FOI CHRÉTIENNE
hier et aujourd'hui
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En se prononçant pour El, les pères d'Israël ont pris une option de la plus haute importance: ils ont choisi le numen personale contre le numen locale, le Dieu tourné vers les personnes, à situer et à chercher sur le plan du Moi et du Toi, et non d'abord en des endroits sacrés11.
Ce trait fondamental d'El est resté un des traits principaux non seulement de la religion d'Israël, mais aussi de la foi chrétienne: voir Dieu comme une personne, le concevoir à ce niveau de la relation du Moi et du Toi.
A cet aspect fondamental du contexte spirituel de la foi au Dieu El, il faut en ajouter un deuxième: El n'est pas seulement considéré comme porteur d'une personnalité propre, comme Père, Créateur, comme le Sage et le Roi, mais encore essentiellement comme le Dieu suprême, comme la Puissance souveraine dominant toutes choses.
Ce deuxième élément, on le sait, est également resté déterminant pour toute l'expérience biblique de Dieu. On ne choisit pas une puissance qui exerce son pouvoir à tel ou tel endroit, mais la Puissance qui englobe toute puissance et qui est au‑dessus de toutes les puissances particulières.
Il faut encore mentionner un troisième élément qui sous‑tend toute la pensée biblique: ce Dieu est le Dieu de la promesse. Il n'est pas une force de la nature, dont l'épiphanie manifesterait la Toute‑Puissance de la Nature, l'éternel processus de vie et de mort.
Il n'est pas un Dieu qui oriente l'homme vers le perpétuel recommencement du cycle cosmique, mais vers l'avenir où l'achemine toute son histoire, vers le sens et le but définitifs; il est le Dieu de l'espérance ouverte à l'avenir dans un mouvement irréversible.
Notons enfin que la religion de El a été adoptée en Israel sous la forme élargie de Elohim, complément de la transformation qui manquait encore à la figure de El. N'est‑il pas surprenant de constater la substitution au singulier d'un mot qui exprime à proprement parler un pluriel (Elohim) ?
Sans nous livrer à une analyse détaillée de cette évolution très complexe, nous pouvons dire qu'ainsi Israel a pu accentuer le caractère unique et propre de son Dieu: il est un, mais en raison de sa grandeur suprême et de son altérité, il transcende les limites du singulier et du pluriel, il se situe au‑delà.
Bien qu'on ne puisse trouver dans l'Ancien Testament, notamment
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p71 LA FOI BIBLIQUE EN DIEU
dans les plus anciens textes, trace de révélation trinitaire, ce processus recèle une expérience, apte à s'ouvrir à la doctrine chrétienne du Dieu Trine.
Plus ou moins obscurément, on sent que Dieu, tout en étant radicalement unique, ne saurait être enfermé dans nos catégories de singulier et de pluriel; il est au‑delà, de sorte que la catégorie « un », pour unique qu'il soit, ne suffit pas à le définir adéquatement.
Pour l'histoire primitive d'Israël (également pour plus tard et aussi pour nous), cela signifie qu'ainsi la question légitime inhérente au polythéisme est intégrée 12. Le pluriel appliqué au Dieu unique équivaut à dire: tout le divin, c'est Lui.
Pour compléter l'image du Dieu des pères, il faudrait encore parler de la négation renfermée dans l'assentiment de foi exprimé par les noms El et Elohim. Contentons‑nous d'évoquer deux noms de divinités fort en honneur dans le voisinage d'Israël.
La foi des pères refuse les représentations courantes de Dieu sous les noms de Baal = le seigneur, et de Melech (Moloch = le roi). Elle refuse le culte de la fécondité, et la localisation du divin qui en résulte. Elle refuse enfin, à travers le rejet du dieu‑roi Melech, un certain type social.
Le Dieu d'Israël n'est pas un roi lointain et aristocratique; il ne revendique pas un despotisme illimité, alors lié à l'idée de roi; il est le Dieu proche, celui que chaque homme peut avoir pour Dieu. Que de réflexions et de considérations ne pourrait‑on pas faire à ce sujet! Mais revenons au Buisson ardent, à notre point de départ.