Darras tome 20 p. 141
§ VI. Les abbés de Cluny et de Bobbio.
47. «Quand l'église de Rome fut ainsi veuve de son pasteur, dit un hagiographe contemporain, l'empereur Othon II et sa mère sainte Adélaïde, envoyèrent immédiatement chercher à Cluny le serviteur de Dieu Maïeul, et le contraignirent de se rendre en Italie. A son
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Hoc Benedioti papae quiescunt membra sepulcro,
Septimus existens ordine quippe Patrum. Eicprimus repulit Fraacoais spurca superbi,
Culmina oui invasit sedis apostoliese. Qui dominumque suum captum in Castro habebat
Sairl
Maïeul
abbè île
Uluny refuse le souveraia
Carceris interea vinclis constrictus in imo,
Strangulatus ubi exuerat hominem. Hic rjuoque preedones sanctorum falce subegit
ltomanse ecclesiae judiciisque pairum.
Gaudet past'^'f, amans agmina cuacta simul. Hicce monastetism statuitmonachosque levavit,
Qui laudes domino nocte dieque canunt. Confovens viduas neenan inopesque pupillos
Ut natoe proprios assidue refovenî. Inspector tumuli compuncto dicito corde :
Cum Ghristo règnes, o Bénédicte, Dëo.
(Watterich., tom. I,p. 87./
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arrivée, ils le reçurent avec les plus grands honneurs, et le supplièrent d'accepter le souverain pontificat auquel on voulait l'élire. Mais l'homme de Dieu ne cherchait pas les honneurs de ce monde ; Son unique ambition était de croître sans cesse en humilité. Attaché du fond du cœur au petit troupeau dont le Christ lui avait confié la direction, il prétendait ne jamais le quitter, résolu d'imiter la pauvreté du Seigneur Jésus descendu du ciel pour naitre dans une étable et mourir sur la croix. Cependant il se vit telle-ment pressé par les instances de l'empereur et par celles de la noblesse et du clergé romain, qu'il demanda quelque temps pour réfléchir. Il eut alors recours à la prière, et conjura le Seigneur de l'éclairer sur la conduite à tenir et sur la réponse définitive qu'il avait à faire. Après une longue oraison, comme il se relevait, un codex du Nouveau Testament lui tomba sous les yeux. Il l'ouvrit au hasard et les premières lignes qu'il rencontra furent celles-ci : « Prenez garde qu'on ne vous trompe par les raisons d'une fausse sagesse, par la fallacieuse vanité des prévisions humaines, inspirées par l'esprit du monde et non par celui du Christ1. » Ces paroles lui semblèrent un oracle divin s'appliquant à sa situation présente, et il déclara aux siens qu'elles tranchaient pour lui la question. En effet, lorsque l'empereur et sa sainte mère d'un côté, les évèques et les nobles de l'autre vinrent renouveler leurs instances, il répondit en ces termes : « Je ne me trouve pas les qualités nécessaires à un souverain pontife; j'ai la conviction que je serais incapable de porter le poids d'une telle grandeur, dès lors ce serait une impardonnable témérité de l'accepter pour la compromettre. Je serais un étranger pour les Romains ; leur patrie et leurs mœurs ne sont pas les miennes ; en me conformant à leurs usages, il me faudrait renoncer à la vie monastique que j'ai embrassée. Cherchez donc un autre sujet que vous puissiez élire, car pour moi, je vous affirme, jamais en cette vie je n'accepterai l'honneur apostolique, je n'abandonnerai l'humble troupeau confié à mes soins. » Cette réponse fut irrévocable, Maïeul résista à toutes les prières qui
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1. Coloss. II,8.
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lui furent faites encore, tandis qu'une foute d'autres qui n'avaient ni sa science ni sa vertu se mettaient sur les rangs, multipliaient les sollicitations et n'auraient pas hésité, au risque de perdre leur âme, à acheter par des conventions simoniaques la dignité qu'ils ambitionnaient 1. »
48. Ces dernières paroles nous révèlent dans le clergé romain de cette époque une corruption et une perversité qui expliquent surabondamment les attentats dont le saint-siége fut si souvent victime. Le reste de l'Italie n'offrait pas un spectacle plus consolant. Le nouvel abbé de Bobbio, l'illustre Gerbert, qui devait un jour par un pontificat glorieux, mettre un terme à tant de scandales et préparer les grandeurs du treizième siècle, nous a laissé dans ses lettres un tableau qui ne diffère en rien de l'appréciation du biogra-phe de saint Maïeul. A peine établi dans ce monastère que les souvenirs de saint Colomban avaient rendu fameux et qui conférait à ses abbés la dignité de comtes de l'empire, l'ancien écolâtre de Reims avait voulu implanter en Italie les études qu'il avait rendues si florissantes dans les Gaules. Il comptait faire de Bobbio un centre intellectuel où l'on viendrait de tous les points de l'Europe se former à la double discipline de la science et de la vertu. « Vous savez, écrivait-il à Egbert archevêque de Trêves, combien le césar notre maître (Othon II) se préoccupe de l'éducation nationale ; on peut dire qu'il a pour les hommes instruits et vertueux une véritable passion. Si donc vous voulez m'envoyer des disciples en Italie, je les recevrai avec grande joie2. » En même temps, Gerbert songeait à former à Bobbio une bibliothèque qui pût riva¬liser avec celle de Reims. « Service pour service, écrivait-il à son ami Ayrard abbé de Saint-Thierry3, je me chargerai ici de vos affaires, mais à la condition que vous ne négligerez pas les miennes.
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1. Syr, Monach. S. MaioH Wm.,\Ub. III, cap. vin. Patr. Lai., t. CXXXVII, col. 769.
2. Doinini nostri Cœ^aris oppelitum bonorum virorum supereminentem cogno-
viitis. (Gerbert. Epist. s, édit. 011eri3, p. 7).
3. Le monastère bénédictin de Saint-Thierry, dit du Mont-d'Or, au diocèse de Reims avait été fondé vers l'an 500.
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Faites donc poursuivre la correction de l'exemplaire de Pline, et presser la transcription d'Eugraphius sur les deux manuscrits d'Orbais et de Saint-Basle 1. » Ces préoccupations scientifiques de Gerhert durent bientôt faire place à des soucis d'une nature plus pénible. Son prédécesseur Pétroald, qui était redescendu au rang de simple moine, avait dissipé, donné ou mis en gage, tous les biens de l'abbaye. Gerbert dans une première lettre à Othon exposait sa triste situation en ces termes : « Je voudrais ne porter aux sérénissimes oreilles de l'empereur mon maître que d'agréables nouvelles, et voici que je lui transmets des lamentations ; mais quand je vois mes religieux exténués par la faim, manquant de vêtements, dépourvus de tout, comment garder le silence? Encore ces maux seraient-ils jusqu'à un certain point tolérables, si l'on ne nous eût enlevé jusqu'à l'espoir d'un meilleur avenir. Par je ne sais quels codicilles (baux) qu'ils nomment libelli, tout le domaine sacré du monastère a été aliéné. L'argent qui aurait dû résulter de ces prétendues ventes ne se trouve nulle part; les celliers, les greniers sont vides, et dans les marsupia (caisses) il n'y a rien. Que ferais-je donc ici, moi pécheur? Si de la grâce de l'empereur mon maître je pouvais en obtenir l'autorisation, je préférerais retourner dans les Gaules et y vivre dans la solitude et la pauvreté monastique, plutôt que de mendier avec tant de nécessiteux en Italie1. » Ces plaintes étaient fondées; mais, dit M. Olleris, la si¬tuation de Bobbio était celle de tous les monastères de l'empire, dont les richesses avaient excité la cupidité des seigneurs laïques, des évêques même, des avoués chargés de les défendre . Frapper les injustes détenteurs des terres et des revenus de Bobbio, c'était
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1. Gerbert. Epist. xi, loc.cit,, col. 7. Muratori a publié,dans les An'iguitatei Italia mediieevi, tom.lll, col. 818, un catalogue de Ja bibliothèque de Bobbio d'après un manuscrit du dixième siècle, c'est-à dire de l'époque même de Gerbert. La collection avait une importance vraiment exceptionnelle. A l'époque où l'immortel cardinal Frédéric Borromée, successeur de saint Charles, fonda à Milan la célèbre bibliothèque Ambroaienne, il y fit trans-porter la plupart des manuscrits de Bobbio.
2. Gerbert. Epist. xin, loc. cit. p. 8.
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menacer et mécontenter toutes les personnes puissantes. » Or, en ce moment même Othon engagé dans son expédition contre les Grecs et les Sarrasins coalisés en Calabre avait le plus grand intérêt à ménager ses vassaux, et surtout ceux d'Italie si peu sympathiques à la domination allemande. Ce que les armes spirituelles des papes ne pouvaient obtenir, malgré tant de rescrits énergiques et de privilèges délivrés en faveur des monastères, Othon ne pou¬vait ni ne voulait l'essayer par la force. Les usurpations d'ailleurs se déguisaient sous forme de concessions ou d'aliénations volontaires consacrées par des actes libellatiques (libelli), c'est-à-dire par des contrats et des baux réguliers en apparence, quoique la plupart du temps simoniaques, frauduleux ou violemment extorqués.
49. La providence qui réservait à Gerbert la mission de combattre un jour comme souverain pontife tant d'abus et de désordres, voulait dans un rang inférieur le mettre aux prises avec eux pour mieux les lui faire connaître. On peut juger des difficultés qu'il rencontrait à Bobbio par ces quelques lignes qu'il adressait à un seigneur voisin, nommé Boson : « Trêve de paroles, venons au fait. Le sanctuaire du Seigneur mon Dieu1, je ne vous le donne ni pour argent ni à titre d'amitié. Si quelque autre vous l'a concédé, je ne ratifie pas cet acte. Rendez au bienheureux Colomban le foin que vos gens lui ont enlevé dans la prairie; sinon vous ferez bientôt l'expérience de ce que nous pouvons avec la faveur du césar notre maître, avec le secours et le conseil de nos amis2. » Son espoir fut trompé ; l'empereur ne lui prêta nullement l'appui sur lequel il comptait. Gerbert en exprima sa désolation à l'évêque de Tortona. « Je recours aux conseils de votre amitié comme à mon unique espérance. Me taire dans la calamiteuse situation du monastère, serait une sottise, et pourtant si je parle on me taxe de jalousie ; j'ai l'air d'être guidé par des haines personnelles. On prétend qu'au
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1 Sanctuarium Dominimei neepecunia necamicitia votit damvs. Par cette ex¬pression biblique de sanctuarium Domini, Gerbert entendait le domaine sacré du monastère, composé de toutes les offrandes faites au Seigneur par la pieté des fidèles.
2. Gerbert. Epist, xii, toc. cit. p. 7.
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moyen d'actes libellatiques le précédent abbé avait le droit d'aliéner tous les immeubles du monastère, qu'il avait à titre d'aumônes le droit de disposer de tous les revenus et biens meubles, enfin que redevenu simple moine il a encore un droit héréditaire à ce qui reste, s'il restait quelque chose. Mais en ce cas je demanderai pourquoi on a pris la peine de choisir un nouvel abbé, il paraît que tout appartenait à Petroald, à l'abbé rien ; en sorte que nous n'avons plus en jouissance que le toit qui nous abrite, l'air qui ne nous coûte rien, et l'eau que nous fournit libéralement la Trébie. Le César mon maître veut que je respecte tous les engagements de Petroald, que je les tienne pour valables et que je les exécute. Ve¬nez-moi en aide, secourez-moi de votre influence et de votre crédit1.» Dans une autre lettre au comte Hugues, Gerbert exprimait encore son chagrin : « Le César mon maître, mesurant ses bienfaits à la magnanimité qu'il me suppose, a cru m’enrichir magnifiquement. Est-il en effet une seule province d'Italie où le bienheureux Colomban ne possède quelques domaines? Or, les largesses et la bienveillance de notre César m'ont donné tout cela, mais de fortune il se trouve que tout cela n'est rien. Ou plutôt c'est une mul¬titude d'ennemis et non de biens que m'a donné César, Quelle est la province d'Italie où je ne compte en effet autant d'ennemis que d'habitants? Mes forces, je l'avoue, ne suffisent pas contre l'Italie entière. On veut bien à la vérité me faire des conditions de paix. Si je consens à me laisser dépouiller sans mot dire, on cessera de m'attaquer ; si je garde seulement de quoi me vêtir, moi et mes religieux, on me poursuivra l'épée à la main, et si l'épée ne peut m'atteindre on aura recours aux traits de la calomnie. C'est ainsi qu'en mon humble personne la majesté impériale est outragée ; on l'outrage en se jouant de ses ordres, on l'outrage en dilapidant le sanctuaire de Dieu par des conventions libellatiques. Et comme je refuse mon aquiescement à de tels actes, je suis un perfide, un monstre, un tyran. Ces brigands (furciferi) osent bien dire de César le plus excellent des hommes qu'il n'est qu'un âne ! 0 le plus fidèle
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1. Episi. xiv, p. 8,
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des amis, ne m'abandonnez pas sans conseil ni secours dans ma détresse. Rappelez-vous ce que je vous ai dit mille fois ; je préfère être simple soldat dans le camp de César à être roi chez des étrangers 1. »
50. De tels sentiments, on le conçoit, ne pouvaient recommander Gerbert à la sympathie des Italiens, qui pour la plupart détestaient les césars germaniques. Les calomnies contre l'abbé de Bobbio, à défaut des épées et des poignards, circulaient donc dans le public et trouvaient crédit même à la cour. Gerbert s'en plaint amèrement à ce même comte Hugues, dont nous ne connaissons pas le titre exact, mais qui avait certainement une grande influence près de l'empereur. « Voilà donc, dit Gerbert, que ces langues et ces qeues de renards viennent frétiller autour du César mon maître ! Que ne les chasse-t-on du palais? ou du moins pourquoi ne pas les forcer à représenter ceux de leurs satellites qui méprisent les édits de César, assassinent ses ambassadeurs et le comparent lui-même à un âne bâté? Je passe sous silence les injures qu'ils me prodiguent à moi-même; ils ont inventé pour moi un terme nouveau : je suis un « cheval émissaire », disent-ils, et ils ajoutent tout bas que j'ai femme et enfants, parce que j'ai recueilli ici une partie de ma famille venue de France. Ces gens là ne savent plus rougir. 0 temps ! ô mœurs ! Chez quelles nations barbares ai-je été jeté? Si je reste attaché de cœur à ma patrie, je trahis la foi très-sainte ; sinon, il me faut vivre comme un exilé. Ah ! puissé-je être exilé avec la foi sous les tentes de César, plutôt que de régner sans la foi sur tout le Latium 2 !» Ces efforts d'un génie tel que Gerbert s'épuisant inutilement contre les préjugés, les abus, les désordres dont l'Italie était alors le théâtre nous semblent de nature à faire comprendre, mieux que tous les discours, la véritable situation des esprits à cette époque d'agitation, de troubles, de violences. Une lettre de l'abbé de Bobbio à l'impératrice sainte Adélaïde n'est pas moins curieuse comme trait de moeurs. « Je me
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1. Gerb. Epist., xra, p. l&
2. Epùt.. xvm. Ibid.
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suis conformé, dit-il, à votre volonté et à celle du César notre maître, au sujet des bénéfices et des détenteurs de libelli. Maintenant je supplie votre auguste clémence de se souvenir des promesses qu'elle a bien voulu me faire pour l'avenir. Les terres que nous donnons aujourd'hui en fief à des vassaux, comment les recouvrer jamais? Si tout le monde commande à Bobbio, excepté l'abbé, que suis-je donc venu y faire ? Et si nous donnons tout, que nous restera-t-il1? » Ainsi aux spoliations anciennes venaient s'ajouter des concessions princières, qui achevaient la ruine des malheureuses abbayes. La nécessité pour Othon II de se créer, à l'époque de la diète de Vérone, des partisans résolus à le suivre dans une nouvelle expédition contre les Grecs et les Sarrasins victorieux, explique cette conduite. Gerbert ne la blâme pas d'une manière absolue, mais il en montre le danger pour l'avenir, et déplore les calamités qu'elle ajoute au présent.
51. Ce fut alors qu'intervint pour la première fois près de lui un personnage déjà fort puissant et qui devait bientôt le devenir de Pavie davantage. C'était Pierre de Canevanova, évêque de Pavie et archichancelier de l'empire. Jouissant de toute la faveur d'Othon II et de sainte Adélaïde, il la justifiait par un rare mérite et des vertus auxquelles les contemporains se plurent à rendre hommage 2. Son église de Pavie détenait quelques terres qui jadis avaient fait partie du domaine de Bobbio. Il en prit occasion pour écrire à Gerbert une lettre aimable, dans laquelle il lui faisait entendre qu'il n'était pas étranger à sa nomination à la dignité abbatiale, et lui proposait une entrevue pour aplanir les difficultés qui les séparaient 3. Gerbert aigri par tant de chagrins amers et de
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1. Epist., xx. lbid.
2. Voici les termes mêmes de l'inscription gravée sur la tombe de Pierre dà Canevanova, plus lard pape sous le nom de Jean XIV :
Prsesulis eximii requiescunt membra Joannig. Imperalori dulcis fuit alque preeclarus, Commissum populum romanum moribus ornans.
WATTERICH, tom. I, p. 87.
3. Nous n'avons plus cette lettre de l'archichancelier, mais la réponse de Gerbert permet d'en rétablir le contenu.
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désillusions poignantes repoussa ces bienveillantes ouvertures. Voici sa réponse : « Si j'ai le titre d'abbé de Bobbio et si je possède nominalement le monastère de Saint-Colomban, ie crois n'en devoir l'obligation à aucun Italien. Vous avez maintes fois, dites-vous, fait mon éloge en présence de l'empereur notre maître, je puis vous assurer de mon côté qu'en plusieurs occasions je vous ai prodigué des louanges d'ailleurs méritées : Non indebitas vobis sœpius reddidimus laudes. Vous demandez une conférence amiable, mais vous ne cessez pas de ruiner notre église ; vous partagez entre vos chevaliers nos biens comme s'ils étaient les vôtres, vous qui devriez au contraire nous faire rendre tout ce qui nous a été ravi. Prenez donc, usurpez, pillez; soulevez contre nous toutes les forces de l'Italie. Vous choisissez le moment opportun. L'empereur notre maître est occupé dans les hasards des combats, et comme je n'ai pas les moyens d'aller faire mon service auprès de lui, vous n'avez pas à redouter que je vous résiste ici par les armes. Si jamais nous retrouvons une ère de paix, présent ou absent je compte servir notre César. Sinon sa présence du moins suffira pour consoler ma détresse. Le mot du poëte n'est que trop vrai : « Il n'y a plus de bonne foi nulle part 1. » On forge des calomnies de toutes pièces, on atteste ce qu'on n'a ni entendu ni vu. Telle étant la situation, je ne veux communiquer avec vous que par écrit : c'est par lettres que je vous transmettrai ma volonté et que je recevrai la vôtre 2. » Cette réponse indignée doit avoir été écrite par Gerbert dans les premiers jours du mois de juillet 9833; or, au mois de décembre suivant, Pierre de Canevanova était pape sous le nom de Jean XIV.
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1 Nusquam tuta fiâes. Virgil. JEneid, lib. IV, T. 373.
2. Gerbert. Epist.} xxi, p. 12.
3. On sait que la chronologie des lettres de Gerbert a donné lien en ces derniers temps à de longues et retentissantes controverses. Les noms similaires des empereurs Othon Ier, Il et III, ainsi que ceux des papes Jean XIII, Jean XIV et Jean XV, avec lesquels Gerbert fut en relation n'ont pas peu contribué à embrouiller la question. Le point de départ de toute la controverse remonte à la date véritable de la nomination de Gerbert à l'abbaye de Bobbio. Hock, dans son Histoire de SylvestreII, dit M. Lausser, place cette nomination en 98?.