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13. L'empereur se prêta en effet, avec la meilleure grâce du monde, à la convocation d'un concile : seulement, au lieu de l'assigner à Aquilée, dont il se trouvait trop loin, il fixa la réunion à Milan, la nouvelle capitale de l'Italie, et il se rendit en personne dans cette cité pour avoir plus d'action sur les délibérations de l'assemblée. Jamais prince ne se trouva plus à l'aise, au milieu de ces débats théologiques pour lesquels il avait une véritable passion, parmi ces réunions d'évêques qu'il se flattait de savoir toujours, par ruse ou par violence, réduire à son avis. Les évêques ariens qui l'appelaient Votre Éternité et qui refusaient ce titre au Fils de Dieu, avaient soin d'entretenir cette manie du maître par leurs fréquents conciliabules, où l'on accueillait ses paroles comme autant d'oracles. Tous ces prélats qui se disaient chrétiens ne rougissaient pas de suivre en matière de foi les instructions d'un théologien couronné, lequel n'avait pas encore reçu le baptême et n'était pas même catéchumène. Le concile de Milan s'assembla donc vers le commencement de l'année 355; on y comptait plus de trois cents évêques d'Occident. Les Orientaux y étaient en nombre bien inférieur. Trois légats présidèrent au nom
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1. Liberii, Epiai, ad Constant.; Pair, lat., lova. VIII, col. 1351.
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de Liberius ; c'étaient les mêmes que le pape avait, l'année précédente, députés à Constance, savoir : Lucifer de Cagliari, le prêtre Pancratius et le diacre Hilaire. Dès l'ouverture des sessions, Eusèbe de Verceil proposa de faire souscrire à tous les Pères le symbole de Nicée, pour procéder ensuite dans l'unité de la foi à l'examen des autres questions. Denys, évêque de Milan, se mit le premier en devoir de le signer ; mais Valens de Mursia lui arracha des mains la plume et le papier, s'écriant qu'on n'aboutirait à rien par cette voie. Une scène tumultueuse suivit cet acte de violence. Le peuple rassemblé autour de l'église s'agitait en disant: «La foi est trahie par les évêques! » On craignit une sédition; Constance ordonna aux pères de tenir leurs séances dans une salle du palais. De ce jour, le concile perdit sa liberté. L'empereur y fit donner lecture d'un édit officiel où il soutenait la doctrine d'Arius, et la rendait obligatoire pour toutes les églises de l'empire. Lucifer de Caglian, légat du pape, répondit avec une noble fermeté. « Quand même Constance, disait-il, armerait contre nous tous ses soldats, il ne nous forcera jamais à renier la foi de Nicée et à signer les blasphèmes d'Arius. » Les menaces ne réussirent pas davantage à obtenir la condamnation de saint Athanase. L'empereur, outré de cette résistance inattendue, fit appeler en sa présence Lucifer de Cagliari, Eusèbe de Verceil et Denys de Milan, les trois prélats dont l'influence était prépondérante au sein de l'assemblée. «C'est moi, leur dit-il, qui suis personnellement l'accusateur d'Athanase! Croyez donc à la vérité de mes assertions. — Il ne s'agit pas ici, répondirent les évêques, d'une affaire temporelle où l'autorité de l'empereur serait décisive ; mais d'un jugement ecclésiastique où l'on doit agir avec une impartialité égale envers l'accusateur et l'accusé. Athanase est absent; il ne peut être condamné sans avoir été entendu. La règle de l'Église s'y oppose. — Mais, répliqua Constance, c'est ma volonté qui doit servir de règle. Les évêques orientaux s'y conforment. Obéissez donc, ou vous serez exilés. » Les prélats s'inclinèrent et sortirent. On dit que Constance s'emporta jusqu'à tirer l'épée contre eux. Le lendemain, ils étaient conduits en exil par les tribuns militaires, à travers les flots pressés de
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la multitude qui pleurait en se voyant séparée de ses pasteurs légitimes. Le diacre Hilaire dont la fermeté avait déplu davantage fut flagellé sur la place publique, avant de partir pour le lieu de son bannissement. Le reste des évêques et Fortunatien d'Aquilée lui-même eurent la faiblesse de signer la condamnation d'Athanase.
14. En apprenant l'exil de ses légats et du courageux évêque de Milan, Liberius leur adressa cette noble lettre : «Pendant que sous l'image d'une paix menteuse, l'ennemi du genre humain sévit sur les membres de la sainte et catholique Eglise, il vous est donné, généreux confesseurs, d'offrir en votre personne le spectacle d'une foi invincible, couronnée par le martyre. Quelles expressions, quels éloges pourraient égaler l'héroïsme de votre conduite? Partagé entre le regret de votre absence et l'admiration de votre gloire, je ne sais que vous bénir. Croyez que je partage en esprit votre exil. Cette pensée sera pour vous, je le sais, un adoucissement à vos souffrances ; mais elle est pour moi une véritable torture, car je voudrais déjà être à vos côtés et prendre réellement ma part de vos tribulations. Oui, frères bien-aimés, j'ai demandé à Dieu d'être sacrifié pour vous tous; de marcher seul dans le sentier de l'éprenve, pour vous l'éviter à vous-mêmes. Cependant cette palme était réservée à vos mérites ; c'est vous qui avez ouvert le chemin glorieux du martyre. Du moins, je vous en supplie, souvenez-vous de moi dans vos prières. Que l'exil qui me prive du bonheur de vous voir ne nous sépare point devant Dieu. Les martyrs n'eurent à affronter que le glaive d'un seul bourreau ; pour vous, athlètes de Jésus-Christ, vous avez eu à vaincre et les ennemis déclarés, et les faux frères plus dangereux encore. Leur violence semble aujourd'hui triomphante. Dans la réalité, elle n'aura servi qu'à faire éclater davantage votre héroïque constance. Courage donc. Vous êtes assurés de la récompense céleste. Plus près de Dien que je ne le suis moi-même, moi qui fais profession d'être son serviteur et votre frère, je vous supplie de m'accorder le secours de vos prières, afin d'être prêt pour la tempête qui approche et de me montrer digne de partager, pour la foi et le bien de l'Église, la couronne de votre martyre. Il m'importe d'être exactement ins-
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truit de tous les détails de la lutte que vous avez eu à subir. Je prie donc votre sainteté de vouloir m'en écrire toutes les circonstances. Je puiserai dans ce récit une force nouvelle. La rumeur publique ne m'apporte chaque jour que des sujets d'affliction ; mon âme en est consternée et je sens mon corps lui-même s'affaisser sous le poids de tant d'épreuves. Que Died vous conserve, seigneurs et frères bien-aimés 1. » Les évêques dont Liberius consolait ainsi l'exil profitèrent de leur rélégation pour servir l'Église. On leur avait assigné à chacun différentes provinces, dans l'espoir qu'isolés les uns des autres ils auraient moins d'influence. Ce calcul perfide n'eut d'autre résultat que de répandre davantage la gloire des confesseurs. Partout où ils passaient, les fidèles venaient baiser leurs chaînes et leur offrir, en argent et en vivres, tous les secours dont ils pouvaient avoir besoin. Partout on maudissait l'hypocrisie et la cruauté d'Ursace et Valens, leurs bourreaux. Saint Denys de Milan, transporté en Cappadoce, y mourut, après quelques mois de séjour (25 mai 336). Déjà les Ariens avaient installé un intrus sur son siège; ils avaient appelé du fond de l'Orient un prêtre ordonné jadis par Grégoire, l'intrus d'Alexandrie. Ce nouveau mercenaire s'appelait Auxence; il n'entendait même pas le latin, seule langue parlée par le peuple du diocèse qu'il allait gouverner. Mais il était courtisan, et s'entendait à merveille en finances. Une troupe de soldats le mit en possession de son siège usurpé.
§ III. Saint Hilaire, évêque de Poitiers.
15. Les violences étaient à l'ordre du jour. Saint Paulin, digne successeur de Maximin sur le siège épiscopal de Trêves, venait d'être exilé lui-même en Phrygie. Les ordres de Constance à son égard furent si sévères qu'on refusait toute nourriture au confesseur. La petite localité qui lui fut assignée en dernier lieu comme séjour n'était habitée que par des idolâtres et par quelques sectaires Montanistes. Ces derniers apportaient à l'évêque des aliments pro-
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1. Liberii, Epist. ad Eusebium Dionysium et luciferum in exilio comtitutosi Pair, lat., tom. VIII, col. 1357.
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fanés dans leurs impurs mystères, et les païens, des viandes offertes aux idoles. Le martyr de Jésus-Christ, plutôt que de paraître acquiescer à l'hérésie des uns ou à l'impiété des autres, en acceptant ces mets sacrilèges, préféra se laisser mourir de faim (358). Tous les évêques des Gaules ne montrèrent point la même énergie. Saturnin, évêque d'Arles, ville où Constance aimait à tenir sa cour, se fit le lâche flatteur d'Ursace et de Valens. Il entraîna dans sa défection un certain nombre de ses collègues ; mais, en ce moment, surgissait une des gloires les plus pures de notre patrie. En 353, Hilaire, l'Athanase de l'Occident, « le docteur illustre des églises, » comme l'appelait depuis saint Augustin, « le Rhône de l'éloquence latine, » dit saint Jérôme, montait sur le siège épiscopal de Poitiers. Hilaire, gaulois d'origine, appartenait à l'une des plus nobles et des plus anciennes familles de la cité de Pictavium, dans l'Aquitaine seconde. Durant sa jeunesse, qui s'écoula pour lui dans la pratique du culte païen dont ses ancêtres lui avaient transmis la tradition avec le sang, il étudia les lettres humaines et particulièrement le grand art de l'éloquence. Son génie vif et ardent se passionnait pour cette étude, qui absorbait toutes ses facultés et ouvrait à ses ambitieuses espérances l'horizon le plus brillant. Les œuvres de Quintilien étaient sa lecture favorite. II en savait de mémoire les plus beaux passages. A l'école de ce judicieux écrivain, il formait son esprit à la rectitude de la pensée, à la clarté de l'expression, à la méthode d'une dialectique puissante. Toutes ces conquêtes de son intelligence devaient lui servir un jour pour la défense de la vérité qu'il ignorait encore. L'étude fut le chemin qui le conduisit à la foi. En méditant sur la nature de Dieu, il se convainquit facilement de l'absurdité du polythéisme. Les préjugés de son enfance et du milieu social où il avait vécu jusque-là ne l'arrêtèrent point dans sa recherche. A mesure que les premières illusions de l'erreur se dissipaient à ses yeux, il se sentait une soif inextinguible de vérité. Les systèmes philosophiques du paganisme, tous étayés sur la base ruineuse de l'idolâtrie, le fatiguaient sans l'éclairer. Dans cette disposition d'esprit, il demanda à l'un de ses amis, qui était chrétien, un exemplaire des
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saintes Écritures, et courut s'enfermer dans sa demeure avec ce trésor nouveau pour lui. A l'ouverture du livre , il tomba sur cette définition que le vrai Dieu donnait de lui-même à Moïse : «Je suis celui qui suis. » Cette majesté de l'Être, dans sa profondeur insondable, se révélant à l'intelligence humaine par un mot dont la simplicité apparente recouvre des abîmes de grandeur et de gloire, subjugua la pensée d'Hilaire. Il dévora, au pied de la lettre, le livre divin. Quand, après avoir achevé la lecture des prophètes, il vit se dérouler, dans les pages de l'Évangile, la réalisation des espérances du monde, Hilaire se prosterna en disant : « Seigneur Jésus, je crois en vous, je vous adore, je vous aime ! » Le fils des druides était chrétien. Rien ne fut changé extérieurement dans sa vie. Il reçut le baptême avec sa femme et sa fille Abra. Seulement, à partir de ce jour, le patricien gaulois devint le plus ardent défenseur de la foi de Nicée. Le symbole catholique, dont il avait fait profession, était pour lui l'arche sainte. Il ne permettait à personne d'y porter la main. On le vit, simple laïque, refuser de s'asseoir à la même table que les évêques ariens. Le venin de l'hérésie apporté dans les Gaules parmi les bagages de l'empereur Constance, se glissait dans toutes les conversations, s'insinuait partout avec la faveur qui s'attache au crédit du prince. Hilaire, dirigé par les conseils de saint Maixent (Maxentius), évêque de Poitiers, s'était constitué le défenseur de la foi véritable. On le trouvait sur la brèche toutes les fois qu'il s'agissait de défendre le dogme de la Trinité contre les subterfuges et les distinctions captieuses de l'Arianisme. Sa parole, autorisée par la sainteté de sa vie et l'exemple de ses vertus, était féconde en fruits de bénédiction et de grâce. Les fidèles de Poitiers commencèrent à vénérer Hilaire comme leur modèle. A la mort de saint Maixent, ils voulurent davantage. Clergé et peuple, d'une voix unanime, élurent le laïque, le père de famille, l'homme marié, pour succèder au pieux pontife. Il fallut vaincre la résistance d'Hilaire, qui fuyait les honneurs et voulait se dérober par la fuite au vœu populaire. Aussitôt qu'il eut été amené de force sur la chaire épiscopale qu'il devait illustrer, il se sépara de sa femme et de sa fille et ne vécut désormais
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que pour la famille spirituelle qui venait de le choisir pour père.
16. Rien n'est plus touchant que la lettre qn'il écrivait à sa fille Abra, pour la consoler de l'absence d'un père bien-aimé et pour l'exhorter à consacrer sa jeunesse et sa virginité au seul époux dont les promesses immortelles ne trompent point les âmes. «Fille chérie, lui disait-il, je reçois le témoignage écrit de la douleur que vous éprouvez de ne me plus voir. J'y crois, car je sens moi-même ce qu'il en coûte d'être séparé des plus chers objets de ses affections. Cependant, pour que vous ne m'accusiez pas d'une indifférence qui est loin de mon cœur, je veux vous prouver que notre séparation ne m'empêche point de songer à vous. Vous êtes ma fille unique, mon trésor ; je ne songe qu'à vous rendre la plus parfaite et la plus heureuse des femmes. Dernièrement j'appris qu'un jeune homme, noble et riche, avait une perle sans prix et une parure dont la possession comblerait les vœux des plus opulents princes de ce monde. J'allai le trouver. La route était longue et difficile pour arriver jusqu'à son palais. Admis enfin à son audience, je fus ébloui de l'éclat de son visage, et, tombant à genoux, j'attendis qu'il voulût bien lui-même m'adresser la parole et me demander le but de mon voyage. J'osai alors lui parler des trésors qu'il possédait. J'ai, lui dis-je, une fille unique ; je l'aime ardemment ; je viens chercher pour elle la perle sans prix et la parure qui sont en votre pouvoir. En parlant ainsi, je versais un torrent de larmes. Il me fallut revenir plusieurs fois. Je passai des jours et des nuits prosterné aux pieds de ce bienfaiteur, le suppliant d'exaucer ma prière. Enfin, car il est bon et nul n'est meilleur que lui, le prince daigna m'adresser cette réponse: Connais-tu bien la nature et le prix de la perle et de la parure que tu me demandes pour ta fille ?— Oui, seigneur, répondis-je, on me l'a appris. J'ai foi en vous et je sais qu'elles donnent le bonheur véritable et le salut éternel. — D'un signe il ordonna à ses ministres d'apporter en premier lieu la robe virginale. Ah ! ma fille, quel tissu de soie et d'or lui pourrait être comparé? Elle efface la candeur de la neige. On me montra ensuite la pierre précieuse. Ni l'astre rayonnant aux cieux, ni les diamants de la
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terre, ni l'azur des eaux, ni les magnificences de la nature, ne sauraient approcher de son éclat divin. Je vois, me dit le jeune prince, que tu es un bon et tendre père, puisque tu viens de si loin chercher ces trésors pour ta fille bien-aimée. Cette parure a des propriétés vraiment merveilleuses. Les vers ne sauraient l'attaquer; l'usage ne la consume point; nulle tache ne peut la flétrir; impossible de la déchirer ni de la perdre ; elle reste éternellement ce que tu la vois. Quant à cette perle, elle a une vertu non moins extraordinaire. Celui ou celle qui la porte est préservé de toutes les maladies; il ne vieillit point, il ne meurt point. — Seigneur, m'écriai-ie, je vous en conjure, laissez-vous toucher par mes larmes. Si vous ne me donnez pour ma fille bien-aimée cette parure et cette perle, ma vie ne sera qu'un long désespoir; je croirai avoir perdu ma fille ! — Touché de mes instances, il me releva en disant : Tu me parais prêt à sacrifier ta vie pour ces trésors. Ils sont à toi; mais écoute à quelle condition. La robe que je te donnerai pour ta fille n'aura pas les couleurs brillantes de celle-ci ; elle ne sera point tissue d'or et de soie. Sans autre éclat que sa simplicité, elle sera telle cependant qu'elle perdra toute sa vertu le jour où on l'échangerait contre une étoffe plus riche et plus somptueuse. De même, la perle que je te donnerai ne saurait être associée à aucune de celles que l'Inde fait éclore sur ses rivages. Tu vois celle-ci, elle vient des cieux ; quand on veut la mêler aux bijoux de la terre, elle s'évanouit et disparaît. Avant donc d'accepter cette richesse éternelle, sache d'abord si ta fille est disposée à renoncer aux parures de la terre et aux vains joyaux du monde. —Tel est le langage que m'a tenu ce jeune prince. Je vous le transmets secrètement dans cette lettre, fille bien-aimée, vous suppliant avec larmes de vous réserver pour la perle et la parure du ciel, et de combler ainsi d'une joie ineffable le cœur de votre vieux père. J'en atteste le Dieu souverain de la terre et des cieux, rien ne vaut les trésors que je vous offre. Libre à vous d'en obtenir la possession. Ouand on vous offrira de riches étoffes, des tissus de soie, des broderies d'or, répondez : J'attends un vêtement plus précieux que mon père est allé me chercher dans des régions lointaines. Je
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ne saurais accepter ceux-ci sans renoncer à celui-là. En attendant, la laine que je file de la toison de mes brebis suffit à mon habillement; sa couleur naturelle me plaît; je ne veux point des parures que le temps consume, que les vers dévorent et que le moindre accident peut détruire. Si l'on vous présente des colliers de diamants, des anneaux de saphir et d'émeraude, répondez : La perle que j'ambitionne n'est pas un ornement du genre de ceux que vous m'offrez. Mon père a exposé sa vie pour conquérir celle qui m'est destinée. Je l'attends, elle m'assurera le salut éternel. Donc, fille chérie, lisez et relisez cette lettre ; prenez pitié de mes angoisses et réservez-vous uniquement pour cette parure et cette perle. Répondez-moi en consultant votre cœur, sans autre confidence, et dites-moi ce que je dois mander au jeune prince. Quand je saurai votre détermination, je vous ferai connaître le nom, la volonté, le pouvoir de cet inconnu. En attendant, je vous envoie deux hymnes à chanter le matin et le soir, en souvenir de votre vieux père. S'il arrivait que votre jeunesse ne pût démêler le sens de cette lettre et des hymnes qui l'accompagnent, demandez-le à votre mère, laquelle, je le sais, désire par-dessus tout vous avoir engendré pour Dieu. Fille très-regrettée, que ce grand Dieu qui vous a donné la vie daigne vous garder ici-bas et dans l'éternité 1. »
17. Nous avons encore l'une des deux hymnes que le saint évêque de Poitiers adressait à cette enfant de bénédiction. La voici : «Céleste auteur de la lumière, toi dont le Verbe radieux, après les ténèbres d'une si longue nuit éclaira enfin l'horizon des mortels, tu es le véritable astre du matin, non pas celui dont le rayon tremblant vient annoncer le retour de l'aurore. Non. Ta clarté dépasse le fulgurant éclat du soleil ; ta lumière c'est le jour et la vie de nos âmes. Créateur des mondes, écoute ma prière. Épanche sur moi un rayon de cette grâce qui transforme nos corps eux-mêmes en les remplissant de ton esprit, et leur donne l'ineffable privilège de porter Dieu. Ne permets pas que je sois victime des
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1. S. Hilar., Epist. ad Abram filiam suam; Pair, lit., lova. X, col. 549>
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perfides embûches de l'ennemi ravisseur. Parmi les détails et les mille sollicitudes de cette vie, fais que je conserve l'innocence et le respect de tes lois. Que la pudeur veille attentive sur le temple de mon corps, et que rien n'y offense le regard de ton Esprit-Saint. Tel est le vœu de mon âme suppliante; telle est ma prière matinale. Astre du matin, sois ma lumière dans l'ombre de la nuit. Gloire à toi, Seigneur, gloire à ton Fils unique, gloire à l'Esprit consolateur, maintenant et dans tous les siècles! Amen. » — Ce chant sacré est digne de saint Hilaire. Quelques manuscrits lui adjoignent une hymne pour la nuit, dont l'authenticité est moins certaine. Nous la reproduisons également, parce que, si elle n'est pas l'œuvre génuine du grand évêque de Poitiers, elle fut certainement composée de son temps, et reflète les préoccupations que l'Arianisme excitait alors dans le cœur des catholiques fidèles. Voici cette pièce : « Je suis indigne de lever vers les étoiles du firmament des yeux chargés du poids de tant d'iniquités. Christ, viens au secours de ma faiblesse. J'ai négligé d'accomplir le bien qui m'était commandé; j'ai commis le mal qui m'était défendu; je me suis souillé dans la fange du péché. Christ, épargne les âmes rachetées de ton sang. En t'adressant d'un cœur fidèle cette humble prière, je maudis Arius et Sabellius les blasphémateurs. Jamais je n'ai prêté l'oreille aux murmures impies des nouveaux Simon, Pour ton nom, ô Christ, mon cœur est plein d'un respect tendre et jaloux; j'ai sucé dès mon enfance le lait que la catholique église me versa de son sein maternel. Je n'irai jamais boire aux sources empoisonnées de l'erreur1.»