Révolutions en Italie 2

Darras tome 19 p. 566

 

I. Notice des Catalogues pontificaux.

 

37. Le serment simoniaque prêté par la noblesse de Rome sur le tombeau de saint Pierre entre les mains d'Albéric mourant fut tenu, à la honte de l'Église. Il ne parait pas que le clergé ait osé faire de rosistance. Sans doute, il préféra céder à l'orage, plutôt que d'exposer la population à de nouveaux massacres. Le fils d'Albéric, Octavien, un jeune homme de dix-huit ans, celui qui allait monter sur la chaire pontificale, était déjà depuis deux ans investi des titres de consul et patrice. L'armée était entre ses mains; les nobles, presque tous engagés dans le service militaire, entendaient que leur consul fut en même temps pape. Novaës, nous ne savons sur quelle autorité, croit que dès cette époque Ootavien était diacre2. Les catalogues pontificaux ne disent rien de semblable. Il est beaucoup plus probable qu'Octavien fut du nombre de ces intrus dont parle Bonizo, que le matin avait vu simples laïques et qui étaient le soir parvenus au faîte du ponti­ficat. Rome allait donc avoir comme Byzance son Théophylacte. Voici la notice du Codex Regius relative à cette scandaleuse intru-

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1. Epist. iv, Inc. cit., col. 894.

2. Novaes. Joann. XII papa 134, tom. II, p. 177.

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p567  CHAP.  VII.  — NOTICE DES CATALOGUBS POlTriFICAUX.

 

sion. « Octavien, qui prit le nom de Jean XII, était flls d'Albéric ; il siégea huit ans et six mois au temps du roi Othon Ier, empereur d'Allemagne. Ce très-misérable pontife passa toute sa vie dans le crime. Le roi Othon étant venu à Rome, en fut pourtant très-bien. accueilli, et il reçut de sa main la couronne impériale (962). Le nouvel empereur fit tous ses efforts pour arracher l'indigne pontife à ses criminelles habitudes; mais il n'en put rien obtenir. Une seconde fois, à la requête des Romains et d'après l'avis de ses fidèles, Othon revint à Rome dans l'espoir d'amener à résipiscence ce pape vraiment effronté et scélérat, protervum et sceleratum pon-tificem. Il s'était fait accompagner des principaux archevêques, évêques et abbés de Germanie sur le concours desquels il comp­tait en une circonstance si délicate. Mais sans l'attendre, Jean XII, persévérant dans ses voies scandaleuses, quitta Rome et se réfu­gia dans les forêts et les montagnes de la Campanie, comme le sanglier fuyant devant les chasseurs. Tous les Romains alors, d'un concert unanime, prêtres et laïques, sans aucune distinction de classes, conjurèrent l'empereur de leur permettre d'élire un pape pieux et sage, digne de gouverner la sainte mère Église. La requête lui fut présentée par le peuple réuni en une foule im­mense (903). — Choisissez, répondit-il, celui que vous croyez le plus digne ; je serai le premier à le reconnaître avec vous comme pape légitime 1. »

 

38. « Aussitôt, continue le Codex Regius, clercs et laïques élu­rent et proclamèrent le seigneur Léon, homme vénérable, proto-scriniaire du saint-siége apostolique, fils de Jean, né à Rome au Clivus Argentarii. Prêtre vertueux, savant, énergique, Léon réunissait toutes les qualités nécessaires aux pontifes de Jésus-Christ. Il fut sacré au mois de décembre 963 dans la basilique de Latran. Ce même mois, dans une ordination au même lieu, il im­posa les mains à sept prêtres et deux diacres. Il siégea un an et trois mois. Les Romains donnèrent à son égard une nouvelle preuve de leur inconstance. Une conjuration se forma contre lui;

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1.  Codex Regiits, folio 1*1, verso.

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p568     jeah xn, léos vin, besoit v (955-964).

 

ils chassèrent le vénérable Léon et rappelèrent le très-scélérat (scelestissimum) Jean XII du fond des montagnes de Campanie. Il revint donc pour le malheur de Rome, qui fut bientôt livrée à toutes les horreurs de la guerre et de la famine. Par une protec­tion visible de Dieu, le seigneur Léon put sortir de la ville sain et sauf. Il alla retrouver dans son camp près de Spolète l'empe­reur Othon, qui l'accueillit avec les plus grands honneurs, et se prépara aussitôt à le ramener à Rome à la tête de son armée. L'expédition fut entreprise sur-le-champ, et déjà l'empereur était à Rieti avec ses troupes, lorsque des envoyés romains lui appor­tèrent la nouvelle de la mort inopinée du très-scélérat Jean XII (964)1


   39. Cette heureuse nouvelle était accompagnée d'une autre qui l'était beaucoup moins. Au lieu de surseoir à toute espèce d'élec­tion quand la mort les débarrassait de leur pontife scandaleux et et qu'il leur restait un autre pape, Léon VIII, élu par eux-mêmes dix-huit mois auparavant avec toutes les apparences de la plus entière spontanéité, les Romains avaient immédiatement élevé sur le siège de saint Pierre le diacre cardinal Benoist, surnommé le Grammairien, qui prit le nom de Benoît V. Ce nouveau com­pétiteur au siège apostolique appartenait, suivant Novaës, à la famille des comtes de Tusculum ou des Conti, c'est-à-dire à la dy­nastie féodale des Albéric, des Marozie et des Octavien, qui tyrannisait depuis un demi-siècle la capitale du monde catholique. L'attachement des Romains pour cette famille de patrices feudataires tenait moins peut-être aux habitudes de clientela créées durant un si long intervalle, aux bienfaits reçus, aux titres ac­quis, aux situations usurpées par son influence, qu'à la haine invétérée contre une domination étrangère. Il est remarquable en effet que, depuis la chute du premier empire romain d'Occi­dent, les Italiens n'ont jamais su, malgré l'envie qu'ils en ont, se gouverner eux-mêmes. Les Ostrogoths de Théodoric le Grand, les

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1.   Ibid., fol. 1M verso.

1.        Novaës. Benedict. V 135papa, tom. II, p. 18t.

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p569 CHAP.  VII. — NOTICE DES CATALOGUES PONTIFICAUX.

 

Lombards d'Alboin les dominèrent tour à tour, puis les Francs de Charlemagne, puis les Allemands d'Othon ler. Très-habiles à renverser leurs maîtres, les Italiens sont incapables de s'en pas­ser. Il en était ainsi au Xe siècle, il en sera ainsi jusqu'à la fin monde. De même que le peuple hébreu avait été providentielle­ment choisi pour servir dans l'antiquité de précurseur et dans les temps modernes de témoin du Messie, de même le peuple italien est manifestement un élu providentiel destiné à donner sur son sol un domaine souverain et indépendant au vicaire de Jésus-Christ. Les qualités et les défauts de ce peuple sont ménagés avec un admirable tempérament en vue de cette mission spéciale. Il lui arrive souvent de s'indigner contre cette glorieuse destinée et de « regimber contre l'aiguillon ; » mais toutes ses tentatives sont vaines ; plus il s'éloigne de sa voie, plus il souffre ; il n'ob­tient de véritable prospérité que dans la proportion où il se montre fidèle aux desseins de Dieu sur lui.

 

40. « Quand les envoyés romains, continue le Codex Regius, eurent annoncé l'élection de Benoit V à l'empereur, celui-ci ne put dissimuler son indignation ; il s'écria : Tant que cette épée sera entière entre mes mains, nul ne m'empêchera de rétablir le seigneur pape Léon VIII sur la chaire de saint Pierre. — Malgré cette réponse, la seule qu'ils purent obtenir, les envoyés, aussitôt leur retour à Rome, firent procéder au sacre de Benoît et l'intro­nisèrent sur le siège apostolique. A cette nouvelle, Othon le Grand, dans sa colère, fit avancer ses troupes, s'empara de toutes les cités, châteaux forts et bourgades de la campagne romaine, livrant tout au pillage, à la ruine et à l'incendie. Il investit Rome, où la fa­mine sévit bientôt à un tel degré qu'on y paya un boisseau de son jusqu'à trente deniers. Mourant de faim et cernés de toutes parts, les Romains se virent dans l'impossibilité de prolonger leur ré­sistance ; ils se saisirent de Benoît V, bien qu'il fût innocent de tous ces désastres, le remirent entre les mains de l'empereur, et rétablirent Léon VIII sur le siège apostolique (23 juin 964). Ras­semblés dans la basilique du prince des apôtres, le peuple jura sur l'autel de la confession une fidélité inviolable, une obéissance

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p570 JEAN  XII,  LÉON  VIII,   BENOIT V   (955-%-»).

 

absolue, au pape et à l'empereur. Othon le Grand consentit à ne point rechercher les auteurs des troubles précédents, et accorda un'e amnistie générale aux coupables. Dans le but de prévenir de pareils désordres et pour mettre obstacle à la perversité des Ro­mains qui favorisaient sans cesse de nouvelles intrusions sur le siège épiscopal, Léon VIII rendit un décret en vertu duquel à l'a­venir nul ne pourrait être ordonné pape sans le consentement de l'empereur. Hic propier malitiavt Ivimanorum qui suos inlrudebant, ttatuit ut nullus pnpn peret niai de consnitu imperaUn-is. Les choses ainsi réglées, Othon le Grand reprit le chemin de ses États 1. »

 

41. Cette notice du Codex Regius est textuellement reproduite par le catalogue de Watlerich et par celui de Zwcilen2. Un pareil accord est la meilleure preuve que nous sommes très-réellement en possession du texte authentique rédigé par les scriniaires du saint-siége. Désormais donc cette période, jusqu'ici si mal connue de l'histoire ecclésiastique du Xe siècle, dont aucun des historiens modernes n'avait pu débrouiller l'enchevêtrement, nous apparaît très-lumineuse et très-claire. Jean XII, Benoît V et Léon VIII 3 ont porté simultanément le titre de pape. Ils ne se sont point succédé l'un à l'autre dans un ordre régulier. Dire maintenant lequel d'entre eux fut légitime, ou même si l'un d'eux le fut, nous sem­ble absolument impossible. En procédant par voie d'élimination, on écarterait d'abord Jean XII, ce patrice de dix-huit ans, qu'un legs du tout-puissant Albéric et un pacte sacrilège de la noblesse romaine firent monter sur le siège de saint Pierre. Le scandale de sa vie répondit à celui de son exaltation. Il fut un de ces tyrans féodaux pour lesquels la chaire apostolique était un bénéfice comme un autre, croyant qu'à la pointe de l'épée on pouvait con­quérir le titre de vicaire de Jésus-Christ aussi bien que ceux de comte, de marquis ou de duc. Par un autre motif, la légitimité de Léon VIII et de Benoît V, malgré leurs vertus et leur mérite

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1.Codex Regiu», fol. 121, verso.

2. Watlerich.  Tom.   I, p. 45-49. — Zwellen. Patr. lat.,  tom. CCXm, est 1026-1027.

3. Noyaês. Léo V1JI papa 136, tom. II, p. 184.

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p571  CHAP.   VII.     NOTICE DES  CATALOGUES  PONTIFICAUX.

 

personnel, est fort suspecte, ou plutôt elle semble inadmissible. Léon VIII, dont les catalogues pontificaux s'accordent à l'aire un si bel éloge, ne dut en somme son élection qu'a la présence de l'empereur Othon le Grand. La preuve, c'est qu'aussitôt après le départ de ce ce prince, les Romains rappelèrent leur honteuse idole Jean XII. Une autre preuve non moins convaincante, c'est qu'après la mort inopinée de Jean XII, loin de saisir l'occasion de rappeler Léon VIII, s'ils l'eurent considéré véritablement comme pape, les Romains s'empressèrent d'élire et de faire sa­crer Benoit V. Ce dernier était lui-même un personnage éminem­ment vertueux, malgré sa parenté avec les comtes de Tusculum. Livré aux mains de l'empereur Othon par ceux mêmes qui l'a­vaient proclamé quelques mois auparavant, il fut déporté à Ham­bourg où saint Adaldague le traita avec les plus grands honneurs. Ce pontife déchu était un saint; il prédit l'époque de sa mort, qui eut lieu le 4 juillet 905. Dans l'inspiration prophétique de ses derniers moments, il dit à ceux qui l'entouraient : « Rome et l'Italie ne retrouveront la prospérité et la paix qu'à l'époque où mes restes seront transférés dans la basilique de Saint-Pierre. » La prédiction se réalisa au pied de la lettre. Benoit V fut enterré dans la cathédrale de Hambourg et ses ossements y reposèrent jusqu'en 999, date à laquelle Othon III en ordonna la translation et les fit porter à Rome. Or l'an 999 terminait la désastreuse pé­riode du Xe siècle et inaugurait le pontificat réformateur de Syl­vestre II. Ce ne fut donc pas la sainteté qui manqua aux compé­titeurs de Jean XII pour être de légitimes pontifes dans la pleine acception du mot, mais l'indépendance absolue de toute pression soit impériale soit populaire dans leur élection. Ici d'ailleurs il nous faut rappeler encore la parole de Baronius : « Quels qu'aient pu être, dit-il, les vices de fond et de forme qui entachèrent ces diverses élections, il suffit, pour que le nom des titulaires soit maintenu sur la liste pontificale, qu'is aient été reconnus pendant la durée de leur gouvernement. »

 

42. Ces réserves préliminaires une fois posées, nous complétons la notice des Catalogues pontificaux par quelques documents

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contemporains qui l'éclairent et la confirment. « A la mort du pape Agapet II, dit la chronique de Saint-André, Octavien, fils d'Albéric, fut installé par une indigne profanation sur le siège très-sacré du bienheureux Pierre; il changea de nom et se fit appeler Jean XII, mais il ne changea pas ses mœurs infâme;. Elles étaient telles que les siècles païens n'en virent pas de pires. Toutes ses préoccupations étaient les fêtes et les plaisirs ; on le voyait sans cesse entouré de femmes ; il détestait les églises et passait les journées avec des jeunes gens qu'il associait à ses dé­bauches. Il m'est impossible, ajoute le pieux moine, d'écrire ce qu'il ne rougissait pas de faire. Or, il y avait à Rome un diacre de la sainte Église, nommé Jean, intimement lié avec le pro-toscriniaire Azzo. Tous deux, à cause de leur vertu, étaient odieux au pontife. Ils ne formaient qu'un cœur et qu'une âme, et ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour sauver l'honneur de l'Église. Un seul moyen de salut leur apparaissait dans cette extrémité terrible : faire appel au roi de Germanie, l'inviter à se rendre à Rome pour y recevoir la couronne impériale et faire cesser le déshonneur du siège apostolique. Ils envoyèrent secrètement faire ces ouvertures à Othon le Grand. Mais le pontife en fut informé; il fit couper la main droite au protoscriniaire Azzo et le nez au diacre Jean. Cette barbarie, ajoute le moine de Saint-André, n'empêcha pas leurs messagers d'arriver en Germanie. Je n'ai point à raconter par quelle série d'événements le roi allemand et son fils Ludolf, franchissant les Alpes, conquirent une seconde fois le territoire de l'Italie septentrionale et se virent bientôt en mesure d'arriver à Rome ». » La série d'événements politiques et militaires que sous-entend ici le chroniqueur peut se résumer en quelques mots. Au moment où les envoyés romains arrivaient en Germanie, Othon le Grand, réconcilié avec son fils Ludolf et vainqueur des Maggyars hongrois se préparait à rentrer en Italie pour y faire lever le siège de Canossa et délivrer le fidèle

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1.  Benedict. Sanct. Andrée. Chronicon., cap. xxxv. Pair, lot., tom. CXJLXIÎ, COl. 46-47.

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Albert Azzo. Les nouvelles qu'il recevait de Rome ne firent que hâter son expédition. Elle fut aussi rapide et aussi heureuse que la première. Ludolf en fit encore partie, mais il mourut le 6 septembre 961 à Plombia, près de Novare, non sans quelque soup­çon d'un empoisonnement dont l'odieux retomba sur Bérenger. Ce dernier et son fils Adalbert ne purent que s'enfermer, l'un dans la forteresse de Montefeltro, l'autre dans celle de Garde, où ils finirent par tomber entre les mains du vainqueur. Rien ne s'opposait donc plus au voyage d'Othon le Grand à Rome.

 

43. « Le roi de Germanie était accompagné, reprend le chroniqueur, d'une telle multitude d'hommes que l'Italie en fut encombrée comme un vase rempli à pleins bords, sicut situla. Toutes les races, toutes les tribus, toutes les langues semblaient s'être donné rendez-vous autour de lui. Leurs chariots, leurs bagages, leurs engins de guerre couvraient les chemins. Leur aspect était horrible : montés sur des chevaux sauvages, ils dévoraient l'es­pace ; mais en bataille rangée ils se tenaient immobiles comme une muraille de fer. Renversant tout sur son passage, le roi tra­versa l'Italie et investit de toutes parts la ville de Rome. Jean XII ne songea qu'à lui faire la réception la plus magnifique. Tout le peuple alla à sa rencontre ; il fut conduit en triomphe dans l'église du prince des apôtres; une messe pontificale fut célébrée et, au bruit des acclamations populaires, Othon le Grand fut pro­clamé César Auguste et couronné avec Adélaïde, sa pieuse épouse (2 février 962). Ainsi le royaume d'Italie et l'empire romain tom­baient au pouvoir d'un Saxon ». » Cette dernière parole du chroni­queur indique suffisamment combien sa fierté nationale souffrait de voir le sceptre de Charlemagne transféré au roi des Allemands. Il omet de relater ici le serment qui fut prêté avant d'entrer à Rome par Othon. La formule en a été en ces derniers temps re­trouvée et publiée par le savant auteur des Monumenta Germaniœ. La voici : « A vous seigneur pape Jean XII, moi, le roi Othon, je promets et jure par le Père, le Fils et le Saint-Esprit, par le bois

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1. Benedict, Sanct. Andreœ. Cltronicon., cap. xxxvi, loc. cit.. col. 47.

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574           jean xii, léon vnr, benoît v (::«.">-904).

 

précieux de la croix vivifiante et par les reliques des saints que je touche de ma main royale, que si avec l'aide de Dieu je mets le pied dans Rome, c'est pour l'exaltation de la sainte Église et la vôtre. J'y travaillerai dans toute l'étendue de mon pouvoir. Jamais de ma part vous n'aurez à craindre d'attentat contre votre per­sonne, votre vie ou votre dignilé. Je ne détournerai rien de ce qui appartient à vous ou aux Romains, et tout ce que je pourrai re­conquérir des domaines de saint Pierre, je le remettrai en votre puissance. Quiconque sera chargé d'administrer en mon nom le royaume d'Italie prêtera serment de vous aider également de tout son pouvoir à détendre le domaine de saint Pierre1. »

 

   44. « je ne raconterai point, reprend le chroniqueur de Saint-André, comment Béronger et Adalhert son fils furent définitivement  définitivement chassés d'Italie. Othon le Grand et l'imperatrice Adélaïde revinrent à Rome en 963, ils parurent la couronne en tête dans la basilique de Saint-Pierre et firent de riches présents aux.  Églises. A cette époque, la peste et la famine se joignaient aux maux de la guerre et des incendies pour dévaster le sol Italien. On eût dit que la terre allait être dépeuplée et réduite en un désert. La Dis­corde s'était mise entre l'empereur et le pontife Jeun XII. Celui-ci abandonné par les Romains avait pris la fuite et s'était retiré, dans les montagnes de la Campanie. Les Romains partagés en factions ennemies se déchiraient entre eux. Ils finirent par deman­der à l'empereur l'autorisation d'élire comme pontife le protoscriniaire Léon. Othon le Grand y consentit. Léon VIII fut donc intronisé sur le siège très-sacré de Pierre. L'empereur lui remit solennellement dans la basilique du prince des apôtres, le gou­vernement de la Toscane et de la Pentapole enfin pacifiées2.» Ce fait important de la réintégration du saint-siége dans ses anti-

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1.  Pertz. Monum. Germ. Legum, tom. Il, p. 19. — Cf. Watterich. Toin. I, j. 45,  not. 3. Cette formule du serment d'Othon était depuis longtemps connue, et Gratien l'avait insérée dans son Decretum au Corpui juris canonici. Mais on n'avait pas manqué d'en contester l'authenticité. Pertz, en la retrou­vant dans un manuscrit du Xe siècle, a tranché définitivement la controverse.

1 Benedict. Sanct. Andrée. Chromton., toc. c

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p575  CHAP.   VII. — NOTICE DES  CATALOGUES  rONTIFICAUX.    

 

ques domaines par Othon le Grand était complètement inconnu des historiens, avant la récente découverte de la Chroni- que du moine de Saint-André. En revanche, cette chronique, si précieuse pour les annales ecclésiastiques du Xe siècle, passe complètement sous silence un autre détail dont il a été beaucoup parlé, et que le catalogue de Zwellen et le Decretum de Gratien racontent eu ces termes : « Dans un synode réuni à Rome en l'église du Sau­veur, au Latran, Léon VIII promulgua le décret suivant : « A l'exemple du bienheureux Adrien, pontife du siège apostolique, qui conféra jadis au très-victorieux roi des Francs et des Lom­bards Charlemagne la dignité du patriciat, le protectorat sur les ordinations au siège apostolique et le droit de nomination aux évêchés, nous, Léon, évêque serviteur des serviteurs de Dieu, de concert avec tout le clergé et le peuple romain, nous décrétons, ordonnons et définissons que le même privilège appartiendra à l'empereur Othon 1er, roi d'Allemagne, et à ses successeurs sur le trône d'Italie. En vertu de notre autorité apostolique, nous lui accordons et concédons, à lui et à ses successeurs à perpétuité le droit de se choisir un successeur, de présider à l'ordination des souverains pontifes et de donner l'investiture des métropoles et des évêchés qui ne sont pas exempts de cette formalité par des constitutions impériales antérieures. A l'avenir donc, nul de quelque dignité ou sainteté qu'il soit, ne pourra élire un patrice des Romains, ni un pape, ni un évêque, sans le consentement de l'empereur, consentement qui ne pourra d'ailleurs jamais faire l'objet d'aucune espèce de taxe. L'empereur est et reste le seul patrice et roi des Romains. Nul évêque élu par le clergé et le peuple ne pourra être sacré s'il n'obtient l'agrément préalable de l'empereur. » Tel est le décret de Léon VIII. Après les scandales des élections tumultuaires qui venaient d'avoir lieu à Rome, il avait parfaitement sa raison d'être. Ce n'était pas la première fois qu'on cherchait un remède contre les désordres de l'élection par

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1. Zwellen. Pair, ht., tom. CCXIII, col. 1027. — Oratian. Décret. Pari i, Dist um, cap. xxui.  Pair, lot., tom. CLXXXVU, col. 335,

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p576        JEAN XII,  LÉON  VIII,  BENOIT V  (955-964).

 

le clergé et le peuple. D'un autre côté, tous les empereurs n'é­taient point des Charlemagne ou des Othon le Grand. Ils pouvaient très-facilement abuser dans le sens de leur despotisme personnel d'un privilège qui leur était concédé pour le plus grand bien de  l'Église. Mais de quoi les hommes n'abusent-ils pas? La mission de l'Église en ce monde est précisément de veiller à la correction des abus et aucun décret disciplinaire, qu'il soit émané ou non d'un pape légitime, ne désarme le saint-siége contre le mauvais usage qu'on pourrait en faire dans l'avenir.

 

   45. « Après qu'Othon le Grand se fut éloigné de Rome, continue la Chronique de Saint-André, le peuple, suivant sa coutume invétérée, recommença à se diviser. Le pape Jean XII fut rappelé du fond de la Campanie, et il rentra dans la ville escorté d'une troupe nombreuse de soldats. Les officiers impériaux, le pape Léon VIII et leurs partisans durent s'enfuir en toute hâte. Mais Othon le Grand ne tarda pas à reprendre avec sa formidable ar­mée le chemin de Rome. Sur les entrefaites Jean XII mourut su­bitement. On peut voir ce que dit de cet accident le Libellus épiscopalis. » Par Libellus episcopalis, le chroniqueur entend soit l'Antapodosis de Luitprand, évêque de Crémone, le seul ouvrage aujourd'hui connu qui donne en effet d'affreux détails sur la mort de Jean XII, soit même le catalogue pontifical cité par nous et dans lequel a pu se trouver primitivement un passage supprimé depuis, relatif au genre de mort ignoble qui mit fin aux jours du fils d'Albéric. «Cependant, reprend le moine de Saint-André, les Romains étaient en pleine sédition ; le sang coula dans les rues ; enfin la faction triomphante élut pape le diacre Benoit, surnommé le Grammairien, parce qu'il était à la tête de l'école pontificale. Bon gré, mal gré, on le tira de son école; c'était d'ailleurs un homme très-vertueux et très-aimé du peuple. Mais l'empereur, à la nouvelle de ce schisme, manifesta le plus vif courroux ; il jura de ne pas laisser debout un seul des remparts de Rome, si on ne remettait Benoit entre ses mains. L'immense multitude des Lombards, des Saxons et des Gaulois vint donc de nouveau cer­ner la ville : l'investissement fut si complet que nul ne pouvait

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p577  CHAP. VII. LE PAPE FÉODAL OCTAVIEN.     

 

sortir des murailles. La famine devint bientôt horrible ; au dedans la mort, au dehors le fer et le feu. Les esprits se calmèrent; depuis le plus grand jusqu'au plus petit, tous reconnurent l'im­possibilité de prolonger la résistance. Contraints par la nécessité, Ils s'emparèrent de Benoit V et l'amenèrent à l'empereur en disant comme autrefois les Juifs : « Il vaut mieux qu'un seul homme périsse pour le salut de tous. » Othon le Grand ne fit point mou­rir Benoit, il se contenta de l'exiler au fond des contrées saxon­nes. Le pape Léon VIII rentra dans la ville et fut reçu par le peuple avec les plus grandes démonstrations d'honneur, parce qu'on le savait intimement lié avec l'empereur Othon le Grand 1

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