Arius (St Basile) 23

Darras tome 9 p. 551


   19. Dans le même temps, cette terre bénie saluait de ses applaudissements un autre docteur, saint Phaebadius, qui illustrait le siège d'Agen. Élu vers 330 pour gouverner cette église dont il paraît avoir été originaire, Phaebadius se montra digne de l'amitié qu lui vouèrent dès lors saint Hilaire et Servatius de Tongres. Avec ce dernier, il assista au concile de Rimini et protesta contre la violence et la pression exercées par l'empereur en faveur des Ariens. De retour dans sa ville épiscopale, il publia son traité contra Arianos, que nous avons encore et dont saint Jérôme loue la vigueur apostolique et la noble simplicité. « Si je n'avais été témoin des subtilités diaboliques d'une secte qui veut faire passer l'erreur pour la vérité et réciproquement, dit-il, je n'aurais point élevé la voix, et n'eusse point ajouté un nouveau livre à tous ceux dont on nous inonde en ce moment. Il m'eût suffi, dans la modestie et le secret de ma conscience, de rester fidèle à la tradition, estimant qu'il vaut mieux maintenir la possession de nos dogmes, que de perdre le temps à discuter des systèmes étrangers et nouveaux. Mais puisqu'on veut nous contraindre à embrasser l'hérésie sous prétexte de catholicisme, et à perdre ainsi notre plus beau titre de gloire, force m'est aujourd'hui de descendre dans l'arène pour démasquer les fraudes et les trahisons dont on nous environne. Il me faut détruire l'erreur opposée pour conserver la vérité que j'adore.» Après cette humble déclaration, le docteur examine le second formulaire de Sirmium et en démontre toute l'impiété. Puis il s'écrie : «Mais à quoi bon creuser davantage et poursuivre plus loin ce travail? Voici les évêques qui interdisent, par une constitution synodale, de prononcer le nom de consubstantiel. Ils disent: L’Église catholique vous défend de professer que le Père et le Fils sont semblables en substance. Hélas! qu'avez-vous donc fait, illustres confesseurs de la foi, vénérables pères de Nicée, lorsqu'après avoir interrogé les livres saints et scruté la tradition,

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vous aves tracé le symhole immortel de la foi catholique? Tant de fatigues, de sollicitudes et de travaux dans votre auguste assemblée réunie de tous les points du monde, n'auraient donc d'autre résultat que de proclamer plus solennellement l'erreur l Quand vous avez cru poser au génie inquiet et téméraire de l'Orient une barrière infranchissable, vous n'auriez en réalité fait autre chose que de tuer la foi catholique dans l'univers ! Telle est pourtant la déplorable situation qui nous est faite. On défend à l'Église de réciter le symbole que vous avez donné à l'Église pour confondre toutes les hérésies, On déchire votre œuvre; on relève le drapeau que vous avez frappé d'anathème. C'est qu'en effet le mensonge n'a par lui-même d'autre moyen d'existence que dans la destruction de la vérité. Mais la vérité ne saurait être anéantie. Son privilège est d'être toujours immortelle, toujours immaculée ; elle brûle les mains sacrilèges qui osent lui faire violence. On nous défend de prononcer le mot de consubstantiel, et même celui de substance ! Pourquoi donc cette interdiction singulière ? Quel crime, quelle impiété, quel sacrilège renferment ces expressions ? Est-ce le mot ou le sens qu'on prétend bannir? Si je ne me trompe, le sens est d'une orthodoxie parfaite. Qu'est-ce que la «substance » entendue dans son acception absolue, sinon l'Être qui existe par soi? Or cette définition ne peut convenir uniquement qu'à Dieu. On prétend que ce terme de substance est inusité dans l'Écriture. Cela est faux. » Saint Phœbadius cite alors de nombreux passages des saints livres où le terme de « substance » est employé. Il con- tinue ensuite: « J'ai voulu réunir ici tous ces textes scripturaires, afin de répondre à l'objection la plus commune des Ariens. Ils ne cessent de répéter aux ignorants que le mot de substance ne se trouve pas une seule fois dans la Bible. Je prouve immédiatement le contraire et j'ajoute : Puisque ce terme est employé dans l'Écriture, puisque le sens qu'il offre à l'esprit n'a rien d'opposé à la foi, de quel droit veut-on le bannir du langage théologique? Le mot est du domaine de la science sacrée; on ne saurait l'en retrancher. C'est donc le sens contre lequel on proteste ; c'est donc un Évangile nouveau, une doctrine nouvelle, un symbole d'erreur qu'on

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prétendrait nous imposer ! — J'entends les Ariens faire grand bruit du nom d'Osius, ce patriarche de la foi. Ils voudraient se servir de l'autorité de ce grand homme pour justifier leur formulaire. Ils prétendent qu'il l'a souscrit. Je l'ignore. En tout cas, il ne me faudra pas un grand effort pour renverser cette machine de guerre. L'autorité d'Osius s'annullerait elle-même, si ce grand homme soutenait aujourd'hui le contraire de ce qu'il a toujours enseigné. Le monde entier se souvient de la fermeté, de la constance invincible, avec lesquelles Osius a maintenu au concile de Sardique la foi du concile de Nicée. Il n'est personne qui ne sache avec quelle héroïque indépendance il a condamné les Ariens. S'il est vrai qu'il ait changé de sentiment et qu'il bénisse à l'heure présente ceux qu'il a mandits durant tout le reste de sa vie, j'en conclurai que l'autorité d'Osius est nulle, puisqu'elle serait contradictoire. S'il s'est trompé pendant quatre-vingt-dix ans, je ne consentirai jamais à ajouter foi à ce nonagénaire. Si l'Arianisme dont on le prétend aujourd'hui le défenseur était la vérité, que faudrait-il penser de tant d'autres évêques, ses compagnons de vertu et de gloire, qui sont morts en anathématisant l'Arianisme? Osius lui-même, s'il n'eût pas vécu assez longtemps pour souscrire le formulaire de Sirmium, serait donc mort dans l'erreur? Non, non, la faiblesse d'un juste ne saurait prévaloir contre la justice et la vérité 1. »

 

  20. Au moment où l'évêque d'Agen écrivait ces pages éloquentes, l'Orient et l'Occident retentissaient du bruit de la défection d'Osius de Cordoue. Les Ariens répandaient cette calomnie avec une ardeur et un ensemble qui finirent par l'accréditer. Cependant saint Athanase et Phœbadius lui-même n'accueillirent que sous toutes réserves cette rumeur habilement semée dans le public. Tant d'exemples de la duplicité des Ariens, depuis vingt ans d'une lutte acharnée, avaient donné la preuve de leur mauvaise foi. Dans la réalité, Osius n'avait souscrit aucun formulaire. On repré-

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1. S.  Phaebadii,   Liber  contra  Arianos,  passim ;  Patrol.  lat.,  tom.   XX, col. 13-30.

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sentait pourtant une lettre de souscription portant sa signature, mais saint Épiphane, qui vit plus tard cette prétendue lettre d'Osius, nous affirme que c'était une œuvre apocryphe des Ariens. Voici ce qui s'était passé. Constance, irrité de la noble et courageuse protestation de l'évêque de Cordoue, avait donné l'ordre d'arracher ce vénérable centenaire à son église épiscopale. Il le fit amener à Sirmium ; sans respect pour sa vertu et son âge, il le livra au bourreau qui lui infligea le supplice de la flagellation. L'héroïque vieillard fut ensuite jeté dans un cachot. On lui présenta successivement tous les formulaires rédigés à Sirmium, sans qu'il consentît à en signer un seul. Une année entière s'écoula pour lui dans cette dure captivité. Cependant Ursace et Valens le visitaient chaque jour dans sa prison. Ils lui dirent que l'empereur se repentait d'avoir cédé à un premier mouvement de violence ; qu'il n'avait d'autre désir que de le remettre en liberté et de le renvoyer dans sa patrie; qu'il lui suffirait de se montrer en public avec eux dans l'église de Sirmium, et que ses malheurs se- raient terminés. Osius céda sur ce point : Eî$3v 4utoîç npoç ûpav, dit saint Athanase1. Telle fut en réalité sa faiblesse, si même on peut lui donner ce nom. Il consentit, et le lendemain il partait libre pour l'Espagne, sans avoir souscrit aucune profession de foi, sans avoir signé aucun acte contre saint Athanase. C'est du patriarche d'Alexandrie lui-même que nous tenons tous ces détails parfaitement authentiques. Il est vrai qu'Ursace et Valens publièrent partout que le vieillard était en communion avec eux ; ils en donnaient pour preuve l'exhibition qu'ils avaient faite eux-mêmes de l'auguste proscrit dans l'église de Sirmium. Leur odieuse superchérie n'eut d'autre résultat que de provoquer de la part d'Osius une suprême et énergique protestation. De retour dans sa chère Espagne, il y apprit le scandale que les Ariens avaient voulu faire autour de son nom. Ce lui fut un chagrin insupportable, auquel il ne put survivre. Mais, avant d'aller recevoir dans les cieux la couronne qu'il avait si bien méritée, «il voulut, dit encore

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1 S. Athanas., Apel. de Fugâ suA, § 5.

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saint Athanase, laisser dans son testament le témoignage de sa vie. Il rédigea cet acte suprême ou il anathématisait une dernière fois les Ariens, et exhortait tous les fidèles à fuir la contagion de leurs erreurs 1. » Après cette protestation irrévocable contre des adversaires qui avaient abreuvé d'amertume et de douleur ses derniers jours, « le vieillard Abrahamique, comme l'appelle encore saint Athanase, le patriarche des évêques, le grand Osius, » s'endormit dans le Seigneur. « Il était, dit saint Augustin, en communion avec toute la catholicité. Ce ne fut pas seulement l'Espagne, mais l'univers entier qui pleura sa mort2. »

 

   21. L'Occident d'où sortaient, selon l'expression de saint Hilaire, les nouveaux enfants d'Abraham, n'avait pas seul le privilège de produire cette génération héroïque des défenseurs de la foi. L'Orient avait aussi ses docteurs et ses saints. Les noms qui se rencontrent les premiers, dans l'ordre chronologique, sont ceux de deux saints docteurs et de deux illustres amis, Grégoire de Nazianze et Basile de Césarée. Rapprochés par le lieu de leur naissance, leurs cœurs s'unirent dans une communauté de doctes études et d'exercices pieux. Grégoire, né en 316 à Nazianze, eut pour mère sainte Nonna, pour frère saint Césaire, et pour sœur sainte Gorgonia. A l'époque de la naissance de Grégoire, son père dont on lui donna le nom était encore païen, de la secte des Hypsistaires (adorateurs du Dieu très-haut, (Uphistos) Mais le chef d'une famille de saints ne tarda pas à ouvrir les yeux à la lumière de la foi. Depuis sa conversion, il montra une telle ferveur et fit de si grands progrès dans les vertus chrétiennes, que quatre ans après, à l'âge de cinquante-cinq ans, il fut élu évêque de Nazianze, et parvint dans l'exercice d'un saint et laborieux pontificat à la plus heurense vieillesse; car il mourut presque centenaire. Grégoire son fils, dès les jours de son enfance, fut prévenu des grâces et des bénédictions célestes. A l'âge où les notions du vice et de la

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2. S. Aug., Contra Epis!. Parmen., lib. I, cap. IV, g 1.

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vertu commencent à se développer dans la conscience, il eut une vision merveilleuse. Il aperçut à ses côtés deux vierges vêtues de blanc, d'une majesté surhumaine et d'une modestie angélique, qui se penchaient sur son front pour le baiser. Grégoire leur demanda qui elles étaient. Elles répondirent qu'elles se nommaient : l'une la Chasteté, l'autre la Tempérance; qu'elles assistaient au trône du Roi des cieux, et se délectaient en la beauté des âmes vierges. Elles l'engagèrent à leur donner son cœur, pour qu'un jour elles pussent le présenter à la suite des vierges qui suivent l'Agneau. Cette vision enflamma le jeune Grégoire d'amour pour la vertu. Avec un cœur pur, il avait reçu une noble et vaste intelligence. Sa piété se développa à l'égal de sa science. Après avoir épuisé le cours ordinaire des études qu'on faisait suivre aux jeunes gens de cette époque, il se rendit à Césarée de Palestine, où se trouvait l'école fondée par Origène, et la fameuse bibliothèque de son disciple, le martyr saint Pamphile, augmentée par le savant Eusèbe. Saint Césaire, son frère, était allé suivre à Alexandrie les leçons d'un docte aveugle, nommé Didyme, qui avait hérité de la chaire et de la science d'Origène. A cinq ans, Didyme avait perdu la vue. Il se fit graver les lettres de l'alphabet en relief sur des planches de bois, et réussit à lire au toucher. Il prit ensuite les leçons des meilleurs maîtres, et à quarante-cinq ans sa science égalait celle des plus grands docteurs. Sa réputation d'éloquence et l'élévation de sa doctrine le firent choisir pour chef de l'école d'Alexandrie. Mais ni sa gloire, ni sa vertu même, ne réussirent à le consoler entièrement de la privation des yeux. Un jour, il l'avouait ingénument à saint Antoine qui l'était venu voir : « Je m'étonne, lui dit le patriarche des solitudes, qu'un homme sage puisse s'affliger d'avoir perdu ce que possèdent une fourmi et un moucheron, au lieu de se réjouir de posséder ce qui fit la richesse des prophètes et des apôtres. Il vaut mieux voir de l'œil de l'intelligence, que des yeux du corps, dont un seul regard peut perdre l'homme éternellement. » —Grégoire de Nazianze vint rejoindre à Alexandrie son frère Césaire, et fut quelque temps avec lui le disciple de l'illustre aveugle. Ils se séparèrent ensuite, saint

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Césaire pour revenir dans sa patrie, Grégoire pour aller à Athènes, qui était toujours regardée comme la métropole des sciences et des lettres. Là, il rencontra un jeune homme que la main de Dieu préparait aussi à de grandes destinées; c'était saint Basile. Il était né à Césarée, en Cappadoce, à la même époque que saint Grégoire, vers l'an 317. La sainteté était comme héréditaire dans sa famille. Son père Basile et sa mère Emmelia, Macrina sa soeur, Grégoire évêque de Nysse, et Pierre évêque de Sébaste, ses frères, ont été mis au nombre des saints. Le jeune Basile, envoyé d'abord à l'école publique de Césarée en Palestine, puis à Constantinople, se distingua au-dessus de tous ses condisciples par la rapidité de ses progrès, la vivacité de son intelligence et la solide piété qui vivifiait ses belles dispositions. Dans cette dernière ville, il prit des leçons d'éloquence du fameux Libanius qui professait alors avec un applaudissement universel. Libanius, quoique païen, ne pouvait se lasser d'admirer les talents extraordinaires de son jeune élève, joints à une modestie rare et à une vertu extraordinaire. Il dit, dans ses Épîtres, qu'il se sentait comme ravi hors de lui-même, toutes les fois qu'il entendait Basile parler en public. Il entretint toujours depuis avec lui un commerce de lettres, et ne cessa de lui donner des marques de la haute estime et de la vénération profonde qu'il avait conçues pour son mérite. De Constantinople, Basile se rendit enfin à Athènes où Grégoire l'avait devancé. Ces deux âmes, si dignes l'une de l'autre, s'unirent bientôt par les liens d'une affection immortelle. Les nouveaux amis se communiquaient leurs pensées les plus intimes, le désir qu'ils avaient également de la perfection chrétienne. Ils demeurèrent en- semble dans une studieuse retraite, s'asseyant à la même table et partageant leur temps entre des prières et des travaux communs. «Nous avions tous deux le même but, dit saint Grégoire, nous cherchions le même trésor, la vertu. Nous songions à rendre notre union éternelle en nous préparant à la bienheureuse immortalité; nous nous servions à nous-mêmes de maîtres et de surveillants, en nous exhortant mutuellement à la piété; nous n'avions aucun commerce avec ceux de nos compagnons qui étaient déréglés dans

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leurs mœurs ; nous ne fréquentions que ceux qui, par leur modestie, leur retenue et leur sagesse, pouvaient nous soutenir dans la pratique du bien. Nous ne connaissions à Athènes que deux chemins: celui de l'église et celui des écoles publiques. Quant à ceux qui conduisent aux fêtes mondaines, aux spectacles, aux assemblées, nous les ignorions absolument. » — Les premiers sur la route de la sagesse, les deux amis le furent aussi dans la carrière des sciences et des lettres. A la rhétorique, la poésie, la philosophie, la dialectique, Basile joignit la connaissance de la géométrie et de l'astronomie, autant qu'il fallut pour ne pas demeurer inférieur aux plus habiles de ses contemporains. Les maladies auxquelles sa vie austère et mortifiée le rendait sujet, lui donnèrent l'occasion d'y ajouter l'étude de la médecine, du moins dans ce qu'elle a de plus philosophique. Tant de science et de vertu excita l'admiration à un tel point que partout où l'on parlait d'Athènes et de ses maîtres habiles, on parlait du merveilleux couple d'amis, Basile et Grégoire. Athènes renfermait alors, parmi la population d'écoliers qui vivaient dans son sein, un jeune homme d'une vingtaine d'années, de médiocre taille, le cou épais, les yeux vifs, mais égarés et tournoyants, la barbe négligée, les épaules larges qu'il haussait et remuait souvent : c'était Julien, neveu de l'empereur Constance. Julien voulut s'insinuer dans l'amitié si étroite de Basile et de Grégoire ; mais Dieu avait donné aux deux amis, dans cet âge si tendre, la qualité trop rare de la connaissance des hommes. Ils rejetèrent les avances de Julien, et nous avons déjà cité la prévision sinistre du jeune Grégoire à propos du futur apostat. Cependant, les études des deux amis étaient complètement terminées. Basile et Grégoire allaient quitter Athènes et se séparer l'un de l'autre. Toute la ville s'en émut ; professeurs et élèves les entourèrent, en les conjurant de rester encore. Basile s'arracha enfin à tant de regrets. Grégoire se montra moins inexorable; il consentit à accepter une chaire d'éloquence; mais peu après, il se déroba sans bruit à ses disciples, pour aller rejoindre son ami dans sa solitude de Cappadoce. Là, au sein d'une pieuse et féconde retraite, ils attendirent l'heure de la Providence,

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se préparant aux grandes choses que Dieu voulait faire par eux.

 

   22. Un autre Père de l'Église grecque illustrait alors la ville de Jérusalem, sa patrie. Saint Cyrille, d'abord simple prêtre, fut chargé par Maxime évêque de Jérusalem de prêcher tous les dimanches dans l'assemblée des fidèles et en même temps d'instruire les catéchumènes. Il nous reste de lui vingt-trois Catéchèses, ou instructions familières et orales, dont les dix-huit premières expliquent le symbole, et les cinq autres les sacrements de baptême, de confirmation et d'eucharistie que les néophytes recevaient le même jour. C'est un monument d'un prix inestimable par la clarté et la suite avec lesquelles la doctrine chrétienne y est exposée et défendue contre les païens et les hérétiques. Ces catéchèses qui duraient une heure se faisaient sous les portiques de l'église, et non dans l'égiise même où les auditeurs qui n'étaient pas encore baptisés n'avaient pas le droit d'entrer. Saint Cyrille y donne le nom de fidèles à ceux qui, même avant d'avoir reçu le baptême, croient de cœur et professent de bouche tout ce que l'Église croit et enseigne. Le talent et l'éloquence que Cyrille déploya dans cette série d'instructions le désignèrent naturellement aux suffrages du clergé et du peuple, après que la mort de Maxime eut rendu vacant le siège épiscopal. L'illustre prêtre devint donc, aux applaudissements de tous, évêque de sa ville natale. L'apparition de la croix miraculeuse, en 351, vint confirmer d'une manière éclatante les faveurs dont Dieu se plaisait à récompenser les travaux du saint pontife. Son attachement à la foi de Nicée ne tarda pas à lui attirer la persécution des Ariens. Acace de Césarée le fit déposer en 337, sous de faux prétextes. On accusait saint Cyrille d'avoir dissipé les trésors de l'Église. Il est vrai que le territoire de Jérusalem étant affligé d'une famine, le peuple qui manquait de pain s'adressa à son évêque. Comme Cyrille n'avait plus d'argent, il vendit les vases d'or et les étoffes précieuses de son église, pour nourrir les membres souffrants de Jésus-Chriat. C'était sur de pareilles accusations que le concile de Césarée condamnait un évêque catholique! Rétabli, en 359, au concile de Séleucie, saint Cyrille fut encore une fois déposé au concile de Constantinople (360),

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et ne put rentrer à Jérusalem qu'après la mort de Constance, qui rouvrit à tant d'exilés le chemin de la patrie. De nouveaux combats l'y attendaient encore.

 

         23. Au fond de l'Orient, l'Arménie admirait un nouvel apôtre, dans son patriarche Nersès Ier surnommé le Grand. Il était de la royale famille des Arsacides et avait été élevé dans sa jeunesse à Césarée de Cappadoce, puis à Constantinople où il s'était instruit dans les lettres grecques. Dans cette dernière ville, il avait épousé la fille d'un personnage distingué. Veuf après trois ans de mariage, Nersès, de retour dans sa patrie, y avait embrassé la profession des armes. Revêtu de plusieurs dignités militaires, il y joignait celle de chambellan du roi Arsace. Jeune encore, ses vertus éclatantes et sa valeur lui avaient concilié l'estime générale. Sa taille imposante, son air majestueux, inspiraient le respect. En 340, le trône patriarcal d'Arménie devint vacant. Depuis saint Grégoire l’Illuminateur, il y avait eu quelques patriarches scandaleux. La religion en avait beaucoup souffert; deux de leurs successeurs, avec de la vertu, n'avaient pas eu assez d'énergie pour remédier à de si grands maux: il fallait un nouveau Grégoire l‘Illuminateur. Une grande assemblée se tenait à ce sujet. Tout à coup, le bruit se répand qu'il existe un descendant du saint patriarche, digne de son aïeul par ses vertus. On prononce le nom de Nersès; tous les suffrages s'accordent, et, avec un concert unanime de louanges, on lui décerne le sceptre patriarcal. « Lui seul sera notre pasteur! s'écrie-t-on de toutes parts; nul autre ne s'asseoira sur le trône épiscopal! » Étranger à ce grand mouvement, saisi à l'improviste, Nersès voulut se soustraire aux honneurs qu'on lui imposait. Il essaya de fuir; mais le roi lui-même le retint, et détachant de sa propre main l'épée que Nersès portait comme une marque distinctive de sa dignité, il ordonna de le revêtir sur-le-champ des habits pontificaux. L'attente des catholiques arméniens ne fut pas trompée. Sous les efforts du nouveau patriarche, la foi ne tarda pas à refleurir dans leur patrie. Les églises, les autels renversés furent rétablis; de nouveaux temples, dédiés au vrai Dieu, s'élevèrent sur les débris des édifices idolâtriques; des hôpitaux, des monastères furent fondés;

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les mœurs s'adoucirent; l'instruction se répandit de toutes parts. Vers l'an 350, à l'époque où Constance persécutait avec le plus de violence les évêques catholiques, le roi d'Arménie lui envoya une ambassade à la tête de laquelle se trouvait le patriarche Nersès. L'empereur entreprit de gagner ce grand homme à l’Arianisme. N'ayant pu y réussir, il s'empota jusqu'à la fureur et s'oublia au point de violer en sa personne le droit des gens; il exila le saint dans une île déserte.

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