Luther 14 

Darras tome 33 p. 85.

 

53. La diète de Nuremberg, sous le pontificat d'Adrien VI, n'avait pu aboutir; les Ordres se réunirent de nouveau, dans la même ville, sous le pontificat de Clément VII en 1524. Le Pape fit choix, pour le représenter à la diète, du cardinal Campeggio, homme de tête et de caractère, théologien habile et orateur exercé à la pa­role. Les esprits s'irritaient en Allemagne ; le luthéranisme gagnait chaque jour du terrain ; déjà les signes du catholicisme lui déplai­saient autant que ses dogmes ; il abattait les croix, les statues, les tableaux, proscrivait ou bannissait la soutane et le froc. Pour en­trer à Nuremberg, le légat dut couvrir les insignes de sa dignité ; dans son discours d'ouverture, il ne parla point de la tenue d'un concile, mais promit le redressement des griefs et dépeignit avec éloquence les maux que la révolte impie avait appelés sur l'Al­lemagne. Les forces des deux partis dans la diète se partageaient ainsi : le légat pouvait compter sur quatorze voix; mais les députés

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des villes infectées de luthéranisme formaient la majorité. La déli­bération fut longue et orageuse : Charles-Quint avait  envoyé  un mandat où  il  insistait  sur  l'exécution de l'édit de Worms  et en cas d'infraction, menaçait les états de sa colère. Les princes luthé­riens auraient voulu, au contraire, proclamer la liberté de cons­cience et écarter l'édit impérial. La diète  prit  un  moyen  terme : elle décréta que le Pape convoquerait un concile général pour termi­ner les différends religieux et que les  ordres se réuniraient à Spire pour examiner les doctrines de Luther, puis  prendre une décision. En attendant, elle promettait d'examiner les  cent griefs contre la cour de Rome et de tenir main à l'exécution de  l'édit de Worms. La dicte était absurde : elle admettait  l'édit de Worms  et provo­quait l'Allemagne à s'en affranchir ; elle absolvait Luther en pro­mettant l'examen et le condamnait en requérant l'exécution ; elle autorisait les princes de l'empire à la  désobéissance et, tort plus grave, soumettait à des laïques le contrôle de doctrines déjà réprou­vées par le Saint-Siège. C'est à l'abri de  cette confusion de pou­voirs que le protestantisme fera son chemin ; il renie le pape, mais c'est pour coiffer de la tiare les souverains temporels, toujours  si jaloux des pouvoirs du Pontife  Romain. Clément VII fit connaître à Charles-Quint les décisions de la diète ; il appuya sur le mépris qu'elle faisait de l'édit impérial et des décisions de l'Eglise. Charles irrité menaça de la peine de mort les infractions à l'édit de Worms; les états n'en tinrent aucun compte. Le luthéranisme ne dissimulait plus sa stratégie : il proclamait ses croyances et forçait  les portes des églises, lorsqu'on lui en refusait les clefs. Magdebourg, Nurem­berg et Francfort changeaient ouvertement la forme  du culte  ca­tholique. Des chevaliers offraient sérieusement aux habitants de Nuremberg de ne pas laisser une tête d'évêques dans un espace de vingt milles. Luther cependant n'était pas satisfait, il vomit contre la diète toutes les flammes de sa colère. « Scandale, s'écrie-t-il, que toutes ces piperies d'empereurs et de princes, à la face du  soleil ! Scandale affreux que ces décrets contradictoires où l'on  ordonne de me courir sus et où l'on indique une diète pour trier ce  qu'il y a de bon et de mauvais  dans mes écrits! Condamné à Worms en

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dernier ressort et renvoyé à Spire ! Coupable, de par les Ordres, aux yeux des Allemands qui doivent me pourchasser sans relâche, moi et ma doctrine ! Coupable qu'on renvoie pour être jugé à de nouvelles assises ! Têtes folles, cerveaux avinés de princes ! Allons, enfants de l'Allemagne, il faut que vous restiez allemands, ânes, martyrs d'un Pape ; il faut que vous vous laissiez piler comme de la paille, ainsi que parle Salomon. Plaintes, enseignements, prières, larmes, longues souffrances, abîme de douleurs où nous avons été plongés, rien ne doit nous servir ! Mes chers princes et seigneurs, venez, dépêchez-vous de tuer un pauvre diable ; quand je ne serai plus vous aurez fait une belle affaire. Si vous aviez des oreilles pour entendre, je vous dirais bien un secret : Si Luther et sa pa­role qui vient de Dieu, étaient tués, croyez-vous que votre pouvoir et votre existence en vaudraient mieux, et que ma mort ne serait pas pour vous une source de calamités? Ne badinons pas avec Dieu. Allons, à l'œuvre, mes princes; assassinez, brûlez ! ce que Dieu veut, je le veux ; me voici1 ! » En d'autres termes, Dieu est Dieu et Luther est son prophète.

 

   54. En sûreté à Wittemberg, le Saxon bravait toutes les puissances et se moquait même de ses protecteurs. Sa hardiesse prove­nait du progrès de ses doctrines ; elles se répandaient dans toute l'Allemagne, gagnaient les pays du Nord. Le luthéranisme envahis­sait les temples catholiques et établissait, partout où il était le maître, les formes du nouveau culte. Dans l'intérêt de la foi et par crainte de leur couronne, les princes catholiques se réunirent à Ra-tisbonne pour conférer sur les moyens de soutenir l'orthodoxie. L'assemblée fut nombreuse ; elle arrêta que l'édit de Worms contre Luther et ses adhérents devait être observé comme loi de l'Empire; qu'on ne changerait rien ni dans l'administration des sacrements, ni dans les cérémonies, ni dans les commandements et les tradi­tions de l'Eglise ; que les prêtres mariés et les moines apostats se­raient punis suivant la rigueur des canons ; qu'on prêcherait l'Evangile d'après l'interprétation des pères  et des docteurs ; que

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1 Coculee, Acta Lutheri, p. 118.

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les étudiants des Etats respectifs seraient obligés, sous peine de confiscation, de quitter "Wittemberg dans les trois mois ; qu'aucun luthérien banni ne trouverait asile dans les états confédérés et que secours et assistance seraient donnés à tout prince attaqué pour une des clauses de la confédération. Le légat, qui assistait à cette conférence, fut le premier à demander qu'on satisfit aux justes ré­clamations et publia, pour la réforme du clergé, une constitution en trente-cinq articles. Seckendorf a vu, dans le colloque de Ratisbonne, le tocsin qui souleva l'Allemagne; comme si le catholi­cisme, calomnié, spolié, réduit, eut dû souffrir la mort sans se plaindre et négliger son droit de légitime défense. Un fidèle peut aller au devant du martyre ; une communion, injustement attaquée, a droit de se défendre et de repousser l'injustice. Contre la vieille foi, tout eut été permis, la moquerie, l'outrage, la persécution, le vol, l'exil, l'assassinat ; la vieille foi n'eut pas pu se couvrir des vieilles lois, lever hautement la tête et étreindre de ses embrassements cette terre qu'elle avait conquise et que ses martyrs arro­saient encore de leur sang.


55. La violence n'avançait pas assez vite l'œuvre du protestan­tisme; on eut recours à la calomnie. Dans les temps troublés, la calomnie est toujours l'arme de la lâcheté méchante ; trop peu brave pour affronter son adversaire, on répand adroitement des bruits calomnieux et dans l'impossibilité de frapper son ennemi on le coule par des mensonges adroits. Un misérable, Othon Pack, offrit de vendre au landgrave de Hesse, le projet d'une prise d'armes des catholiques contre les protestants. Le faussaire, sommé de produire ce document, n'en put présenter qu'une copie, scellée d'un sceau qu'il avait à sa disposition, comme chancelier du duc Georges de Saxe. La fraude était patente : rien n'empêchait le chancelier d'écrire tous les projets possibles d'attaques imaginaires et de les sceller du même sceau. Malgré cette déconvenue, les princes luthériens feignirent de croire au péril et simulèrent la peur. Les conseillers de l'électeur de Saxe, Luther, Mélanchthon, Bugenhagen, convaincus de l'impossibilité d'un avantage sur le champ de bataille, dissuadèrent leur prince de prendre les armes.

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Les circonstances servaient d'ailleurs admirablement Luther. Clé­ment VII était prisonnier dans Rome, Soliman avait déployé l'éten­dard du prophète et marchait contre Vienne. Une nouvelle diète fut donc convoquée à Spire, en 1526. La division était parmi les sectaires ; les sacramentaires tenaient tête aux luthériens et les villes impériales étaient infectées de Zwinglianisme. Le landgrave de Hesse, comprenant les dangers de cette division avait travaillé inu­tilement à l'éteindre. Les catholiques étaient en majorité. Après de longues contestations, l'assemblée décréta : Que partout où l'édit de Worms aurait été reçu, il serait défendu de changer de reli­gion ; que les villes qui auraient embrassé les doctrines nouvelles les garderaient jusqu'à la tenue du concile, sans pouvoir suppri­mer la messe, ou enlever aux catholiques l'exercice de leur culte ; que les sacramentaires seraient bannis et les anabaptistes punis et morts. Les quatre ou cinq princes luthériens et les quatorze villes impériales, qui s'accommodaient de la proscription des anabaptistes et des sacramentaires, protestèrent contre cette décision ; ce jour-là les luthériens reçurent le nom de Protestants qu'ils adoptèrent comme le signe vraiment caractéristique de leur créance et comme un titre de gloire. La Diète avait, de plus, voté des subsides pour la guerre contre les Turcs ; les catholiques apportèrent leur or, les protestants le refusèrent. Soliman vint mettre le siège devant la ca­pitale de l'Autriche. C'est une tache ineffaçable pour le protestan­tisme que le lâche abandon de ses frères. En présence du péril commun tout dissentiment eût dû cesser. Mais une voix, celle de Luther, avait crié : Paix aux Turcs ! et cette voix, avait été plus forte que la voix de la patrie en pleurs et de la croix du Christ. Philippe, comte palatin, Nicolas de Salm, Guillaume de Negendorf et la population catholique, chassèrent jusqu'à Constantinople l'ar­mée de Soliman. Que le lecteur prononce entre les protestants et les catholiques ; qu'il dise dans quelles veines coulait le sang chré­tien, dans quels cœurs brûlait la flamme de la vraie foi.

56. Pendant que les diètes du Saint-Empire délibéraient dans l'indécision et hâtaient, par leur impuissance peureuse, les progrès du luthéranisme, l'anarchie, dernière conséquence dont le libre examen

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est le premier principe, prenait à rebours l'œuvre de Luther. La guerre des chevaliers fut l'une des premières applications prati­ques des enseignements révolutionnaires du Saxon. Depuis long­temps, la chevalerie, noblesse inférieure, nourrissait de profonds ressentiments contre les princes dont la prééminence l'écrasait, contre les villes dont elle jalousait les richesses et contre la situa­tion que lui avait faite les lois. Ses membres, supplantés dans tous les gros bénéfices ecclésiastiques, étaient sans représentation à la diète de l'Empire. Dépouillés de tout moyen de résistance, de tout droit de justice, de toute faculté de guerre lucrative, ils suppor­taient avec impatience leur abaissement et voulaient reconquérir leurs droits. Dans ces dispositions, les idées subversives du luthé­ranisme firent de nombreux prosélites parmi ces prolétaires de l'époque, aussi mécontents de l'ordre des choses que jaloux des richesses du clergé. Ulrich de Hutten et Franz de Sickingen se mirent à leur tête et entrèrent avec Luther en relation. Hutten, descendant d'une noble famille de Franconie, avait étudié à Fulde et se destinait à l'Église ; paganisé par l'enseignement des huma­nistes, il se laissa aller aux mauvaises mœurs et devint l'ennemi féroce des croyances qui repoussaient ses débauches. Franz de Sic­kingen, fils d'un chevalier décapité en 1505 en punition de ses brigandages, joignait à la turbulance de son père, une insatiable ambition. Ulrich avait débuté par des libelles et des pamphlets diffamatoires contre la religion et ses ministres ; Sickingen, lui, n'avait jamais compris son existence que comme une série de vols à main armée sur les grands chemins. Sous prétexte de réparer les injustices du sort, il prélevait des contributions, pillait, rançon­nait, mettait tout à feu et à sang, comme s'il n'eut pas existé d'empire. Mis au ban de l'Empire, il ravageait les environs de Worms pendant que la diète y délibérait ; battu de ce côté, il se jetait sur la Lorraine et forçait le duc Antoine à battre ses Rus­tauds ; par haine de l'empereur, il s'alliait à François Ier, et, après lui avoir soutiré des sommes importantes, revenait à l'Em­pereur pour l'amener aussi à composition. Dégagé de ce côté, il s'engageait contre la Hesse, se présentait près Francfort et venait

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retomber sur le Wurtemberg. A Hutten, il  manquait  un  bras et une épée pour accomplir, contre l'Eglise, ses plans haineux ;   à Sickingen, dont l'ambition était purement matérielle, il  manquait un principe, une doctrine pour  généraliser ses  plans  d'anarchie. L'union de ces deux hommes constituait une puissance  complète­ment illégale, mise en antagonisme flagrant avec la  constitution de l'empire et la paix publique. Leur entente avec Luther s'explique aisément; comme Hutten, le moine défroqué avait, dans ses épitres, justifié d'avance la révolte, le massacre des prêtres et toutes les horreurs de la guerre civile.  A couvert par cette  guerre de plume et suivant les prédicateurs de la révolte, Sickingen   fortifiait en silence ses châteaux-forts, s'approvisionnait  d'armes et de ca­nons, levait des troupes et convoquait, sous divers  prétextes,  les chevaliers franconiens à des assemblées : là, il excitait habilement leurs convoitises et stimulait leurs rancunes. En   1519, il  faisait, par un démonstration militaire, élire Charles-Quint empereur d'Al­lemagne. Mal récompensé de ce service, il reprit,  à son  château d'Ebernbourg, le fil de ses conspirations, lia les chevaliers en asso­ciation formelle sous la foi d'un serment prêté sur les Écritures. La première victime sur laquelle ils voulurent faire tomber leurs coups fut l'archevêque électeur des Trêves. Dix mille fantassins et cinq mille reîtres prirent la campagne. Le chevalier se fit précéder d'une proclamation en phrases bibliques, dans laquelle,  sous cou­leur de bien public, il déclarait au clergé une guerre   d'extermina­tion. Cette levée de boucliers remplit les princes de terreur.  De­puis des siècles, il ne s'était rien tramé d'aussi   dangereux  contre l'Empire. Le péril fit taire jusqu'aux dissidences  religieuses.  Sans attendre les ordres de l'Empereur, qui  d'ailleurs,  leur était sus­pect, le landgrave de Hesse, l'électeur palatin et l'archevêque de Cologne s'empressèrent d'amener à l'archevêque de Trêves  toutes les forces dont ils pouvaient disposer. L'électeur de Saxe lui-même se prononça hautement contre Sickingen ; et Luther tremblant dut abandonner sa cause. Cependant Sickingen, après quelques succès, était venu échouer devant Trêves, défendue avec une rare  énergie par son archevêque, marchant à la tête de la bourgeoisie et de la

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noblesse. Contraint de battre en retraite, le chevaleresque propagateur du nouvel évangile se vengeait en mettant tout à feu et à sang sur son passage, avec l'espoir de prendre sa revanche au re­tour du printemps. Les princes ne lui en laissèrent pas le temps : ils attaquèrent successivement tous ses amis, forcèrent leurs forte­resses, paralysèrent tous les efforts de Sickingen pour rallier les chefs de son armée. Bientôt, ils parurent devant le château de Landastuhl, où s'était réfugié Sickingen mis au ban de l'Empire, abandonné de ses complices, brouillé avec Hutten et ses autres pa­rasites. Dès les premiers jours du siège, il fut blessé mortellement ; la forteresse se rendit. A la dernière heure, Sickingen revint à la foi et confessa ses péchés. Avec lui moururent ses plans. En quel­ques jours, les princes victorieux achevèrent d'étouffer les germes d'un mouvement qui avait mis leur puissance à deux doigts de sa perte.


57. La guerre des paysans qui suivit de près celle des chevaliers fut également une conséquence des doctrines anarchiques de Lu­ther, l'application aux derniers degrés de l'échelle sociale des théo­ries subversives du réformateur à rebours, pour se concilier les princes en flattant leurs convoitises. Dès la fin du XIVe siècle, des symptômes de fermentation s'étaient manifestés parmi les paysans des campagnes, principalement dans le sud de l'Allemagne. Des révoltes avaient éclaté sur divers points ; mais ces efforts, sans lien commun, n'accusaient guère que des souffrances partielles et de vagues aspirations. Les principales causes de ces agitations qui s'accrurent sans cesse jusqu'à la grande révolte des paysans, consis­taient moins dans les griefs contre les seigneurs, que dans les brus­ques changements apportés aux mœurs et aux relations sociales. Après la prédication de Luther, les plus grandes hardiesses de la pa­role et des passions n'effrayèrent plus personne. La suppression des bonnes œuvres, du purgatoire et de la confession auriculaire n'of­fraient, aux maux du pays, qu'un vain palliatif : des réformateurs plus radicaux voulurent cicatriser les plaies de la société civile. A Eisnach, Jacques Strauss déclamait contre le prêt à intérêt, l'impôt et les dîmes ; non loin d'Eisnach, Munzer, plus audacieux,  substi-

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tuait à l'évangile de Luther une révélation intérieure, infaillible et annonçait la venue prochaine de la nouvelle Sion ; à Strasbourg, Othon Brunfels ; à Memmingen, Schappler; à Leipheim, Jacques Wehe ; à Waldshut, Hubmaier ; Jean Wolz dans les villages au- tour de Hall, prêchaient la même doctrine. Luther avait enseigné que tout homme est pape : ces prédicateurs en concluaient que si tout homme est pape, il est, à plus forte raison, empereur, mais obligé, comme fils d'Adam, à gagner son pain par le travail. En 1502, la province rhénane devint le théâtre de mouvements insur­rectionnels et d'un bourg voisin de Spire partit le signal de la ré­volte. Un sieur Fritz s'était constitué chef des rebelles; il leur avait donné, pour enseigne, une bande d'étoffe, moitié bleue, moitié blanche, avec la figure de Jésus crucifié au milieu et au dessous un soulier lacé ; et pour mot d'ordre Bundschuhe : l'alliance du sou­lier des paysans opposé à la botte des seigneurs. Dans le Wurtem­berg, un paysan, nommé Conrad, avait donné, comme pendant, l'association du tonneau, union pantagruélique formée surtout pour boire le vin d'autrui, et de préférence, celui des cloîtres. Le Mirabeau des monastères n'y allait pas si gaiement : « Je suis l'Evangéliste de Wittemberg, s'écriait-il; c'est le Christ qui me nommera de ce nom. Défiez-vous des évêques comme du diable lui-même. S'ils vous disent qu'il faut se garder de s'insurger con­tre le pouvoir ecclésiastique, répondez : Vaudrait-il mieux se heur­ter contre le Seigneur et son Verbe? Vaudrait-il mieux que le monde périt, que les âmes fussent tuées dans l'éternité ? Non, non ; meurent évêques et monastères et collèges plutôt qu'une seule âme. Evêchés. collèges, monastères, universités, nids où s'engouf­frent les richesses des princes. » On ne joue pas impunément avec la bière de Munich, dit le proverbe bavarois ; la parole de Luther monte plus violemment à la tête. Tant que Luther fut en armes contre Rome, les paysans se gardèrent de le troubler dans sa lutte ; une fois que Luther se fut déclaré pontife du libre examen, les paysans prêtèrent l'oreille aux discours de liberté et, s'appli­quèrent ce qu'on n'avait point dit pour eux. Quelle pitié pou­vaient-ils désormais avoir pour des maîtres que Luther traitait de

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fils de Satan? C'est dans la forêt Noire, près de la source du Da­nube, qu'éclata le premier mouvement insurrectionnel des campa­gnes. Le 24 août 1524, un pâtre de Belgenbach, Hans Muller, à la tête d'une troupe de paysans, précédé d'une drapeau rouge, noir et blanc, entrait à Waldshut et annonçait aux paysans qu'il venait les délivrer de l'esclavage. Chaque membre de l'association devait payer une légère somme pour, à l'aide de messagers fidèles, ré­pandre au loin la révolte. Munzer arrivait alors dans ces contrées, prêchant partout la rédemption d'Israël et l'établissement d'une nouvelle Jérusalem. La révolte gagna bientôt les comtés de Werdenberg, de Montfort. de Soulz, puis Iteichenau, Constance, Stuhlingen. Les seigneurs alarmés s'adressèrent à la ligue de Souabe ; la ligue essaya de la prière et de la menace ; les paysans restèrent armés. L'empire seul, en d'autres temps, aurait pu réprimer l'insurrection ; mais la prédication de Luther avait énervé le grand corps germanique, tué cette nationalité puissante qui avait eu tant de peine à se former : les grands vassaux ne marchaient plus d'ac­cord avec l'empereur. Les paysans formulèrent les griefs dont ils demandaient le redressement ; un prêtre en avait dressé en douze articles, la nomenclature ; dans cette doléance aimable, les paysans demandaient : 1° La permission de choisir et de déposer leur pas­teur ; 2e la suppression de la dime sur le bétail ; 3° le traitement pour eux, qui convient à des hommes rachetés par le sang de Jésus-Christ ; 4° la liberté absolue de la chasse et de la pêche ; 5° la li­bre pratique dans les forêts ; 6° la diminution des impôts; 7° la fidélité aux corvées anciennes, mais sans aggravation ; 8° le droit de propriété ; 9° la péréquation de l'impôt avec le revenu ; 10° le re­tour aux communes des champs et prés qui leur appartenaient ; 11° la suppression de la capitation payée à la mort du chef de famille : 12° le redressement des plaignants par la seule parole de Dieu. Ce manifeste, rédigé avec une modération étudiée, mit les campagnes en branle. Un aubergiste se mit à la tête de la ligue blanche ; un au­tre forma une bande noire. Réunies elles constituaient une masse de plusieurs milliers de fantassins et de cavaliers qui se battaient ad­mirablement, presque toujours  sans  faire    quartier à l'ennemi

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vaincu. La Souabe fut bientôt envahie ; la noblesse capitula. Des confédérés, commandés par Goetz de Berlichingen, forcèrent Wurtzbourg. L'Allemagne était en feu : les couvents tombaient comme des châteaux de cartes ; le paysan pensait que Dieu lui ordonnait de ne s'arrêter que quand il ne resterait plus debout que des chau­mières. La révolte était plus religieuse que politique ; le prêtre s'é­tait substitué au paysan pour diriger les masses. Le chef des ré­voltés, Munzer parcourait, du matin au soir, les campagnes de la Thuringe, prêchant la délivrance d'Israël. A l'entendre, le Christ mielleux de Luther avait fait son temps; le vrai Christ allait venir, celui qui voulait arracher la mauvaise herbe des champs. Le monde ne pouvait être régi par des princes ; les traités avec les nobles de la Souabe et de la Franconie étaient sans valeur. Sous le ciel de Dieu, toute créature devait être libre, toute propriété commune Munzer ne reconnaissait aucune loi faite de main d'homme : il n'y a qu'une grande loi à laquelle on doit obéir, répétait-il, la révéla­tion intérieure ; mais il nous faut un Daniel qui l'interprète et un Moïse qui marche à la tête des nations régénérées. Et Moïse et Daniel, c'était Munzer.

 

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