La foi chrétienne hier et aujourd’hui 9

FOI CHRÉTIENNE

hier et aujourd'hui

 

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   Essayons d'approfondir ce point, fondamental pour notre propos. Descartes n'acceptait comme vraiment certain que la certitude formelle de la raison, débarrassée de toutes les incertitudes du donné de fait.

 

Mais il annonce déjà le glissement vers les temps nouveaux, lorsqu'il envisage cette certitude rationnelle essentiellement à partir de la certitude mathématique, exaltant les mathématiques comme le type de toute pensée rationnelle.

 

Cependant alors que les “fait” sont encore éliminés ici, pour arriver à la certitude, Vico pose la thèse exactement contraire. Disciple d'Aristote, il déclare que la science réelle est la science des causes. Je connais une chose lorsque j'en connais la cause.

 

Mais de cet axiome antique il tire des conclusions entièrement nouvelles: si pour connaître vraiment, il faut la connaissance des causes, alors nous ne pourrons connaître vraiment que ce que nous avons fait nous-mêmes, car nous ne connaissons que nous‑mêmes.

 

Ainsi, à la place de l'ancienne équation “vérité/être”, il faut mettre la nouvelle équation “vérité/fait réel”, car seul est connaissable le factum, ce que nous avons fait nous‑mêmes.

 

L'esprit humain n'a pas à réfléchir sur l'être, il n'en a pas la possibilité; son devoir, c'est de réfléchir sur le factum, sur sa création: là est son propre domaine, le seul que nous pouvons vraiment connaître. L'homme n'a pas produit le cosmos, dont les profondeurs lui resteront toujours impénétrables.

 

Il ne peut accéder à une connaissance parfaite et démontrable que dans les fictions mathématiques et dans les sciences

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p24 « JE CROIS AMEN »

 

historiques. L'histoire est le domaine des créations de l'homme et par conséquent l'objet de sa science.

 

Au sein du doute qui menace l'humanité après la débâcle de l'ancienne métaphysique, au début de l'ère nouvelle, on découvre ainsi à nouveau dans le « factum », la terre ferme sur laquelle l'homme pourra reconstruire une nouvelle existence. Le règne du « fait » commence, c'est‑à‑dire que l'homme se tourne radicalement vers sa propre création; il la considère comme sa seule certitude.

 

   Ainsi s'opère la transformation des valeurs qui engendre des temps vraiment “nouveaux” par rapport aux temps anciens. L'histoire, dédaignée auparavant comme non‑scientifique, demeure maintenant la seule science, à côté des mathématiques.

 

La méditation sur le sens de l'être, regardée jusque‑la comme seule digne d'un esprit libre, apparaît dès lors comme une occupation oiseuse et sans issue qui n'est pas un savoir véritable.

 

Ainsi les mathématiques et l'histoire prennent la première place parmi les différentes disciplines; l'histoire absorbe même, pour ainsi dire, tout l'ensemble des sciences, et cela jusqu'à imposer à toutes une transformation fondamentale.

 

La philosophie est ramenée par Hegel, et de manière différente par Comte, à un problème d'histoire, où l'être lui‑même doit être conçu comme un processus historique; la théologie devient avec F. Chr. Baur de l'histoire, par le moyen d'une sévère recherche historique, qui explore les faits passés dans l'espoir de découvrir la vérité authentique;

 

l'Économie nationale est pensée dans la perspective historique chez Marx; les sciences de la nature elles‑mêmes subissent l'influence de cet engouement pour l'histoire:

 

Darwin conçoit l'évolution biologique comme une histoire de la vie; à la théorie fixiste préconisant la fixité des espèces créées, succède la théorie de l'évolution, en vertu de laquelle toutes les choses viennent les unes des autres et peuvent être ramenées les unes aux autres11.

 

De ce fait, le monde n'apparaît plus comme le solide édifice de l'être, mais comme un processus dont le développement permanent est le mouvement même de l'être. En d'autres termes, l'homme ne peut connaître le monde qu'en tant que celui‑ci est son oeuvre.

 

Il aura beau faire, il lui sera impossible de regarder au‑delà de lui‑même,

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p25 LA FOI DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

 

sinon sur le plan du factum. Là il est bien obligé de constater que lui‑même est un produit du hasard, le résultat de transformations millénaires.

 

Dès lors il se trouve dans une situation extrêmement singulière. Du moment où, selon un anthropocentrisme radical, l'homme ne peut connaître que son oeuvre propre, il se voit réduit à s'accepter comme un produit purement fortuit, comme un simple «factum».

 

Et le voilà tombé de ce ciel qu'il avait pris pour son origine; il ne lui reste plus que la terre des faits, cette terre où il s'efforce de déchiffrer, à la bêche, la laborieuse histoire de son devenir.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon