La foi chrétienne hier et aujourd’hui 85

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   Mais quand Dieu s'est révélé, quand Dieu a voulu montrer vraiment ce qu'Il était, Il s'est révélé amour, tendresse, effusion de soi, infinie complaisance en un autre, attachement, dépendance; Dieu s'est révélé obéissant, obéissant jusqu'à la mort.

 

   En croyant devenir Dieu, Adam se différenciait totalement de Lui. II se retranchait dans la solitude, et Dieu n'était que communion . »

 

   Tout cela relativise certainement les oeuvres, l'action de l'homme; la lutte de saint Paul contre la « justice par les oeuvres » est à comprendre dans ce sens. Mais il faut ajouter que l'activité humaine ainsi ramenée à la seconde place, s'en trouve du même coup intérieurement libérée: l'activité de l'homme peut se déployer alors dans le calme, le détachement et la liberté, qui conviennent

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à ce qui n'a qu'une importance de second rang.

 

Le primat de l'accueil ne veut nullement condamner l'homme à la passivité; il ne signifie pas que l'homme peut maintenant rester les bras croisés, comme nous le reproche le marxisme. Au contraire il nous permet d'accomplir dans un esprit de responsabilité et en même temps sans crispation, joyeusement, librement, notre travail en ce monde et de le mettre au service de l'amour rédempteur.

 

   Une autre conclusion encore se dégage à partir de là. Le primat de l'accueil implique la positivité chrétienne et démontre sa nécessité interne. Nous avions constaté que l'homme n'est pas lui‑même la source de son être le plus authentique; celui‑ci lui vient nécessairement du dehors, comme une réalité qu'il n'a pas faite, qu'il n'a pas produite, qu'il rencontre au contraire en face de lui et qui se donne à lui librement.

 

Mais dans ce cas, il faut dire que notre relation à Dieu ne peut finalement reposer sur les idées que nous forgeons, sur une connaissance spéculative, mais exige la positivité de cette réalité en face de nous, qui vient à nous comme quelque chose de positif, à accueillir.

 

Il me semble que l'on pourrait en quelque sorte réaliser à partir de là la quadrature du cercle de la théologie, c'est‑à‑dire que l'on pourrait montrer la nécessité interne de ce qui est apparemment la contingence historique du christianisme, montrer que cette positivité qui nous choque, d'un événement survenant de l'extérieur, est en fait nécessaire.

 

L'antithèse, si vigoureusement soulignée par Lessing, entre la vérité de fait et la vérité de raison46 peut être surmontée ici. Ce qui est fortuit, extérieur est en même temps ce qui est nécessaire à l'homme; ce n'est que par la venue à lui d'une réalité extérieure que s'ouvre son être intérieur. L'incognito de Dieu comme homme dans l'histoire « doit » être ‑ avec la nécessité de la liberté.

 

7) Résumé: l' « essence du christianisme »

 

   Nous pouvons dire, me semble‑t‑il, en résumé, que les six principes, dont nous avons essayé de comprendre les grandes lignes, constituent comme la formule de structuration de l'existence chrétienne, et en même temps la formule qui définit l'essence de la réalité chrétienne, ils sont l' « essence du christianisme ».

 

Ils traduisent sans doute aussi ce que nous appelons, avec un concept qui prête

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souvent à malentendu, la prétention chrétienne à l'absolu.

 

Ce que l'on veut dire par là apparaît surtout dans le principe du “particulier », dans le principe du « pour », dans le principe d' « accomplissement » et dans le principe de la “positivité”. Ces énoncés fondamentaux font voir le sens particulier de la prétention que la foi chrétienne affirme et doit affirmer face à l'histoire des religions, si elle veut rester fidèle à elle‑même.

 

  Mais une dernière question se pose : si l'on a devant les yeux les six principes, tels que nous les avons examinés, on fera peut‑être la même expérience que les physisiens qui ont cherché l'élément constitutif ultime de l'être et qui ont cru tout d'abord l'avoir trouvé dans ce que l'on a appelé justement les éléments.

 

Or, à mesure que la recherche progressait, on découvrait un nombre de plus en plus grand de ces éléments, et aujourd'hui on en connaît plus d'une centaine. Ils ne pouvaient donc pas être la réalité dernière, que l'on crut ensuite avoir découverte dans les atomes.

 

Mais ceux‑ci également se révélèrent composés de particules élémentaires, dont nous connaissons maintenant déjà à nouveau une telle quantité que l'on ne peut plus s'en tenir là, et qu'il faut relancer la recherche pour arriver peut‑être tout de même à l'élément constitutif ultime.

 

Nous avons reconnu dans les six principes, en quelque sorte, les particules élémentaires de la réalité chrétienne; mais ne faut‑il pas qu'il y ait au‑delà un noyau central, unique et simple, de cette réalité?

 

Ce noyau existe, et je crois que nous pouvons maintenant, après toutes nos réflexions, dire, sans risquer de tomber dans une phraséologie sentimentale, que les six principes se rejoignent finalement dans le principe unique de l'amour.

 

Disons‑le brutalement, au risque même de prêter à malentendu: ce n'est pas le partisan d'une confession qui est le véritable chrétien, mais celui qui, par sa vie chrétienne, est devenu vraiment humain. N'est pas véritablement chrétien, celui qui suit servilement un système de normes, uniquement préoccupé de lui‑même, mais celui qui est devenu libre et disponible pour la bonté simple et humaine.

 

Le principe de l'amour, pour être authentique, doit assurément inclure la foi. C'est la seule façon pour lui de rester ce qu'il est. Car sans la foi qui, nous l'avons vu, exprime la nécessité où se trouve l'homme de recevoir, et l'insuffisance de toute prestation qu'il pourrait fournir, sans cette foi, la charité devient action autonome, se suffisant à elle‑même. Elle perd sa réalité propre pour devenir justice acquise par ses propres forces.

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   La foi et la charité sont interdépendantes et s'appellent l'une l'autre. Il faut dire de même que dans le principe de l'amour est présent aussi celui de l'espérance qui, dépassant le moment présent et l'instant particulier, cherche le tout.

 

Ainsi notre réflexion nous amène en fin de compte tout naturellement aux trois termes par lesquels Paul désignait les fondements du christianisme « Présentement, la foi, l'espérance et la charité demeurent toutes les trois, mais la plus grande d'entre elles, c'est la charité » (I Co 3, 13).

 

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon