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33. Pendant que l'évêque de Langres écrivait ses brèves et solides brochures, Montalembert prononçait des discours à la chambre des Pairs et se montrait aussi vaillant champion de la Sainte Eglise. Charles-Hené Forbes de Montalembert, né à Londres en 1810, avait commencé ses études en Angleterre et les acheva en France. En 1831, il ouvrait, avec Lacordaire et de Coux, cette école libre qui lui valut un procès et une précoce célébrité. Pair de France par la mort de son père, il visita l'Allemagne et l'Italie avant de prendre séance et les visita en homme d'études ; dans sa jeunesse il avait visité l'Angleterre, l'Irlande et la Suède. En 1833, ayant pris part à la rédaction de l’Avenir, il fit avec Lamennais le voyage de Rome et après l'Encyclique, ne se sépara pas facilement du maître foudroyé par Grégoire XVI. De 1835 à 1852, il fut avec Parisis et Veuillot, l'un des généraux de la croisade pour la liberté d'enseignement. A la tribune, il était homme de grand sens et de haute éloquence . Dans ses discours, appuyé toujours sur l'argument constitutionnel, il défendit la liberté de l'Eglise, la liberté des ordres religieux et en général toutes les libertés, se disant un croisé qui ne reculerait pas devant les fils de Voltaire. En 1818, il était l'un des chefs du parti conservateur; en 1850, l'un des promoteurs de la loi-Falloux. Après le coup d'Etat, il entra dans le petit groupe des catholiques libéraux et s'y aigrit misérablement. Au congrès de Malines, il fit un manifeste en faveur du parti, sous le mot d'ordre : L'Eglise libre dans l'Etat libre et le scella en quelque sorte par l'inscription de La-Roche-en-Brenil. Lui qui avait dit : L'Eglise est une mère, devait mourir en 1870 après avoir connivé à tous les complots contre le Concile et déclamé contre Celui qu'il osait appeler l'idole du Vatican. On ne doit douter ni de sa vertu ni de sa foi, mais regretter
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ses aberrations d'esprit et réprouver ceux qui les lui firent commettre. Outre ses trois volumes de discours, où le défenseur de l'Eglise se montra le défenseur de l'Irlande et de la Pologne, l'adversaire acharné de tous les persécuteurs et de tous les despotes, Montalembert a laissé un grand nombre d'articles de Revues et un certain nombre d'ouvrages. Nous devons citer ici : Du vandalisme dans l'art, une Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, Des intérêts catholiques du XIXe siècle, l'Avenir politique de l'Angleterre, une Histoire des moines d'Occident en 7 vol., et un volume de correspondance. Par ses études d'art, Montalembert avait opéré une révolution dans le goût et ramené les esprits à l'admiration de l'art chrétien; par ses études d'histoire, il avait contribué puissamment à la rénovation des études historiques; par ses discours, il avait noblement défendu l'Eglise, et s'il ne lui fit pas toujours rendre justice, il ne la laissa pas condamner sans faire entendre ses réclamations. « C'était un grand champion, a dit de lui Pie IX; mais il avait une ennemie, la superbe. »
34. J'ai cité Veuillot en parlant de Montalembert : ce sont deux noms que je ne dois point séparer. Louis-François Veuillot, né en 1813, à Boynes-en-Gatinais, vint jeune à Paris, fit ses études à la mutuelle, entra comme clerc chez un avoué, puis devint journaliste à Rouen, à Périgueux, enfin à Paris. En 1838, il s'était converti à Rome et entrait, en 1843, à la rédaction de l'Univers, quittant, pour ce poste de combat, une place de sous-chef au ministère de l'intérieur qui lui rapportait tout juste le double de ses émoluments de journaliste. De 1843 à 1800 et de 1837 jusqu'à sa mort, Veuillot dirigea et rédigea ce journal. Sous cette vaillante direction, l'Univers fut une feuille exclusivement catholique. D'autres journaux, avant l'Univers, avaient servi la cause de l'Église, mais en la rattachant à une cause politique, ordinairement à la légitimité. L'Univers ne voulut servir aucun intérêt de parti, ni de dynastie. Dévouement absolu à l'Eglise, horreur absolue de la révolution sous toutes ces formes : tel fut en deux mots son programme. Dans la presse, il fut le plus
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écouté et le plus influent des journaux catholiques. Avec les discours de Montalembert, les conférences de Lacordaire et les articles de Veuillot, il est aisé d'expliquer sa puissance. Le mérite de ses rédacteurs suffisait, du reste, pour motiver son crédit. Outre les catholiques de marque, qui furent tous plus ou moins ses collaborateurs, on voyait là, sous la discipline du Maître, son frère, Eugène Veuillot, auteur d'une histoire du guerres de Vendée, des Questions d'histoire contemporaine, du Piémont dans les États de l'Eglise, de la Cochinchine et du Tonkin et de plusieurs autres ouvrages de marque ; Melchior Dulac de Montvert, publiciste versé dans la théologie, auteur d'un volume sur les questions liturgiques et de deux volumes sur l'Eglise et l'Etat; Léon Aubineau, l'éditeur du P.Rapin, auteur des notices sur le XVIIe siècle et de huit volumes d'hagiographie; Coquille, l'auteur des Légistes, de la Monarchie chrétienne et du Césarisme; Jules Gondon, l'auteur d'un livre sur le retour de l'Angleterre à l'unité, le traducteur de Newman ; Edouard Ourliac, Albéric de Blanche-Raffin, Cornet, enfin Jules Morel, l'adversaire-né des catholiques libéraux. Avec le concours de ces vaillants soldats et l'appui moral de ses abonnés, l'Univers prit successivement part à toutes les controverses du temps et le fit avec autant de décision que d'esprit. Ce qui honore le plus ses mérites, c'est que Veuillot, en présence d'adversaires injustes et impuissants, dut souvent subir leurs avanies. En 1844, un mois de prison et 3000 francs d'amende ; de I860 à 67, suspension par l'Empire ; en 1873, nouvelle suspension par le duc de Broglie, l'exécuteur des hautes œuvres de Bismarck et de Dupanloup. La collaboration de Veuillot a produit déjà 18 volumes de Mélanges et en produira un jour vingt-quatre. C'est l'histoire écrite au jour le jour, suivie dans tous ses incidents, appréciée d'après les principes catholiques et écrite avec une admirable verve. A partir du troisième volume, on y trouve des séries d'études sur les faits et les personnages les plus importants ; en donner l'analyse, ce serait écrire un abrégé d'histoire. Aux 24 volumes de
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Mélanges, le brave soldat de l'Eglise militante, ajouta, d'une plume plus reposée, trente volumes sur des sujets divers et dix volumes de correspondance. Les écrits de Veuillot se peuvent partager en quatre classes : vies de saints, histoire et voyages, récréations littéraires et études morales, brochures touchant la politique. Les écrits politiques, complément des Mélanges sont : Les libres-penseurs, le Lendemain de la victoire, Figures d'à présent, le Parfum de Rome, les Odeurs de Paris, Satires, le Fond de Giboyer, le Pape et la diplomatie, Waterloo, le Guêpier italien, A propos de la guerre, l'Illusion libérale, Paris pendant les deux sièges, Rome pendant le Concile. Les récréations littéraires et études morales comprennent : Historiettes et fantaisies, Corbin et d'Aubecourt, Pierre Saintive, l'Honnête femme, Sur l'étagère, le Rosaire médité, Agnès de Lauvens. Les histoires et voyages sont : La guerre et l'homme de guerre, Le droit du seigneur au moyen-âge, Raphaël théologien, les Pèlerinages de Suisse, Rome et Lorette, les Français en Algérie, Ça et là. Enfin les œuvres hagiographiques nous présentent les vies des premières religieuses de la Visitation, de Séraphine Boulier, de Germaine Cousin, une étude sur saint Vincent de Paul et une grande Vie de N. S. Jésus-Christ illustrée par Dumoulin. La Correspondance, comme les Mélanges, se refusent à l'analyse, mais tous ces écrits montrent Veuillot constant, avec lui-même ; fidèle à Dieu, à l'Eglise et à la patrie ; adversaire terrible du rationalisme dans toutes ses erreurs, du socialisme dans tous ses égarements ; censeur des aveuglements de la bourgeoisie, des emportements du peuple, des faiblesses des nobles et des rois. Ecrivain, il se recommande par une maitresse langue, émule souvent heureux de Tertullien, de Labruyère, parfois de Molière et de Bossuet. Vivant, il avait été le plus outragé des publicistes ; mort, il fut l'objet des ovations de toute la chrétienté. On vit par là combien le monde admire secrètement la conviction et le courage. Veuiliot mourut en 1883; on a écrit sur sa tombe : J'ai cru, je vois; on aurait pu y mettre le mot
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de César : Veni, vidi, vici. Veuillot a été, en ce siècle, une des grandes puissances de la vérité calholique.