La foi chrétienne hier et aujourd’hui 45

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   Ce caractère allusif, où le concept devient simple suggestion, où concevoir signifie simplement chercher à tâtons l'inconcevable (Begreifen/Ausgrefefl/ Un‑grefbaren), pourrait être nettement mis en évidence à l'aide des formules ecclésiastiques et de leur préhistoire.

 

Chacun des grands concepts fondamentaux de la doctrine trinitaire s'est trouvé condamné à un moment; tous ont dû subir la contradiction de la condamnation pour être acceptés; ils ne sont valables qu'à la condition d'être en même temps reconnus impropres; et alors seulement ils sont tolérés comme un misérable balbutiement, sans plus 23.

 

 Le concept de « personne » (prosopon) a été condamné une fois, comme nous l'avons dit; le mot central, qui devint au IVe siècle l'étendard de l'orthodoxie, le homousios (=consubstantiel avec le Père) avait été condamné au IIIe siècle; le concept de procession a également une condamnation à son actif, et l'on pourrait continuer ainsi.

 

Je pense qu'il faudrait dire que ces condamnations sont partie intrinsèque des formules devenues plus tard celles de la foi; c'est à travers la négation et dans le sens infiniment indirect qu'elle donne aux formules, que celles‑ci

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deviennent utilisables: la doctrine trinitaire n'est possible que comme théologie contestée.

 

   On pourrait encore ajouter une autre remarque. Quand on examine l'histoire dogmatique de la théologie trinitaire dans le miroir d'un Manuel de théologie moderne, elle apparaît comme un cimetière d'hérésies, dont la théologie porte les insignes comme des trophées de victoires surmontées.

 

Mais, considérer les choses de cette façon, c'est mal les comprendre; car, toutes les tentatives qui, au cours de longs efforts de recherche, ont été écartées comme des apories, et donc comme des hérésies, ne sont pas simplement des monuments funéraires de recherches vaines, des pierres tombales, témoins des multiples échecs de la pensée, objets d'une pure curiosité tournée vers le passé, sans nul profit en fin de compte.

 

Chaque hérésie est plutôt le symbole d'une vérité qui demeure, qu'il faut rapprocher d'autres vérités également valables, et dont on ne peut l'isoler sans aboutir à une fausse perspective.

 

Autrement dit, tous ces énoncés, loin d'être des monuments funéraires, sont plutôt des pierres pour une cathédrale; pour devenir utiles, il est vrai, elles ne doivent pas rester isolées, mais être intégrées dans l'ensemble; de même, les formules positivement adoptées ne valent que si elles sont conscientes en même temps de leur insuffisance.

 

   Le janséniste Saint‑Cyran a dit cette parole remarquable, que la foi consistait en une série de contradictions que la grâce permet de maintenir ensemble 24. Il a ainsi exprimé, dans le domaine de la théologie, une donnée qui aujourd'hui, en physique, fait partie de la pensée scientifique, en tant que loi de complémentarité.

 

Le physicien se rend compte qu'il n'est pas possible de circonscrire une réalité donnée ‑ comme par exemple la structure de la lumière ou celle de la matière en général‑ par une seule forme d'expérimentation ni par une seule forme d'énoncé; par différentes approches, nous percevons chaque fois un seul aspect, irréductible à l'autre.

 

Les deux aspects ‑ par exemple la structure «corpuscule et onde » ‑qu'il n'est pas possible d'englober dans un seul concept, doivent être considérés ensemble comme une première saisie du tout, celui‑ci ne nous étant pas accessible en tant que tout, dans son

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unité, en raison de l'étroitesse de notre point de vue.

 

Ce qui vaut dans le domaine de la physique, comme conséquence des limites de notre perception, vaut à plus forte raison pour les réalités spirituelles et pour Dieu.

 

Ici également, nous ne pouvons regarder que d'un point de vue et nous ne percevons chaque fois qu'un aspect déterminé, qui paraît contredire l'autre, et qui pourtant doit être joint à l'autre pour pouvoir renvoyer au tout, qu'il est impossible d'exprimer ni d'embrasser d'un seul regard.

 

C'est seulement par des approches variées, en regardant et en affirmant à partir de points de vue différents et apparemment contradictoires, que nous pouvons entrevoir la vérité, dont la réalité totale cependant nous échappera toujours.


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