Hagiographie des Gaules 1

Darras tome 14 p. 423

 

g III. Hagiographie des Gaules.

 

   43. Parmi ces clercs déportés, se trouvaient deux adolescents de noble race, Gallus et Fidolus, qui devaient ajouter a l’illustration de leur naissance la couronne de la sainteté. «Gallus, dit Grégoire de Tours, avait de bonne heure manifesté des sentiments extraor­dinaires de piété. Son père était le sénateur Georgius ; sa mère Leocadia descendait de Vettius Epagathus, ce martyr de Lugdunum dont l’Histoire ecclésiastique d'Eusèbe a raconté la confession glorieuse 3. Dans toutes les Gaules il n'existait rien de plus noble et de plus généreux que cette famille. » Nous avertissons ici le lecteur que Grégoire de Tours devait être parfaitement renseigné sur cette généalogie, car elle était la sienne propre. Georgius et Leocadia eurent un autre fils, nommé Florentius, qui fut le père de notre historien. « Lorsque Gallus fut en âge d'être marié, reprend le chroniqueur, son père rechercha pour lui la main d'une patri­cienne de l'Arvernie. Mais le jeune homme avait dans son cœur renoncé au monde. Il quitta la maison paternelle, accompagné d'un serviteur de son âge qu'il avait mis dans sa confidence, et

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1 Hug. Flav., Chronic., loc. cit. —2. Aug. Thierry, Lettres sur VHist. de France, pag. 95-96. – 3. Euseb., Hist. eccles., lib. V, cap. I; Patr. grœc, tom. XX, col. 411. Cf. tom. VII de cette Histoire, p. 343.

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vint frapper à la porte du monastère de Gronona (Cournon), à six milles de la capitale des Arvernes. Se jetant aux genoux de l'abbé, il le supplia de lui couper les cheveux. Qui êtes-vous? demanda l'abbé. Quels sont vos parents? — Je me nomme Gallus, répondit-il. Je suis arverne. Mon père est le sénateur Georgius. — Mon fils, reprit l'abbé, votre désir est louable. Mais il convient auparavant d'obtenir l'autorisation du sénateur votre père. — Un message fut dirigé au patricien. En apprenant la résolution de son fils, Georgius s'écria : C'était mon premier-né; voilà pourquoi je me préoccupais de lui trouver une épouse. Mais puisque le Seigneur en décide autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. — Il vint trouver le fugitif et lui dit : Mon enfant, accomplissez le dessein que Dieu vous inspire. — Gallus fut donc engagé dans la cléricature. II édifiait tous les religieux par son innocence, sa gravité, sa douceur. Il avait une très-belle voix, et chantait la psalmodie sainte avec un charme vrai­ment céleste. Un jour le bienheureux évêque Quintianus, dans une visite au monastère, eut occasion de l'entendre. Il en fut tellement touché qu'il emmena avec lui le jeune clerc et ne voulut plus s'en séparer. Le peuple arverne partagea bientôt les sympathies de son évêque pour le noble adolescent. Ce fut alors que se produisit la terrible invasion de l'Arvernie, et Gallus fut emmené par les vain­queurs. Mais le roi Thierry prit en affection le jeune clerc ; il en vint à le chérir comme son propre fils. La reine lui témoignait le même amour, moins encore pour le charme de sa voix que pour l'admirable pureté de sa vie. Les autres clercs, ses compagnons d'exil, furent tous attachés à l'église de Trêves, où le roi voulut qu'ils exerçassent les fonctions de leur ordre. Seul, le bienheureux Gallus demeura à la cour; Thierry s'en faisait accompagner dans tous ses voyages. Durant un séjour dans la cité d'Agrippine (Co­logne), Gallus, qui venait d'être promu à l'ordre du diaconat, faillit être victime de son zèle pour la vraie foi et le nom de Jésus-Christ. Près de la ville, se trouvait un fanum (temple païen) où les idolâtres de la contrée venaient en foule accomplir leurs libations. Sous prétexte de sacrifices, ils se gorgeaient de viandes et de

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boissons jusqu'à en vomir [usque ad vomitum). Le temple était richement décoré; aux pieds de l'idole, les malades déposaient des figurines de cire représentant les diverses parties du corps dont ils souffraient, et ils imploraient du dieu muet leur guérison. Le bienheureux Gallus, accompagné d'un seul clerc, choisit un instant où le temple était vide, et y mit le feu. A la lueur des flammes, les païens accoururent, l'épée à la main. Gallus se sauva au palais. Il y fut suivi par la troupe furieuse, qui demandait à grands cris sa mort. Le roi dut intervenir : à force de douces paroles, il réussit à calmer l'émeute. En racontant depuis cet épisode de sa jeunesse, Gallus avait coutume de dire : Hélas ! pourquoi me suis-je enfui alors? J'ai lâchement perdu la gloire du martyre1. »

 

   44. Peut-être à la suite de cette circonstance, le jeune clerc fut-il obligé de quitter la Germanie, pour se soustraire à la vengeance des idolâtres. Grégoire de Tours ne s'explique pas sur ce point. Il continue son récit en ces termes : « Gallus se trouvait à Clermont, quand le bienheureux évêque Quintianus, rappelé par le Seigneur, émigra de ce siècle. La vieillesse de ce grand serviteur de Dieu avait rappelé celle de Moïse. La dernière année de son épiscopat, une longue sécheresse désola l'Arvernie. Le troisième jour des Rogations, au moment où la procession conduite par le saint homme à travers la campagne desséchée allait rentrer dans la ville, les habitants dirent à Quintianus: Bienheureux pontife, imposez vous-même l'antienne. Nous avons la confiance que le Seigneur, touché par la  prière de votre sainteté, daignera nous accorder la pluie tant dé­sirée. — Quintianus étendit à terre son cilice, et se prosterna sur le sol. Il demeura longtemps en prière, versant une grande abon­dance de larmes. Puis, se relevant, il chanta les premières paroles de l'antienne : Si clauso cœlo, etc. Tout le peuple continua cette prière empruntée à Salomon : « Quand le ciel fermé refusera la pluie à cause des péchés du peuple, s'ils viennent à se convertir et

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1 Greg. Turûn., Vit. S. Galli episcopi, cap. I et II; Patr. lai., tom. LXXI, col. 1029-1031.

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à implorer votre miséricorde, exaucez-les, Seigneur; pardonnez leurs offenses, et faites tomber la pluie sur cette terre dont vous les avez mis en possession1. » Pendant que toutes les voix chantaient ainsi en grande dévotion, le ciel s'obscurcit tout à coup et se couvrit de nuages. Avant que la procession eût atteint la porte de la ville, une pluie bienfaisante tombait sur la contrée, et le peuple reconnaissant bénissait le saint évêque. La mort de Quintianus fut un deuil pour toute la cité. On disait de lui qu'il accueillait la penula du pauvre avec la même révérence que la toge du sénateur. Il fut enseveli dans la basilique de Saint-Étienne, au côté gauche de l'autel, et des miracles qui continuent encore au­jourd'hui, ajoute Grégoire de Tours, éclatèrent bientôt sur sa tombe 2. Or, le soir même, les principaux citoyens arvernes se rendirent à la maison du prêtre Impetratus, oncle du jeune Gallus, chez lequel celui-ci était logé. Ils déploraient la mort du saint pon­tife ; ils cherchaient qui l'on pourrait lui donner pour successeur, et parlaient d'envoyer un message à ce sujet au roi Thierry. Leur entretien se prolongea longtemps ; enfin ils se retirèrent. Gallus, présent à leur conférence, n'avait pas ouvert la bouche. Il se mit au lit. Tout à coup l'Esprit-Saint fit irruption dans son âme, il s'écria : A quoi bon toutes ces agitations? Le Seigneur veut que je sois évêque de cette ville ! — Un clerc qui l'entendit, attribuant cette parole à un mouvement d'orgueil, s'approcha et le poussa sur l'angle du lit avec une violence telle qu'il lui arracha un cri de douleur. — Tu viendras au-devant de moi, quand j'en­trerai en évêque dans cette ville, lui dit Gallus. Tu m'amène­ras le cheval tout sellé de mon prédécesseur. Garde-toi d'y manquer, si tu veux éviter la vengeance du ciel ! — Le lende­main malin, Impetratus dit à son neveu : Écoutez-moi, mon fils, et suivez mon conseil. Partez sans délai, allez trouver le roi, in­formez-le de ce qui se passe. Si le Seigneur lui inspire la pensée de vous désigner pour l'épiscopat, nous rendrons à Dieu de grandes

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1 II Paralip., vi, 26,  27.  — 2 Greg.  Turon.,   Vit. S. Quintian., cap. IV; tom. cit., col. 1D25.

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actions de grâces; sinon, vous aurez bien mérité de celui qui sera élu, — Gallus se mit en route. A son arrivée à Trêves, le saint évêque de cette ville, Aprunculus 1, venait aussi de passer à Dieu. Le clergé demandait à Thierry que Gallus fût promu au siège de Trêves. Cherchez-en un autre, répondit le roi. Je destine le diacre Gallus à une autre église. — On élut donc Nicetius (saint Nicet). Cependant quelques clercs arvernes, poussés par le con­seil d'hommes intrigants et brouillons, arrivèrent à Trêves avec de magnifiques présents, pour obtenir que le roi fît tomber son choix sur l'un d'entre eux. Car dès lors on voyait poindre ce germe de simonie qui désole le champ de l'Église. Les rois com­mençaient à vendre l'épiscopat et les clercs à l'acheter. La proposi­tion des ambitieux arvernes fut rejetée par Thierry. Gallus reçut l'ordination sacerdotale, et le roi voulut donner un festin où il con­voqua tous les grands de sa cour en l'honneur du futur évêque. A ce propos, Gallus avait coutume de dire que son évêché ne lui avait pas coûté cher. Tous les frais s'étaient bornés pour lui à un tiers d'as (triantem), donné au cuisinier du roi, le jour du banquet. Thierry fit escorter Gallus à Clermont par deux évêques. A son approche, Viventius, le clerc qui l'avait accusé d'ambition, se pré­senta à sa rencontre, tenant par la bride le cheval du bienheureux Quintianus. Gallus lui dit en riant : Je ne souffre plus de mon point de côté. — Tous les habitants, au chant des psaumes et avec des transports d'allégresse, le conduisirent à l'église où il reçut la consécration épiscopale. L'humilité et la charité du nouveau pontife eurent bientôt conquis les cœurs. C'était sur­tout par la patience qu'il se distinguait au-dessus de tous les hommes. Un prêtre s'emporta jusqu'à le frapper à la tête; le saint se contenta de le regarder d'un œil plein de compassion, et ne lui fit pas même un reproche. Une autre fois, le prêtre Evodius, de race sénatoriale, avait osé injurier l'homme de Dieu. Il eut bientôt regret de sa faute, et courut se jeter aux pieds du saint, en pleine place publique, implorant de lui son

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1 Saint Aprunculus est honoré le 2î avril.

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pardon. Gallus le releva avec bonté et lui dit : N'outragez plus les pontifes du Seigneur. Vous-même, un jour, vous saurez ce que cette dignité a de terrible et d'amer. — En effet, Evodius fut plus tard élu pour le siège de Gabalum (Mende). Mais au moment où la cérémonie de sa consécration allait commencer, le peuple de la ville se souleva contre lui. Échappé sain et sauf des mains de la multitude, il disparut, et acheva le reste de sa vie dans le rang du sacerdoce. Durant vingt-sept années d'épiscopat, Gallus renouvela à Clermont les merveilles opérées jadis à Autissiodorum (Auxerre) par le grand thaumaturge saint Germain. Au milieu d'un incendie qui menaçait de dévorer toute la ville, l'homme de Dieu, après s'être prosterné devant l'autel de la basilique, prit à la main le livre des Évangiles et se jeta au milieu des flammes, qui s'étei­gnirent aussitôt. Un tremblement de terre ébranla plus tard la cité. Gallus pria, et l'on n'eut pas une seule victime à déplorer. Une affreuse contagion, la peste dite inguinaria, sévit sur toutes les provinces voisines. Arles en particulier fut décimée. Gallus passait les jours et les nuits en prières, suppliant le Seigneur d'épargner son peuple. Un ange lui apparut et lui dit : Tes vœux sont exaucés. Ne crains rien, le fléau ne s'arrêtera point ici. Quant à toi, dans huit ans ton pèlerinage sera accompli, et tu émigreras vers le Sei­gneur. — La double prédiction se vérifia. Clermont fut épargnée. Mais à huit ans de là, le saint évêque fut pris d'une fièvre tellement violente que ses cheveux et sa barbe tombèrent. Sachant que sa dernière heure approchait, il réunit les fidèles et leur distribua la communion. Trois jours après, un dimanche, au lever de l'aurore, comme on chantait les matines à l'église, le malade demanda où l'on en était de la divine psalmodie. On lui dit qu'on entonnait le Benedictus. Il le récita lui-même à haute voix, prononça distincte­ment l’ alléluia et le capitule, puis il dit : Adieu, frères bien-aimés! et étendant les mains, il rendit son âme au Seigneur. Il était dans la soixante-cinquième année de son âge. La population tout en­tière le pleura dans une douleur inexprimable. On vit jusqu'à des Juifs se presser autour de son corps inanimé, des lampes à la main. Malheur à nous ! disait la foule. Nous n'aurons jamais le

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bonheur de retrouver un pareil évêque! — Son corps resta quatre jours exposé au milieu de la basilique, en attendant l'ar­rivée des évêques de la province convoqués pour les funérailles. Pendant cet intervalle, on entoura le corps de branches de feuil­lage et de mottes de gazon vert, pour entretenir la fraîcheur au­tour de ces dépouilles précieuses. Après les obsèques, une pieuse vierge, nommée Meratina, recueillit une de ces mottes desséchées, l'arrosa, et eut la joie de la voir revivre. Or, tous les malades re­couvraient la santé en mangeant quelques brins de cette herbe miraculeuse1. »

 

45. Au nombre des clercs arvernes emmenés en captivité avec le jeune Gallus par l'armée victorieuse de Thierry, se trouvait un adolescent de race sénatoriale, nommé Fidolus (saint Phal). «Déjà engagé dans la cléricature, disent les actes, l'enfant pleurait quand il lui fallut quitter sa famille et sa patrie, mêlé à la foule des cap­tifs que d'impitoyables soldats traînaient en exil. On arriva ainsi jusqu'à la ville des Tricasses (Troyes). C'était là que Dieu voulait rendre au jeune Fidolus, avec la liberté, une patrie nouvelle. Dans ce pays vivait alors un vénérable abbé, du nom d'Aventinus (saint Aventin). Au milieu des frères réunis en congrégation sainte, il s'appliquait assidûment au service divin dans un monastère 2. »

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1 Greg. Turon., Vit. S. Gall. episc. ; Pair, lai., tom. LXXI, col. 1029-1036. On célèbre la fête de saint Gal de Clermont le 1er juillet.

- Tamen pairiœ prœeledus a Deo, ad dominandum sibi in Trecassina urbe prœdestinalione Domini ad ipsum manifestum est pervenisse... Eodem itague tempore, memorabilis vir Aventinus abbas eo in loco cum suis fralribus, in congregatione sancta, divinis culiibus in monasterio assidue consislebat. (Bol-land., Act. S. FidoL, 16 maii.) Les hagiographes locaux, tels que Camuzat, Desguerrois et d'autres plus modernes, ne nous paraissent pas avoir suffi­samment remarqué la précision de ces paroles. Ils ont tous placé la scène de la délivrance de Fidolus dans un prétendu monastère que saint Aventin aurait fondé, soit à Isle-au-Mont, soit à Aventin d'Oze, deux loalités situées à 10 kilomètres S.-E. de la ville. Mais les actes de Fidolus ne permet­tent pas cette interprétation. Ils désignent formellement la ville de Troyes : in Trecassina urbe. D'autre part, il est constant que saint Avenlin ne fonda aucun monastère. Ses actes authentiques nous apprennent qu'après avoir exercé à Troyes l'office d'économe de l'église sous l'évêque saint Camélien, il obtint de ce dernier l'autorisation de quitter sa charge pour se livrer à la

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   Lui aussi, jeune encore, il avait quitté sa patrie terrestre, la cité des Bituriges (Bourges) où il était né d'une famille obscure, parentibus mediocribus, disent ses actes. L'exil ne lui avait pas été imposé par un farouche vainqueur. L'attrait seul de la grâce l'avait amené aux pieds du bienheureux Lupus, et il était arrivé, fervent prosé­lyte, dans la ville de Troyes {Tricassina civitate proselytus adveniens). « L'esprit de Dieu était avec lui ; il tenait son âme dans l'hu­milité, la charité et la prière ; sa prudence était grande, sa charité très-bienveillante, sa sagesse ingénieuse et féconde en ressources. Le mot de David se réalisa pour lui : Dieu choisit ce pauvre pour l'élever du fumier et le placer avec les princes de son peuple1. » Tant que vécut le bienheureux Lupus, le jeune biturige remplit près de lui les humbles fonctions de serviteur 1. Après la mort du grand évêque, saint Camélien voulut récompenser le mérite du pieux Aventinus en lui confiant la charge d'économe de l'é­glise. Dans son humilité, Aventinus résista d'abord; mais les

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vie anachorétique. Ce fut alors qu'il se retira dans la forêt voisine, au lieu dit Saint-Avenlin d'Oze ou lès-Verrières. Là, il vécut dans une retraite absolue. A la fin de sa vie seulement, un compagnon unique de solitude vint se mettre sous sa direction et reçut son dernier soupir. Impossible dès lors de faire concorder le récit de la délivrance de Fidolus avec la réclusion soli­taire de saint Aventin dans l'ermitage où celui-ci se renferma pour terminer ses jours. Il nous paraît donc que «la congrégation sainte » où, d'après les actes de Fidolus, Aventin, « au milieu des frères, s'appliquait assidûment au service de Dieu, » doit s'entendre du monastère ou collegium épiscopal fondé à Troyes par saint Loup, et soigneusement conservé par les évêques ses successeurs. La fonction « d'économe de l'église, » qui lui fut Confiée par Camélien, emportait naturellement la présidence de ce monastère. Voilà pourquoi, d'une part, les actes donnent à Aventin le titre d'abbé. Voilà pourquoi, d'autre part, Aventin avait à sa dispositiou les sommes d'argent nécessaires pour racheter non-seulement le jeune Fidolus, mais encore, ainsi que nous le dirons bientôt, un certain nombre d'autres captifs. Ana­chorète dans les forêts qui couvraient alors toute cette contrée, Aventin n'aurait eu que ses vertus à offrir aux soldats d'Austrasie, et ceux-ci voulaient de l'or. Il faut donc, sauf meilleur avis, s'en tenir au texte précis des actes et placer dans la ville même de Troyes, au monastère de Saint-Loup, la délivrance du jeune Fidolus.

1 Bolland., Acl. S. Aventin., 4 feb. ; Psolm., cxn, 7-8. — 2. Lupo untistiti fumulabatur Aventinus quidam religiosus. (Greg. Turon., De gior. confessor., cap. lxviii; Pair, lat., tom. LXXI, col. 877.)

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suffrages du clergé et du peuple étaient unanimes. L'évêque maintint sa décision et le modeste serviteur se soumit. « Son administration fut bénie de Dieu, ajoutent les actes. Jamais les pauvres, les veuves, les orphelins n'avaient été si abondamment secourus. A mesure qu'Aventinus puisait dans les celliers de l'église pour leur nourriture, les provisions se multipliaient sous sa main. C'est ainsi qu'un tonneau de cent bouteilles de vin, dans lequel chaque jour il prenait pour la table des pauvres, demeura plusieurs années sans subir de diminution 1. » Tel était le libéra­teur qui attendait au passage le jeune captif Fidolus. «Dans les jours qui précédèrent l'arrivée à Troyes des bandes austrasïennes, Aventinus eut une vision céleste. L'ange du Seigneur lui recomman­dait un enfant exilé, du nom de Fidolus, lequel viendrait bientôt, traîné en esclavage par des soldats. Tu rachèteras ce captif, disait l'ange, et tu le recueilleras dans ce monastère dont il deviendra l'une des gloires. — Plusieurs fois cette vision se renouvela, et Aventinus ne savait encore comment elle se réaliserait. Enfin, il vit venir l'avant-garde de l'armée d'Austrasie, qui passa devant la porte du monastère. Les prisonniers étaient en tête. Aventinus s'adressant aux soldats, leur dit : N'avez-vous point, parmi les captifs, un adolescent du nom de Fidolus? — Seigneur abbé, ré­pondirent-ils, nous avons en effet un prisonnier de ce nom. Voulez-vous le racheter pour votre église? — L'homme de Dieu compta douze nummi d'or aux soldats, qui lui remirent Fidolus. L'enfant se jeta dans ses bras comme dans ceux d'un père, et dès ce jour il n'eut plus d'autre ambition que celle de servir et d'imiter son pro­tecteur 2. » « Or, dit Grégoire de Tours, quelques autres prison­niers, témoins de la charité d'Aventinus, échappèrent à leurs gar­diens, et vinrent se réfugier prés de lui. Leur maître les réclamait impérieusement; Aventinus offrit de payer leur rançon. Non, ré­pondit le guerrier franc. Je ne veux pas emporter si loin une somme qu'on pourrait me dérober en route. Engagez-vous à me la faire remettre dans mon pays, et je vous renverrai aussitôt les

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1. Bolland., Âct. S. Aventin., !oc. cit. — 2. Bolland., Ad. S. Fidol., 16 maii.

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prisonniers auxquels vous vous intéressez. — L'abbé mit sa main dans la main du soldat, les conventions furent ainsi solennellement ratifiées, et l'austrasien continuant sa route emmena les captifs. Aventinus lui fit religieusement parvenir la somme fixée. Mais le parjure guerrier, après l'avoir reçue, garda les esclaves. A quel­ques jours de là, il ressentit une vive douleur à la main droite, cette main déloyale qu'il avait mise dans celle d'Aventinus. Une violente inflammation se déclara, elle envahit le coude, le bras, le corps tout entier, et le malheureux expira dans des souffrances horribles. Sa veuve ne consentit pas davantage à rendre la liberté aux captifs. Elle fut atteinte elle-même d'une maladie soudaine et suivit de près son mari au tombeau1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon