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Hans Urs von Balthasar a mis en lumière avec beaucoup de pénétration, quoique dans un ordre d'idées quelque peu différent, la signification spirituelle de ces perspectives.
Il rappelle d'abord que Jésus, durant son existence terrestre, n'était pas au‑dessus du temps et de l'espace, mais vivait à plein de son temps et dans son temps: l'humanité de Jésus qui le situait au milieu de ce temps, se manifeste à chaque ligne de l'évangile; nous la distinguons aujourd'hui de façon plus nette et plus vivante à bien des égards qu'à d'autres époques.
Mais cette “situation dans le temps » n'est pas simplement un cadre culturel historique qui resterait extérieur, et derrière lequel se trouverait quelque part et sans en être affectée la réalité supra‑temporelle de son être véritable; elle est plutôt un fait anthropologique, qui détermine profondément la forme d'être de l'homme.
Jésus a du temps, il n'anticipe pas dans une impatience coupable la volonté de son Père. “C'est pourquoi le Fils qui a du temps pour Dieu dans le monde est le lieu originel dans lequel Dieu a du temps pour le monde.
Dieu n'a pas de temps pour le
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monde, sinon dans le Fils, mais en lui il a tous les temps . » Dieu n'est pas prisonnier de son éternité; en Jésus il a du temps pour nous, et de ce fait Jésus est réellement le “trône de la grâce » vers lequel nous pouvons en tout temps “avancer avec assurance » (He 4, 16).
VI. “D'OU IL VIENDRA JUGER LES VIVANTS ET LES MORTS”
Rudolf Bultmann, comme il l'a déjà fait pour la descente aux enfers et l'ascension du Seigneur, range également la foi en la “fin du monde », au retour du Seigneur comme Juge, parmi les conceptions qui pour l'homme moderne sont périmées: tout homme raisonnable, selon lui, est convaincu que le monde continuera comme il a continué depuis près de deux mille ans après l'annonce eschatologique du Nouveau Testament.
Une purification de la pensée semble d'autant plus s'imposer ici que le message biblique contient indiscutablement sur ce point des éléments fortement cosmologiques, et aborde ainsi un domaine que nous connaissons comme champ d'exploration des sciences de la nature.
Sans doute, dans l'expression “la fin du monde », le mot “monde » ne désigne pas l'architecture physique du cosmos, mais le monde humain, l'histoire humaine; l'expression signifie donc directement que cette sorte de monde, le monde de l'homme, aboutira à une fin que Dieu dispose et réalise.
Mais l'on ne saurait nier que la Bible représente cet événement essentiellement anthropologique par des images cosmologiques (en partie aussi politiques). Dans quelle mesure s'agit‑il seulement d'images, et dans quelle mesure ces images touchent‑elles à la réalité elle‑même?
Il est difficile de le déterminer. La seule voie pour arriver ici à quelque certitude, c'est de partir du contexte plus large de la conception du monde dans la bible.
Or pour celle‑ci, le cosmos et l'homme ne sont nullement deux réalités séparables, de telle manière que le cosmos constituerait le théâtre fortuit de l'existence humaine, dont celle‑ci pourrait de soi se séparer pour trouver sa réalisation en dehors du monde.
En fait, le monde et l'existence humaine vont nécessairement ensemble, de sorte que l'on ne peut imaginer une existence humaine sans le
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monde ni un monde sans l'homme.
Le premier point ne fait plus de difficulté aujourd'hui; et le deuxième non plus, après ce que nous avons appris de Teilhard par exemple, ne devrait plus nous apparaître totalement incompréhensible.
Nous serions ainsi plutôt tentés d'admettre que le message biblique de la fin du monde et du retour du Seigneur n'est pas une simple anthropologie exprimée en images cosmiques, et qu'il ne présente pas non plus simplement un aspect cosmologique à côté d'un aspect anthropologique; nous dirions plutôt que, suivant la logique interne de la conception biblique globale, ce message nous présente la coïncidence de l'anthropologie et de la cosmologie dans la christologie définitive, et voit dans cette coïncidence la fin du « monde»; celui‑ci par sa structure à la fois une et double de cosmos et d'homme renvoie depuis toujours à cette unité comme à son but.
Le cosmos et l'homme qui sont ordonnés l'un à l'autre depuis toujours, même s'ils s'opposent bp226