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3) Le fait que cette résurrection est attendue pour le «dernier jour”, pour la fin des temps, et dans la communion de tous les hommes, indique le caractère solidaire de l'immortalité humaine; celle‑ci se réfère à l'ensemble de l'humanité, l'individu ayant vécu, et arrivant donc à sa béatitude ou à sa perte, en dépendance de la totalité, avec elle et ordonné à elle.
Ce n'est là au fond qu'une conséquence naturelle du caractère propre de l'idée biblique d'im-
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p254 L'ESPRIT ET L'ÉGLISE
mortalité, qui voit l'homme dans sa totalité.
Pour la pensée grecque, le corps et donc aussi l'histoire restent extérieurs à l'âme; celle‑ci peut exister séparément et n'a pas besoin pour cela d'un autre être.
Au contraire, pour l'homme conçu comme unité, la solidarité avec les autres est quelque chose de constitutif; si c'est lui qui doit continuer à vivre, cette dimension ne saurait manquer.
Ainsi apparaît résolue, par un retour à la pensée biblique, la question souvent débattue de la possibilité d'une communion des hommes entre eux après la mort; cette question ne pouvait, en fin de compte, se poser que par suite d'une prépondérance de l'élément grec au point de départ de la réflexion; là où l'on croit à la “communion des saints », l'idée de l'anima separata (de 1' «âme séparée” dont parle la scolastique) se trouve finalement dépassée.
Ces idées ne pouvaient recevoir toute leur ampleur qu'à travers la réalisation concrète de l'espérance biblique dans le Nouveau Testament; l'Ancien Testament, en effet, laisse en fin de compte le problème de l'avenir de l'homme en suspens.
Ce n'est qu'avec le Christ, ‑ l'homme qui est “un avec le Père », l'homme grâce à qui l'être de l'homme est entré dans l'éternité de Dieu, ‑ que l'avenir de l'homme apparaît définitivement ouvert.
C'est seulement en lui, le “second Adam », que la question qu'est l'homme lui‑même trouve une réponse. Le Christ est homme pleinement; la question que nous sommes est donc présente en lui. Mais en même temps il est la “parole de Dieu » adressée aux hommes.
Le dialogue entre Dieu et l'homme poursuivi depuis les origines de l'histoire, parvient en lui à un stade nouveau: en lui, la parole de Dieu est devenue « chair », elle s'est insérée réellement dans notre existence.
Or, si le dialogue de Dieu avec l'homme est synonyme de vie, s'il est vrai que le partenaire de Dieu dans ce dialogue possède la vie du fait même qu'il est interpellé par celui qui vit éternellement, cela signifie que le Christ, parole de Dieu à nous adressée, est lui‑même “la résurrection et la vie » (Jn 11, 25).
Cela signifie, en outre, que l'entrée dans le Christ, c'est‑à‑dire la foi, devient en un sens nouveau une entrée dans ce dialogue où Dieu nous connaît et nous aime, ce qui est l'immortalité: “Celui qui croit au Fils a la vie éternelle” (Jn 3, 15s; 3, 36; 5, 24).
C'est à partir de là seulement que l'on peut comprendre la pensée du quatrième Évangéliste, qui veut faire saisir à son lecteur, à travers le récit de la résurrection de Lazare, que la résurrection n'est pas simplement un événement lointain au
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terme de l'histoire, mais un fait actuel qui se réalise par la foi.
Celui qui croit a engagé avec Dieu un dialogue qui est vie et qui se continue après la mort. Ainsi se rejoignent finalement, d'une part la ligne “dialogique”, se référant directement à Dieu, et d'autre part la ligne de la solidarité humaine, qui ensemble constituent l'idée biblique d'immortalié.
En effet, dans le Christ‑homme, nous rencontrons Dieu; mais en lui nous rencontrons également la communauté des autres, dont le chemin vers Dieu passe par lui et converge donc vers lui.
L'orientation vers Dieu devient du même coup en lui orientation vers la communion des hommes; ce n'est qu'en acceptant cette communion que l'on marche vers Dieu, car Dieu ne se trouve pas en dehors du Christ, ni par le fait même en dehors de la trame de l'histoire humaine et de sa destination communautaire.
Cela éclaire également la question, souvent discutée au temps des Pères et à nouveau depuis Luther, concernant l' “état intermédiaire” entre la mort et la résurrection.
Cet “être avec le Christ” inauguré dans la foi, est déjà le commencement d'une vie ressuscitée, qui continue donc au‑delà de la mort (Ph 1, 23; 2 Co 5, 8; I Th 5, 10). Le dialogue de la foi est déjà maintenant une vie qui ne peut plus être brisée par la mort.
L'idée du sommeil de la mort, continuellement reprise par les théologiens luthériens et récemment avancée aussi par le Catéchisme Hollandais, ne peut donc se soutenir au regard du Nouveau Testament, ni se justifier par l'emploi répété du mot “dormir” que l'on y rencontre: l'univers spirituel du Nouveau Testament s'oppose radicalement à une telle interprétation, qui serait aussi du reste difficilement concevable vu le stade auquel était parvenue, dans le judaïsme tardif, la réflexion sur la vie après la mort.