Convocation du Concile 2

Darras tome 42 p. 136

 

4. Le 8 septembre suivant, Pie IX adressait un second appel, non plus à ceux du dedans, mais à tous les évêques du rit orien­tal, qui ne sont pas en communion avec le Siège Apostolique. — « Nous tournons, disait le Pontife, nos regards et Notre cœur paternel vers ces Eglises qui, étroitement unies autrefois à ce Siège apostolique par le lien de l'unité, brillaient si glorieusement par la sainteté et la céleste doctrine, produisaient des fruits abondants pour la gloire de Dieu, pour le salut des âmes, et qui, maintenant, par suite des criminels artifices et des machi-

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nations de celui qui a le premier excité le schisme dans le ciel, restent, à Notre grande douleur, éloignées et séparées de la communion de la sainte Église romaine, qui est répandue dans tout l'univers.

 

« C'est pour cela que, dès les premiers jours, de Notre avè­nement au suprême Pontificat, Nous vous avons adressé, avec toute l'affection de Notre cœur, des paroles de paix et de charité. Quoique ces paroles n'aient pas obtenu le succès que nous dési­rions si vivement, jamais Nous n'avons perdu l'espérance de voir Nos humbles et ferventes prières exaucées par l'Auteur très clément et très bon du salut et de la paix, qui a opéré le salut au milieu de la terre, et qui, venu d’en haut pour montrer dans son éclat la paix qu'il aime et qu'il veut voir aimée de tous, l'a annoncée dès sa naissance par le ministère des Anges aux hommes de bonne volonté, l'a enseignée en demeurant parmi les hommes, et l'a prêchée par son exemple.

 

« Comme nous avons dernièrement, de l'avis de nos vénéra­bles Frères les Cardinaux de la sainte Eglise romaine, annoncé et convoqué un Concile œcuménique pour être célébré à Rome l'année prochaine, au jour qui est consacré, le 8 du mois de dé­cembre, à la Conception immaculée de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, nous élevons encore une fois notre voix vers vous, et avec toutes les forces de notre âme, Nous vous prions, Nous vous avertissons et Nous vous conjurons de venir à ce même Concile, de même que vos ancêtres vinrent au deu­xième Concile de Lyon tenu par notre Prédécesseur, le bienheu­reux Grégoire X, de glorieuse mémoire, et au Concile de Flo­rence tenu par notre prédécesseur Eugène IV, d'heureuse mé­moire, afin que les lois de l'ancienne affection soient renouvelées, que la paix de nos Pères, ce don céleste et salutaire de Jésus-Christ que le temps a affaiblie, reprenne une nouvelle vigueur, et qu'ainsi brille aux yeux de tous, après une longue nuit d'af­fliction et après les noires ténèbres d'une division prolongée, la lumière sereine de l'union désirée.

 

« Que ce soit là le fruit très agréable  de bénédiction par

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lequel Jésus-Christ le Seigneur et le Rédempteur de nous tous console en ces temps malheureux son épouse immaculée et très chère, l'Église catholique, modère ses larmes et les essuie, et que toute division étant entièrement effacée, les voix aupara­vant discordantes se mettent à louer avec une parfaite unani­mité d'esprit le Dieu qui ne veut pas que des schismes existent enlre nous, mais qui nous a ordonné par la bouche de l'Apôtre de n'avoir qu'une même parole et qu'un même sentiment. Et d'immortelles actions de grâces seront rendues au Père des miséricordes par tous ses Saints, et surtout par ces très glorieux et anciens Pères et docteurs des Églises orientales, lorsque, du haut du Ciel, ils verront restaurée et rétablie l'union avec ce Siège Apostolique, qui est le centre de la vérité catholique et de l'unité, cette union qu'ils ont travaillé avec tant d'ardeur et avec un infatigable zèle, à promouvoir par leur doctrine et par leur exemple pendant leur vie terrestre, parce que le Saint-Esprit avait répandu dans leurs cœurs, la charité de Celui qui a ren­versé le mur de séparation, qui a tout réconcilié et pacifié par son sang, qui a voulu que l'unité fût le signe auquel se recon­naîtraient ses disciples, et qui a adressé à son Père cette prière: Je prie pour que tous soient un, comme Nous sommes un (1).   »

 

Cet appel si touchant du Pape, aux malheureux sectateurs de Nestorius et d'Eutychès, de Dioscore et de Photius, provoque aux plus graves réflexions.

 

L'Orient donne, tous les jours, au monde, la lumière du soleil ; dans la suite des siècles, il a donné, une fois, la lumière d’En-Haut. Sous le rapport physique, l'Orient est un point variable, suivant les degrés du méridien, qui marque, pour chaque peu­ple, le lever de l'aurore ; sous le rapport moral, c'est un point fixe dans l'histoire qui a fait luire, sur les peuples infidèles, la splendeur de l'éternelle justice.

 

Outre ces deux Orients du ciel, il y a l'Orient de la géographie. C'est cette partie du monde qui s'étend de Constantinople à

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(1) Acta offîcialia t. 1, p. 72.

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Péking, de l'Océan Pacifique aux mers du pôle Nord. Vingt peuples s'agitent sur son immense étendue; soixante siècles ont condensé, comme à plaisir, dans les fastes de leur orageuse existence, toutes les ténèbres et toutes les lumières de l'histoire. Les vallées de ce fatidique Orient ont abrité, dans leurs replis, les premiers hommes ; ses déserts ont vu passer la tente voya­geuse des Patriarches ; ses montagnes, ont vu périr les premiers établissements du genre humain. A ses extrémités orientales, deux empires, dont la science ne détermine pas encore parfai­tement les origines ; mais qui croupissent, depuis des siècles, dans toutes les corruptions de l'infidélité. A son centre, des peuples encore sauvages ; puis, en se rapprochant vers l'Occi­dent, le berceau du grand empire qui absorba, pour ainsi dire, dans la succession de ses révolutions et de ses conquê­tes, la mission prophétique de la gentilité. Ici, Ninive et Babylone ; là, Suse, Persépolis, Ecbatane, Palmyre. Enfin nous tou­chons aux rives enchanteresses de la Mediterrannée, nous découvrons la ville religieuse des anciens âges, Jérusalem ; et si nous traversons la molle lonie, nous trouvons la cité qui fut longtemps la capitale d'Orient, Constantinople des Grecs, Stam­boul des Turcs Ottomans.

 

Cet Orient soulève un monde de questions. Dans le public affairé de la politique, dès que vous prononcez ce mot, censé banal, de «Question d'Orient, » vous voyez tout-à-coup mettre en cause les traités chinois, la civilisation de l'Inde, l'intégrité de la Perse, l'indépendance de l'Egypte, l'autonomie de l'empire Turc, et les menaces de la Russie. Dans le monde religieux, éclairé par une lumière plus haute, ces questions, insolubles par les armes, se résolvent en celui, que Tertullien appelle solutio omnium difficultatum Christus, le Christ l'unique solution de toutes les difficultés. Oui, le Christ perdu ou ignoré, mais cher­ché jusqu'à ce qu'on le trouve, voilà, en son fond vrai, la Ques­tion d'Orient. L'histoire, avons-nous dit, est un grand drame, dont Dieu est le premier acteur, et Jésus-Christ le premier héros. L'application très claire de ce principe, c'est que tous les

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débats soulevés, du Taurus au Fleuve Bleu ont pour objet de savoir si l'on reconnaîtra, oui ou non, Jésus-Christ avec ses révélations, l'Église de Jésus-Christ avec son autorité. L'infidé­lité l'ignore, le schisme le conteste : de là l'appel de Pie IX aux schisinatiques d'Orient.

 

L'appel du Pape s'adresse à cette portion de l'Orient qui va des bords de l'IIissus à la Propontide, et de la Propontide aux rives du Jourdain : Athènes, Constantinople, Jérusalem, voilà les trois foyers de vie que veut rallumer Pie IX. Et quand vous repassez dans votre mémoire tout ce que Dieu a fait pour ces régions, vous ne pouvez vous empêcher de crier : Ah ! combien grande est la foi du souverain Pontife, et que magnifiques sont ses espérances!

 

Déjà, dans l'antiquité, Athènes et Jérusalem étaient les deux lumières du monde : Jérusalem était la cité de Jéhovab, Athènes, la ville de la civilisation ; Jérusalem, possédait l'arche de l'al­liance et du vrai Dieu ; Athènes symbolisait, dans ses mythes, les vieilles traditions des nations; Jérusalem, voyait régner les juges et les rois; Athènes opposait, aux David et aux Salomon, les Périclès, les Solon et les Lycurgue ; Jérusalem tressaillait aux accents des prophètes ; Athènes, frémissait aux chants d'Homère et d'Hérodote, de Sophocle et de Pindare, de Platon et d'Hippocrate. Malheureusement Jérusalem lapidait ses pro­phètes ; mais aussi Athènes faisait manger à tous ses Sacrates le pain de l'exil, ou boire la ciguë de l'Aréopage. Et déjà, au milieu de tant de gloire, vous voyez poindre la menace de la réproba­tion. En attendant l'heure fatale, Athènes devait conquérir le monde à son goût, et Jérusalem le conquérir à sa foi.

 

Quand les dieux de l'Hélicon et du Pinde l'eurent cédé au Dieu du Sinaï et de Sion, la Grèce mit au service de la vérité, le génie dont la grâce avait tant de fois paré l'erreur. Jérusalem, de juive devenue chrétienne, eut, de nouveau, ses Isaïe et ses Esdras ; Athènes, renforcée des deux villes récentes d'Alexandrie et de Constantinople, devint la ville de la théologie et de l'éloquence. D'abord, de Jérusalem partait l'étincelle qui devait embraser le

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monde ; aussitôt Athènes donnait, à la prédication de l'Évangile, sa langue merveilleuse. Alexandrie devenue l'entrepôt des trois continents qui commencent à se connaître, offre, dans Philon une ébauche de savants, qu'achèvent les Clément, les Origène, les Cyrille, les Athanase ; et présente dans les cellules de ses Thérapeutes le type des laures qui vont se grouper autour de la caverne d'un Paul pui d'un Antoine. Jérusalem et ses alentours nous montrent un second Cyrille, un Justin, un Jean Damascène. Damas, Antioche et Éphèse rivalisent, pour leurs écoles, avec Alexandrie. Constantinople applaudit ses Grégoire et son incom­parable Chrysostome. A Césarée de Cappadoce, S. Basile ; dans chaque cité souvent, dans une bourgade de l’Asie-Mineure, vous entendez les fidèles échos de ces grandes voix. Dans le court espace de quelques siècles, l'Orient chrétien s'illustre à jamais par l'abondance de la fécondité et par l'éclat incontesté de mille chefs-d'œuvre.

 

   Au milieu de toutes ses gloires, la Grèce n'avait jamais su rien achever. L'antiquité païenne l'appelait déjà la Grèce menteuse : Grœcia mendax: et lui reprochait un certain appétit malsain pour le mensonge ; les temps modernes lui reprochent la manie des vaines disputes et je ne sais quel funeste esprit de division: ces jugements obtiennent l'assentiment de Bossuet. Sans vouloir contester avec ce grand homme, il semble qu'il n'y a là qu'une vue partielle des choses. A promener sur l'antique Hellade et sur la Grèce moderne, un regard sommaire, elle vous fait l'effet d'un de ces hommes à qui il ne manque rien que le jugement, et qui ne possèdent, par suite, qu'une stérile abondance ou une puisssance fatale. La Grèce a su concevoir le vrai, le beau et le bien, elle n'a su ni aimer, ni agir. La Grèce est la nation des avortements. Sauf ses œuvres d'art, elle n'a su rien poursuivre et rien terminer. Dieu lui a refusé l'honneur de former un peu­ple. Quand la fortune des conquêtes a souri à ses drapeaux, elle est allée sottement se noyer à Babylone avec Alexandre, dans la coupe d'Hercule. Ses manies, bizarrement frivoles et lâche­ment criminelles, ont jeté la pierre à Jean Chrysostome comme

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à Thémistocle. La Grèce aussi a tué ses prophètes. Après avoir applaudi aux plus nobles accents de la langue humaine, elle s'est enthousiasmée pour des chevaux et des courtisanes, elle s'est usée dans les cirques et les disputes de ses théologastres.

 

Son mal est venu de ce qu'elle n'a pas su connaître Jésus-Christ. Un de ses prêtres a nié la divinité du Sauveur et jeté le monde chrétien dans trois cents ans de discordes ; un de ses évêques a nié la divinité du Saint-Esprit ; un archevêque et un archimandrite ont méconnu, dans un sens contraire, la personnalité du Rédempteur. Puis sont venus les Monothélites et les Iconoclastes ; puis Photius et Michel Cérulaire. La Grèce s'est heurtée successivement à tous les articles du symbole de la foi, et, après avoir reconnu toutes ses erreurs, elle les a toutes reprises en niant l'Église. A propos du Filioque, une hérésie ridicule, à propos de la souveraineté des Papes, fait le plus évidemment évangélique, elle est passée, des disputes de ses écoles, sous le joug du Turc.

 

Alors s'est accomplie sur cette église la vengeance de Dieu : Onus Graeciœ, dirait Isaïe, fardeau des vengeances divines sur les épaules coupables de la Grèce !

 

D'abord elle a été condamnée à la servitude. Dans son orgueil, Constantinople s'était appelée la seconde Rome ; ses patriarches croyaient se rendre indépendants, et en réalité ils se rendirent esclaves des empereurs d'Orient. Quand ils furent dignes de leur mission, ils tombèrent victimes du favoritisme; quand ils ne furent pas dignes, on les vit adulateurs complaisants de ces Messalines qui ont si souvent déshonoré jusqu'au trône de Bysance. Personne, dès lors, ne voulut plus subir leur autorité et les schismes vinrent punir le schisme. Lorsqu'il ne furent plus que l'ombre d'un grand nom, il fallut acheter de la Sublime-Porte ce firman d'institution qu'ils ne voulaient pas recevoir de Rome.

 

Ensuite la Grèce fut condamnée à la stérilité. Depuis le schis­me elle n'a ni un savant ni un saint. Où sont ses Fénelon et ses Bossuet? où ses François de Sales et ses Vincent de Paul? C'est

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à l'histoire à répondre, et son silence, comme dit Rohrbacher, est la plus terrible des réponses.

 

Enfln elle a été condamnée à l'impuissance. La nationalité s'est perdue ; le Grec est devenu un faquin, un saltimbanque ou un escroc: c'est pire encore que l'ancien Grœculus, si méprisé dans la Rome des Césars.

 

Le regard de Pie IX s'arrêtant sur ces tristes ruines, a vu, en Orient, le berceau et le tombeau du Sauveur, un berceau qu'il refuse de fermer, un tombeau qu'il ne faut pas rouvrir. La charité du Christ l'a pressé d'élever la voix ; il a fait entendre, aux Grecs, la voix de l'unité. Héritiers indignes des Basile et des Chrysostome, ce qu'il s'agit de refaire, ce n'est pas la copie d'un passé quelconque ni l'injonction, pour vous, de nouveaux abaissements ; vous avez assez descendu, il faut remonter. Il faut replanter la croix Pontificale, non pas sur le tombeau d'Homère, comme le disait notre XVIIe siècle, mais sur la tombe oubliée de vos patriarches. Alors, mais alors seulement, vous reverrez, à l'ombre de la croix, se relever le sceptre, trop longtemps méprisé, du grand Constantin.

 

Telle est la question d'Orient, et telle est la portée de l'appel aux Grecs.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon