Darras tome 21 p. 496
§ IX. MORT DE SAINT PIERRE DAMIEN.
70. On en peut juger par le fait suivant. Le roi Henri IV déjà livré malgré son extrême jeunesse aux plus honteux excès, avait fini par ratifier les fiançailles contractées du vivant de son père avec la princesse Berthe fille d'Othon margrave d'Italie et d'Adélaïde comtesse de Turin. Le mariage solennel eut lieu vers la fin de l'an 1068. Mais par un raffinement d'infamie à peine croyable, il ne conduisait à l'autel cette belle et vertueuse fiancée qu'avec l'intention de la déshonorer. Le complot tramé par ce prince de dix-huit ans et raconté par les chroniqueurs contemporains avec des détails qu'il nous est impossible de reproduire échoua devant la noble attitude de la jeune reine. Henri qui avait compté sur un scandale dont il se promettait de faire la base d'une accusation calomnieuse et d'un
----------------------
1. Petr. Diacon. Chrome Cassin. Lib. III, cap. xhyi; Patr. Lat. tom. CLXXIII eol. 768.
======================================
497 CHAP. IV. — MORT DE SAINT HERRE DAMIER.
procès canonique en nullité de mariage se vit au contraire la risée de toute la cour. Il n'en mit que plus d'ardeur à ses projets de séparation. L'archevêque de Mayence Sigefrid dans une lettre au pape Alexandre II s'exprimait en ces termes : « Parmi les innombrables sollicitudes que le gouvernement de l'Eglise impose à votre zèle pastoral, voici que nous y recourons pour un fait monstrueux et peut-être jusqu'ici sans exemple. Votre fils Henri notre roi vient de nous déclarer sa volonté de répudier sa jeune et noble épouse, sans raison aucune, sans le moindre prétexte. Ni les liens des fiançailles ni ceux d'un mariage légitime solennellement contracté avec toutes les formalités usitées pour les alliances augustes, le couronnement, la foi jurée, les stipulations dotales, rien enfin ne l'arrête. Tous les officiers de son palais, tous les grands et moi-même, nous lui avons résisté en face et lui avons déclaré que toute son autorité royale, toutes les menaces qu'il pourrait nous faire et la mort même ne nous empêcheraient pas s'il persistait dans son projet criminel de nous séparer de lui comme d'un excommunié. Il prétendit alors qu'il avait un motif canonique à faire valoir et qu'il le soumettrait quand le temps serait venu à l'appréciation des juges compétents. Telle est donc la situation pour laquelle nous recourons à votre sainteté comme à l'oracle de Dieu lui-même. C'est à vous qu'il appartient de prononcer dans une question si extraordinaire. Nos frères les évêques de Germanie seraient disposés à se réunir syno-diquement en cette ville de Mayence pour y entendre le roi et la reine dans les explications contradictoires qu'ils voudraient fournir. Mais nous n'avons voulu prendre aucune décision sur ce point avant que votre béatitude nous ait fait connaître ses intentions. Dans le cas où elle approuverait l'idée d'un concile, nous la prions d'envoyer un légat de suo latere muni d'instructions et de pouvoirs suffisants, lequel prononcerait au nom du siège apostolique la sentence définitive1. » Cette lettre de l'archevêque de Mayence serait un modèle de vigueur apostolique, si elle n'était un chef d'œuvre d'hypocrisie. Hélas ! Sigefrid qui se vantait «d'avoir résisté en face », comme
-------------------------
1 Sigefrid. Moguatin, Epist. ad. Alex, II; Patr.Lat. Tom. CXLVI, col. 1432.
=======================================
p498 pontificat d'alexanmie h (10G1-1073).
un autre Jean-Baptiste, mentait
indignement. Il avait au contraire favorisé de tout son pouvoir les cyniques
projets du jeune roi, et il n'était pas le seul. Adalbert de Brème, heureux de retrouver
l'occasion de rentrer aux affaires, n'avait pas rougi de dire à Henri IV :
«Vous pouvez suivre tous les penchants de votre cœur : l'essentiel pour un
chrétien n'est pas de bien commencer mais de
bien finir 1. » Cette morale commode justifiait d'avance tous les débordements
et le jeune roi n'était que trop enclin à la suivre. Si bien calculée d'ailleurs que soit la lettre de Sigefrid, elle laisse pourtant à
un œil attentif la possibilité d'y entrevoir une contradiction. Après avoir témoigné la plus vive indignation à la première
confidence du jeune roi, l'archevêque s'adoucit bientôt, quand Henri lui déclare qu'il a des motifs sérieux et parfaitement canoniques à
soumettre au jugement d'un tribunal ecclésiastique. Sigefrid ne fait pas connaître les arguments persuasifs, dont le roi se servit pour
ébranler si facilement sa conscience d'évêque. Mais ce que Sigefrid ne voulait point dire au pape Alexandre, un chroniqueur,
contemporain Lambert d'Hersfeld nous le raconte sans réticence.
71 .Voici ses paroles : «Après les fêtes de la Pentecôte (1 juin 1069) dans une diète tenue à Worms, le jeune roi Henri IV fit confidence de son projet de divorce à l'archevêque Sigefrid, et en obtint l'assentiment secret moyennant la convention suivante. Depuis longtemps Sigefrid, en qualité d'archevêque de Mayence, désirait étendre son droit de dîme sur la province de Thuringe; mais le peuple refusait de payer un impôt auquel jusque-là il n'avait point été soumis. Le jeune roi qui n'avait que sa passion en tête promit à Sigefrid de contraindre les Thuringiens par la force des armes. L'archevêque accepta le marché et un engagement solennel fut conclu de part et d'autre. Aussitôt le roi déclara à la diète sa résolution de répudier la jeune reine. « C'est un secret qu'il m'a fallu garder longtemps, disait-il, mais que je ne puis dissimuler davantage. La raison d'état prévaut ici sur toutes les considérations de personnes.
----------------------
1. Iléfélé Hist. des Conciles, Tom. VI. p. fiî.
=======================================
p499 CHAP. IV. — MORT DE SAINT MEURE DAMIEN.
Je requiers donc mes fidèles sujets de prier Dieu de me relever d'une alliance mal assortie, pour me permettre d'en contracter une autre qui sera plus heureuse. Je déclare d'ailleurs et suis prêt à en faire le serment que la reine Berthe est telle que je l'ai reçue des mains de sa mère la comtesse Adélaïde. » Cette déclaration, reprend le chroniqueur, fut accueillie à la diète par un sentiment général d'horreur et de mépris ; mais nul n'osa prendre la parole ni affronter le courroux du jeune monarque. L'archevêque Sigefrid vendu d'avance parvint à faire adopter une proposition qui semblait réserver tous les droits et mettait en sûreté toutes les consciences. Un synode fut indiqué à Mayence pour la prochaine fête de saint Michel (29 septembre 1069), afin que la cause y fût soumise à un jugement canonique. En attendant la reine Berthe fut reléguée à l'abbaye de Lorsch et le roi commença son expédition contre la Thuringe 1. » Dans l'intervalle, la lettre de Sigefrid parvint à Rome, mais elle ne fut pas le seul renseignement qu'Alexandre II put avoir sur cette déplorable affaire. La chronique d'Hirsauge nous apprend en effet que l'impératrice Agnès s'émut profondément à la nouvelle des événements de la diète de Worms. Bien que son fils l'eût déjà abreuvée de chagrins, Agnès ne pouvait voir d'un œil indifférent qu'il s'attirât dès le début de son règne les anathèmes de l'église, la haine du peuple, le mépris de la noblesse et affichât par un scandale monstrueux l'infamie de sa conduite privée 2.
72. Un cri d'indignation s'élevait d'ailleurs du sein de l'Allemagne et se traduisait par une insurrection sanglante. La Thuringe envahie par les troupes du jeune roi était livrée au meurtre et au pillage. La cupidité de l'archevêque de Mayence poursuivant par de tels moyens l'injuste établissement de ses dîmes et l'aveugle passion de Henri IV cherchant dans cette guerre barbare l’assouvissement d'instincts plus ignominieux encore allumèrent un incendie qui devait durer de longues années et accumuler des monceaux
--------------------
1 Lambert. Hersfeld. Annal. 1069 ; Pair. Lat. Tom. CXLVI, col. 1091.
2 Çhronicon
Hirsaugiens. Ed. Trithem. aan.
1069. Cf. Voigt. llist. du pas»
Cvéffoire VII, L. IV, p.
117, trad. Jn.çrpr.
========================================
p500 TONTIFICAT D'ALEXANDRE II (10G1-1073).
de ruines. A la lueur des flammes qui dévoraient les cités et les campagnes de la Thuringe, les Saxons prirent les armes. « Les préviléges que nous ont légués nos aïeux, dirent-ils, ne nous seront pas ravis par un roi insensé et féroce. Nous sommes prêts à mourir pour les défendre. » La Souabe accablée elle-même d'impôts exorbitants entra dans cette ligue et jura de maintenir «les antiques droits des Germains. » En quelques mois le jeune Henri IV s'était aliéné le cœur de tous ses sujets. Telles étaient les nouvelles qui attristaient à Rome le cœur de l'impératrice Agnès et qui formaient pour le pape Alexandre II le commentaire rectificatif du message de Sigefrid. Saint Annon de Cologne banni des conseils du jeune roi était réduit à gémir sur des malheurs auxquels il ne pouvait plus remédier. Nous n'avons plus les lettres qu'en sa qualité de primat de Germanie il dut adresser alors soit au pape soit à l'archidiacre Hildebrand. Mais on peut imaginer ce qu'il dut souffrir dans son patriotisme et dans son amour pour l'Église en voyant un de ses collègues dans l'épiscopat précipiter le roi et la monarchie allemande dans la voie des révolutions et des crimes.
73. Pierre Damien fut chargé par le pape de se rendre à Mayence afin d y présider, comme légat apostolique, le concile qui devait s’y réunir. « Cet homme de Dieu aussi vénérable par son âge que par ses vertus et sa science, reprend Lambert d'Hersfeld, tint à Sigefrid un langage empreint d'une juste sévérité. Il le menaça d'une sentence d'excommunication pour avoir promis son concours au projet de divorce. Henri IV était déjà en chemin pour Mayence lorsqu'il fut informé de l'arrivée du légat apostolique et de ses dispositions à son égard. Furieux de l'obstacle qui se dressait devant lui au moment où il croyait toucher à la réalisation de ses criminels désirs, il voulut retourner sur ses pas. Ses amis eurent la plus grande peine à le retenir, en le conjurant de ne pas faire une pareille insulte aux princes et aux évêques qui l'attendaient en grand nombre à Mayence, où il les avait convoqués lui-même. Malgré toutes leurs instances, le jeune roi ne voulut point poursuivre son voyage : il s'arrêta à Francfort d'où il manda aux évêques et aux princes de venir le trouver. Ce fut donc à Francfort que s'ou-
=========================================
p501 CHAP. IV. — MORT DE SAINT HERRK DAMIEN.
vrit au jour fixé (29 septembre 1069) l'assemblée synodale. Le vénérable Pierre Damien prit la parole au nom du souverain pontife. « C'est, dit-il, un projet détestable, indigne d'un chrétien et à plus forte raison d'un roi, que celui dont nous avons à nous occuper. Si le respect des lois humaines et la crainte des sanctions canoniques ne suffisent point à retenir le prince, qu'il ait du moins souci de son honneur et de sa considération personnelle. Il doit songer aussi à la responsabilité terrible qu'il assumerait sur sa tête : un scandale de ce genre donné par un roi serait l'opprobre du peuple chrétien ; l'épée est aux mains du prince pour punir chez les autres le crime que voudrait aujourd'hui commettre le prince lui-même. Chargé par Dieu d'être le vengeur des lois, il se ferait le complice et le chef de ceux qui les outragent ! Tels sont les conseils que le pontife romain adresse par ma bouche au roi de Germanie. S'ils ne sont pas écoutés je serai contraint d'employer la rigueur des censures ecclésiastiques et d'opposer au crime triomphant la sévérité des peines canoniques. Le pape veut d'ailleurs qu'on sache que jamais il ne prêtera ses mains pour ceindre la couronne impériale au front d'un roi qui aurait à ce point trahi les devoirs imposés par la foi chrétienne 1. » Cette courte analyse du discours de Pierre Damien ne saurait nous consoler de la perte de l'original, qui n'a point été conservé dans les œuvres du saint docteur. Mais si résumée qu'elle soit par l'annaliste, elle prouve surabondamment, à rencontre de la thèse soutenue par l'école rationaliste actuelle, que le pape seul avait le droit de constituer un empereur. Lorsque l'illustre cardinal d'Ostie, qui avait réservé cet argument pour le dernier, déclara au nom du pape Alexandre II que jamais le roi de Germanie Henri IV, fils unique et successeur de l'empereur Henri-le-Noir, ne recevrait des mains du vicaire de Jésus-Christ le diadème de Charle-magne s'il s'obstinait dans ses coupables errements, non-seulement il ne provoqua aucune objection ni de la part des conseillers de la couronne ni de la part des membres de la diète synodale, mais au contraire il trouva toutes les voix prêtes à soutenir la sienne.
--------------------
1. Lambert. Hersfeld. Annal. 1069; Patr. Lai. 156, col. 1094.
======================================
p502 PONTIFICAT D'ALEXANDRE II (10GI-1073).
74. C'est ce que l'annaliste constate en ces termes : « Quand le légat apostolique eut cessé de parler, tous les princes s'écrièrent que la sentence du pontife de Rome était parfaitement juste. Ils conjurèrent le jeune roi, au nom de ses intérêts les plus sacrés, au nom du Dieu tout-puissant et du Christ rédempteur, de ne pas ternir sa gloire, souiller la majesté royale et perdre ses espérances d'avenir. Ils ajoutaient une autre considération non moins importante au point de vue politique. « Dans un moment où le royaume était déjà si profondément troublé, disaient-ils, l'injure qu'on ferait à la reine aurait les conséquences les plus funestes. Sa famille puissante entre toutes comptait un grand nombre d'hommes d'énergie et de caractère, influents par leurs richesses et leur bravoure, qui ne manqueraient pas de venger l'outrage fait à leur auguste parente et de se liguer avec les ennemis déjà si nombreux du jeune monarque. Bouleversé par leurs instances, mais nullement convaincu, Henri IV finit par dire : « Puisque vous êtes inexorables et que je ne puis vous faire céder, il me faut me soumettre. J'essaierai de me faire violence, je porterai comme je pourrai un joug dont on ne me permet point de m'affranchir. » Ces paroles furent prononcées d'un ton de véritable rage et le roi se retira. On manda aussitôt la jeune reine, mais son époux refusa de la recevoir et partit immédiatement pour la Saxe 1. » Les princes et les évêques poursuivant jusqu'au bout leur œuvre de réconciliation escortèrent la reine jusqu'à Goslar. Les conseillers de Henri IV durent renouveler leurs instances pour le déterminer à paraître dans le cortège qui vint à la rencontre de la malheureuse Berthe. Un caprice de tyran avait ainsi agité le monde pour une question matrimoniale, un autre caprice changea tout. En 1071 la reine Berthe donnait un fils à Henri IV.
75. Saint Pierre Damien dans sa légation à Mayence et à Francfort en apprenant à connaître la violence du jeune roi avait pu deviner les malheurs dont son règne allait être le signal pour l'Eglise et pour l’Etat. De retour a Rome il dut communiquer ses tristes cette ville.
-----------------------
1. Lambert. Hcrsfeld. Annal. Patr. Lat. Tom. CXLVI, col. 1004.
======================================
p503 CHAP. IX. - MOIIT DE SAINT PIERRE DAMIEN.
pressentiments au pape et à l'impératrice Agnès. Pour lui, sa laborieuse carrière touchait à son terme. « Plein de jours et de saintes œuvres, dit l'hagiographe, l'athlète du Christ se préparait à la suprême récompense. Il lui fallut pourtant accepter pour la ville de Ravenne une mission qui intéressait au plus haut point le salut des âmes. L'archevêque schismatique de Ravenne, Henri, venait de mourir dans l'impénitente finale (janvier 1071) : jusqu'au dernier moment il était resté attaché à la faction de l'antipape Cadaloüs. Excommunié par le concile romain de l'an 1065, non-seulement il avait dédaigné les censures ecclésiastiques mais il avait entraîné dans la révolte les évêques ses suffragants ainsi que le clergé et le peuple de sa métropole. Frappé par la main de Dieu, le profanateur impie n'eut pas le temps de rétracter ses erreurs. Le seigneur apostolique Alexandre II voulut mettre un terme au schisme qui désolait depuis trop longtemps une province si considérable. Nul ne lui parut plus propre à cette mission que le vénérable Pierre Damien, dont la sainteté admirée de l'univers rejaillissait avec un éclat particulier sur Ravenne sa ville natale. Le serviteur de Dieu accepta avec empressement l'occasion qui lui était offerte de ramener dans l'unité catholique une cité qui lui était si chère. II supporta avec un merveilleux courage les fatigues du trajet. A son approche, tous les citoyens vinrent le recevoir aux portes de la ville, se prosternant à ses pieds et lui baisant les mains. Ils firent tous abjuration du schisme, se soumirent à la pénitence canonique, et reçurent l'absolution solennelle des censures qu'ils avaient encourues. L'allégresse fut grande en ce jour dans l'immense cité; hélas ! elle devait bientôt faire place à un deuil universel1. »
76. « Après avoir heureusement terminé cette mission, le serviteur de Dieu reprit la route de Rome. Mais dès la première station à Faenza où neus fûmes reçus, dit l'hagiographe, au monastère de Notre-Dame, le vénérable Pierre fut pris d'une fièvre violente, qui se prolongea sans amélioration durant huit jours. La veille de la Chaire de Saint-Pierre au milieu de la nuit, sentant qu'il allait
-------------------
1. S. Petr. Dainian. Vita; Pair. Lat.Tom. CXLIV, col. 143.
========================================
504 PONTIFICAT D'ALEXANDRE II (1061-1073).
quitter ce monde, il nous fit tous ranger autour de son lit et nous ordonna de réciter à l'ordinaire l'office des matines, « voulant, disait-il, célébrer l'office du prince des apôtres avec la même solennité que s'il eut été dans son monastère de Fontavellane. » Les nocturnes furent suivis de la messe; le bienheureux communia au corps et au sang du Seigneur. Nous le vîmes alors se recueillir dans une méditation qui ressemblait à l'extase; son âme se détacha doucement des liens du corps et il cessa de vivre sur cette terre. Ainsi le jour même où l'Église célèbre l'avènement de saint Pierre à la charge pastorale, la cour céleste recevait dans les splendeurs des saints un des plus fervents disciples de saint Pierre (18 janvier 1072) 1. On se disputa l'honneur d'offrir une sépulture aux restes de l'homme de Dieu. La ville de Ravenne les réclamait comme ceux du plus illustre de ses enfants; les Camaldules de Fontavellane, comme ceux de leur père ; mais la cité de Faenza ne voulut jamais céder le pieux trésor dont sa généreuse hospitalité l'avait rendue digne. Les funérailles de Pierre Damien ressemblèrent moins à un deuil qu'à une pompe triomphale. Sur le passage du cortège des multitudes d'infirmes recouvraient la santé; on accourait à ce mort glorieux avec mille fois plus d'empressement qu'au passage d'un conquérant ou d'un roi. Les hymnes qu'on chantait étaient des cantiques d'allégresse; ce fut ainsi qu'on déposa devant le maître autel de la cathédrale les précieuses reliques du serviteur de Dieu. Un monument du plus riche travail fut immédiatement commencé ; mais la piété des fidèles et les nombreux miracles qui s'opéraient chaque jour à ce tombeau béni valaient mieux que tous les chefs d'œuvre de l'art2.
-------------------
1. La fête de saint Pierre Damien fut dès l'origine fixée au 22 février, parce qu'il avait été impossible de la faire concourir avec celle de la chaire de saint Pierre, date de sa bienheureuse mort. L'inscription gravée sur l'arcade de son mausolée de Faenza lui donne le titre de « docteur » qu'il avait si bien mérité par sa science théologique, canonique et scripturaire. (Pair. Lat. Tom. CXL1V, col. 114.)
2 Voici l'épitaphe que saint Pierre Damien avait composée lui-même pour être gravée sur sa tombe ;
========================================
p505 CHAP. IV. — WIBERT ARCHEVEQUE DE KAVENNB.
§ X. WIBERT ARCHEVÊQUE DE RAVENNES.
77. En même temps que Pierre Damien, mais dans des sentiments bien opposés mourait l'antipape Cadaloüs (janvier 1072). « Celui-ci, dit Bonizo de Sutri, mourait et pour le temps et pour l'éternité, il périssait et dans son corps et dans son âme1. » Il serait curieux de retrouver dans quelque manuscrit jusqu'ici inconnu le récit des
-----------
Quod mine es fuimus; es quod sumus ipse fulurm,
Ilis sit nv.Ua ftrles, quieperitwa vides. Frivola sinceris prœeurrunt somma veris,
Sitccedunt brevibus sxnda temporibus. Vive memor mortis, quo semper viverc possis :
Quidquid adest, transit; quod manet, cccc venit. Quavi bene providit qui le, maie munrte, retiquit!
Mente prius carni, quant tibi carne mort, Cœlica terrenis prmfcr mansura cadncis :
Mens répétât proprium libéra principium. Spiritus ultra petat, quo prodit fonte recurrat;
Sub se despiciat quidquid in ima ffravat. Sis memor oro mei, cineres pius aspice Pétri : Cum prece, cum gemitu die : Sibi parce Deus. (S. Petr. Dam. Carmina; . Patr. Lat. Tom. CXLV, col. 9G8.) 1 Eodem tempore Cadaloùs Parmensis episcopus corporc et anima defunctus est. (Bouizo, Ad amie. Lib. VI; Patr. Lat. T. CL, col. 835.) Le biographe de la comtesse Mathilde dit de même : Dcrisus valdc moritur cum criminc Parmœ. {Pair. Lat. T. CXLVIII, col. 990.) Ces témoignages contredisent formellemeut une assertion de Rohrbacher ainsi conçue : «Le malheureux antipape eut le bonheur de se reconnaître avant sa mort, de demander l'absolution au pape véritable et de l'obtenir en promettant une digue satisfaction. » (Hist.univ. de l'Egl.caihot. Liv. LX1V1 T. XIV, p. 154.) Baronins avait le premier signalé la conversion de Cadaloüs, d'après un exemplaire du Catalogue pontifical du cardinal d'Aragon. Mais le manuscrit que Baronins eut sous les yeux était fautif en cet endroit, ainsi que l'ont constaté Muratori et en ces derniers temps le docteur Watterich. Le copiste avait par inadvertance interverti l'ordre de deux phrases fort distinctes, dont la première relative à Hugo Candidus rappelle la rétractation de celui-ci entre les mains du pape Alexandre, la seconde relative à Cadaloüs ne laisse pas de doute sur l'impénitence finale de cet antipape. Voici le passage intégralement restitué : Prœterea jam dictus Hugo Candidus post multas catamitates quas sub Cadido antipapa sustùmit, a domno Aleoxindro ve-niani suppliciler postulavit et condigna satisfactione prxstita impetraoit. Idan quoqut Cadulus post paucos dies ex divino judicio pessiniam morlcrn incurrit, (Watterich. Tom. I, p. 208. — Muruiori. liai. Sci-iplor. Tom. III. p. 302).
=======================================
p506 tONTIFICAT r/ALEXAKDRE II (1061-1073).
derniers moments de l'antipape Cadaloûs tel que l'écrivit certainement son fidèle conseiller et diplomate Benzo. A défaut de ce document qui n'a point été conservé, on a découvert assez récemment à Parme une inscription sépulcrale dont le style et les seutiments s'accordent trop avec ceux du schismatique évêque d'Albe pour que nous hésitions à la lui attribuer. Voici ce monument d'épigraphie et d'amitié fidèle : «0 Rome, Cadaloüs était ton pasteur légitimement institué et cependant tu laisses à la cité de Parme le soin de lui consacrer cette tombe qu'elle arrose de ses pleurs tout en la trouvant trop peu digne de lui. Si tu l'avais reçu de son vivant, ce légitime pasteur, il aurait restauré ta puissance et ta gloire et relevé la majesté du siège apostolique. Les Normands auraient abandonné les fertiles plaines de l'Apulie; la Calabre aujourd'hui courbée sous le joug serait libre. Tu fusses redevenue comme autrefois, la reine du Latium, la capitale de l'univers ; tous les fronts se courberaient devant toi, tu foulerais aux pieds la tête des plus superbes dominateurs. Egarée dans des voies téméraires tu ne l'as pas voulu... Si du moins il eut vécu plus longtemps, il aurait pu te subjuguer enfin et avec toi régner sur le monde1. »