Définition et Suspension 3

Darras tome 42 p. 248

 

   64.  Le 18 juillet eut lieu, avec la solennité accoutumée, la quatrième session du Concile. Aux 533 votants placet, ne répondent que 2 non placet. On remarqua le placet du cardinal Guidi, ainsi que des archevêques d'Avignon, de Reims et de Sens, qui avaient marché constamment avec la minorité. Si aux 2 non placet on ajoute les 55 abstentions, on a 533 contre 57, c'est-à dire une proportion de 10 à 1, ce qui constitue l'una­nimité morale. Pendant que le vote s'effectuait, un orage écla­tait sur Saint-Pierre et sur Rome : c'est au bruit du tonnerre et à la lueur des éclairs, comme autrefois sur le mont Sinaï, qu'a été promulguée cette constitution qui doit sauver le monde en sauvant la vérité et l'autorité.

 

Et lorsque le Pape eut déclaré, après le vote, qu'il confir­mait, définissait à son tour et promulguait la vérité approuvée par le Concile, une émotion indicible s'empara de la sainte assemblée ; de longues acclamations, répétées par le peuple, retentirent sous les voûtes de l'immense basilique : Vive Pie IX! vive le Pape infaillible! criait-on de toutes parts, et ce ne fut qu'après un assez long temps que le Saint-Père put faire entendre ces paroles solennelles : « L'autorité du souverain Pontife est grande, mais elle ne détruit pas, elle édifie. Elle n'opprime pas, elle soutient et très souvent elle défend les droits de nos frères, c'est-à-dire les droits des évêques. Que

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si quelques-uns n'ont pas bien voté avec nous, qu'ils sachent qu'ils ont voté dans le trouble, et qu'ils se rappellent que le Seigneur n'est pas dans le trouble. Qu'ils se souviennent aussi qu'il y a peu d'années, ils abondaient dans notre sens et dans le sens de cette vaste assemblée. Quoi donc ? Ont-ils deux con­sciences et deux volontés sur le même point ? A Dieu ne plaise ! Nous prions donc le Dieu qui seul fait les grandes merveilles, d'illuminer leur esprit et leur cœur, afin qu'ils reviennent au sein de leur Père, c'est-à-dire du souverain Pontife, Vicaire indigne de Jésus-Christ, afin qu'il les embrasse et qu'ils travail­lent avec nous contre les ennemis de l'Eglise de Dieu. Fasse, oh! fasse Dieu qu'ils puissent dire avec Augustin : « Mon Dieu, vous nous avez donné votre admirable lumière, et voici que je vois. » Ah ! oui, que tous voient! Que Dieu répande sur vous ses bénédictions ! » Puis le Pape donna sa bénédiction d'une voix vibrante et émue, puis le Te Deum fut entonné par le Concile, et le peuple y répondit avec un enthousiasme et des transports ardents.

 

Le Proœmium de la définition expose qu'en la doctrine sur l'institution, la perpétuité et la nature de la sainte primauté apostolique consistent la force et la solidité de toute l'Eglise. Cette primauté est le principe permanent, le fondement visible, la cause efficiente, et non seulement le signe de cette double unité par laquelle l'épiscopat est maintenu un et indivisible ; et par laquelle les fidèles et les prêtres se conservent dans la même communion de foi et de charité. Le chapitre premier traite de la primauté apostolique dans la personne du B. Pierre. La primauté de juridiction a été conférée à Pierre immédiate­ment et directement. Il est donc hérétique de nier, avec les protestants, l'institution divine de la primauté; ou, en admet­tant cette institution divine, d'enseigner avec Macaire, qu'elle a été conférée à tout le collège des apôtres ; ou de prétendre, avec Richer, Dupin et le synode de Pistoie, qu'elle a été confé­rée par Jésus-Christ à l'Eglise et que Pierre n'est que son ministre. — Le second chapitre est consacré à la perpétuité  de

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p250    Pontificat de pie iv (1810-1878)

 

la primauté. Pierre vit et règne, juge et gouverne en ses suc­cesseurs et ces successeurs sont les évêques du Saint-Siège de Rome. La première de ces vérités est de droit divin, la seconde est un fait dogmatique défini par le Concile et par là devenu objet de foi. — Le troisième chapitre traite de la force et de la raison de la primauté. Le Pontife romain est le successeur de Pierre, le vrai vicaire de Jésus-Christ, le chef de l'Eglise, le père et le docteur des chrétiens ; il a le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Eglise universelle. Le pouvoir de régir et de gouverner ou le pouvoir de juridiction est épiscopal, immédiat, ordinaire, sur les pasteurs aussi bien que sur les fidèles : dans les choses qui concernent la foi et les mœurs aussi bien que dans celles qui appartiennent à la discipline et au gouvernement de l'Eglise universelle. Ce pouvoir du Pape ne préjudicie point au pouvoir ordinaire des évêques, ni au pouvoir judi­ciaire des métropolitains. De cette autorité de gouvernement dé­coulent deux conséquences : la première, que l'autorité sécu­lière n'a aucun droit d'empêcher le Pontife romain dans l'exer­cice de sa charge ; la seconde, que l'on peut recourir à son juge­ment dans toutes les causes et que l'on ne peut pas appeler de son jugement au Concile. Ainsi se trouvent condamnés les divers systèmes de Fébronius, d'Eybel, de Tamburini et des gallicans qui prétendaient que le pouvoir du Pape n'est qu'extraordinaire, réduit à des cas exceptionnels ; qu'il ne s'exerce que médiatement par les métropolitains; qu'il n'existe qu'en matière de foi et de mœurs, non en matière de discipline et d'administration ; enfin qu'il ne tombe que sur les évêques individuellement pris, mais qu'il est inférieur au Concile.

 

Le chapitre quatrième traite du magistère infaillible du Souve­rain Pontife. Le Saint-Siège, les Conciles œcuméniques, l'Eglise entière ont toujours cru que le pouvoir suprême du magistère est compris dans la primauté apostolique. Le quatrième concile de Constantinople, le second concile de Lyon, le concile de Florence se sont expliqués là dessus en termes non équivoques. Une pratique  constante a confirmé ces  déclarations. Les évê-

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ques de l'univers n'ont cessé de signaler aux Papes les périls de la vérité et les Papes n'ont cessé de les conjurer par des défini­tions infaillibles. L'infaillibilité a pour but de conserver dans l'unité l'Eglise entière ; elle n'a pas pour objet de promulguer une doctrine nouvelle, mais seulement de garder le dépôt de la foi. « Ce don de la vérité et de la foi qui ne faillit pas, dit le Concile, a donc été divinement accordé à Pierre et à ses succes­seurs dans cette chaire, afin qu'ils s'acquittassent de leur charge éminente pour le salut de tous; afin que tout le trou­peau du Christ, éloigné par eux du pâturage empoisonné de l'erreur, fût nourri de la céleste doctrine; afin que, toute cause de schisme étant enlevée, l'Eglise fût conservée tout entière dans l'unité, et qu'appuyée sur son fondement, elle se maintint inébranlable contre les portes de l'enfer. Or, à cette époque, où l'on a besoin plus que jamais de la salutaire efficacité de la charge apostolique, et où l'on trouve tant d'hommes qui cher­chent à rabaisser son autorité, Nous pensons qu'il est tout à fait nécessaire d'affirmer solennellement la prérogative que le Fils unique de Dieu a daigné joindre au suprême office pastoral.

 

  « C'est pourquoi, Nous attachant fidèlement à la tradition qui remonte au commencement de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu Notre Sauveur, pour l'exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, Nous enseignons et définissons, sacro approbante concilio, que c'est un dogme divi­nement révélé : Que le Pontife romain, lorsqu'il parle, ex cathe­dra, c'est-à-dire lorsque, remplissant la charge de pasteur et docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême auto­rité apostolique, il définit qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par l'Eglise universelle, jouit pleinement, par l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le Divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue en définissant sa doctrine touchant la foi ou les mœurs; et, par conséquent, que de telles définitions du Pontife  romain  sont irréformables

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p252   PONTIFICVT   DE   PIE   IX   (184G-1878)

 

par elles-mêmes, et non en vertu   du   consentement de l'Eglise (1). »

 

   65. Il y a, dit Mgr Manning, six points à noter dans cette défi­nition : 1° Elle donne le sens de cette phrase : Loquenss ex cathe­dra, parlant avec l'autorité du docteur suprême de tous les chrétiens et faisant obligation à toute l'Eglise ; 2° elle détermine le sujet de son enseignement infaillible, savoir, la doctrine de la foi et des mœurs; 3° la cause efficiente de l'infaillibilité, c'est-à-dire l'assistance divine promise à Pierre et à ses successeurs; 4° l'acte auquel est attachée la divine assistance, la définition des doctrines de foi et de mœurs; 5° la valeur dogmatique des définitions ex cathedra, irréformables parce qu'elles sont infail­libles, et non parce que l'Eglise ou quelque partie de l'Eglise y donne son assentiment. Par le mot loquens ex cathedra, se trou­vent exclus de l'infaillibilité tous les actes du Pontife comme personne privée, comme docteur particulier, comme évêque local ou comme souverain d'un Etat. L'expression la foi et les mœurs comprend toute la révélation de la foi, la voie entière du salut, l'ordre surnaturel avec tout ce qui est essentiel à la sanctification et au salut par Jésus-Christ. L'autorité doctrinale de l'Eglise n'est donc pas restreinte aux matières de la révéla­tion, mais s'étend aussi aux vérités positives qui ne sont pas révélées (vérités de rêverie, vérités d'histoire, faits dogmati­ques) toutes les fois que l'autorité doctrinale ne peut pas dûment s'exercer dans la promulgation, l'explication et la défense de la révélation, sans qu'elle juge sur ces matières et ces vérités. La cause efficiente de l'infaillibilité, l'assistance divine, n'est pas une révélation nouvelle, ni un effet d'inspiration; les Papes sont témoins, docteurs et juges de la révélation déjà faite à l'Eglise, et, quand ils remplissent l'office de garder, d'exposer et de défendre cette révélation, leurs jugements sont préservés de l'erreur en vertu d'une assistance divine. Cette assistance est exclusivement de l'ordre surnaturel. Les actes auxquels est attachée l'assistance divine sont les définitions en matière de foi

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(1) Acla ofpcialia Conc. valic. t. II, p. 223.

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et de mœurs. Les doctrines sur lesquelles tombent ces définitions sont des vérités révélées, traditionnellement transmises par l'autorité enseignante. Les définitions qui les déterminent, ne sont pas des définitions logiques procédant par le genre et la différence; ce sont des jugements précis, une sentence par laquelle sont formulées avec autorité les vérités traditionnelles relatives à la foi et aux mœurs et terminant les questions dou­teuses. Tout le magistère ou l'autorité doctrinale du Pontife comme docteur suprême est compris dans cette définition. Par là s'y trouvent compris les actes législatifs et judiciaires, en tant qu'ils sont inséparablement liés à l'autorité doctrinale. A cette autorité se rapportent aussi les lois de discipline, la canonisation des saints, l'approbation des ordres religieux, des dévotions, toutes choses qui renferment implicitement les véri­tés et les principes de foi, de morale et de piété. L'extension de l'autorité infaillible va jusqu'aux limites de l'office doctrinal de l'Eglise. Quant à leur valeur dogmatique, les actes ex cathe­dra sont irréformables en eux-mêmes et par eux-mêmes ; ils possèdent une infaillibilité intrinsèque en matière de foi et de mœurs en excluant l'influence de toute autre cause d'infaillibi­lité. Les évêques réunis ou dispersés, par un consentement exprès ou tacite ne sont point appelés nécessairement à corro­borer le jugement du pape (1).

 

66. La définition rendue au milieu des foudres et des tonnerres, s'imposait au monde pendant que la guerre entre la France et la Prusse tenait en suspens toutes les nations. Le bruit s'était répandu que les prélats français s'opposaient à l'infaillibilité ; on dit même qu'ils se réunirent à Grenoble à cette intention ; mais qu'attendre de gens qui avaient fui le Concile, sans saluer le Pape? Une bulle avait été rédigée en vue d'une insoumission; elle eut foudroyé immédiatement les réfractaires; elle fut inutile. L'archevêque de Paris fut harangué, à son retour, par le curé de la Madeleine ; l'abbé Deguerry loua fort l'archevêque d'avoir si dignement représenté l'Église gallicane et se flatta que la

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(1) Hist. du Conc. œcuménique du Vatican, pp. 50 à 110.

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 Actes Paul 1-167

p254  PONTIFICAT   DE   l'IE   I\   (181l)-187b)

 

soumission ne serait obligatoire qu'après la clôture du Concile et la signature de tous les évêques. Le prélat avait agréé cette ouverture et tout en se disant romain avait cru au renvoi de la soumission obligatoire. En quoi il se trompait singulièrement. Les décrets de Trente avaient eu besoin de la confirmation du Pape, puisqu'il était absent; il n'en était pas de même du Con­cile du Vatican dont les décrets promulgués en séances publi­ques, furent immédiatement continués par le Pape. De plus, si les décrets disciplinaires, pour obliger, ont besoin de promulga­tion, il n'en est pas de même des décrets dogmatiques. D'ail­leurs, pour ôter à l'erreur tout prétexte de sédition, Pie IX avait fait afficher, publier, dans les formes ordinaires, les décrets du Vatican. La publication épiscopale dans les divers diocèses n'était donc pas nécessaire, pour que les décrets fussent obligatoires. Dans une lettre au nonce de Bruxelles, le cardinal Antonelli dissipa tout doute à cet égard. Quiconque se fut mis en opposition, fut-il prêtre ou évêque, eut quitté le chemin du devoir, pour se perdre misérablement dans les voies du schisme et de l'hérésie.

 

Après des déclarations aussi expresses; il n'était plus possible à l'erreur de trouver de nouveaux retranchements. Le jour même de la définition les deux opposants avaient fait, entre les mains du Pape, acte explicite et solennel de soumission ; tous les autres eussent du imiter cet exemple. Au milieu des mal­heurs et des craintes de la guerre, plusieurs évêques ne tar­dèrent pas à le suivre. Maret, qui avait été l'un des champions de cette malheureuse lutte, se soumit vers le milieu d'octobre et retira son livre. Dès le cinq août, le cardinal Mathieu avait envoyé, au cardinal Antonelli, son acte de soumission ; il en parla, dans un mandement, en termes qui sentent encore le gallicanisme. L'évêque d'Orléans se fit plus attendre ; il parla d'un livre pour détruire le scandale de ses brochures, mais il ne parait pas qu'il y ait jamais travaillé. Six mois après la défini­tion, le Buon Senso, journal de Rome, ne comptait plus, parmi les retardataires, que quatre ou cinq en France, un en Italie, cinq

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ou six en Autriche, deux en Allemagne, pas du tout en Bavière. En somme, sauf Doellinger, il n'y eut pas de rebelle ; quelques soumissions ne furent peut-être pas assez promptes, pas assez complètes, pas assez édifiantes surtout, mais il n'en reste rien. La crise que l'Eglise venait de traverser, avait mis à nu la pro­fondeur du mal et l'avait mise à même d'en extirper les racines. Ainsi guérie, ainsi fortifiée par une cohésion plus complète à son chef visible, cette divine institution pouvait travailler avec plus de succès à la guérison des plaies morales qui rongent la société. Quand le Concile du Vatican n'eut produit d'autre résultat que de resserrer ainsi les liens de l'unité, il faudrait encore saluer sa célébration comme une de ces aspirations céles­tes par lesquelles Dieu, dit Bossuet, remue le ciel et la terre pour enfanter des élus. En ce siècle des grandes défections et des grands retours, l'unité de la foi se dresse en face de l'unité de la négation. Chacun de nous sera donc désormais inévitablement rattaché à la grande armée de la foi qui croit en Dieu, ou a l'armée de la négation qui ne croit qu'en l'homme, c'est-à-dire qui ne croit à rien (1).

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(1) Sambin, Eist. du Concile général du Vatican, p. 178 et seq.

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