La foi chrétienne hier et aujourd’hui 28

FOI CHRÉTIENNE

hier et aujourd'hui

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   Avant tout, il nous faut, le plus brièvement possible, faire le point des acquisitions de l'exégèse. Que signifie le nom de Yahvé? Que vaut son explication par le mot « être”? Les deux questions sont corrélatives, mais ‑ comme nous l'avons vu ‑ elles ne sont pas identiques.

 

Essayons de cerner la première. Peut‑on encore retrouver la signification originelle du nom de Yahvé à partir de son étymologie? Ce n'est guère possible, car cette étymologie nous reste complètement inconnue. Nous pouvons dire simplement qu'il n'existe aucune attestation certaine du nom de Yahvé antérieure à Moïse et en dehors d'Israël.

 

 Aucune des nombreuses tentatives pour retrouver les racines pré‑israélites de ce nom n'est vraiment convaincante. Certes, on trouve des syllabes telles que: Jah / Jo / Jaw; mais le nom de Yahvé, d'après nos connaissances actuelles, ne s'est constitué qu'en Israel; il paraît être l'oeuvre de la foi d'Israël qui, par une transformation créatrice d'éléments antérieurs, s'est forgé son propre nom de Dieu et sa propre image de Dieu 9.

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   De nos jours, se dessine à nouveau une forte présomption pour attribuer cette création à Moïse, qui apportait ainsi un nouvel espoir à ses frères réduits en esclavage. La création définitive d'un nom propre, et par là d'une image originale de Dieu, semble avoir été le point de départ de la constitution du peuple de Dieu.

 

Du point de vue purement historique, l'on peut dire qu'Israël n'est devenu un peuple que par la grâce de Dieu, que c'est l'appel à l'espérance, contenu dans le nom de Dieu, qui lui a permis de s'affirmer.

 

Parmi les nombreuses indications relatives aux points d'attache pré‑israélites du nom de Yahvé ‑ nous n'avons pas à les discuter ici ‑ la mieux fondée en même temps que la plus féconde, est la suggestion de H. Cazelles.

 

Il attire l'attention sur le fait que l'on trouve dans l'Empire babylonien des noms «théophores », c'est‑à‑dire des noms de personne, contenant une référence à Dieu, formés par le mot yaun, ou renfermant l'élément yau / ya, qui signifie à peu près «le mien », « mon Dieu».

 

Parmi les multiples types de divinités invoquées alors, cette appellation renvoie à un Dieu de type personnel, à un Dieu tourné vers l'homme et sujet de relations personnelles.

 

En tant que personnel, il est le Dieu qui entre en relation avec l'homme en tant qu'homme; fait d'autant plus intéressant qu'il rejoint un élément central de la foi pré‑mosaïque d'Israël, cette figure de Dieu que nous appelons communément, suivant la Bible, le Dieu des pères 10.

 

L'étymologie proposée correspondrait ainsi exactement à ce présupposé de la foi en Yahvé, dont le récit du Buisson ardent fait état, à savoir la foi des pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Tournons‑nous un instant vers cette figure, sans laquelle on ne saurait comprendre le sens du message sur Yahvé.

 

II. LE PRÉSUPPOSÉ DE LA FOI EN YAHVÉ:  LE DIEU DES PÈRES

 

    Dans la racine linguistique et sémantique supposée du nom de Yahvé, où l'élément yau évoque le Dieu personnel, transparaît

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à la fois le choix et la discrimination opérés par Israel dans l'univers religieux ambiant, et la continuité avec l'histoire d'Israël depuis Abraham.

 

Le Dieu des pères ne s'appelait pas Yahvé; il se présente à nous sous les noms de El et Elohim. Les patriarches se rattachaient ainsi à leur entourage religieux, où la divinité appelée El se distinguait par son caractère social et personnel.

 

La particularité de ce Dieu, du point de vue typologie religieuse, c'est qu'il est numen personale (Dieu des personnes) et non pas numen locale (divinité locale). Qu'est‑ce à dire ? Essayons de l'élucider brièvement à partir des points de départ de ces deux types de divinités.

 

Rappelons‑nous tout d'abord que l'expérience religieuse de l'humanité s'est toujours ranimée en certains lieux sacrés où, pour une raison ou une autre, l'homme éprouve plus spécialement la présence du «Tout Autre », du divin.

 

Une source, un arbre géant, une pierre mystérieuse ou un événement extraordinaire à un endroit donné, peuvent être à l'origine d'une telle expérience. Il arrive bien vite que l'homme confonde l'endroit où il a expérimenté le divin avec le divin lui‑même.

 

Il croit à une présence spéciale du divin en cet endroit, et il lui semble que cette présence divine, il ne pourrait pas la trouver ailleurs de la même manière; ce lieu devient lieu sacré, habitacle du divin.

 

Comme l'expérience du sacré ne se produit pas seulement en un seul endroit mais aussi ailleurs, et comme on la croit chaque fois limitée à tel endroit, il en résulte un foisonnement de divinités locales, qui deviennent les divinités particulières de ces endroits.

 

Ne faut‑il pas voir comme un écho de ces tendances dans le christianisme, quand des chrétiens peu éclairés, se représentent les Madones de Lourdes, de Fatima ou d'Altotting comme des personnes différentes!

 

 Mais revenons à notre sujet. En face de cette tendance païenne au numem locale, au dieu déterminé par un lieu, le Dieu des pères exprime une option radicalement différente. Il n'est pas le Dieu d'un endroit mais le Dieu des hommes : le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob.

 

Pour cette raison même, il n'est pas lié à un endroit, il est présent et actif partout où se trouve l'homme. De cette façon on arrive à une conception toute différente de Dieu. On le voit sur le plan du Moi et du Toi, non plus sur le plan local.

 

Il passe dans la transcendance de l'infini, devient omni-présent, non lié à un lieu donné; sa puissance ne connaît pas de bornes. Il n'est pas quelque part, on le rencontre partout où se trouve l'homme et où l'homme s'ouvre à sa rencontre.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon