaler. Or, votre apocryphe du commencement du IIe siècle, met, dans la bouche de Marie, une prédiction claire, nette, positive. «Toutes les générations, dit la Vierge de Nazareth, me proclameront bienheureuse!» Pour savoir si cette prophétie s'est réalisée, il vous suffit aujourd'hui d'ouvrir les yeux et de regarder ce qui se passe autour de vous. Le monde entier retentit des louanges de Marie; et vous voulez qu'un légendaire obscur ait deviné cela, il y a dix-huit siècles, alors que le monde adorait la divinité d'un César quelconque, et brûlait l'encens à pleines mains sur tous les autels de Vénus! C'est faire trop bon marché du don de prophétie, que de l'attribuer si libéralement à tous les faussaires inconnus du IIe siècle de l'Ère chrétienne. S'il est tellement facile de prophétiser, pourquoi tous nos savants, qui ne sont point des apocryphes obscurs, ne font-ils pas de prophéties? Et lorsque, par hasard, ils en essaient quelqu'une, pourquoi ne se vérifie-t-elle jamais? La faculté prophétique dépasse tous les efforts de la science, toutes les inspirations du génie humain. Le sens le plus vulgaire ne s'y trompe pas. Voilà pourquoi on a scru, on croit, et, jusqu'à la fin des temps, on croira à l'Évangile. Les prophéties, dont il est plein, ont leur vérification partout; leur contrôle est tellement à la portée de toutes les intelligences, que, pour constater leur réalisation, il suffît de les entendre énoncer.


  17. «Or, le terme d’Elisabeth étant venu, elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses parents, en apprenant la faveur dont elle avait été l'objet, s'en réjouirent avec elle. Le huitième jour, ils se réunirent, pour la cérémonie de la circoncision; et ils voulaient

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donner à l'enfant le nom de Zacharie, porté par son père. Mais Elisabeth s'y opposait: Ne l'appelez point ainsi, disait-elle. Jean doit être son nom. — Pourquoi? répondirent-ils. Personne, dans votre famille, ne porte ce nom. —Cependant, ils s'adressaient, par signes, à Zacharie, l'invitant à faire connaître sa volonté. Celui-ci, s'étant fait apporter des tablettes, écrivit ces mots: Jean est son nom. —Tous les assistants s'en étonnaient. Mais, en ce moment, la langue du prêtre se délia; il recouvra l'usage de la parole, et bénit Dieu à haute voix. Une religieuse terreur s'empara des assistants. Dans les montagnes d'Hébron, où le bruit de ces merveilles se répandit, les habitants en conservèrent le souvenir, et ils se disaient l'un à l'autre: Que sera quelque jour cet enfant? Car la main du Seigneur était avec lui. —Or, Zacharie, son père, inspiré par 1’Esprit-Saint, fît entendre ces accents prophétiques: Béni soit le Seigneur, Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et racheté son peuple! Il a élevé sur nous l'étendard du salut, au sein de la famille de David, son serviteur. Ainsi s'accomplissent les oracles des saints, ses Prophètes, depuis le commencement des âges. Il a promis, par eux, de nous sauver de nos ennemis, et de nous soustraire à leur vengeance; il a juré à nos aïeux d'exécuter ses desseins de miséricorde et de n'oublier jamais son Alliance Sainte. Tel est le serment qu'il fit à Abraham, notre père; afin que, délivrés d'un joug odieux, nous puissions le servir, dans la justice et la sainteté, tous les jours de notre vie. Et toi, petit enfant, on t'appellera le Prophète du Très-Haut; tu marcheras devant la face du Seigneur, pour lui préparer la voie; pour donner à son peuple la science du salut, la rémission des péchés, par les entrailles de la miséricorde divine, avec laquelle l'Orient est venu nous visiter d'en-haut, illuminant les peuples assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort, et dirigeant nos pas dans le chemin de la paix! — Telles furent les paroles de Zacharie. Or, l'enfant grandit et se fortifia, dans l'Esprit du Seigneur. Il passa les années de sa jeunesse au désert, jusqu'au jour de sa manifestation publique en Israël 1.»

  18.L'apparition de Jean-Baptiste; son rôle historique de Précur-

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1. Luc, I, 57 ad ultim.
IV. 18

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seur; la notoriété qui environnera plus tard sa mission en Judée rattachent l'Évangile, par un nœud indissoluble, au Testament Ancien. «Voici que je donne sa mission à l'Ange, qui préparera la voie devant ma face, avait dit Malachie, le dernier des prophètes dans l'ordre chronologique. Aussitôt, paraîtra dans son Temple le Dominateur que vous cherchez; l'Envoyé du Testament que vos vœux implorent. Le voilà! Il arrive 1!» Telle était la parole finale du cycle prophétique. La Judée, frémissante d'impatience et d'espoir, interrogeait tous les horizons, et tressaillait dans l'attente. Il arrive, le Dominateur; le Roi, fils de David, dont le trône n'aura point de fin; le Désiré des collines éternelles; le Messie; le Christ! Quelle voix aura la gloire d'annoncer, la première, son avènement au monde? Qui signalera, le premier, son Précurseur? Evidemment, dans une telle situation des esprits, au milieu de l'expectative d'un peuple entier, tous les traits qui pouvaient se rattacher à la réalisation des espérances unanimes, saisis avidemment par l'attention publique, durent se graver dans les mémoires, en caractères ineffaçables. Il en fut ainsi; et l'Evangile l'atteste. Les prodiges accomplis sur le berceau de Jean-Baptiste éveillèrent l'espérance dans tous les cœurs. «Quel sera, disait-on, cet enfant extraordinaire?» Ce n'est point après coup qu'on a pu imaginer un tel langage. On sent vibrer, en tout ce récit, l'impression contemporaine, dans sa naïveté et sa profondeur. L'historien n'a perdu aucun détail, et le prétendu légendaire, ici, comme partout, est d'une exactitude désespérante pour le rationalisme. Un apocryphe posthume n'aurait pas manqué, pour donner de l'éclat à son récit, de placer la scène de la circoncision dans les Parvis du Temple. Il aurait désigné un prêtre, pour accomplir la cérémonie. L'heureux Zacharie eût été entouré de la tribu sacerdotale, qui l'aurait félicité de sa guérison subite, et aurait entendu, de sa bouche, magnifique prédiction des destinées de son fils. Mais l'Évangile n'a rien de semblable. Il sait que la circoncision, chez les Juifs n'exigeait pas rigoureusement le ministère sacerdotal, ou même lévitique. Une main profane suffisait, pour imprimer, sur les fils

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1. Malach., cap, m, 1.

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d'Abraham, le sceau extérieur de l'alliance divine. La solennité fut donc circonscrite au foyer domestique d'Hébron. L'historien sait, de plus, qu'en pareil cas, on rassemblait autour du nouveau-né, toute la parenté et tout le voisinage. Une naissance, en Israël, avait le caractère non pas seulement d'une joie de famille, mais d'une bénédiction publique. Tout cela ressort, comme naturellement, du texte sacré, sans recherche, sans efforts, sans parti pris. Un hébraïsant moderne, qui voudrait retracer, de nos jours, une scène analogue, devrait lire auparavant des volumes entiers, et, quand il aurait terminé ses études préliminaires, il ne réussirait jamais à donner à son récit la simplicité de la narration Evangélique. Chaque pas que nous ferons, dans l'étude du livre divin, nous offrira des preuves de ce genre. Au risque de fatiguer le lecteur, nous devrons insister pour en faire la remarque. Mais, avant que la démonstration ne soit achevée, le texte seul aura porté la conviction dans les esprits, car c'est le privilège de la parole divine d'être toujours vivante. Elle a son action propre, son efficacité persévérante; elle est le Verbe. Pour illuminer les consciences et les cœurs, il lui suffit de paraître.

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