Darras tome 16 p. 49
26. Vraiment est-ce un spectacle si ridicule de voir un jeune roi, victorieux de tous ses ennemis, s'asseoir au milieu de ses conseillers sur le faldistorium ou trône d'or2 qu'Éloi, un artiste éminent comme le fut plus tard Benvenuto Gellini, venait de ciseler? Là dans son palais de Clippiacum (Clichy) étaient réunis Pépin de Landen, Arnoul de Metz, Cunibert de Cologne, Amand de Maëstricht, le trésorier Dado ou Audoenus plus tard évêque de Rouen, les nobles guerriers Faro plus tard évêque de Meaux, Geromarus plus tard fondateur du monastère de Flay devenu célèbre sous le nom usuel de Saint-Germer, Ado plus tard
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1. Gest. Dagob., cap. xxvi ; tom. cit., col. 1406.
2. Jusqu'au XVIe siècle les rois de France conservèrent la coutume, à leur avènement au trône, de s'asseoir sur le faldistorium de Dagobert pour recevoir le premier serment de fidélité de leurs vassaux.
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fondateur de Jouarre, Dado de Rebais, Philibert de Jumièges. Cette assemblée d'hommes d'état, telle qu'on n'en verra plus que sous Charlemagne, était à la fois un concile de saints. On y révisait, pour les codifier en un seul corps de législation, la loi Salique, celles des Bourguignons, des Ripuaires, des Bajoarii (Bavarois), des Alamanni. L'esprit de l'Église, esprit de douceur et de charité, se substituait aux dures prescriptions des coutumes germaniques. La protection du faible, les droits sacrés du pauvre, de l'opprimé, du peuple, étaient affirmés par les descendants chrétiens des conquérants barbares. L'Évangile, devenu la loi écrite de la civilisation nouvelle, inaugurait pour notre patrie des siècles d'une grandeur et d'une gloire dont la France actuelle a perdu le secret. « La justice élève les nations, l'iniquité abaisse les peuples et les plonge dans la ruine 1. » Or c'était un grand justicier que Dagobert. En 622, lors de son mariage avec Gomatrude sœur de la reine Sichilde, n'étant encore que roi d'Austrasie, il s'éleva entre son père et lui, au sujet de l'apanage de la jeune princesse, un grave différend. Les leudes austrasiens prirent parti pour leur jeune maître ; la résistance de Clotaire II pouvait amener une guerre civile. Dagobert, ce roi « torrent, » comme l'appelle saint Ouen dans son énergique langage 2, remit le litige à l'arbitrage des évêques et des leudes. Douze juges furent choisis de part et d'autre pour terminer la querelle. Ils donnèrent raison au prince austrasien. A dater de cette époque, le nombre douze, qui rappelait celui du collège apostolique, fut consacré pour les conseillers de la couronne, et nous le retrouverons plus tard dans les douze pairs de Charlemagne. Partout où se montrait la majesté royale personnifiée dans le jeune roi des Francs, les peuples saluaient avec enthousiasme l'apparition de la justice, ils avaient surnommé Dagobert le Salomon des Gaules. Ce fut ainsi qu'en 630 il parcourut la Burgondie, s'arrêtant aux villes principales de Langres, Dijon et Latona (Saint-Jean de Losne), courbant le front
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1 Proverb., ïiv, 34. — 2. Dagoberlus rex torrens (S. Audoen., Vita Eligii, loc. cit.
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superbe des oppresseurs quels qu'ils fussent, remplissant de joie le cœur des pauvres qui trouvaient en lui un véritable ami de Dieu 1. « Car, dit l'annaliste, s'il était terrible contre les rebelles et les prévaricateurs, il avait des entrailles de père pour les humbles et les opprimés2. » Du fond de la Bretagne jusqu'alors si indépendante, le saint roi Judicaël, après une ambassade d'Eloi, revenait avec le négociateur reconnaître la suzeraineté de Dagobert et lui jurer fidélité.
27. Le vœu fait dans son adolescence sur le tombeau de saint Denys fut accompli avec une magnificence vraiment royale par Dagobert. Une nouvelle église s'éleva au centre d'un monastère dont les constructions et les propriétés territoriales dépassaient en étendue celles d'Agaune et de Luxeuil, les plus florissantes abbayes de cette époque. Le Laius perennis y fut institué : trois cents religieux, partagés en neuf chœurs, se relayaient jour et nuit pour chanter les louanges du Seigneur. Le roi avait voulu de sa main travailler à l'ouverture du tombeau qui gardait les saintes reliques. Il lut avec un bonheur indicible sur le loculus primitif les trois noms de ses protecteurs célestes Denys, Rustique, Eleuthère, tels que la vision les lui avait désignés : à la fête de la translation solennelle, il porta lui-même les ossements sacrés dans le sarcophage d'or massif, chef-d'œuvre de saint Éloi, placé au milieu de la nouvelle église et surmonté d'une abside de marbre couverte de lames d'argent et de pierres précieuses. Sur le front du mausolée, une gracieuse aigrette d'or et de perles, entourée d'un triple rang de pommes d'or, encadrait un petit autel érigé en avant du tombeau. La croix d'or de cet autel était d'un dessin si pur, d'un travail si parfait, que « nos artistes actuels, dit le chroniqueur, regardent comme impossible d'en exécuter une semblable 3.» L'ambon ou pupitre dépendant de cet autel et les portes du tombeau étaient revêtus de plaques d'argent ciselé. De tous les points de la Gaule,
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1 Gest.
Dagobert., cap. XXI ;
Fredegar. Chronic, cap.
XLvm ; Pair, lat.,
tom. LXX1, col. 642.
2 Circa benevolos mansuetus, rebellantibus vero seu perfidie in regno terribilistfiesia Dagobert., cap. xxm).—3. Gesta Dagob., cap. xx.
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des extrémités du monde même, on accourait pour admirer ces chefs-d'œuvre dédiés aux patrons de la France par un grand roi et par un grand saint. Les plus magnifiques privilèges, en premier lieu celui d'asile, furent conférés au royal monastère. Dans un mall ou plaid, qu'il nomme son synode général, tenu au palais de Clippiacum en 632, Dagobert « adjure les rois et princes ses successeurs, au nom de la sainte et indivisible Trinité et par l'avènement du souverain juge, de maintenir l'honneur et révérence de la sainte mère Église en la maison où repose notre seigneur et très-saint patron Denys, avec autant de vigilance que l'on conserve à Rome dans la basilique des bienheureux Pierre et Paul le privilège si connu de l'empereur Constantin 1. » En 637, au palais de Compendium (Compiègne), en plaid général, il stipule les immunités temporelles les plus étendues pour le monastère : dans un autre diplôme, rédigé en un synode tenu à Paris par l'archevêque Landericus (saint Landry), il confirme son exemption au spirituel. Des revenus assignés sur le fisc royal, des donations foncières dont Suger compulsait quatre siècles plus tard
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1. Dagobert., Diplom. Patr. lat., XI ; tom. LXXX, col. 516. Une seconde fois Dagobert mentionne la donation de Constantin, Diplom. xvm, col. 532. Ce privilège de l'empereur Constantin à l'église romaine, invoqué comme exemple dans des chartes mérovingiennes, révoltait la critique de l'oratorien janséniste Le Cointe, qui rejetait sans pitié tous ces documents comme apocryphes. Quod sane supposititium nemo non judicaverit, cum in eo splendida fiât mentio donaiionis Consiantiniance, quam longe post tempora Dagoberti fabrica-tam fuisse apud omnes in confessa est. Nous avons suffisamment prouvé, croyons-nous, que la donation de Constantin fut très-réelle. (Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 161). En tout cas, nous avons vu que les adversaires de cette donation sont dans l'impossibilité de s'accorder entre eux pour lui assigner une date et un nom d'auteur. La mauvaise humeur de Le Cointe ne prouve donc rien autre chose que des illusions de parti-pris. Les autres arguments qu'il oppose à l'autheuticité des diplômes de Dagobert I, sont tirés pour la plupart des souscriptions, où l'on voit par exemple le nom d'Éloi ou celui d'Audoenus avec leur titre d'évêque de Noyon ou de Rouen, à une date antérieure à l'épiscopat de ces illustres personnages. Or, il est manifeste que, dans les transcriptions subséquentes de ces actes, les archivistes de l'abbaye purent faire à la signature de saint Éloi ou de saint Ouen l'addition de leur titre épiscopal, sans altérer en quoi que ce soit la valeur intrinsèque des diplômes eux-mêmes.
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les textes authentiques, et dont il faisait revivre la teneur, enfin l'établissement du fameux landit qui attirait le commerce du monde entier, complétèrent l'ensemble des institutions qui firent de la royale abbaye le centre religieux et monarchique de la France. En même temps s'élevait à Paris l'Hôtel-Dieu, monument admirable de la charité mérovingienne, dont l'évêque saint Landry posa la première pierre.
28. Après cela faut-il s'étonner que la mémoire de Dagobert, comme plus tard celle de Charlemagne, ait été dans les cloîtres de la Gaule l'objet d'une canonisation légendaire? Le roi mérovingien et le fondateur du saint empire eurent à côté de leurs nobles qualités, et en dépit des saints personnages qui formaient leur conseil, une passion commune, passion fougueuse, indomptable comme leur caractère, passion qui se retrouve, hélas ! avec l'hypocrisie en plus et la jeunesse du sang en moins, même dans les races abâtardies. Il est curieux de voir notre siècle, celui de l'immoralité sans vergogne et de la débauche sans repentance, reprocher comme un crime irrémissible à la jeunesse d'un roi mérovingien mort à l'âge de trente-six ans, des liaisons équivoques dont ce roi fit plus tard une pénitence sincère. Même sur ce point cependant, Dagobert ne fut pas aussi coupable que dom Rivet, dans l'Histoire littéraire de la France, s'est plu à le faire croire. « Un règne d'abord dirigé par la prudence, la modération, la justice et l'équité, dit-il, puis terni par un enchaînement de débauches excessives, fait en deux mots le caractère de Dagobert Ier. Non-seulement ce prince quitta Gomatrude qu'il avait épousée, et prit à sa place Nantilde une de ses filles d'honneur, mais il alla jusqu'à cet excès qu'il avait trois femmes à titre de reines tout à la fois et grand nombre de concubines1. » L'accusation est catégorique ; elle a le mérite d'avoir été imprimée pour la première fois en 1740 par un bénédictin qui n'aimait sans doute pas plus la bulle Unigenitus2
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1 Hisi. Littér. de la France, tom. III, pag. 554-555; édit. Paulin-Paris. ! Dom Rivet de la Grange (Antoine), bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, né à Gonfolens en 1683, mort au Mans l'an 1749, prit une
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que les désordres de Louis XV. Tous les compilateurs officiels ont eu soin de la reproduire, à l'usage de la jeunesse studieuse. L'accusation est donc classique ; nul n'a pris la peine de rechercher ce qu'elle a de vrai et ce qu'elle a d'exagéré. Il y a pourtant en faveur du roi mérovingien des circonstances fort atténuantes : l'impartialité faisait un devoir de ne pas les omettre. « En 628, à son retour des provinces Burgondes, dit le chroniqueur contemporain, Dagobert rentré à Paris réunit les leudes francs, et par leur conseil répudia Gomatrude pour cause de stérilité, et assigna à cette reine la villa de Romiily. Il prit alors pour épouse, l'élevant sur le trône royal, Nanthilde, jeune princesse d'une extraordinaire beauté 1. » Mais il n'en eut encore point d'enfants. « La huitième année de son règne (631), comme il parcourait l'Austrasie, au milieu d'une population désolée de ne point voir surgir d'héritier à la couronne, il consentit à épouser une jeune fille nommée Ragnetrude, dont il eut enfin, l'année suivante, par la bénédiction du Seigneur, un fils obtenu à force de prières et d'aumônes. Le baptême se fit à Orléans. Charibert, frère du roi, leva l'enfant des fonts baptismaux. Le vénérable évêque d'Utrecht, Amandus (saint Amand), présida la cérémonie. Quand il eut terminé les dernières prières, parmi cette immense réunion des leudes et des guerriers francs, il ne se trouva personne qui songeât à répondre amen. Alors le Seigneur ouvrit la bouche de l'enfant lui-même, âgé à peine de quarante jours, et l'on entendit sortir de ses lèvres, très-distincte-
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grande part aux querelles théologiques de son temps. La tranquillité de sa vie fut troublée par son attachement à la mémoire et à la cause d'Arnauld et de Quesnel. On a de lui les huit premiers volumes de l'Histoire littéraire de la France. Il a en outre revu et achevé le Nécrologe de Port-Royal, Amsterdam, 1723, in-4°. La publication de cet ouvrage, jointe à son opposition à la bulle Unigenitus dont il avait appelé, indisposa ses supérieurs contre lui. On l'obligea de se retirer dans l'abbaye de Saint-Vincent du Mans, où il mourut. (Glaire, Dict. univ. des sciences ecclés.)
1 Parisius venit, ibique Gomatrudem reginam Romiliaco villa, eo quod esset sterilis, curn consilio Francorum relinqucnsj Nanthildem quamdam speciosissimi decoris puellam in malrimonium suscipicns, reginam sublimavit. {Gest. Dagob., cap. xxii.)
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ment formulé, le mot amen1. » Une acclamation de joie unanime accueillit cet heureux présage. L'enfant qui parlait ainsi avant l'âge devait être le saint roi Sigebert. Ce que devint Ragnetrude, après la naissance de ce fils de bénédiction, l'histoire contemporaine ne nous l'apprend pas. Peut-être mourut-elle dans l'intervalle. Ce qui est certain, c'est que «dans la douzième année de son règne (635), continue le chroniqueur, Dagobert eut un second fils de la reine Nanthilde, auquel on donna le nom de Clovis. Les seigneurs neustriens l'acclamèrent dès sa naissance comme leur futur roi. Les leudes, pontifes et autres chefs d'Austrasie qui avaient déjà juré fidélité à Sigebert, donnèrent la main aux chefs neustriens, promettant sur les saints Évangiles de laisser la Neustrie et la Bourgogne au jeune roi Clovis II 2. » Ces textes précis, positifs, que dom Rivet a passés sous silence, ne laissent pas que d'atténuer singulièrement l'accusation « d'excessives débauches » dont il a d'un trait de plume flétri la mémoire de Dagobert. Ils ne l'effacent pourtant pas tout entière ; il est certain que le prince eut à subir à ce sujet les vives objurgations de saint Amand, les reproches de Pépin de Landen et ceux de saint Arnoul de Metz. Ces deux derniers crurent même devoir quitter le palais. Pépin de Landen se retira dans ses domaines de Burgondie, emmenant avec lui le jeune Sigebert dont le roi n'hésita pas à confier l'éducation à un ministre disgracié, ce qui prouve d'une part que la disgrâce était fort légère, d'autre part que le bienheureux Pépin n'avait pas de doutes sur la légitimité de la naissance de son royal élève. Il fut remplacé comme maire du palais par Ega, dont tous les historiens s'accordent à louer le mérite et la vertu. Quant à saint Arnoul de Metz, il aspirait depuis longtemps à embrasser la vie religieuse. Quittant donc à la fois et la cour et son évêché, il alla
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1 Gest. Dagob.t cap. xxiv. Le fait caractéristique du baptême de Sigebert par saint Amand, et la présence de Charibert, frère du roi, levant lui-même des fonts baptismaux son jeune neveu, ne permettent absolument pas de supposer une naissance illégitime.
2. Gest. Dagob., cap. xxii. Le lecteur comprendra que les évêques d'Austrasie ne se fussent point prêtés à la reconnaissance d'un enfant adultérin.
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terminer sa vie sur la montagne de Habend, près du monastère de Saint-Romaric (Remiremont) 1. Saint Cunibert de Cologne le remplaça au conseil royal. Un autre grief plus avéré pèse dans une certaine mesure sur la mémoire de Dagobert. L'auteur des Gesta raconte le fait en ces termes : « Neuf mille Bulgares, chassés de la Pannonie par les Chunni ou Huns, vinrent demander asile sur la terre des Francs. Le roi leur permit de passer l'hiver chez les Bajoarii (Bavarois), en attendant la décision définitive qui devait être prise à leur sujet dans l'assemblée des leudes. » Or, dans cette assemblée, prévalut un avis que le chroniqueur appelle sage, et qui était une atroce barbarie. « On convint de faire massacrer tous les Bulgares disséminés parmi les Bavarois qui leur avaient donné l'hospitalité 2. » Cet ordre reçut son entière exécution. Les crimes sans nom qu'on reprochait aux Bulgares expliquent, mais ne justifient pas cet horrible massacre, résolu en champ de Mai par les guerriers francs. II ne souleva d'ailleurs aucune indignation dans les Gaules, tant étaient exécrés ces Bulgares, dont le nom reste encore aujourd'hui dans le langage trivial, synonyme de la plus grossière injure ! Toutefois la tache de ce sang poursuivit le roi mérovingien par delà le tombeau. Au moment où Dagobert, mort à la fleur de l'âge, recevait à Saint-Denys, selon le vœu qu'il en avait exprimé par testament, les honneurs de la sépulture, Ansoald, défenseur de l'église de Poitiers, était en mer, revenant de Sicile où des intérêts que la chronique ne spécifie pas l'avaient fait voyager. Le navire qui le portait fit halte dans une
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1 Saint Arnoul avait déjà inutilement sollicité, du
vivant même de Clotaire II, la
permission de renoncer au monde. Quand il renouvela sa requête près de Dagobert, le jeune roi eut un de ces
mouvements désordonnés qui lui
valurent de saint Ouen le surnom de torrent. Dans sa colère, il
porta la main à son épée, comme pour en frapper
l'homme de Dieu. La reine Gomatrude, qui était présente, se jeta aux pieds de l'évêque pour lui demander pardon de l'emportement de son époux. Dagobert lui-même,
touché d'un repentir soudain, fondit en larmes, s'agenouilla aussi devant saint Arnoul et lui accorda l'autorisation qu'il sollicitait. Arnoul, après avoir fait élire saint Goéric sur le siège
de Metz, s'enferma dans la solitude, et y mourut le 16 août 641.
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1. Gest. Dagobert., cap. xxvm.
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des îles voisines de l'Etna. Un solitaire, nommé Jean, connu par tous les navigateurs habitués à ces parages, vivait sur les rochers déserts de l'île; Ansoald le visita. « Vous êtes gaulois, lui dit l'ermite. Donnez-moi quelques renseignements sur la vie et les mœurs du roi des Francs, Dagobert. —Ansoald satisfit la curiosité du saint homme, et lui demanda ensuite ce qui l'avait excitée. Il y a quelques jours, répondit le solitaire, comme je dormais après une journée de fatigue sur la terre nue de ma grotte, je fus éveillé par un vieillard à barbe blanche. Il me dit de prier pour le roi franc, qui venait de passer de vie à trépas. Je me levai aussitôt, et m'agenouillant sur le rocher, je me mis en prières. Peu après j'aperçus au loin sur les flots une barque dans laquelle des démons conduisaient enchaîné, en le frappant de verges, le roi Dagobert. Ils se dirigeaient vers l'Etna. J'entendais le roi captif invoquer à grands cris le nom des bienheureux Denys et Maurice martyrs, et celui du très-saint confesseur Martin. Soudain la foudre éclata sur la barque, les démons disparurent, et dans une auréole de gloire je vis les trois protecteurs célestes de Dagobert emporter son âme au sein d'Abraham. En montant aux cieux, ils chantaient la parole du psaume : Beatus quem elegisti et assumpsisti, Domine, inhabitabit in atriis tuis1. » L'auteur des Gesta Dagoberti qui a recueilli cette légende affirme l'avoir reproduite d'après un manuscrit attribué à saint Ouen. «Elle lui paraît, dit-il, non moins vraie que vraisemblable. » Réelle ou supposée, elle atteste évidemment le dogme du purgatoire, l'efficacité de la prière pour les morts et de l'intercession des saints. Lorsqu'au XIIIe siècle, saint Louis fit élever sur la tombe de Dagobert le mausolée qui s'y voit encore, il commanda au sculpteur de représenter la légende d'Ansoald, charte monastique de la canonisation du roi mérovingien.