Le Syllabus 3

Darras tome 42 p. 47

 

15. A cette encyclique était joint le Syllabus des principales er­reurs de notre temps. Syllabus veut dire abrégé, résumé, catalogue, synthèse. Dans ce Syllabus, Pie IX avait résumé toutes les erreurs qu'il avait précédemment combattues, plus en détail, dans ses allocutions consistoriales, encycliques et au­tres lettres apostoliques; il les avait présentées dans la forme scolaire de courtes propositions, sans exprimer la doctrine posi­tive qui les condamne, s'en référant, pour cette réprobation, à tous les actes publics de son pontificat. Par le fait, le Syllabus n'était donc pas une énonciation dogmatique de la vérité révélée, mais seulement l'indication des erreurs contraires; par où l'on voit combien s'abusent ceux qui disent n'admettre point les doc­trines du Syllabus. De plus, le Syllabus n'était pas un acte nou­veau, mais seulement la table sommaire des actes de Pie IX de­puis son avènement au pontificat; par où l'on voit encore l'er­reur de ceux qui, ayant laissé passer ces actes antérieurs, trouvaient bon de se prendre à la codification qui les résumait.

 

Afin de rendre le Syllabus plus clair, Pie IX l'avait distribué en quatre-vingt proposilions, classées sous dix titres. Le premier paragraphe énonçait les erreurs du panthéisme, du naturalisme et du rationalisme absolu; le second, les erreurs du rationalisme modéré; le troisième, les erreurs de l'indifférentisme et du latitudinarisme; le quatrième, les erreurs du socialisme, du com­munisme, des sociétés secrètes, sociétés bibliques et sociétés clérico-libérales; le cinquième, les erreurs relatives à l'Église et à ses droits; le sixième, les erreurs relatives à la société civile, soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l'Eglise; le sep­tième, les erreurs concernant la morale naturelle et la morale chrétienne ; le huitième, les erreurs concernant le mariage chré­tien, le neuvième, les erreurs sur le principat civil du Pontife

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p48 PONTIFICAT DE pie ix (18IG-187H)

 

Romain; le dixième, les erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne.

 

Dans un siècle de lumières, où rien n'est plus commun que l'ignorance, surtout en matière de religion, pour faciliter l'intel­ligence du Syllabus, Syllabus, Pie IX, après chaque proposition, avait rap­pelé les actes pontificaux où il avait frappé ces erreurs. Pour certaines erreurs, qui n'étaient pas nommées dans le Pie IX n'entendait pas les approuver par son silence, il les rap­pelait virtuellement et renvoyait aux actes où se trouve leur condamnation. Ainsi Pie IX, dans un seul acte synthétique, combattait et réprouvait, par une simple formulation, toutes les erreurs dogmatiques de son temps, sans les qualifier comme dans la Bulle Auctorem fidei, mais se contentant de les stygmatiser comme autant d'erreurs condamnées par la Chaire Apostolique.

 

Pour donner une notion plus explicite du Syllabus, nous ci­tons ici les erreurs relatives à la morale, à la société civile et aux droits de l'Église, toutes questions qui se rapportent directement au pontificat de Pie IX et aux faits principaux de son histoire.

 

« L'État, origine et source de tous les droits, jouit d'un droit qui n'est circonscrit par aucune limite... La puissance civile, même quand elle est exercée par un prince infidèle, possède un pouvoir indirect, négatif sur les choses sacrées. Elle a par conséquent, non seulement le droit qu'on appelle d'exequalur, d'appel comme d'abus... mais encore le droit qu'on nomme Elle peut casser et rendre nuls sans le consentement du Saint-Siège, les Concordats et autres conventions conclues entre elle et lui... Elle peut s'immiscer dans les choses spirituelles, et exiger que les instructions publiées par les pasteurs de l'Église soient sou­mises à son approbation... Elle peut empêcher les fidèles de communiquer librement entre eux et avec le Pontife romain... Elle a par elle-même le droit de présenter les évêques, et peut exiger d'eux qu'ils prennent en main l'administration diocésaine avant d'avoir reçu du Pape l'institution canonique... Bien plus, elle a le droit d'interdire aux évêques l'exercice du ministère pasloral...

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p49  §  II.   —   LE  SYLLABES   

 

« La bonne constitution de la société civile réclame que les écoles publiques soient affranchies de l'autorité de l'Église, et de toute ingérence de sa part...

 

« La puissance laïque peut, de son propre droit, changer l'âge prescrit pour la profession religieuse, enjoindre aux commu­nautés de n'admettre personne aux vœux solennels sans son autorisation... et même supprimer complètement les familles religieuses... et s'attribuer leurs biens...

 

«. Les rois et les princes, non seulement sont exempts de la juridiction de l'Église, mais encore ils sont supérieurs à l'Église quand il s'agit de trancher les questions de juridiction

 

« L'Église doit être séparée de l'Etat, et l'État séparé de l'Église.

 

« Les lois de la morale n'ont pas besoin de la sanction divine, et il n'est pas du tout nécessaire que les législations humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d'obliger... Le droit consiste dans le fait; le mot devoir est vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit... L'autorité n'est autre chose que la somme du nombre et des forces maté­rielles...

 

 « Il est permis de se révolter contre les gouvernements légi­times... La violation du serment et toute action criminelle de­vient licite et digne d'éloges, quand elle est inspirée par l'amour de la patrie...

 

« On ne peut établir, par aucune raison, que le Christ ait élevé le mariage à la dignité de sacrement. Le mariage n'est donc qu'un accessoire du contrat... Les causes matrimoniales, les questions d'empêchements dirimants, appartiennent à la juri­diction civile... La forme prescrite par le Concile de Trente n'oblige pas sous peine de nullité, quand la loi civile établit une autre forme à suivre, et veut qu'au moyen de cette forme le mariage soit valide... De droit naturel le mariage n'est pas in­dissoluble, et dans différents cas le divorce peut être sanc­tionné par l'autorité civile...

 

« La religion catholique ne doit plus être considérée comme religion de l'État ; mais tous les cultes doivent être publique-
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p50  PONTIFICAT  DE   PIE  IX  (181G-187b)

 

ment libres et égaux, devant lui, car il n'existe pas pour lui de vérité religieuse...»

 

De toutes ces erreurs, il n'en est aucune qui ne soit fla­grante, pour quiconque admet simplement les conditions natu­relles de l'ordre social. Dieu est l'être des êtres; l'homme est une créature raisonnable, libre et immortelle ; l'homme est soumis à la loi de Dieu, et tous les établissements humains, famille, société, lois, constitution doivent, non seulement respecter, mais assurer cette subordination de l'homme à Dieu. Or, de nos jours, on ne trouve presque nulle part, dans le droit constitutionnel des nations, ce devoir de subordonner l'homme à Dieu et l'État à l'Église. On pose à l’encontre ce qu'on est convenu d'appeler le libéralisme, c'est-à-dire l'exagération de la liberté, et par suite sa destruction. En principe, le libéralisme est la négation de Dieu dans l'ordre social. Si vous l'envisagez comme dogme, il irait à dire que l'homme en société est exempt de toute loi morale, soit parce qu'il n'y a pas de loi pour diriger sa conscience ; soit parce que cette loi de la conscience se confond avec la conscience elle-même et n'oblige pas; soit enfin parce que, si elle se distingue de la conscience, la con­science a le droit de s'en affranchir. Si vous envisagez le libé­ralisme comme expédient, c'est une liberté de perdition : Ie parce qu'elle produit nécessairement la discorde; 2e parce qu'elle produit non moins nécessairement la démoralisation, au moins dont les masses, dont les illusions et les convoitises per­vertissent promptement la raison et la volonté.

 

 15bis.  Pour échapper à ces conséquences encore plus funes­tes qu'absurdes, les libéraux ont imaginé je ne sais combien de postulats solennels, mais vides. Par exemple, ils disent comme en forme de litanies :

1°   L'Église est dans l'État ; elle forme un État dans l'État;

2° L'État est distinct de l'Église, donc il y a lieu à séparation ;

3° L'État ne peut créer la vérité, donc il ne peut la protéger ;

4° L'État est impersonnel, donc il n'est pas juge compétent en fait de religion;

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p51   §   II    LE   SYLLABES   

 

5° L'État ne peut juger que telle ou telle hérésie viole l'Évan­gile et renverse la religion, car, s'il le pouvait, les États infi­dèles et dissidents auraient alors le droit de proscrire le chris­tianisme.

 

Dans ce fouillis d'allégations, sans preuves et contraires à la vérité catholique, on peut distinguer, avec le Père Liberatore (1), trois systèmes. Ces trois systèmes sont le libéralisme absolu, qui veut l'État libre comme étant supérieure l'Église; le libéra­lisme modéré, qui veut l'État libre comme étant tout à fait indépendant de l'Église, et le libéralisme catholique, qui veut l'État libre non pas en droit, dit-il, mais uniquement en prati­que. Or, le premier est fondé sur la négation de Dieu même, le second sur la négation de son unité et la supposition d'une sorte de dualisme manichéen, le troisième sur l'incohérence et le défaut de logique : ce qu'il admet en théorie il ne l'admet pas en fait. On retrouve les mêmes idées dans l'abbé Chesnel; voici comme il parle du libéralisme dans son bel écrit Les droits de Dieu et les idées modernes : «Le libéralisme c'est la théorie de l'affranchissement, qui livre l'homme à lui-même en niant la dépendance où il est de Dieu. El parce qu'on peut considérer l'homme à trois points de vue, comme individu, comme membre d'une famille ou comme appartenant à la société civile, les libé­raux timides et inconséquents laissent sous l'autorité de Dieu l'individu et la famille; les libéraux hardis et logiques poussent jusqu'au bout l'affranchissement, où ils ne souffrent pas de limi­tes; mais hardis ou timides, inconséquents ou logiques, tous s'accordent à proclamer que l'ordre social ne dépend pas de Dieu. Je proposerai donc de définir le libéralisme l'erreur de ceux qui disent que l'ordre social ou la société humaine ne reconnaît aucun supérieur, pas même Dieu, à qui elle soit sou­mise et de qui elle dépende. » (Page 371.) — « L'erreur libé­rale, dit encore Chesnel, se divise en deux branches principales, qui sont : le libéralisme absolu et complet, le libéralisme incom-

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(1) L'Église et l'Etat dans leurs rapports mutuels par le P. Libératore.

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p52     pontificat de pie ix (184C-1878)

 

plet ou modéré, si l'on aime mieux; sur celle-ci fleurit ce qu'on appelle libéralisme catholique. Ces deux branches sortent vraiment d'une même tige et par la force des choses tendent au même but. Ce qu'elles retiennent en commun, c'est d'ensei­gner l'incompétence de Dieu, donc aussi l'indépendance de l'homme, dans le gouvernement de la vie sociale. » (Préface, p. XIX, cf. pp. XVI-XVIII.)

 

16. Un vaillant adversaire se lève en ce moment contre cette adultération du catholicisme. Il vient de paraître un ouvrage appelé selon nous, à un grand retentissement. Ce livre a été composé par Don Sarday Salvany, docteur en théologie, rédac­teur de la Revista popular de Barcelone, traduit de l'espagnol par la marquise de Trislany et augmenté d'une pastorale des évêques de la République de l'Equateur. L'épigraphe en fait connaître suffisamment la portée : Le naturalisme « qu'on l'ap­pelle rationalisme, socialisme, révolution ou libéralisme, par sa manière d'être et par son essence même, sera toujours la négation franche ou artificieuse mais radicale de la foi chrétienne. » Ces paroles sont empruntées à une lettre des illustrissimes prélats de la province ecclésiastique de Burgos.

 

Avant de paraître, ce livre avait attiré l'attention publique. Un chanoine de Vich, don Pazos, l'avait dénoncé à la Congré­gation de l'Index et avait, de son côté, composé un livre pour motiver sa dénonciation. Or, examen fait des deux écrits, la Congrégation a renvoyé indemne l'ouvrage de don Sarda et mis à l'index l'ouvrage de don Pazos. Et non seulement la congrégation n'a rien trouvé dans l'ouvrage de don Sarda qui soit contraire à la saine doctrine, mais elle a loué l'auteur, «parce qu'il expose et défend la saine doctrine par des arguments solides, développés avec ordre et clarté, sans aucune offense pour personne. » Ce livre est recommandé par là à tout homme instruit, car tout homme instruit doit avoir, sur le libéralisme, un jugement bien arrêté.

 

Don Sarda pose d'abord l'existence  du libéralisme, qu'il fait remonter à 50 ans et qui, selon nous, remonte â 1789. Ensuite

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p53  §   II.   LE   SYLLACU3  

 

il lui assigne les principes d'où découlent et dérivent : la li­berté des cultes, la suprématie de l'État dans ses rapports avec l'Église, l'enseignement laïque ou indépendant n'ayant aucun lien avec la religion, le mariage légitime par l'intervention uni­que de l'État. Son dernier mot, c'est la sécularisation,c'est-à-dire la non intervention de la religion dans les actes de la vie publique, quels qu'ils soient, véritable athéisme social qui est la dernière conséquence du libéralisme.

 

Dans l'ordre des faits, le libéralisme est la réunion des oeuvres inspirées et réglées par ces principes : telles que la confiscation des propriétés ecclésiastiques, l'expulsion des ordres religieux, les attentats de toute nature contre la liberté de l'É­glise; la corruption et l'erreur officiellement autorisées, soit à la tribune, soit dans la presse, soit dans les divertissements et dans les mœurs; la guerre systématique au catholicisme et à tout ce qui est taxé de cléricalisme, de théocratie, d'ultramontanisme et de tout autre nom de passe dont se sert l'hypocrisie des persécuteurs, pour voiler l'odieux de ses attentats.

 

Or, le libéralisme ainsi entendu est un péché; c'est une faute grave, très grave, contre la Société et contre la foi. La raison en est que, dans l'ordre des doctrines, le libéralisme est une grande hérésie, et que, dans les faits, il constitue une im­moralité radicale. Le libéralisme n'est pas seulement une faute pour les individus qui en font profession authentique; il est encore le grand crime du XIXe siècle, par quoi la révolution satanique continue ses ravages.

 

Le libéralisme en tant que doctrine peut s'appeler école; en tant qu'organisation d'adeptes, c'est une secte; et comme groupe d'hommes participants aux affaires; c'est un parti. Mais qu'on le considère comme école, comme secte ou comme parti, il convient de remarquer que le libéralisme est un, c'est-à-dire qu'il constitue un ensemble d'erreurs logiquement et parfaite­ment enchaînées. Si l'on part de son principe fondamental, savoir que l'homme en société est autonome et indépendant, on est conduit, par une légitime déduction de conséquences, à

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p54     PONTIFICAT  DE  PIE  IX (1810-1878)

 

tout ce que la démagogie la plus avancée proclame en son nom.

 

Dans son unité logique cependant le libéralisme offre des nuances et des degrés. Don Sarda en distingue trois : le libéralisme radical qui met l'Église dans l'État, le libéralisme mitigé qui proclame l'Église libre dans l'État libre ; et le libéra­lisme catholique qui dit que l'Église doit céder aux temps, aux hommes et aux circonstances ; qu'elle peut se concilier par tran­saction légitime, avec la révolution; et qu'elle peut se désinté­resser de la royauté sociale de Jésus-Christ, laissant le monde livré aux disputes des hommes.

 

Mais, dans toutes ces nuances, l'hérésie libérale n'est pas seu­lement un péché contre la foi; c'est l'effet d'une crainte pusilla­nime; c'est l'abdication de la conscience. Un catholique chez les libéraux, c'est un transfuge; un libéral chez les catholiques c'est un espion; dans les deux cas, c'est un traître. Don Sarda, parlant du catholicisme libéral qui se croit le plus innocent, le qualifie de plus satanique. C'est dans l'Église qu'il opère, c'est l'Église qu'il veut corrompre, c'est par l'Église qu'il peut éten­dre ses effets destructeurs. Nous signalons ce jugement aux esprits timides qui croient pouvoir se rassurer sur leur inno­cence.

 

L'ouvrage de don Sarda, on le voit, taille dans le vif de la situation et jette le grapin sur tous les esprits dévoyés, et ils ne sont hélas! que trop nombreux. La pastorale de Quito le com­plète heureusement; les évêques de l'Equateur disent les mêmes choses, parfois avec plus de précision, et toujours avec plus d'autorité que le théologien. Ces consonnances dogmatiques entre l'Equateur et l'Espagne proviennent de ce que les prélats américains et le théologien espagnol ont pris note sur une commune dominante, sur l'enseignement doctrinal de la Chaire Apostolique.

 

Témoin attristé des défaillances qui se produisent de l'énervement et de la démoralisation qui s'étendent, nous conjurons nos lecteurs de s'approprier ces doctrines car c'est la forme pra­tique des principes qui seule peut nous sauver.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon