La foi chrétienne hier et aujourd’hui 78

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   Faisons un pas de plus: être‑homme, c'est «être‑avec » (Mit‑Sein), et cela dans tous les sens; en tout homme, il y a non seulement le présent hic et nunc, mais aussi à la fois le passé et l'avenir de l'humanité, celle‑ci se révélant de plus en plus, lorsqu'on y regarde de près, comme un unique «Adam».

 

Nous ne pouvons entrer ici dans les détails. Contentons‑nous de quelques indications. Il suffit de penser que toute la vie de notre esprit dépend du langage, en ajoutant que le langage ne date pas d'aujourd'hui: il vient de loin, toute l'histoire a contribué à le tisser et elle s'introduit en nous, grâce à lui, comme présupposé indispensable de notre présent, et même comme élément permanent de ce présent.

 

Inversement, l'homme est l'être tendu vers l'avenir qui, dans le « souci », se projette sans cesse au‑delà du moment présent et qui serait incapable d'exister plus longtemps, s'il se voyait subitement privé d'avenir 37 .

 

Nous devons donc dire que le simple individu, l'homme-­

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monade de la Renaissance, l'être qui serait pur «cogito‑ergo‑sum » n'existe pas. L'homme n'est vraiment homme qu'à l'intérieur de la trame totale de l'histoire qui affecte, à travers le langage et la communication sociale, chaque individu, celui‑ci, de son côté, trouvant de quoi réaliser son existence dans ce modèle collectif, où il est par avance déjà compris et qui constitue la sphère de son épanouissement.

 

Il n'est pas vrai que chaque homme se construit à neuf, à partir du point zéro de sa liberté, comme le voulait l'idéalisme allemand. Il n'est pas un être qui recommence toujours au point zéro; il ne peut réaliser ce qu'il a de propre et de neuf qu'en s'intégrant dans la totalité du donné humain qui le précède, le marque et le façonne.

 

   Par là nous revenons à la question de départ et nous pouvons maintenant affirmer: l'Église et le christianisme ont affaire à l'homme ainsi compris. Ils n'auraient pas de raison d'être, s'il n'y avait que la monade‑homme, l'être du cogito‑ergo‑sum.

 

Ils sont ordonnés à l'homme, qui est «être‑avec» et qui n'existe que dans les interrelations collectives découlant du principe de la corporalité. L'Église et le christianisme en général sont là à cause de l'histoire, à cause de la trame des rapports collectifs qui façonnent l'homme. C'est à ce niveau qu'il faut les comprendre.

 

Leur sens, c'est d'être au service de l'histoire en tant qu'histoire, de percer ou de transformer la grille collective qui forme le lieu de l'existence humaine. Selon la lettre aux Éphésiens, l'oeuvre de salut accomplie par le Christ a consisté dans l'asservissement des principautés et des puissances, lesquelles, selon l'interprétation développée d'Origène, sont les puissances collectives qui enserrent l'homme: la puissance du milieu ambiant, de la tradition nationale, cet «on » qui pèse sur l'homme et le détruit 31.

 

Des catégories telles que péché originel, résurrection de la chair, jugement universel, ne peuvent se comprendre que dans cette optique. Le péché originel réside précisément dans ce filet collectif qui précède l'existence individuelle comme donnée morale préalable, et non pas dans une certaine hérédité biologique entre individus totalement isolés par ailleurs.

 

Parler du péché originel, c'est dire que nul homme ne peut plus commencer au point zéro, dans un « status integritatis », un état

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d'intégrité (= non affecté par l'histoire).

 

Nul ne se trouve dans cet état initial d'intégrité, où il n'aurait qu'à s'épanouir et à entreprendre le bien qu'il projette; chacun vit dans un réseau de relations qui constituent une partie de son existence.

 

Le jugement universel, de son côté, est la réponse à ces interrelations collectives. La résurrection exprime l'idée que l'immortalité de l'homme ne peut exister et être conçue que dans la communion des hommes, dans l'homme en tant qu'être communautaire, comme nous aurons encore à le voir de plus près.

 

          Enfin le concept de rédemption, comme nous l'avons déjà dit, n'a de sens qu'à ce niveau; il ne se rapporte pas à un destin monadique et isolé de l'individu. S'il faut donc chercher là le niveau de réalité du christianisme, dans ce que, faute d'un mot plus adéquat, nous appellerons en résumé le domaine de l'historicité, nous pouvons ajouter pour préciser: être chrétien, c'est, comme orientation première, non pas un charisme individuel mais social; on n'est pas chrétien parce que seuls les chrétiens seront sauvés, mais on est chértien parce que, pour l'histoire, la diaconie chrétienne a un sens et est indispensable.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon