La foi chrétienne hier et aujourd’hui 65

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   En adoptant cette formule, la cour davidique en a sûrement écarté totalement le sens mythologique. L'idée d'un roi physiquement engendré par la divinité, est remplacée par cette représentation que le roi devient fils hic et nunc; l'acte de génération consiste dans l'acte d'élection par Dieu.

 

 Le roi est fils, non parce que Dieu l'aurait engendré, mais parce que Dieu l'a élu. Il n'est pas fait recours à un processus physique, mais à la puissance du vouloir divin, qui crée un être nouveau.

 

Dans l'idée de filiation ainsi comprise se concentre également la théologie du peuple élu. Dans des textes plus anciens, Israel tout entier avait été désigné comme premier‑né de Yahvé, comme son fils bien‑aimé (cf. Ex 4, 22).

 

Si au temps des Rois, cette expression est transférée au roi, cela veut dire qu'en lui, dans le successeur de David, est résumée la vocation d'Israël; il est le représentant d'Israël et réunit en lui le mystère de la promesse, de la vocation et de l'amour, qui repose sur Israel.

 

   Il y a plus. L'application du rituel royal oriental au roi d'Israël, telle que la fait le psaume, devait, en regard de la situation concrète d'Israël, paraître une cruelle plaisanterie. Il était concevable que l'on dise, lors de l'intronisation, au pharaon ou au roi de Babylone: « Tu as les nations pour héritage, ton domaine, c'est la terre, tu peux la briser, la fracasser comme vases de potier.»

 

De telles acclamations correspondaient aux prétentions de domination universelle de ces rois. Mais ces mots qui avaient un sens dans le cas des grandes puissances de l'Égypte et de Babylone, lorsqu'ils sont appliqués au roi du mont Sion, tournent à la pure ironie, car les rois de la terre sont loin de trembler devant lui; c'est plutôt lui qui tremble devant eux.

 

Parler de domination universelle à propos du misérable roitelet qu'il était, cela devait paraître presque ridicule. En d'autres termes, le manteau du psaume, emprunté au rituel royal oriental, était beaucoup trop large pour les épaules du roi réel qui régnait sur le mont Sion.

 

Aussi était‑il dans la logique de l'histoire que ce psaume qui, dans la situation

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présente, devait paraître presque intolérable, devînt de plus en plus une confession d'espérance en Celui auquel il s'appliquerait un jour en toute vérité.

 

Cela revient à dire : la théologie royale passant, dans une première étape, d'une théologie de génération à une théologie d'élection, passa, dans une deuxième étape, d'une théologie d'élection à une théologie d'espérance en un roi à venir; l'oracle d'intronisation devint de plus en plus la formulation de la promesse qu'un jour un roi viendrait, dont on pourrait dire à bon droit: “Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande et je te donnerai les nations pour héritage. »

 

   C'est à ce point précis que se rattache le nouvel usage de ce texte, fait par la communauté chrétienne primitive. Sans doute l'application de ces versets du psaume à Jésus a‑t‑elle été faite pour la première fois dans le cadre de la foi en sa résurrection. L'événement de la résurrection de Jésus est compris par les premiers chrétiens comme le moment où l'oracle du psaume 2 est vraiment devenu réalité.

 

Certes, le paradoxe n'est pas moindre ici. En effet, croire que celui qui est mort sur le Golgotha est également celui à qui sont adressées ces paroles, paraît une contradiction inouïe. Que signifie cette application de la formule? Elle veut dire que l'espérance royale d'Israël s'est accomplie dans Celui qui est mort sur la croix et qui, aux yeux de la foi, est ressuscité.

 

Elle exprime la conviction que c'est à Celui qui est mort sur la croix, à Celui qui a renoncé à toute puissance du monde (entendons ici à l'arrière‑plan les mots du Psaume où il est question des rois de ce monde qui tremblent, où l'on parle de briser avec un sceptre de fer), à Celui qui a fait mettre de côté tous les glaives et qui n'a pas, comme font les rois de ce monde, envoyé les autres à la mort à sa place, mais qui est allé Lui‑même à la mort pour les autres, à Celui qui a placé le sens de l'existence humaine, non dans la puissance s'affirmant elle‑même, mais dans une existence radicalement pour les autres, et qui même était cette existence pour les autres, comme le prouve la croix, c'est à Celui‑là seul que Dieu a dit: “Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré. »

 

C'est dans le Crucifié que les croyants perçoivent quel est le sens de cet oracle, quel est le sens de l'élection : non pas privilège et puissance pour soi, mais service pour les autres. En Lui apparaît le sens de l'histoire de l'élection, le vrai sens de la royauté qui a toujours voulu être une « représentation ».

 

 Ce que recouvre le mot «représenter »

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être là pour les autres, à leur place, prend désormais un autre sens. C'est à Lui, qui a complètement échoué, qui, suspendu au gibet, n'a plus de sol sous les pieds, dont on tire au sort les vêtements et qui semble abandonné de Dieu lui‑même, c'est précisément à Lui que s'applique l'oracle : «Tu es mon Fils, aujourd'hui ‑ en cet endroit ‑ je t'ai engendré. Demande et je te donne les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la terre. »

 

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