La fo chrétienne hier et aujourd’hui 57

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   Aussi Bultmann a‑t‑il délibérément choisi l'autre voie: la seule chose qui importe en Jésus, c'est le fait qu'il a existé, c'est le Dass; pour le reste, la foi ne se réfère pas à des hypothèses incertaines, dont on ne saurait établir scientifiquement la certitude historique; la foi se réfère uniquement à l'événement de la proclamation de la parole, grâce auquel l'existence humaine renfermée s'ouvre à sa réalité authentique.

 

Mais un Dass vide est‑il donc plus facile à accepter qu'un Dass riche de substance ? Que gagne‑t‑on à ranger parmi les accessoires sans importance, la question de savoir qui était Jésus, ce qu'il était, comment il était, pour ne plus lier l'homme qu'au simple événement d'une parole?

 

C'est là, il est vrai, un événement certain, c'est un fait que la parole est prêchée; mais la légitimation de cette proclamation et son contenu de réalité demeurent de cette manière très problématiques.

 

   De ce point de vue, l'on comprend le nombre croissant de ceux qui abandonnent le pur kérygme et ce Jésus historique réduit au fantôme du simple Dass, pour se tourner à nouveau vers le plus humain de tous les hommes; vers celui dont l'humanité leur apparaît, dans un monde désacralisé, comme le dernier reflet du divin qui soit resté après la «mort de Dieu ».

 

C'est ce que fait aujourd'hui la théologie de la «mort de Dieu », en affirmant que nous n'avons certes plus Dieu, mais que Jésus nous est resté comme le signe de la confiance, qui nous encourage à avancer. Dans un monde vide de Dieu, son humanité devra être comme une sorte de suppléance d'un Dieu désormais introuvable.

 

Mais qu'ils sont peu critiques, ici, ceux qui auparavant poussaient l'attitude critique jusqu'à ne plus vouloir qu'une théologie sans Dieu, afin de ne pas passer aux yeux de leurs contemporains progressistes pour des retardataires!

 

Peut‑être faudrait‑il d'ailleurs poser une question préliminaire et se demander si ce n'est pas faire preuve d'un sérieux manque de sens critique que de vouloir faire de la théologie discours sur Dieu ‑ sans Dieu. Nous n'avons pas à discuter ce point ici.

 

En ce qui concerne notre sujet, il est certain, de toute façon, que nous ne saurions faire abstraction dc ces dernières quarante années, et que le chemin qui nous ramènerait au pur Jésus nous est irrévocablement fermé.

 

Essayer, en passant par‑dessus le christianisme historique, de construire dans le laboratoire de l'historien

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un pur Jésus, dont nous devrions ensuite pouvoir vivre, est une tentative absurde en elle‑même.

 

La simple « histoire scientifique » ne crée pas un présent, elle ne fait que constater le passé. C'est pourquoi le romantisme de la pure figure de Jésus est en définitive aussi dépourvu d'avenir et vide de présent, que ne l'était fatalement le repli dans le simple événement de la parole.

 

   Cependant, ce va‑et‑vient de l'esprit moderne entre Jésus et le Christ, dont j'ai essayé de retracer les principales étapes au cours de notre siècle, n'a pas été entièrement inutile.

 

Je crois même qu'il pourra servir à montrer que l'un (Jésus) ne peut exister sans l'autre (Christ), que l'un renvoie toujours nécessairement à l'autre, parce qu'en vérité Jésus n'existe que comme Christ, et le Christ n'existe qu'en Jésus.

 

Il nous faut faire un pas de plus; avant de reconstruire ce qui ne peut donner que des reconstructions, c'est‑à‑dire des représentations artificielles, élaborées après coup ‑ il faut essayer simplement de comprendre ce que dit la foi, car elle n'est pas reconstruction, mais réalité présente, elle n'est pas théorie, mais réalité d'une existence vivante.

 

Peut‑être devrions‑nous tout de même accorder davantage notre confiance au perpétuel présent de la foi à travers les siècles, à cette foi qui ne visait pas à autre chose qu'à comprendre ‑ comprendre qui était Jésus et ce qu'il était véritablement ‑ plutôt que de nous fier à une reconstruction, qui se cherche un chemin à elle, en dehors de la réalité; au moins faut‑il essayer de prendre connaissance de ce que cette foi nous dit exactement.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon