p89 LE TEMPS SACRÉ
------------
Considérons maintenant brièvement le deuxième centre de gravité de l'année liturgique, le cycle de Noël, dont le développement est plus tardif que celui de Pâques. Pâques est le point focal du Nouveau Testament, à partir duquel le regard des évangélistes remonte vers la naissance du Christ. L'évangile de Jean, synthèse finale de la foi néotestamentaire, accorde à la théologie de l'incarnation le même rang qu'à la théologie de la Passion, qui constituent maintenant les pôles inséparables de la foi en Jésus‑Christ, Fils de Dieu, Sauveur. La croix et la résurrection, en effet, présupposent l'incarnation. Parce que le Fils de Dieu est réellement « descendu», s'est réellement incarné dans la Vierge Marie, la mort et la résurrection de Jésus peuvent toucher cette «chair», c'est‑à‑dire notre existence terrestre et éphémère, et lui conférer le don de l'immortalité à travers la transformation pascale. Après Pâques, le mystère de l'incarnation devait donc lui aussi trouver son expression liturgique et sa place dans le cycle du temps sacré. ------
==================================
p90 L'ESPRIT DE LA LITURGIE
------- il s'agit de célébrer le lever du véritable soleil de l'histoire, nouvelle lumière du monde. ----------------
--------- Comme la date de Pâques, la date de Noël fut fixée au 25 décembre pour des raisons à la fois historiques et cosmiques. Dans les deux cas, ces dates intégraient un élément cosmique, que les chrétiens interprétèrent comme une préfiguration du Christ, premier‑né de la Création (Col 1, 1s). ------
==================================
p91 LE TEMPS SACRÉ
--------------
Cette dimension cosmique permit, après l'avoir combattu, d'intégrer le culte du soleil dans la théologie liturgique des fêtes chrétiennes. Les Pères ont écrit des textes magnifiques à ce propos, notamment saint Jérôme, dans un sermon de Noël: « Même la créature donne raison à notre sermon. L'univers est témoin de la vérité de notre parole. Jusqu'à ce jour les jours obscurs croissent, mais à partir de ce jour, l'obscurité décroît. La lumière avance, la nuit recule». De même saint Augustin, dans une homélie prêchée à Hippone le jour de Noël: «Réjouissons‑nous aussi, mes frères, que les païens jubilent tant qu'ils veulent: car ce jour nous ne le consacrons pas au soleil visible mais à son créateur invisible------ « [le soleil qui] comme un jeune époux sort de son pavillon», annonçait à la fois la descente du Verbe et sa conception dans le sein de Marie.
---------
La symbolique de la fête de l'Épiphanie est étroitement liée à celle de Noël. Dans la forme qui est la sienne en Occident, cette fête inter-
==================================
p92 L'ESPRIT DE LA LITURGIE
prête l'incarnation du Logos comme une «théophanie », c'est‑à‑dire une manifestation de Dieu à sa créature. Cette fête inclut plusieurs théophanies: l'adoration des rois mages, qui symbolisent le début de l'Église des Gentils, c'est‑à‑dire la procession des nations vers le Dieu d'Israël, prophétisée par Isaïe (60); le baptême de Jésus dans le Jourdain, proclamé Fils de Dieu par la voix venue d'en haut; les noces de Cana, où pour la première fois le Christ manifeste sa gloire aux yeux de ses disciples. Dans l'adoration des mages, les chrétiens ont vu la rencontre de la sagesse des peuples anciens avec la promesse de l'Écriture. L'étoile mystérieuse qui guide les sages païens dans leur quête de la vérité est le symbole de cette relation intérieure entre le langage du cosmos et celui du coeur humain. Tous deux trouvent leur origine dans le Verbe du Père qui, à Bethléem est sorti du silence de Dieu, le Verbe qui rassemble tous les fragments de la connaissance humaine.
Les deux grandes fêtes de l'année liturgique sont des fêtes du Christ, des fêtes « solaires». Mais à côté du soleil se trouve la lune, qui nous renvoie la lumière du soleil. La lune nous rappelle que nous, les hommes, avons toujours besoin d'une humble lumière, et que c'est grâce à cette clarté empruntée que nous sommes capables d'adorer la lumière du Dieu unique. Cette lumière nous est renvoyée par Marie, par les saints. C'est pourquoi le cycle de Noël intégra naturellement Marie dans l'année liturgique: c'était manifester la dimension intimement mariale des fêtes christologiques. Et de même les saints trouvèrent leur place dans le calendrier chrétien, avec les apôtres et les martyrs. D'une certaine façon, ils sont les nouveaux astres qui reflètent la bonté infinie de Dieu dans le ciel de l'Église. Leur lumière indirecte et adoucie nous permet de mieux connaître la richesse infinie de la grande lumière de Dieu, que nous serions incapables de contempler dans l'éclat de sa pure gloire.