Bérenger et Lanfranc 5

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    41. Telle était la mission que venait remplir près du pape Nicolas II l'illustre prieur du Bec, lorsqu'il retrouva au concile de Latran son antagoniste de Tours, l'hérésiarque Berenger. Cette fois encore il tint note des principaux incidents auxquels donna lieu l'examen

de la cause du fameux écolàtre. A défaut des actes synodaux qui n'ont pas été conservés, le récit de Lanfranc nous permet de réta-

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blir la physionomie générale de la discussion conciliaire. La ré­cente découverte du livre de Bérenger lui-même, de sacra Cœna, nous fournit d'ailleurs un moyen de contrôle que nous n'aurons garde de négliger. Voici en quels termes Lanfranc interpellait l'hérésiar­que pour lui rappeler ses engagements solennels souscrits au con­cile de Latran et depuis si impudemment violés. « Lorsque sous le pape Nicolas II vous vîntes à Rome, vous comptiez sur l'appui de certains personnages gagnés à votre cause moins par de bonnes raisons que par de bonnes espèces sonnantes. Leur concours vous servit peu. Je sais que vous allez partout diffamant le saint pon­tife Nicolas et les pères du concile romain; vous dites qu'ils refu­sèrent de vous entendre et que leur tyrannie vous imposa un par­jure. Il n'en est rien. On fit au synode l'exposé de votre doc­trine, savoir qu'après la consécration le pain et le vin restent es­sentiellement ce qu'ils étaient sans aucun changement de matière. Le pape vous donna alors la parole pour répondre et développer vos sentiments. Mais vous n'osâtes point le faire. Sans articuler un seul mot soit d'apologie soit de désaveu, vous suppliâtes le pontife et les pères de vous faire remettre par écrit une formule de foi, vous dé­clarant prêt à la souscrire de tout cœur et sans restriction. Touché de vos prières, Nicolas II chargea l'évêque Humbert de rédiger une profession de foi ; ce qu'il fit sur-le-champ. Elle vous fut remise avec l'assentiment des pères. Vous en fites à haute voix lecture, elle était conçue en ces termes : « Moi Bérenger, diacre indigne de l'église Saint-Maurice d'Angers, reconnaissant la vérité de la foi catholi­que et apostolique, j'anathématise toutes les hérésies et en particu­lier celle dont j'ai été jusqu'ici accusé, laquelle prétend que le pain et le vin de l'autel après la consécration sont seulement un sacre­ment et non le vrai corps et vrai sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ que la main du prêtre touche réellement, divise réellement, que les fidèles mangent et boivent réellement. J'embrasse la doctrine du saint siège apostolique et romain, je professe de bouche et de cœur la foi que le vénérable seigneur pape Nicolas et ce saint concile par l'autorité de l'Évangile et des apôtres ont définie et enseignée, sa­voir que le pain et le vin de l'autel après la consécration ne sont

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plus seulement un sacrement, mais le vrai corps et vrai sang de Notre Seigneur Jésus Christ réellement touché et divisé par la main du prêtre, mangé et bu réellement par les fidèles. Telle est ma foi; je le jure par la sainte et consubstantielle Trinité et par les saints évangiles du Christ. Tous ceux qui s'écartant de cette foi en ensei­gneraient une autre, je les déclare eux, leurs dogmes et leurs adhérents, dignes d'un éternel anathème. Si jamais j'avais moi-même la présomption de croire ou d'enseigner différemment, je me soumets d'avance à toute la sévérité des canons. » Telle était cette formule dont chaque parole, à mesure que vous en donniez lecture, ajoute Lanfranc, reçut l'approbation de tous les pères. Vous même vous paraissiez y adhérer pleinement. Le pape exigea cependant, selon toute justice et équité, que vous ajoutiez à cette adhésion verbale l'autorité d'une signature officielle. Vous la donnâtes en ces termes: «Après avoir lu et relu cet acte, je l'ai souscrit de mon plein gré.» Puis avec serment vous en avez confirmé la teneur, jurant que telle était votre croyance. Le pape Nicolas I! témoigna une grande joie de voire conversion ; il envoya des copies de votre serment à toutes les provinces d'Italie, de France et d'Allemagne, afin que les églises que vos erreurs avaient scandalisées pussent rendre grâces à Dieu de votre retour à la vraie foi. Comment se fait-il qu'aujour­d'hui vous soyez revenu à votre funeste hérésie '? —Vous dites que la raison humaine ne saurait concevoir ce mystère du sacrement de l'autel, où le corps ressuscité et glorieux du Christ est partagé sous les espèces du pain et devient l'aliment des fidèles. Non sans doute, la raison de l'homme n'est point capable d'expliquer ce prodige ; mais la foi le sent, bien que la raison défaille. La puissance divine opère cette merveille qui dépasse notre faible intelligence. Des mi­racles authentiques, et vous ne l'ignorez pas, ont plus d'une fois dissipé à ce sujet les doutes de l'incrédulité. Sous les espèces eu­charistiques qui le voilent à nos yeux, le corps de Jésus-Christ s'est manifesté à plusieurs reprises aux yeux des mortels. L'histoire ec-

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1. B. Lanfranc. De corpore et sanguine Domini; Pair. Lat. Tom. CL, col. 411 Jt ilj.

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clésiastique en offre de nombreux exemples; vous les connaissez, et vous savez aussi que de nos jours des prodiges du même genre ont eu   lieu pour attester la vérité du dogme de la présence réelle1. »

 

   42. Quelques-uns des miracles auxquels Lanfranc fait ici allusion  sans autres détails sont racontés par saint Pierre Damien dans une lettre qu'il adressait, durant le concile de Latran, à l'abbé du Mont-Cassin Desiderius. «En présence du pape, dit-il, l'évêque d'Amalfi nous a attesté sous la foi du serment que, célébrant un jour le saint sacrifice, il eut l'esprit troublé par une pensée d'incré­dulité; la présence réelle du Sauveur sous les espèces eucharisti­ques lui semblait un mystère impossible à croire. Il était dans cette disposition intérieure lorsqu'il eut, suivant le rite accoutumé, à di­viser la sainte hostie. En ce moment, le pain eucharistique fut rem­placé dans ses mains par la chair visible du Sauveur; ses doigts furent ensanglantés. Il tomba à genoux dans une adoration pleine de repentir et de foi. Tel est ce sacrement d'amour si terrible pour ceux qui osent le toucher avec des mains indignes 2 ! » — « Notre frère le vénérable Alfano, archevêque de Salerne, a eu naguère dans son diocèse une manifestation non moins prodigieuse. Un prêtre simoniaque et concubinaire, arrivé durant la messe à la fraction du corps du Seigneur, vit tout à coup trois étincelles de feu s'élancer de l'hostie sacrée. Elles pénétrèrent à travers les vête­ments sacerdotaux et vinrent imprimer sur la poitrine du malheureux prêtre trois brûlures dont il porte encore les cicatrices .3 » — « Le fait que vous me mandez vous-même et qui vient d'avoir lieu près du Mont-Cassin a la même signification. Une femme cédant à des suggestions abominables emporta, me dites vous, dans sa demeure le pain eucharistique pour s'en servir à je ne sais quels maléfices. Le prêtre s'en aperçut à temps; il alla chez cette femme reprendre le sacrement auguste. Mais en dépliant le linge dans le­quel il était enveloppé, le corps du Seigneur apparut visible, occu-

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' Lanfranc, ibïd, col. 427 et 435.

2 S. Petr. Damian. Opuscul. xxxiv ; Patr. Lat. Toni. CXLV, col. 573.

3.   bid. Opusc. xl, col. G5S.

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pant une moitié du pain, tandis que l'autre moitié avait con­servé la forme ordinaire. Vous me demandez pourquoi le miracle se produisit avec cette différence entre les deux parties du même pain consacré. Il me semble que Dieu voulait par un témoignage si manifeste confondre l'incrédulité et l'hérésie, qui refusent d'ac­cepter le dogme de la présence réelle dans le mystère eucharisti­que. Sous une seule moitié du même pain consacré le corps de Jé­sus-Christ s'est rendu visible, tout en laissant à l'autre sa forme ordinaire, pour mieux faire comprendre la réalité de la transubstan(cia)tion sacramentelle « de ce pain des anges, manne descendue des cieux,» qui sous le voile des saintes espèces renferme réellement le corps né du sein de la vierge Marie 1. »

 

   43. L'autorité de saint Pierre Damien, celle de l'abbé du Mont-Cassin Desiderius, dont nous avons déjà fait connaître les antécé­dents et dont nous retrouverons bientôt le nom inscrit au catalogue des papes, donnent à ces faits prodigieux un caractère incon­testable d'authenticité. L'évêque d'Almalfi dont il est ici question avait accompagné les cardiuaux Frédéric de Lorraine et Humbert de Moyenmoutier dans leur légation à Constantinople sous Léon IX. Son témoignage pour un fait personnel dont la cir­constance d'une tentation si vive contre la foi pouvait jusqu'à un certain point rendre l'aveu plus particulièrement pénible, délie tout soupçon d'imposture. Quant à l'archevêque de Salerne Alfauo, l'Église l'a mis au nombre des saints et l'on célèbre sa fête le 9 oc­tobre. Nous avons donc à notre tour le droit d'enregistrer ces mi­racles eucharistiques survenus à l'époque même où l'hérésie cher­chait à éteindre dans le monde la foi à la divine eucharistie. Dans son livre de sacra Cœna, Bérenger voulant réfuter l'écrit de Lanfranc laisse de côté les miracles. Il se borne à expliquer à sa ma­nière les motifs qui l'ont déterminé à souscrire une profession de foi si absolument contraire à ses véritables sentiments. « Votre ré­cit, dit-il, s'accorde bien avec la haine dont vous n'avez cessé de me poursuivre, mais il s'accorde très-mal avec la vérité. Le pape Nico-

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1. Ibid. Opusc. xïîiv, col. ïï"3.

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las m'adressa des objurgations qu'on se permettrait à peine vis à vis d'une bête féroce. II me demanda si j'avais un cœur, et pour­quoi je ne voulais pas entendre parler d'un aliment céleste, d'un pain spirituel qui serait le corps du Christ. Dans mon indignation je ne lui épargnai pas les représentations les plus énergiques. Mais il me fut impossible de l'amener à m'écouter avec le calme et la patience qui conviendraient au père commun des chrétiens. Il ne voulut même pas permettre que d'autres personnes entendissent en son nom l'exposé de ma doctrine. Comme j'étais spontanément venu à Rome, non sans dangers ni fatigues, je croyais que si l'on ne me donnait pas raison du moins on ne se hâterait pas de me condamner; qu'on m'écouterait avec une patience chrétienne pour m'approuver si j'étais dans le vrai, pour me reprendre charitable­ment et me réfuter en esprit de miséricorde si j'étais dans le faux. Mais le pape se contenta pour toute réponse de me dire : «Adressez-vous à Hildebrand. » En fait d'explications, je n'en ai pas eu d'autres. C'est donc à tort que vous prétendez qu'où exposa en ma présence une doctrine quelconque sur le changement qui s'opère dans l'eucharistie. On ne me donna ni demanda aucune sorte d'explications. Si je me suis tu, ce n'est point que je ne me sentisse de force à pouvoir soutenir ma cause; c'est parce qu'on m'avait menacé d'un procès au forum (c'est-à-dire devant la justice sécu­lière), et pour moi ce procès signifiait la mort. Les scènes tumul­tueuses dont j'étais à chaque instant l'objet ne le prouvaient que trop. Vous dites que je suppliai le pape de me faire remettre un formulaire de foi. C'est un nouveau mensonge, parmi tant d'autres que contient votre livre. Je n'ai rien demandé de ce genre au pape; je me suis prosterné devant lui uniquement pour le prier de ne prendre à mon égard aucune décision indigne de la majesté du siège apostolique. Ce fut alors que me remettant l'acte dressé par Humbert, il exigea, « en toute raison et justice, » dites-vous, et se­lon moi contre toute justice et par une insupportable tyrannie, que je le revêtisse de ma signature. Je reconnais ma faute; elle fut énorme; la crainte de la mort n'aurait pas dû m'empêcher de dé­fendre jusqu'au dernier soupir une vérité que je garde toujours

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au fond du cœur. Mais enfin j'eus cette faiblesse, je cédai, j'acceptai l'écrit rédigé par HumLert et je sauvai ma vie1. » Sauf la prétention de se poser en martyr, Bérenger, on le voit, ne dit rien qui ne nous ait déjà été appris par Lanfranc. Quant au prétendu danger que courait sa vie, la bienveillance qu'Hildebrand lui avait témoignée comme légat du saint-siége au concile de Tours, la mansuétude avec laquelle devenu pape il le traita encore prouvent qu'on n'avait nullement à Rome soif du sang de Bérenger.

 

44. La pape Nicolas II,  Ie synode de Latran, l'Église catholique tout entière ne voulaient point la mort de l'hérésiarque mais sa conversion. On la crut sincère; les exemplaires de sa rétractation envoyés aux diverses provinces ecclésiastiques d'Italie, des Gaules et d'Allemagne, furent reçus avec grande joie par les orthodoxes. L'hérésie y comptait un certain nombre d'adhérents, on espérait qu'ils imite­raient la soumission de leur chef. Des mesures furent prises en ce sens. Nous avons encore un décret synodal rédigé à Rouen par le saint archevêque Maurille pour ordonner que, dans chaque concile provincial et dans chaque synode diocésain, évêques et prêtres feraient solennellement profession de foi à la présence réelle en ces termes : «  Nous croyons de cœur et professons de bouche que le pain présenté à la table du Seigneur est au moment de la consé­cration changé par la puissance ineffable de Dieu, que sa nature et substance de pain sont converties en la substance et nature de la chair adorable du Sauveur, cette chair conçue de l'Esprit-Saint, née de la vierge Marie, flagellée plus tard pour la rédemption du genre humain, attachée à la croix, déposée dans le tombeau, ressuscitée le troisième jour et maintenant assise à la droite de Dieu le Père. De même, le vin mêlé d'eau offert dans le calice après la consécration est vraiment et essentiellement changé au sang que la lance du soldat fit couler pour le salut du monde du cœur de Jésus en croix. Anathème à tous ceux qui, dans une incrédulité superbe et une inso­lente hérésie, blasphémeraient cette foi sainte et apostolique2. »

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1  Berengar. De sacra Coma. Édit. Vischer, p. 71 et sq.

2  B. Mauril. Rotkomag. Profcs. fidei de sucrament. corpor. et sang. Christi. Patr. Lat. T. CXLIII, col. 1383.

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45. La mission de Lanfranc près du pape Nicolas II et du concile romain avait, nous l'avons dit, un objet complètement différent de la cause de Bérenger. Il s’agissait de pourvoir aux intérets religieux de de la Normandie et de réhabiliter le mariage du duc Guillaume avec sa parente Mathilde de Flandre. « Le prieur du Bec, dit l'hagiographe, se présenta au synode pour plaider la cause du duc Normand et de sa jeune épouse. Il représenta que l'interdit lancé sur la province neustrienne n'avait nullement frappé ceux qu'on voulait atteindre. Les fidèles seuls en souffraient, bien qu'ils n'eussent en rien favorisé l'union illégale de leur suzerain et qu'il ne fût point en leur pouvoir de la faire rompre. Il suppliait donc le pape d'user de son autorité apostolique pour accorder les dis­penses nécessaires et réhabiliter un mariage que des raisons poli­tiques avaient seules déterminé et que le duc Guillaume se montrait résolu à maintenir. Le pontife accueillit favorablement cette re­quête; il accorda la dispense dans les termes où elle lui était demandée, mais à la condition que le duc fonderait un monastère d'hommes et la duchesse un couvent de femmes, où jour et nuit des serviteurs et des servantes de Dieu prieraient pour leur salut et travailleraient à l'éducation des enfants de la Neustrie1. » Après cette heureuse négociation, Lanfranc repartit en toute hâte. Son retour en Normandie fut une marche triomphale. Il apportait l'heureuse nouvelle de la paix conclue entre le saint siège et le puissant duc Guillaume. « Celui-ci, reprend l'hagiographe, accepta avec reconnaissance la condition imposée par le souverain pontife. Deux abbayes furent immédiatement fondées à Gaen, l'une d'hommes sous le vocable de Saint-Étienne, l'autre de femmes sous l'invoca­tion de la sainte Trinité. » Guillaume se réservait de nommer Lan­franc premier abbé de Saint-Étienne, aussitôt que les constructions seraient terminées. Elles ne le furent qu'en 1063. Dans l'intervalle, l'abbaye du Bec ne cessa de voir augmenter le nombre des religieux et des disciples que les leçons de l'illustre maître attiraient de tous les points du monde.

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1 U. Laii'ranc. Yita; Patr. Lat. ï'oru. CL, col. 3Ï.

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   53. En face d’un épiscopat plus féodal que chrétien et si profondément gangrené par la lèpre de la simonie, on ne saurait s'étonner du progrès que continuait à faire dans les Gaules l'hérésie de Bérenger. Sauf en Normandie, où l'influence et les écrits de Lanfranc prémunissaient les fidèles contre la doctrine des sacramentaires, la nouvelle secte étendait partout ses ravages. Alexandre II dans une lettre que ne nous est point parvenue s'adressait à l'hé­résiarque pour lui rappeler ses rétractations précédentes et l'invi­tait à donner l'exemple d'une humble soumission à la foi catho­lique. En même temps, saint Maurilius archevêque de Rouen dans un synode provincial anathématisait de nouveau ces erreurs tant de fois condamnées. Les docteurs catholiques, Guitmond plus tard évêque d'Aversa, Durand de Troarn, Algerus moine de Cluny et saint Pierre Damien lui-même joignirent leurs efforts à ceux de Lanfranc pour mettre en lumière la vérité du dogme eucharistique. L'obstination de l'écolàtre de Tours n'en fut point ébranlée; son génie superbe paraissait se complaire dans une lutte qui jetait son nom à tous les échos de la publicité. La lutte l'enivrait; les injures contre la papauté atteignaient sous sa plume des proportions jus­que là inouïes. Les contemporains avaient gardé le souvenir de sa réponse à Alexandre II, comme d'un monument de haine satanique. Elle ne nous a point été conservée. Il serait curieux de savoir jusqu'à quel point Bérenger s'engagea d'intérêt avec les partisans du schisme de Cadaloüs. L'alliance entre les sacramentaires du XIe siècle et la faction simoniaque de l'antipape césarien était chose naturelle. D'un côté comme de l'autre on faisait litière de la foi et de la discipline ecclésiastique; un sacerdoce marié ne pouvait recon­naître le dogme de la présence réelle et un sacerdoce marié ne pouvait s'établir que sous la protection toute puissante de César. L'erreur suivait en Occident la même route qu'elle avait tenue à Byzance, elle procédait au XIe siècle avec Bérenger comme nous la

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1. S. Petr. Dam. Iter Gallic. Patr. Lat. Tom. CXLV, col, 873.

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p459 CHAP.   IV.     UNE   ANNÉE  DE   PAIX. 

 

verrons procéder au XVIe avec Luther et Calvin. L'hérésie de Bérenger avait attiré l'attention sur une pratique jusque là tolérée par l'Église, malgré les abus de plus d'un genre qui en pouvaient résulter. Nous avons vu qu'au temps du vénérable Bède le nombre des messes qu'un prêtre célébrait chaque jour était facultatif. Alexandre II par une constitution apostolique dont il ne nous reste qu'un fragment détaché formulait en ces termes la règle à suivre : « Il suffit d'une seule messe par jour à chaque prêtre, puisque Jé­sus-Christ n'a souffert qu'une seule passion pour racheter le monde entier. Ce n'est point chose qu'on puisse traiter légèrement que la célébration de la messe; heureux le prêtre qui serait capable d'en dire une seule avec toutes les conditions requises! En cas de néces­sité on pourrait tolérer la célébration par le même prêtre, le même jour, d'une messe des morts et de la messe du jour. Mais il faut s'ar­rêter là. Quant à ceux qui par un motif de cupidité ou par complai­sance pour les laïques célèbrent plusieurs messes par jour, je ne crois pas qu'ils puissent éviter la damnation 1. »

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