La foi chrétienne hier et aujourd’hui 39

FOI CHRÉTIENNE

hier et aujourd'hui

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   Pour résumer ces observations, simplement esquissées et bien fragmentaires, nous pouvons dire : le monde est esprit objectif; il se présente à nous dans une structure «spirituelle», comme « pensable » (nachdenkbar) et intelligible.

 

Partant de là, on peut faire un pas de plus: confesser l'existence de Dieu, c'est exprimer la conviction que l'esprit objectif est le produit d'un Esprit subjectif, et qu'il ne peut subsister que comme forme de déclinaison (Deklinationsfoflfl) de cet Esprit; en d'autres termes, l'être pensé (tel que la structure du monde le révèle) suppose un Être pensant.

 

   Pour clarifier et consolider cette affirmation, il sera peut‑être utile de l'insérer ‑ en quelques traits seulement ‑ dans une sorte d'auto‑critique de la raison historique.

 

Après deux mille ans et demi de pensée philosophique, il ne nous est guère possible de parler de la réalité purement et simplement, comme si tant d'autres

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avant nous n'avaient pas tenté, sans succès, la même chose.

 

Si, en outre, nous considérons le champ de ruines de tant d'hypothèses, de tant d'ingéniosité déployée en vain et de tant de logique tournant à vide, que l'histoire met sous nos yeux, nous pourrions désespérer de jamais découvrir quelque chose de cette vérité qui transcende le tangible, mystérieuse et singulière.

 

Et pourtant l'impasse n'est pas aussi fatale que l'on pourrait, à première vue, le supposer. Car en dépit de la quantité presque innombrable de systèmes philosophiques opposés, par lesquels l'homme a essayé de sonder l'être, il n'existe, en fin de compte, que très peu de possibilités réelles pour expliquer le mystère de l'être.

 

La question qui, en définitive, résume tout, pourrait s'énoncer ainsi: quelle est, dans la multiplicité des êtres, l'étoffe pour ainsi dire commune de l'être, quel est l'être unique qui se tient derrière les êtres multiples, qui tous «sont» ?

 

Les nombreuses réponses apportées par l'histoire, se ramènent finalement à deux possibilités fondamentales. Voici la première, la plus obvie: tout ce que nous rencontrons n'est au fond que de la matière; elle seule reste toujours là comme réalité vérifiable; par conséquent c'est elle qui représente l'être véritable de ce qui existe c'est la solution matérialiste.

 

L'autre possibilité indique la direction opposée: si l'on examine la matière à fond, on trouvera qu'elle est le produit d'une pensée, une pensée objective. Elle ne saurait donc constituer l'élément dernier.

 

Avant la matière, il y a la pensée, l'idée; tout être se ramène en dernière analyse à un être «pensé » et doit être ramené à l'esprit comme à sa réalité originelle ‑ c'est la position “idéaliste”.

 

   Pour porter un jugement, il faut aller encore plus profond et demander qu'est‑ce que la matière ? qu'est‑ce que l'esprit? En bref nous pourrions dire: nous appelons matière un être qui lui-même ne comprend pas l'être, un être donc qui « est » mais qui ne se comprend pas lui‑même.

 

Réduire tout l'être à la matière comme à la forme primaire de la réalité, c'est affirmer logiquement que cette forme d'être qui, elle‑même, ne comprend pas l'être, constitue le commencement et le principe de tout être; cela veut dire encore que le fait de comprendre l'être n'est qu'un phénomène secondaire et fortuit, apparu au cours de l'évolution.

 

Par là, du même coup, nous avons la définition de “l'esprit»; il faut le définir comme l'être qui se comprend lui‑même, l'être qui est présent à lui‑même.

 

La solution idéaliste de la problématique de l'être sup-­

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p95 CONFESSER DIEU AUJOURD'HUI

 

pose donc la conception que « être », c'est toujours être pensé par une Conscience unique. L'unité de l'être consiste dans l'identité de l'Unique Conscience, dont les êtres multiples constituent les divers moments.

 

   La foi chrétienne en Dieu ne coïncide avec aucune de ces deux solutions. Certes, elle aussi dira que « être », c'est «être pensé ». La matière par elle‑même renvoie au‑delà d'elle, à la pensée antécédente et plus originelle.

 

Mais à l'encontre de l'idéalisme, qui fait de tous les êtres des « moments » d'une conscience qui englobe tout, la foi chrétienne dira être, c'est être pensé, mais non pas en ce sens que l'être ne resterait que pensée, de sorte que l'apparence d'autonomie, à y regarder de plus près, se révélerait simple apparence.

 

La foi chrétienne affirme plutôt que les êtres sont pensés par une conscience créatrice et proviennent d'une liberté créatrice; que cette conscience créatrice qui porte toutes choses a concédé à ces êtres la liberté d'un être propre et autonome.

 

En cela la foi chrétienne dépasse tout idéalisme pur. Pour celui‑ci ‑ nous l'avons vu ‑ tout le réel est le contenu d'une unique conscience; pour la conception chrétienne, le principe de tout est une liberté créatrice qui redonne à ce qu'elle a pensé la liberté d'un être autonome. De la sorte, tout en étant pensé par une conscience, l'être est vraiment lui‑même.

 

   Par là se dégage en même temps l'essentiel de la notion de création: le modèle suivant lequel il faut comprendre la création, n'est pas l'artisan, mais l'esprit créateur, la pensée créatrice. L'idée de liberté apparaît ainsi comme la marque caractéristique de la foi chrétienne en Dieu, face à toute espèce de monisme.

 

A l'origine de toute réalité, la foi ne pose pas une conscience quelconque, mais une liberté créatrice, qui crée à son tour des libertés. En ce sens, la foi chrétienne mériterait au plus haut point d'être appelée philosophie de la liberté.

 

  Pour elle, en effet, ce n'est pas une conscience englobant tous les êtres, ni une matérialité unique, qui rendent compte de la réalité totale; au sommet de tout, elle pose une liberté qui pense, qui, en pensant, crée des libertés, faisant ainsi de la liberté la forme qui structure l'être.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon