LES PRINCIPES DE LA THEOLOGIE CATHOLIQUE 30

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2. Foi et Histoire

 

SALUT ET HISTOIRE

 

Les conditions préalables à la position de la question

1. L'expérience de base du rapport entre le salut et l'histoire

 

------- l'homme n'est plus livré seul aux abîmes de sa propre existence, mais se sent membre d'une tribu, d'un peuple, d'une culture, dont il reçoit immédiatement la forme et l'ordonnance de son existence, lesquelles lui assurent sécurité, liberté, vie ‑et constituent “son salut”. --------L'histoire devient pour lui le salut, les fondateurs de l'histoire deviennent des forces divines déterminan-

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tes auxquelles il se confie bien plus qu'aux lointaines divinités cosmiques: un « dieu‑fils” est plus proche qu'un «dieu‑père”, il le représente, lui, le lointain et l'inquiétant, comme celui qui est proche et bienveillant 200.

 

--------- l'homme se confie immédiatement à la foi de l'Église, non point parce que il en est venu par des raisons historiques à la conviction que les événements racontés dans le Nouveau Testament sont le centre immuable de l'histoire, mais parce qu'il trouve dans un monde qui reçoit de la foi forme et plénitude le terrain qui porte sa vie, qui lui donne sens et salut et patrie. La communauté de foi et de prière dans laquelle il a été élevé, l'explication du monde et des valeurs, les orientations qui lui sont données pour sa propre existence, la réponse à la question de la nature de l'existence humaine, tout cela lui confère l'assurance tranquille qui lui permet de donner plénitude à sa vie et qu'il est prêt également à acquérir au prix des plus grands efforts. L'histoire chrétienne concrètement présente, donne à sa vie forme et liberté et est par là accueillie comme salut. -------

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2. Les points de départ de la forme chrétienne du problème

 

--------- la division de la chrétienté dépend justement de la division des attitudes à l'égard de l'histoire et s'articule essentiellement en des formes opposées de la conscience historique. ---------la foi chrétienne elle‑même est née d'un ébranlement historique, de la destruction d'une ancienne conscience historique: le message de Jésus présuppose la remise en question de la forme historique du judaïsme tardif, son exposé par Paul radicalise ce trait de critique historique, parachève cette séparation par rapport à la forme historique telle qu'elle était devenue, et comprend le message de Jésus en même temps comme la fondation d'une nouvelle histoire qui, de façon paradoxale, est expérimentée comme la fin de toute histoire et à cause de cela même concerne tous les hommes.

 

------- la conscience historique chrétienne ------------ est caractérisée tout à la fois par la personnalisation (l'individualisation) et l'universalisation. Le point de départ et le point de fixation de cette nouvelle histoire est la personne de Jésus de Nazareth, lequel est vu par la foi comme l'homme ultime (le second Adam), c'est‑à‑dire la libération enfin réussie de ce qui est proprement humain et l'ouverture définitive de l'homme à ce qui lui est essentiel et qui était délabré. Ce qui est visé est donc justement l'humanité tout entière par la suppression de toutes les histoires particulières, dont le salut partiel est considéré comme étant essentiellement comme le contraire du salut: toutes ces histoires en tant qu'elles apportaient un salut provisoire, ont coupé l'homme de ce qui est le but ultime de sa condition humaine propre, elles le lui ont caché et l'en ont retenu en lui donnant satisfaction dans le provisoire.

 

   Mais pour l'instant nous ne voulons pas encore poursuivre ces perspectives internes de la pensée biblique, mais en approfondir quelque peu l'insertion dans l'histoire universelle, comme nous l'avons déjà essayé.

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   Voici ce que nous pouvons constater : le message de Jésus est offert aux peuples divers comme l'histoire qui donne à proprement parler le Salut et qui s'organise concrètement dans les « Églises » ou les “paroisses ». --------L'Ecclesia, c'est la communauté appelée, qui maintenant pour ainsi dire se tient à côté du normal et du quotidien qui continue comme tel. La «paroikia » est encore plus explicitement la société des paroïkoi de ceux qui habitent «auprès” mais qui pourtant vivent avec la réalité telle qu'elle a été jusqu'à présent et se nourissent d'elle. Cette qualité de paroïkoi peut bien avoir donné leur force aux chrétiens sous beaucoup d'aspects ; ils se savaient dans une histoire en naufrage, où la concrétisation d'une histoire nouvelle commençante les avait déjà saisis. -------------------

 

---------- tout en restant dans l'histoire on vit pourtant continuellement en tension vers un au-dessus de l'histoire, mais de telle sorte que cet « au‑dessus » entre lui-même dans l'histoire comme origine et comme espérance. ---------. L'entrée en scène de Luther représente l'expression d'un désir de voir s'effondrer une conscience historique chrétienne bien établie.------ 

 

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-------- Et puisque l'ontologie apparaît comme une expression philosophique essentielle du concept de continuité, c'est elle que l'on va combattre avant tout comme la corruption scholastique ‑ plus tard on dira hellénistique ‑ du christianisme, pour lui opposer l'idée de l'histoire. --------- Enfin, puisque le concept de l'incarnation apparaît comme le point d'ancrage essentiel de l'ontologie dans la théologie, on y oppose de façon antithétique une accentuation spéciale sur la croix comme axe essentiel de l'événement chrétien, la croix comme expression d'une discontinuité radicale, comme rupture durable avec les formes historiques déterminées (fussent‑elles chrétiennes) pour passer extra portam, dans une foi qu'il ne soit pas possible d'institutionnaliser.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon