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2. Les décisions de Constantinople correspondaient ainsi à une certaine évidence de la pensée et aussi à une prise de conscience de l'époque où était pour ainsi dire franchi un nouveau seuil de l'histoire. Mais une simple philosophie ne peut pas rassembler une Église. De façon tout à fait générale un approfondissement de la pensée n'est possible que s'il est précédé d'un approfondissement de l'expérience. La nouvelle théologie des Cappadociens, qui avait permis le succès de Constantinople, reposait en fait sur une nouvelle expérience spirituelle qui était née du maintien de la foi de Nicée. Elle n'est pas pensable sans les souffrances des martyrs qui avaient maintenu leur foi contre l'Église d'État et qui, dans la crise de l'époque, s'étaient réfugiés derrière un profond enracinement dans la prière et la liturgie de l'Église. Basile a développé sa doctrine du Saint‑Esprit et son image du monothéisme chrétien entièrement à partir de la liturgie de l'Église; son livre sur le Saint‑Esprit n'est en son fond rien d'autre qu'une théologie de la liturgie. Il s'attache en particulier au baptême. Le Christ avait donné aux apôtres le mandat de faire de tous les peuples ses disciples en les baptisant « au nom du Père et du Fils et du Saint‑Esprit » (Mt 28,18 s) Dans la forme biblique du baptême, Basile trouvait la loi fondamentale de la vie chrétienne comme de la prière chrétienne. La
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réalité de la prière chrétienne montrait ainsi à la pensée son chemin. On n'a pas commencé par imaginer un concept de Dieu auquel on aurait essayé ensuite d'adresser des prières ; au début on trouve bien plutôt l'expérience de la prière qui elle‑même repose sur le sacrement, c'est‑à‑dire sur une expérience de Dieu communiquée aux disciples et vécue ensuite par l'Église: celle que possédait Jésus‑Christ lui‑même, lequel pouvait être le révélateur, puisque Dieu lui était révélé.
Chez Basile, ce véritable pionnier de la nouvelle unité, on rencontre encore un autre élément décisif. La profession de l'Esprit‑Saint est chez lui étroitement unie au thème de la réforme de l'Église. Se tourner vers le Saint‑Esprit n'est pas chez lui le fait d'une théorie théologique mais recherche de l'esprit de la foi, recherche de la vie spirituelle et de la rénovation de l'Église par l'Esprit. C'est une critique de l'Église d'État et la recherche d'une église de la foi, d'une communauté vraiment spirituelle de foi et de vie. C'est ainsi que Basile est devenu le père du monachisme, qu'il n'a certes pas voulu fonder dans l'Église comme un groupe séparé du reste de la chrétienté, mais comme un modèle d'une fraternité de la foi où se maintiennent vivants les idéaux des origines: “ils étaient un seul coeur et une seule
âme... ils avaient tout en commun” (Act 4,32; cf 2, 42‑47)147. Le fondement de cette vie d'Église et de ce concept de l'Église était la foi au Saint‑Esprit. Inversement, on voit sortir de cette confession vécue du Saint‑Esprit la force de persuasion qui était plus forte que l'accommodement rationnaliste et l'ordre étatique.
3. Grâce à cette profondeur de foi et de pensée, Basile a recherché patiemment le dialogue et réalisé ce travail de persuasion sans lequel les fossés de séparation n'auraient jamais pu être comblés. Pour beaucoup de gens il allait trop loin ; son ami Grégoire de Nazianze trouvait qu'il se mettait à la suite des indécis et de gens à la pensée ambiguë, attitude qu'il ne pouvait accepter. Athanase, dont la noble inflexibilité au milieu d'un flot de dénigrements et de contradictions avait seule maintenu la doctrine de Niçée durant un demi‑siècle, comprenait mieux Basile sur ce point: il reconnaissait que l'évêque de Césarée était devenu ainsi, par son attitude authentiquement apostolique, faible pour les faibles. La ligne de Basile, qui était mort entre temps, influa sur le Concile de Constantinople en ce que l'on choisit pour la confession du Saint‑Esprit une formulation relativement ouverte, le
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langage de l'expérience religieuse, qui devait rendre possible et a rendu effectivement possible au plus grand nombre l'adhésion à ces paroles. De tels compromis pouvaient être dangereux et Grégoire de Nazianze s'en est détourné avec des paroles sévères. En ce cas le compromis était couvert par le témoignage liturgique et la vie spirituelle qui l'avaient rendu possible et lui conféraient en même temps avec clarté sa vraie signification 148.
4. L'Église d'Occident fut d'abord indignée du comportement autocrate et unilatéral de l'Empereur qui avait convoqué au Concile, comme nous l'avons déjà vu, les seules églises d'Orient. Les évêques du Concile étaient parfaitement conscients du problème que posait cette nouvelle dépendance vis‑à‑vis de l'État. Ils avaient essayé de s'en libérer lorsque, en 382, dans une nouvelle assemblée, ils avaient adressé au pape Damase une lettre émouvante où ils le priaient de donner son accord à leur décision. Bien sûr l'adhésion de l'Occident n'est venue que 70 ans plus tard, au Concile de Chalcédoine, mais la démarche comme telle reste importante: elle exprime la supériorité de la structure ecclésiale sur la structure étatique, la volonté de se relier à l'unité de l'Église tout entière, impossible sans l'unité avec l'Évêque de Rome. Là encore le Concile de Constantinople a porté un témoignage important qui a contribué à surmonter encore une fois le fossé déjà ouvert entre l'Orient et l'Occident et assuré encore une fois pour des siècles l'unité de l'Église tout entière 149.
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