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--------Mais, après un second temps de réflexion, il m'apparut que c'était aussi le concept de conscience sous‑jacent qui était faux. La conscience erronée protège l'homme des lourdes exigences de la vérité et ainsi le sauve... : telle était l'argumentation. --------
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-------- À ce propos, c'est justement la conception de la conscience propre au libéralisme que l'on présuppose ici: la conscience n'ouvre pas la voie vers le chemin libérateur de la vérité ‑ laquelle soit n'existe pas, soit est trop exigeante pour nous.
La conscience est l'instance qui nous dispense de la vérité, elle se transforme en une justification de la subjectivité, que l'on ne peut plus mettre en question, tout comme en une justification du conformisme social qui, en tant que plus petit dénominateur commun entre les différentes subjectivités, a la fonction de rendre possible la vie en société.
Le devoir de chercher la vérité disparaît, tout comme disparaissent les doutes sur les tendances générales dominantes dans la société et sur tout ce qui, en elle, est devenu habitude.
Il suffit d'être convaincu de ses propres opinions, et de s'adapter à celles des autres. L'homme est réduit à ses convictions superficielles, et moins elles sont profondes, mieux cela vaut pour lui.
Tout ceci, qui m'était apparu de façon claire mais encore marginale lors de cette discussion, devint pour moi totale évidence quelque temps après, alors que nous discutions avec des collègues du pouvoir de justification de la conscience erronée.
L'un de nous objecta que si une telle justification devait avoir une valeur universelle, alors même les membres des SS nazis seraient justifiés, et nous devrions les chercher au paradis.
Car ils accomplirent jusqu'au bout leurs atrocités avec une conviction fana-
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tique; la conscience assurée d'une certitude absolue.
Un autre répliqua, de la façon la plus naturelle, qu'il en était effectivement ainsi: il n'y a aucun doute que Hitler et ses complices, qui étaient profondément convaincus de leur cause, n'auraient pu agir autrement.
Par conséquent, pour horribles qu'aient été objectivement leurs actions, d'un point de vue subjectif ils s'étaient moralement bien comportés.
Du moment qu'ils suivaient leur conscience, si déformée fût‑elle, il faut reconnaître que leur comportement était pour eux moral et l'on ne peut donc mettre en doute leur salut éternel.
Cette conversation me donna la certitude absolue qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans cette théorie sur le pouvoir justificatif de la conscience subjective. En d'autres termes, j'eus la certitude qu'une conception de la conscience qui portait à de telles conséquences devait être nécessairement fausse.
La fermeté d'une conviction subjective et le manque de doutes et de scrupules qui s'ensuivent ne justifient aucunement l'homme.
Trente ans après, je trouvai, synthétisées dans les formules lucides du psychologue Albert Gorres, les intuitions que je cherchais moi‑même depuis longtemps à organiser au niveau conceptuel. Leur élaboration constitue justement le coeur même de ma contribution.
Gorres montre que le sens de la faute, la capacité de reconnaître la faute, appartient à l'essence même de la structure psychologique de l'homme.
Le sens de la faute, qui brise une fausse sérénité de la conscience et que l'on peut définir comme une protestation de la conscience contre l'existence satisfaite de soi, est aussi nécessaire à
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l'homme que la douleur physique, en tant que symptôme qui permet de reconnaître les troubles des fonctions normales de l'organisme.
Qui n'est plus capable de percevoir la faute est spirituellement malade, c'est « un cadavre vivant, un masque de théâtre », comme dit Gorres87. « Ce sont les monstres qui, parmi d'autres brutes, n'ont aucun sens de la faute. Peut‑être Hitler et Himmler ou Staline en étaient‑ils totalement dépourvus.
Peut‑être les parrains de la mafia n'ont pas de sens de la faute, même s'ils cachent probablement beaucoup de cadavres enfouis dans la cave avec leur sens de la faute. Tous les hommes ont besoin du sens de la faute88. »