Nestorius 5

Darras tome 13 p. 45


  27. Au moment où le diacre Possidonius arrivait à Rome, les   écrits de Nestorius, déjà traduits sur le texte grec que l'hérésiarque avait envoyé lui-même, étaient l'objet d'un examen scrupuleux, 


Le pape témoigna au messager de saint Cyrille la douleur que lui causait le scandale donné à l'Église et au monde par le patriarche de Constantinople. Au mois d'août 430, un synode fut convoqué par le souverain pontife. L'erreur nestorienne y fut exposée avec tous les documents pour et contre. Célestin prit ensuite la parole. Il  ne nous reste qu'un fragment de son discours. Le voici : « Dans un hymne composé par Ambroise, de bienheureuse mémoire, et que tous les fidèles chantent le jour de la Nativité du Sauveur, il me souvient d'avoir lu cette strophe :

Veni, Redemptor gentium,

Ostende partum Virginis :

Miretur omne seculum,

Talis decet partus Deum 2.


   « C'est ainsi qu'un Dieu doit naître, » disait Ambroise : il ne dit pas : Talis decet partus virum. Son enseignement est d'accord avec celui de notre frère Cyrille. La Vierge enfante le Dieu dont la toute-puissance est infinie, la Vierge est donc réellement mère de Dieu, Théotoxos. Au temps de l'empereur Constance, Hilaire, ce génie si perçant, écrivait en parlant du mystère de l'incarnation : « Le Fils

---------------

1 S. Cyrill., Epist. xi, passim j Patr. grœc, tom. LXXVII, col. 80-86.

2. « Venez, Rédempteur des nations, faites éclater la merveille d'un enfan­tement virginal; que l'univers applaudisse, c'est ainsi qu'un Dieu doit naître. »

========================================

 

p46 PONTIFICAT  DE   SAISI   CI-.LESTIN   I   (422-432).

 

de Dieu fait homme est Dieu. Dieu s'est fait fils de l'homme et le fils de l'homme est devenu Fils de Dieu. La majesté du Seigneur a dominé la faiblesse de la forme servile, en sorte que cette forme a perdu sa bassesse d'esclave lorsque le Seigneur l'a épousée. C'est en Jésus-Christ que nous devenons par adoption les fils de Dieu, nous qui ne le sommes point par nature. Qui pourrait donc douter que le Fils consubstantiel de Dieu, en s'alliant par sa volonté à notre nature dans le sein virginal de Marie, n'ait élevé jusqu'à Dieu la personne humaine à laquelle il s'unissait? Ainsi tout genou doit fléchir à son nom, au ciel, sur la terre et dans les enfers, parce que le Seigneur Jésus est dans la gloire du Père 1. » Mon prédécesseur Damase, dans une lettre à Paulin évêque d'Antioche, disait : « Nous anathématisons ceux qui distinguent deux fils de Dieu, l'un qui est engendré avant tous les siècles au sein du Père, l'autre qui, s'unissant à notre nature, a pris un corps dans le sein de la Vierge 2. » Le bienheureux Damase, d'apostolique mémoire, disait encore : « Nous anathématisons ceux qui, divisant la per­sonne du Sauveur, distinguent deux fils de Dieu, l'un avant, l'autre après l'incarnation, et qui ne reconnaissent pas que le Fils de Dieu est avec le Christ Notre-Seigneur la même et unique personne née de la vierge Marie 3. »

 

28. Le synode romain fut unanime à condamner l'hérésie de Nestorius. Le pape répondit alors à saint Cyrille pour lui faire connaître la sentence et le charger de l'exécuter. « La com­munication que vous nous avez faite, dit-il, par notre cher fils le diacre Possidonius, nous a apporté tout à la fois une pro­fonde douleur et une vive  consolation. Les erreurs dogma-

----------------------

1 Pliilipp., il, 10; S. Ililar., Ad Constant, imperait, Slb. T, Aifrnonit. prœvia; Patr. Iat., tom. X, col. 335. — 2. S. Damas., Confessio fidei ad Paulmum, Ana-thevhatism. VI; Patr. Iat., tom. X11I, col. 359.

3 S. Damas., ibid., Anathemafùm. vu; S. Cœlestin., Fragmentum sermonitin coacil. roman, habiii; Pair, iat., tom. L, col. 457, 458. Par la citation que fait ici le pape saint Célestin des textes de son prédécesseur Damase, on peut se convaincre du soin avec lequel les archives de Rome conservaient les lettres des souverains pontifes. Il n'est pas moins remarquable que les citations sont parfaitement conformes avec la lettre de saint Damase lui-même à Paulin d'Antioche.

=========================================

 

p47 CHAP.  I.  — SAINT CYRILLE D'ALEXANDEIE.

 

tiques enseignées par l'évêque de Constantinople, le trouble qu'elles excitent dans l'Église, m'ont causé une immense tris­tesse. Mais la lecture de vos écrits, où respire une foi vive et pure, une ardente charité, m'a ravi de joie. Je me sens plein d'une tendresse toute fraternelle pour vous dans le Seigneur; je remer­cie Dieu d'avoir, dans sa miséricordieuse providence, ménagé pour notre époque un évêque tel que vous, prêt à tout souffrir pour le triomphe de la vérité. Notre fils Possidonius nous a raconté en dé­tail les luttes que vous avez eu à soutenir. Il vous dira de même ce qui a été fait ici. En présence d'un évêque qui court à sa ruine, nous avons le devoir d'épuiser toutes les voies de la condescen­dance. Il s'agit de la gloire du Christ incarné. Or ce divin Pasteur nous a appris par son exemple à quitter tout pour voler à la recherche de la brebis errante et la rapporter comme lui sur nos épaules. S'il agissait ainsi pour une brebis, que ne devons-nous pas essayer nous-mêmes pour un pasteur qui a oublié les devoirs de sa charge, et s'est fait un loup dévorant au milieu du trou­peau? Il nous faut prévenir la contagion et chercher à guérir notre frère. C'est pourquoi, usant de l'autorité de notre siège, nous vous déléguons comme notre représentant pour faire exécuter dans sa teneur stricte et rigoureuse la sentence suivante. Si, dans les dix jours qui suivront la notification de notre décision aposto­lique, le coupable ne consent point à abjurer ses erreurs et à sous­crire une profession de foi conforme à la doctrine de l'Église romaine et de la catholicité tout entière, il sera frappé d'excom­munication, déchu de son siège, et votre sainteté devra pourvoir à lui faire donner un successeur1.» Cette lettre portait la date du III des ides d'août, sous le consulat XIIIe de Théodose et IIIe de Valentinien (11 août 430). Le même jour, saint Célestin en signait trois autres, l'une encyclique pour les patriarches et archevêques Jean d'Antioche, Juvénal de Jérusalem, Rufus de Thessalonique, et Flavien de Philippe; la seconde adressée à Nestorius lui-même; la troisième au clergé et aux fidèles de Constantinople. Toutes

--------------------

1 S. Cœlestin., Epist. zi; Patr. M., tom. L, col. 462.

========================================

 

p48 PONTIFICAT  DE   SAINT   CÉLESTIN   I   (422-432).

 

devaient être remises à saint Cyrille, que le pape chargeait de les faire parvenir à leur destination respective. L'encyclique aux pa­triarches et archevêques était une simple notification des censures portées contre la nouvelle erreur et des mesures préventives prises contre l'hérésiarque. Les lettres à Nestorius et aux fidèles de Constantinople étaient de véritables traités dogmatiques où le pape ex­posait la foi de l'Église d'après l'Écriture Sainte, la tradition et l'enseignement des pères 1.

 

29. Au commencement de novembre, saint Cyrille, muni de tous ces documents, réunit un concile à Alexandrie. La décision de Cé-lestin fut acclamée par tous les évêques. Sous le nom d'anathématismes, on adopta une série de douze propositions contradictoires aux assertions de Nestorius2. Elles peuvent se résumer sous les trois

-----------------

1. S.. Cœlestin., Epiirl. xn, xui et XIV; ibid., col. 470-493.

1 Comme les douze anathématismes dits de saint Cyrille furent plus tard l'objet de discussions et d'attaques fort vives, non-seulement de la part des Eutychéens, mais même de quelques docteurs catholiques, nous croyons de­voir citer ici leur version latine, correspondant très-exactement au texte original grec. I. Si guis non confitetur Emmanuelem verum Deum esse, et ob id sanctam Virginem Deiparam ; genuit enim illa secundum carnem incarnatum Dei Verbum, anathema sit. II. Si quis non confitetur Dei Patris Verbum carni se-cundum hypostasim uniri, et unum cum sua carne esse Ckristum, eumdem nimirum Deum simul et homimm, anathema sit. quis in uno Christo post unionem dividit hypostases, eaque duntaxat conjunctione easdem inier se nectit quœ est se-cundum dignitalcm, hoc est, auctoritatem vel potestatem, et non ea potius quœ est secundum naluralem unionem, anathema sit. III. Si IV. Si'quis duabus personis vel _hy-postasibus eas voces attribuit, quœ in evangelicis et apostolis Scripturis passim oc-currunt, quœve a sanctis de Christo, aut ai ipso Christo de se ipso dictœ sunt; et alias quidem homini seorsum a Dei Verbo considerato adscribit, .alias vero lan-guam in divinam majestatem convenientes soli Verbo quod ex Deo Pâtre est ac­commodât, anathema sit. V. Si quis dicere audet Chrisium esse hominem Dei-ferum et wm potius Deum verum, utpole unum naturalemque Filium, guatenus nimirum Verbum caro factum carni et sanguini perinde ac nos communicavit, ana~ tkema sit. VI. Si quis Dei Patris Verbum, Christi Deum vel Dominum essedixerit; neque pott Verbum secundum Scripturas incarnatum, unum eumdemque Deum simul hominem esse confessus fucrit, anathema sit. VII. Si quis Jesum Ckristum ut hominem a Deo Verbo opérante motum fuisse dixerit, et Vnigenili gloria fuisse circumdalum quasi alterum de altero, anathema sit. VIII. Si quis hominem as-sumptum una cum ipso Dei Verbo adorandum, una cum illo glorificandum, tan-quam alterum in altero existeniem, Deum appellandum esse dicere ausus fuerit [sic enim semper adjecta particula COU cogit intelligi); et non una potius ado-

========================================

 

p49 CHAP.   I.   —  SAINT   CYRILLE  D'ALEXANDRIE.

 

chefs suivants : « En Jésus-Christ, le Fils de l'homme ne forme point une personne distincte du Verbe Fils de Dieu. — La sainte Vierge est réellement mère de Dieu. —En vertu de l'union hypostatique, il y a communication des idiomes; c'est-à-dire que les dé­nominations, propriétés, actions des deux natures distinctes et intègres en Jésus-Christ, peuvent être attribuées à la personne unique, et réciproquement à l'une et à l'autre nature, en tant que formant un seul et même sujet. » — Toute la substance du dogme catholique sur le mystère de l'Incarnation se trouvait merveilleuse­ment condensée dans ces anathématismes, qui furent solennelle­ment approuvés par le concile d'Éphèse et par celui de Chalcé-doine. Ils donnaient une formule définitive aux croyances et aux traditions de l'Église. Mais, par cela même qu'ils apparaissaient pour la première fois en corps de doctrine, ils soulevèrent d'abord de vifs débats. Nous verrons Théodoret et plus tard Eutychès les attaquer, lun avec le désir de chercher la vérité et de s'y soumettre quand elle lui serait connue, l'autre avec le parti pris de

-----------

ration» Emmamtelem honorât, nnamque illi glorificationem attribuil, qualenus Yeroum raclum est caro, anathema sit. IX. Si quis unum Dominum nostrum Jesum Christum a Spiritu Sanclo ghrificatum asseril, tanquam aliéna virtute usum ea guœ ver ipsum est; efficaciamque, qua contra immundos spiritus ute-retur, et divina inter homines miracula operaretur, ab eodem accepisse prœdicat, et non vroprtum illius esse ait spiriium per quem divina signa edidit, anathema sit. X. Christum Jesum nostrœ confessionis Pontificem et Apostolum exlitisse, eumdernque semetipsum pro nobis in odorem suavitatis Deo et Patri obtulisse di­vina Scriptura commémorai. Si quis ergo dixerit Pontificem et Apostolum nostrum non esse constitutum ipsum Dei Verbum, posteaquam caro et homo nobis similit factus est; sed ho.-ninem illum qui ex muliere natus est, quasi alterum quemdam ab ipso diversum; aut si quis Christum pro seipso quoque et non polius pro nobis solis sacrificium obtulisse affirmaveril, neque enim is oblatione opus habebal qui nullum peccatum commiserat, anathema sit. XI. Si quis ipsam Domini carnem vivificam, ipsiusque Verbi quod ex Pâtre est propriam esse negaverit, sed alterius cujuspiam ipsi Verbo secundum dignitatem tanlummodn conjunzti, hoc est, divinam tantum inhabitationem soriiti, esse dixerit, neque vero potius vivificam confessus fuerit, ut modo meminimus, eoquod Verbi, quod omnia vivificare potest, facta sit propria, anathema sit. XII. Si quis non confitetur Dei Verbum secundum carnem passum, secundum carnem crncifixum, mortemque secundum carnem gustasse, et primoge-nitum tandem ex morluis factum esse, quatenus scilicet vita est et vivificum ut Deus, anathema sit. (S. Cyrill., Epis t. xvii; Pair. gra>c, tom. LXXVII, col. 118-122.)

========================================

 

5C    PONTIFICAT  DE  SAINT   CÉLESTIN  I  (422-432).

 

combattre la vérité démontrée. Quoi qu'il en soit, quatre évêques égyptiens furent députés d'Alexandrie à Nestorius, pour lui signi­fier l'anathème prononcé contre ses erreurs par le pape Célestin, et la sommation de se rétracter dans les dix jours, sous peine d'être déposé. Le dimanche, 7 décembre 430, ils exécutèrent leur mission dans la basilique de Sainte-Sophie. En présence du clergé et du peuple, ils remirent à l'hérésiarque les lettres du sou­verain pontife, celle de saint Cyrille, les douze anathématismes, et ils déclarèrent que le lendemain ils iraient chercher sa réponse au palais épiscopal. Le lendemain, les portes de ce palais furent fer­mées et Nestorius refusa de recevoir les légats. Sa colère était au comble. Il courut trouver l'empereur et lui demanda justice. « Un concile œcuménique pourra seul, lui dit-il, me faire triompher de mes ennemis. » Théodose le Jeune lui promit de lui accorder cette satisfaction. Séance tenante, Nestorius obtint ce que les catho­liques demandaient vainement depuis près de trois années. L'héré­siarque apprêtait ainsi contre lui-même l'instrument de son propre supplice. Mais il n'y songeait pas alors. Tout entier à la joie de son éphémère succès, il écrivit au pape saint Célestin la lettre suivante, monument curieux de vanité, de ressentiment et d'illu­sion.

 

30. « Au pape Célestin, Nestorius évêque de Constantinople. Le très-honnête Cyrille, évêque d'Alexandrie, s'est épouvanté des conséquences qui peuvent résulter pour lui des pièces de convic­tion déposées entre mes mains. Pour éviter la réunion d'un concile où ses griefs seront jugés, il s'est avisé d'un ridicule stratagème. Il soulève une logomachie à propos des termes théotoxos, et chistotoxos s'acharnant à maintenir le premier et voulant bannir le second, ou du moins ne l'admettant que secundum quid, avec je ne sais quelles prudentes réserves. Quant à moi, je ne m'opposerais pas absolu­ment à ce qu'on employât l'expression de théotoxos, pourvu qu'elle ne servît pas de couverture aux impiétés d'Arius et d'Apollinaire. Mais j'avoue que ce terme est beaucoup moins exact que celui de christotoxos, lequel se trouve dans l'Évangile et que les anges eux-mêmes ont prononcé le jour de la naissance du Sauveur. Je n'ai

========================================


p51.   I.   — SAINT  CYRILLE  D’ALEXANDRIE.


pas besoin, en parlant à votre vénération, d'insister sur les raisons qui motivent cette préférence. Il serait trop long de les exposer ici. Votre béatitude sait parfaitement que nous nous trouvons placés entre deux sectes dont l'une dit : Marie est mère de Dieu, et l'autre : Marie est mère de l'homme (antropotoxos). Chacune veut faire prévaloir son opinion comme un dogme, tandis qu'elles sont toutes deux également éloignées de la vérité théolo­gique. Il faut donc couper court de part et d'autre à l'erreur en adoptant le terme moyen christotoxos, également éloigné des blas­phèmes de Paul de Samosate et des impiétés d'Arius ou d'Apolli­naire. J'avais pris la peine d'écrire tout cela au très-honnête Cyrille d'Alexandrie ; je joins ici un exemplaire des lettres que je lui adressai. Mais aujourd'hui, grâce à la divine Providence qui me vient en aide, un concile œcuménique est décidé. De tous les points du monde, les évêques vont se réunir pour juger les coupables. Dans cette solennelle assemblée, il ne sera guère question d'une stérile logomachie, d'autres affaires plus considérables occuperont son attention. »


   31. L'arrogance de ce langage n'était pas seulement produite  par l'exaltation d'esprit dans laquelle se trouvait alors Nestorius. Il comptait sur l'appui de l'empereur, qui ne l'abandonna en effet qu’au dernier moment. De plus, il se promettait par son crédit et ses intrigues de recruter un grand nombre d'adhérents au sein du futur concile. Déjà il s'était assuré du concours de Jean, métropo­litain d'Antioche. Élevé depuis cinq ans sur le siège patriarcal de la Syrie, Jean avait vu comme une gloire pour son église la pro­motion de Nestorius. Il était fort lié avec Théodoret, condisciple et ami lui-même de l'hérésiarque. Nestorius n'eut pas de peine à leur persuader à tous deux que saint Cyrille, renouvelant les pro­jets ambitieux de Théophile son oncle, aspirait à la domination religieuse de l'Orient. Théodoret, dont le siège épiscopal de Cyr ne satisfaisait qu'à demi les prétentions, trouva une occasion fort na­turelle d'appeler sur sa personne l'attention publique. Il prit ou­vertement la défense de Nestorius et publia une réfutation des douze anathématismes de saint Cyrille  les taxant d'apollinarisme

========================================

 

p52  PONTIFICAT DE SAINT CÉLESTIN  I  (422-432).

 

et leur opposant autant de propositions erronées, dans lesquelles il niait la maternité divine de la sainte Vierge, l'union hypostatique des deux natures, et l'unité de personne en Jésus-Christ. Cet ou­vrage, écrit sous l'impression d'un déplorable préjugé, était fran­chement hérétique. Théodoret devait le rétracter plus tard. Mais, en ce moment, livré à toute l'ardeur de la controverse, il n'en aperçut pas les erreurs, et il l'adressa sous forme de lettre aux « so­litaires de l'Osroène, de l'Euphratésie, de Syrie, de Phénicie et de Cilicie 1. » C'était reprendre en sous-œuvre et pour la combattre l'encyclique fameuse de saint Cyrille aux monastères égyptiens. L'écrit de Théodoret était précédé, en guise de préface, d'une lettre au métropolitain Jean d'Antioche, qui assumait ainsi une certaine part de responsabilité dans l'œuvre de son suffragant2. Plus réservé toutefois, parce qu'il était plus en vue et qu'il nour­rissait des projets plus vastes, Jean d'Antioche ne rompit le silence que pour adresser à Nestorius des conseils amphibologiques, con­çus en termes assez respectueux vis-à-vis du pape et assez indul­gents envers l'hérésiarque pour que des deux côtés aucun n'eût sujet de se plaindre 3. Ces sortes d'habiletés ne trompent que ceux qui les emploient. Jean d'Antioche devait bientôt en faire la triste expérience. Quoi qu'il en soit, Nestorius comptait sur son dévoue­ment ; il s'applaudissait du secours vraiment inespéré que l'écrit de Théodoret apportait à sa cause. Il était en droit désormais de soutenir au point de vue dogmatique une opinion que l'évêque de Cyr ne craignait pas d'embrasser ouvertement. Aussi il s'empressa de rédiger douze anathématismes qu'il opposa à ceux de saint Cy­rille 4. Ces triomphes furent les derniers que la Providence permit à son orgueil. Il en jouit avec son insolence ordinaire, et dans deux sermons que nous avons encore, il épancha au sein de ses auditeurs l'allégresse qui débordait de son âme (13 et 14 dé-

-----------

Theodoret., Epist. cli ; Patr. grœc, toni. LXXXIII, col. 4416. — 2. Id., Epist. ciVjCOl. 1413.

3. La, IctLre de Jean d'Antioche est reproduite en entier, Labbe, Coll., Concil., tom. III, col. 387. — 4.  Nestor., Blasphemiarum capitula xn; Patr. lai., tom. XLVIII, co!. 910.

==========================================

 

p53 CHAP.   I.   —  SAINT  CYRILLE  D'ALEXANDRIE. 

 

cembre 430 1). Cinq jours après, le XIII des calendes de décembre (19 décembre 430), Théodose le Jeune signait la lettre impériale, ou, comme on disait en style byzantin, le theion gramma, qui convo­quait tous les évêques du monde à Éphèse pour le jour de la Pen­tecôte de l'année suivante (7 juin 431). Nestorius avait dicté aux chanceliers impériaux quelques phrases de ce document, que nous avons encore et qui est intéressant à plus d'un titre. Il était rédigé au nom des « empereurs césars, Théodose et Valentinien, vain­queurs, triomphateurs, très-grands, très-augustes. » L'association des deux souverains d'Occident et d'Orient, telle que nous la lisons dans l'unique exemplaire qui nous ait été conservé et qui porte l'adresse de saint Cyrille, prouve évidemment que l'indiction du concile avait été concertée entre les deux cours de Byzance et de Ravenne. Dès lors le pape Célestin avait été consulté sur cette grande mesure. Et ce n'est pas seulement par hypothèse que nous raisonnons ainsi, puisque nous avons encore l'instruction officielle que le souverain pontife remit à ses légats, à leur départ pour Éphèse. Nous la reproduirons plus loin. La lettre de Théodose le Jeune commençait en ces termes : « Entre la religion chrétienne et l'empire romain, il y a une relation étroite. Les progrès de la première assurent la prospérité du second. La religion apprend à bien vivre, l'empire ne peut être florissant que par la vertu. En nous confiant le gouvernement du monde, le Seigneur a voulu ménager à nos sujets une autorité tutélaire qui les maintînt dans la piété et la justice. C'est là notre rôle ; nous sommes les ministres de la Providence pour la sécurité de l'État. » Cette profession de foi paraîtra sans doute fort surannée aux esprits modernes qui rêvent la séparation absolue de l'État et de l'Église. Mais nous avons déjà dit que les empereurs du V siècle ne goûtaient nullement cette théorie. «Notre préoccupation capitale, ajoutait Théodose, est d'assurer à l'Église une situation digne de la majesté de Dieu et de la splendeur de notre époque. Nous avons à cœur de la voir florissante et paisible, gouvernée en paix par des évêques et des

--------------------

1. Nestor-, Sei-m. xn et xni; Pair, lat., tom. XLVIII, col. 848-86*.

=========================================

 

p54        PONTIFICAT  DE   SAINT   CÉLESTIN  I   (&22-Ï.12).

 

clercs irréprochables. » Ce dernier mot était une allusion indi­recte aux accusations portées contre saint Cyrille. « Pour obtenir ce résultat, continuait l'empereur, nous invitons votre piété, ainsi que les autres métropolitains et les évêques qu'ils voudront choisir, à se rendre pour la fête de la Pentecôte prochaine à Éphèse. Là, on portera un jugement canonique sur les discussions élevées naguère, et l'on corrigera les désordres qui se sont produits au détriment de la véritable piété et de l'utilité publique1. » Cette dernière phrase était encore à l'adresse de saint Cyrille, et relevait toutes les espérances de Nestorius.

 

32. « Sur ces entrefaites, dit l'historien Socrate, un crime épou­vantable fut commis dans la grande basilique de Constantinople. Il y avait à la cour un officier goth dont la cruauté était proverbiale. Un jour, ses esclaves, fuyant la colère de leur maître, vinrent se réfugier près de l'autel. Ils avaient à la main des épées nues. On les pria de s'écarter pour qu'on pût célébrer les divins mystères. Mais ils ne voulurent rien entendre et durant plusieurs jours ils gardèrent cette attitude, menaçant de mort quiconque voudrait les approcher. Enfin, après avoir tué un clerc et en avoir blessé un autre grièvement, ils se suicidèrent tous. Cette tragédie fit une impression immense. On disait que la profanation dont le sanc­tuaire venait d'être le théâtre présageait des catastrophes. L'événe­ment justifia la prévision et la chute de Nestorius suivit de près2. »


III.. Concile d’Éphèse, IIIe œcuménique (431 ?).

 

   33. Bien que tous les métropolitains du monde eussent été en génénéral convoqués dans la lettre de Théodose le Jeune, il était évident que les orientaux seuls pouvaient avoir le temps d'arriver à Éphèse pour l'époque fixée. La Pâque de l'an 431 tombait le 19 avril. D'après les lois canoniques alors en vigueur, les évêques ne pou­vaient sortir de leurs diocèses qu'après l'octave de cette fête, c'est-à-dire au plus tôt le 27 du même mois. De là au 7 juin, fête de la

-------------

1 Sacra imperatoria Theodosii junior ; Labbe, Col. Conc.,l. III, pag. 436, pas-sim. — 2.Socrat., Hist. ecchs., lib. VII, cap. sxxm.

========================================

 

p53 CHAP.   I.   —  CONCILE   D'ÉPUÈSE  III0   ŒCUMÉNIQUE.              

 

Pentecôte, indiquée pour l'ouverture du concile, on n'avait plus qu'un intervalle de quarante et un jours. Dans un délai tellement restreint, il eût été matériellement impossible aux évêques de la Grande-Bretagne, des Gaules, de Germanie, d'Espagne et de la haute Italie, d'achever avec les moyens de locomotion dont on dis­posait alors un si long voyage. Aussi n'avait-on nullement compté sur eux. Le choix de la ville d'Éphèse fut surtout déterminé par la pensée de faciliter la réunion des évêques orientaux. Sa posi­tion intermédiaire sur le littoral de l'Asie-Mineure, à une distance presqu'égale de Constantinople et d'Antioche, permettait aux navires d'Italie, de Carthage, d'Egypte et de Phénicie d'y aborder commo­dément, et abrégeait la route pour ceux des évêques qui auraient à s'y rendre par terre. Une autre considération, qui avait aussi son im­portance, se tirait de la richesse de la ville et de la fertilité de son territoire. Pour une assemblée de ce genre, il eût été impossible de rien désirer de mieux. Éphèse n'avait point encore été bouleversée par les tremblements de terre, qui plus tard, en ruinant la ville, ont frappé le sol même de stérilité. Elle pouvait donc abondamment pourvoir aux nécessités d'une réunion si importante et si nombreuse. Mais au-dessus de ces raisons tirées de l'ordre naturel et dont se préoccupait la prévoyance humaine, Dieu voulait ménager à l'église fondée par l'apôtre saint Jean le glorieux privilège de voir procla­mer dans son sein le dogme de la maternité divine de Marie. Le pape saint Gélestin I félicita l'empereur Théodose. « Si je ne puis être présent en personne à Éphèse, lui écrivait-il, j'y serai du moins par mes légats. Au nom du grand Dieu qui doit nous juger, je supplie votre piété impériale de ne point conserver son appui à ceux qui osent rabaisser la puissance et la majesté du Seigneur au niveau des lumières de leur faible raison. Ils compromettent la foi et troublent la paix de l'Église. C'est travailler au progrès de votre empire que d'étouffer leurs erreurs et d'apaiser l'agitation qu'ils ont causée 1. » Cette admonition toute apostolique avait visiblement pour but d'éclairer l'esprit de Théodose le Jeune et de le faire revenir de

--------------------

1. S. Cœlestin. Epist. xix; Patr. lat., tom. L, col. 511.

=========================================

 

p56 PONTIFICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN  I  (422-432).

 

ses aveugles sympathies en faveur de Nestorius. Ce dernier le com­prit. Pour affaiblir l'impression de la lettre pontificale, il affecta de dire que le pape était un vieillard absolument incapable de rien entendre aux controverses théologiques et au véritable état de la question. Ce procédé à l'usage de tous les hérétiques passés, pré­sents et futurs, réussit pour le moment à la cour de Byzance. Nestorius y conserva tout son crédit. Cependant le pape mandait à saint Cyrille qu'il lui continuait ses fonctions de délégué aposto­lique, tout en lui enjoignant de surseoir à la condamnation défini­tive de l'hérésiarque jusqu'à ce que le concile eût prononcé, et en lui recommandant de recevoir sa rétractation et de le réhabiliter s'il venait à résipiscence 1. Enfin le VIII des ides de mai, sous le consulat de Bassus et Antiochus (8 mai 431), le souverain pontife faisait partir pour Éphèse trois légats spéciaux, Arcadius évêque de Vérone, Projectus évêque de Forum Cornelii (Imola) et Philippe, prêtre de l'église romaine du titre des Apôtres. Les instructions écrites qu'il leur donna et que nous avons encore étaient conçues en ces termes : « Lorsque votre charité sera arrivée heureusement, ainsi que nous l'espérons et le croyons de la miséricorde divine, au terme du voyage, vous prendrez en toutes choses conseil de notre frère et coévêque Cyrille, vous n'agirez que d'après sa volonté vous associant à lui pour maintenir inviolable l'autorité du siège apostolique. Dans les discussions auxquelles vous assisterez au sein de l'assemblée, n'oubliez pas que vous êtes juges des senti­ments qui seront exposés et quet nul n'est le juge des vôtres. Si vous n'arrivez à Éphèse qu'après le concile terminé et quand les évêques auront déjà repris le chemin de leurs diocèses, informez-vous avec soin de l'ordre qui aura été suivi, du résultat de la sen­tence, et si tout s'est passé conformément aux règles de la foi catholique. Il se pourrait que, le concile terminé, notre frère Cyrille se fût rendu à Constantinople. Dans ce cas, vous iriez l'y rejoindre et vous remettriez à l'empereur d'Orient les lettres dont nous vous chargeons pour lui. Si au contraire vous arrivez avant la fin du

------------------

1 S. Cœlestin., Epist. svij tom. cit., col. SOI.

=========================================

 

p57 CONCILE  D EPHESE  IIIe  ŒCUMENIQUE.

 

concile et que vous ayez à y prendre part, vous vous inspirerez des circonstances elles-mêmes et des conseils de notre frère Cyrille pour tout ce qu'il y aurait à faire 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon