La foi chrétienne hier et aujourd’hui 64

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   Pour qui pense en historien, tout cet ensemble constitue un tableau absurde, même s'il trouve aujourd'hui des adeptes en foule. Pour ma part, j'avoue que vraiment, même abstraction faite de la foi chrétienne et uniquement de par ma pratique de l'histoire, je suis plus volontiers et plus facilement porté à croire que Dieu soit devenu homme qu'à croire à la vérité d'un tel conglomérat d'hypothèses.

 

Malheureusement, il ne nous est pas possible, dans le cadre de cet ouvrage, d'entrer dans les détails de la problématique historique; cela demanderait une recherche très vaste et très longue. Nous devons plutôt (et nous en avons le droit) nous limiter au point décisif, autour duquel tourne tout le reste: la filiation divine de Jésus.

 

Si l'on aborde la question avec une rigueur de langage qui évite de mélanger les choses que l'on aimerait voir reliées ensemble, l'on peut arriver aux constatations suivantes.

 

III. LE BIEN‑FONDE DU DOGME CHRISTOLOGIQUE

 

a) A propos de l' « homme divin »

 

   Le concept de l'homme divin, ou de l'homme‑Dieu (théos aner) n'apparaît nulle part dans le Nouveau Testament. Inversement, dans l'antiquité, l'on ne rencontre nulle part la désignation de « fils de Dieu » appliquée aux « hommes divins ». Voilà deux faits importants.

 

Les deux concepts sont historiquement tout à fait indépendants, ils n'ont aucun rapport entre eux, ni linguistique ni réel. D'une part, la Bible ne connaît pas l' « homme divin »,

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d'autre part, l'antiquité ne connaît pas l'idée de filiation divine dans le contexte des hommes divins.

 

Des recherches plus récentes montrent même que l'emploi du concept d' «homme divin » avant l'époque chrétienne ne peut guère être établi par les documents; on ne le trouve que plus tard 14.

 

Mais, même indépendamment de ce fait, il reste que le titre de fils de Dieu, avec toutes les implications qu'il comporte, ne saurait être expliqué à partir du titre et de l'idée d'homme divin: les deux schèmes de pensée sont, du point de vue historique, complètement étrangers l'un à l'autre et n'ont pas eu de contact entre eux.

 

b) La terminologie biblique et son rapport avec le dogme

 

   Dans la terminologie du Nouveau Testament, il faut distinguer nettement la désignation de «Fils de Dieu» et la simple désignation de « Fils ». Pour celui qui ne procède pas avec rigueur, les deux peuvent paraître signifier exactement la même chose; et de fait, les deux désignations ont, en un certain sens, des rapports entre elles et tendent de plus en plus à se rapprocher.

 

Mais primitivement, elles appartiennent à des contextes tout à fait différents, elles ont une origine différente et expriment des réalités différentes.

 

   1) « Fils de Dieu. » L'expression « Fils de Dieu » provient de la théologie royale de l'Ancien Testament, qui elle‑même repose sur une démythologisation de la théologie royale orientale, et qui exprime la transposition de cette dernière dans la théologie de l'élection d'Israël.

 

L'exemple classique de ce processus (c'est‑à‑dire de l'adoption de la théologie royale de l'ancien Orient et de sa démythologisation biblique dans le sens de l'idée d'élection) nous est fourni par les versets 7 et 8 du psaume 2, ce texte devenu en même temps un des points de départ décisifs pour la pensée christologique.

 

Dans ces versets, on adresse au roi d'Israël l'oracle suivant: « Tu es mon fils, moi aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre. »

 

Cette formule, qui fait partie du contexte de l'intronisation des rois d'Israël, provient, nous l'avons dit, de rites de couronnement de l'ancien Orient, où le roi était déclaré fils de Dieu, engendré par lui.

 

Il semble cependant que l'Égypte

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seule ait retenu l'idée de génération dans toute son ampleur: le roi y était regardé comme un être engendré mythiquement par Dieu.

 

A Babylone, au contraire, on avait déjà largement démythologisé le même rituel et compris l'idée de la filiation divine du roi essentiellement dans le sens d'un acte juridique 15.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon