Grégoire VII 60

Darras tome 22 p. 357

 

72. « Entraînant à sa suite les légats apostoliques, continue Berthold, il se dirigea avec son armée sur les frontières de la Saxe, dans l'espoir de surprendre Rodolphe. Mais celui-ci était prêt à soutenir le choc : des milices nombreuses et vaillantes marchaient sous ses ordres. Henri apprit avec stupeur qu'au lieu de surprendre son rival il allait être enveloppé lui-même. Les deux armées n'étaient plus qu'à quelques milles de distance. Avant d'engager une bataille où des flots de sang auraient inutilement coulé, Rodolphe avec la magnanimité d'un héros chrétien envoya des messages à chacun des principaux seigneurs de l'armée de Henri pour les engager au nom de Dieu à respecter la trêve ordonnée par le pape, à travailler de bonne foi au rétablissement de la concorde par des voies pacifiques, en prenant l'initiative  d'une dicte

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1.Berthold. Const., col. 434.

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nationale où conformément aux intentions du souverain pontife le conflit recevrait une solution équitable. « Si vous entrez dans ces vues, disait-il, vous me trouverez fidèle à observer moi-même religieusement toutes les conditions de la trêve, sinon ne comptez plus de ma part sur aucun sentiment de miséricorde. Avec l'aide de Dieu je vous traiterai comme des ennemis de toute paix et de toute justice, comme des excommuniés endurcis et rebelles; la vengeance des Saxons sera éclatante et impitoyable. «En même temps qu'ils recevaient ce message, les princes germains apprenaient par leurs éclaireurs que l'armée de Rodolphe était beaucoup plus nombreuse et plus aguerrie que la leur. La terreur d'une part, de l'autre la conscience du crime qu'ils allaient commettre en rompant sans motif une trêve imposée aux deux partis sous peine d'excommunication, les déterminèrent. Ils déclarèrent à Henri qu'ils ne voulaient point combattre. « Les propositions de Rodolphe et des Saxons, dirent-ils, sont justes ; nous y adhérons complètement. » A ces mots, le tyran éclata en sanglots et en gémissements. Il suppliait les larmes aux yeux qu'on revînt sur une telle résolution, mais les seigneurs se montrèrent inflexibles. «. En vous forçant à suivre notre conseil, lui dirent-ils, c'est votre propre salut que nous cherchons : vous obstiner au combat serait courir à une défaite irrémédiable. » Or les seigneurs laïques étaient seuls à tenir ce langage; tous les évêques courtisans, aveuglés par leur fureur schismatique, voulaient la guerre. C'était pitié d'entendre ces hommes qui ne se battent que de la langue, laissant à d'autres le soin de recevoir en pleine poitrine les coups d'épée, de lance et de masse d'armes, pousser leurs belliqueuses clameurs, insister pour continuer sans merci ni trêve les discordes sanglantes qu'ils avaient eux-mêmes allumées, consommer la ruine de l'Eglise et de l'état déjà si avancée par leurs intrigues sacrilèges. Révoltés d'une attitude si indigne, les seigneurs laïques appelèrent les légats du saint-siége et les prièrent d'intervenir entre les deux armées pour y faire accepter des conditions de paix. La négociation réussit non sans peine. Au nom du souverain pontife les légats interdirent aux deux partis sous peine d'excommunication de rompre la trêve

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jusqu'à la réunion de la diète nationale qui devait terminer pacifiquement le conflit. Le roi Henri dut se résoudre à faire jurer en son nom par quelques-uns de ses confidents qu'il se soumettrait à la sentence qui y serait portée en vertu de l'autorité apostolique. Une pareille humiliation coûtait énormément à son orgueil, mais les circonstances la lui imposaient. Durant les pourparlers les deux armées en présence avaient pu mutuellement apprécier leurs forces respectives. Or la majeure partie du contingent bavarois attaché à Henri ayant vu manoeuvrer l'armée saxonne fut prise d'une invincible terreur, elle leva tumultueusement ses tentes et quitta le camp. Les évêques courtisans tremblèrent à leur tour, ils avaient hâte de fuir ; après s'être si longtemps opposés aux négociations de paix, ils les trouvaient maintenant trop lentes au gré de leur lâche impatience. Enfin les dernières formalités furent accomplies et Rodolphe rentra glorieusement en Saxe à la tête de son armée fidèle, pendant que les troupes de Henri se dispersaient au hasard et regagnaient leurs foyers '. »

 

73. Les légats apostoliques Pierre Igné et Udalric de Padoue furent en cette circonstance, dit Berthold, comblés de riches présents et se disposèrent à retourner à Rome. « Mais, ajoute le chroniqueur, depuis longtemps l'union avait cessé d'exister entre ces deux éminents personnages. L'évêque de Padoue Udalric, séduit par les promesses du patriarche d'Aquilée et par l'or de Henri, affectait de tenir à l'écart le vénérable cardinal Pierre Igné son collègue. Il dédaignait sa pieuse simplicité et le traitait avec une hauteur méprisante. Au retour, il le laissa faire de son côté la traversée des Alpes, et prenant l'avance, il arriva le premier en Italie. En traversant la Lombardie l'hypocrite et infidèle légat vantait partout l'édifiante soumission de Henri au saint-siége, la sincérité de sa conduite, son dévouement et son obéissance filiale au siège apostolique. A Rome il tint le même langage, espérant tromper ainsi le pape lui-même2. »  Mais déjà la défiance de Grégoire VII était

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1 Berthold. Constant., col. 435. ' Ibid., col. 4S6.

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éveillée sur la trahison d'Udalric. Quelques mois auparavant il s'en était expliqué ouvertement dans un rescrit pontifical où il cherchait à le rappeler au sentiment du devoir. « De divers côtés, écrivait le grand pape, s'élèvent contre vous des accusations auxquelles je refuse encore d'ajouter foi. On dit que si votre collègue pèche par une trop grande simplicité, vous avez à vous reprocher l'excès contraire : l'on va jusqu'à prétendre que vous n'hésiterez pas à sortir des limites dans lesquelles nous avons strictement circonscrit vos pouvoirs 1. » Les efforts d'Udalric pour se justifier et présenter l'apologie de Henri IV, frappés ainsi de suspicion, échouèrent donc près de Grégoire VII. « Mais, reprend Berthold, l'évêque apostat déployait tant d'audace et multipliait ses relations mensongères avec une telle persévérance qu'il eût fini par trouver crédit près des personnages influents du clergé et du sénat. Sur ces entrefaites un moine saxon député de Rodolphe arriva à Rome. Ce religieux ne put dissimuler son indignation en face de tant d'impudence et de mauvaise foi. Dans une grande assemblée de cardinaux et de sénateurs présidée par le seigneur pape, il prit à partie le légat infidèle, le convainquit de parjure et le força à confesser son apostasie. Le moine saxon avait pris part comme représentant du roi Rodolphe à toutes les négociations des légats en Allemagne, il y avait à plusieurs reprises rencontré Udalric: celui-ci ne pouvait donc récuser un témoin si parfaitement renseigné. Le pape fulmina une sentence d'interdit contre l'évêque infidèle et le chassa de Rome. En même temps il mandait au cardinal Pierre Igné de hâter son retour. L'honorable accueil que le Serviteur de Dieu reçut à Rome fut de nature à le dédommager des outrages prodigués à sa vertu par le patriarche d'Aquilée et l'évêque de Padoue ses indignes collègues. Aussi sincère qu'Udalric était menteur, Pierre Igné dévoila l'horrible conduite de Henri, son orgueilleuse désobéissance au saint-siége, ses fourberies, ses trahisons, les incroyables excès de sa tyrannie. Le pape connut ainsi toute la vérité. Il s'abstint de toute négociation nouvelle avec

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1. S. Greg. VII. Extra, rtgislr. Epist. xlviii, col. 691

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Henri, remettant au prochain concile la sentence qui devait frapper définitivement ce roi parjure. Mais il s'empressa d'écrire à Rodolphe et aux princes saxons leur exprimant tout son regret de la conduite des deux légats infidèles 1. « Croyez du moins, disait-il, que personnellement je suis inaccessible à tout sentiment de partialité. Dieu m'est témoin que dans une cause si exceptionnellement grave je n'ai jamais agi qu'en vue de la justice, avec toute la maturité du conseil et toute la prudence dont je suis capable. » Il terminait en les exhortant à persévérer dans la voie de l'obéissance au siège apostolique dont l'appui ne leur ferait pas défaut2. »

 

   74. Cependant  Henri travaillait  avec une   ardeur  nouvelle à réparer son précèdent échec, à se créer de nouveaux partisans et à reconstituer une armée. « Il passa l'automne à parcourir la Baviére, dit Berthold, recrutant des auxiliaires, achetant ceux qui consentaient à se vendre, forçant ceux qui faisaient quelque résistance. Le trafic des évêchés entrait dans son programme à la fois comme moyen de séduction et comme ressource financière. Le siège épiscopal de Coire fut vendu à un simoniaque qui malgré son avarice notoire en donna un prix satisfaisant. Le clergé et le peuple de cette ville avaient dans une élection canonique réuni leurs suffrages sur le prévôt de la cathédrale, personnage aussi vertueux que modeste, qui avait opposé la plus vive résistance à l'honneur qu'on voulait lui faire. Sans égard pour cette élection régulière suivie d'une prise de possession en forme, le roi fit chasser ce légitime pasteur et investit le simoniaque Norbert, prévôt de la cathédrale d'Augsbourg, lequel pour mieux accentuer le caractère schismatique de sa promotion voulut se faire sacrer par l'archevêque intrus de Milan Thédald. L'évêché de Wurtzbourg, dont le légitime titulaire Aldalbero chassé par Henri vivait encore, fut vendu à l'indigne Ebérard déjà évêque de Zeitz et comme tel ayant deux fois encouru l'excommunication nominative pour crimes de simonie et d'immoralité notoire3. » Par un contraste qui mérite d'être signalé, Ro-

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1.Nous n'avons plus de cette lettre que la courte analyse conservée par Berthold

2. Berthold. Const., col. 4X7. Berthold. Const., col. 438.

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dolphe laissait alors en Saxe s'exercer librement le droit d'élection canonique. Ainsi le siège épiscopal d'Hildesheim, devenu vacant par la mort d'Hecilo, fut régulièrement conféré à un chanoine de cette église nommé Udo. Un camérier de la cathédrale de Mayence, du nom d'Hartwig, fut également appelé par les suffrages du clergé et du peuple à l'archevêché de Magdebourg.

 

75. Le simoniaque abus des investitures fais-sait couler l'or à grands flots dans les caisses toujours vides de Henri. Grâce à cette façon de battre monnaie, le tyran n'était jamais à bout de ressources. « Les sommes qu'il recueillit de la sorte pendant l'automne de l'an 1079 lui permirent, dit Berthold, de faire une levée considérable de soldats en Bourgogne, en France, en Souabe, en Bavière et en Bohême. Le rendez-vous de ces contingents de race et de langue différentes fut assigné à Mayence, où Henri passa les fêtes de Noël. Rien ne fut épargné pour exciter l'enthousiasme des soldats. Henri leur donnait sa parole que la Saxe ne ferait aucune résistance et que l'expédition serait une promenade triomphale, une prise de possession sans nul combat1. » Bien que l'événement ne dût pas confirmer ces magnifiques promesses, elles n'étaient pas complètement dénuées de vraisemblance. « Avec sa perfidie habituelle, dit Bruno de Magdebourg, Henri était parvenu à diviser les Saxons et à se ménager parmi eux de précieuses intelligences. Un certain nombre de chefs tels que Widekind, Wiprecht, Thierry fils de Géréon, passèrent avec leurs vassaux sous ses étendards; d'autres, comme le margrave de Misnie Ecbert, avaient promis de garder la neutralité et d'attendre le résultat de la lutte sans y prendre part2. » Si déshonorants que furent ces trahisons et ces compromis pour les chefs saxons qui s'en étaient rendus coupables, ils avaient eu pour effet indirect de mettre Rodolphe sur ses gardes. Durant les fêtes de Noël que ce prince célébra à Goslar au milieu de ses guerriers restés fidèles, il avait arrêté un plan de campagne dont l'exécution lui valut la victoire.  Quand après l'oc-

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1.Berthold. Const., col. 439.

2.Brun. Magd. Bell. Saxon., col. 579

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tave de  l'Epiphanie (12 janvier  10S0)  Henri  avec  ses troupes pleines d'ardeur et d'enthousiasme franchit la frontière saxonne, il ne trouva pas un soldat pour lui disputer le passage. A mesure qu'il avançait dans le pays il constatait la même absence de défenseurs. «Ce fut alors dans tous les rangs de son armée, dit Berthold, une joie qui tenait du délire. Les Bohémiens surtout, trouvant une occasion inespérée de pillage et ne soupçonnant même pas la possibilité d'une ruse de guerre, se laissèrent emporter par leurs instincts de rapine. En quelques jours tout le pays fut dévasté et livré aux flammes. L'archevêque de Mayence Sigefrid, l’évêque de Saltzbourg et les  autres titulaires dont les diocèses étaient la proie de ces barbares envahisseurs, se réunirent en une assemblée synodale et fulminèrent contre eux et contre leur roi Henri une nouvelle sentence d'excommunication. Henri et ses soldats  s'égayèrent beaucoup, ajoute le chroniqueur, de cet impuissant anathème. L'hiver sévissait alors avec rigueur, les bandes de pillards se chauffaient à la flamme des villages incendiés et Henri se flattait que le froid avait glacé le courage des Saxons. L'illusion ne dura guère. » « Arrivé aux confins de la Thuringe sur les bords d'un torrent profond et rapide, dit Bruno de Magdebourg, il vit l'armée de Rodolphe campée dans une position formidable sur les hauteurs de Flatcheim. A son tour il recourut à un stratagème qui ne manquait pas d'habileté. La nuit suivante il fit faire un détour à son armée, remonta le torrent jusqu'à ce qu'il y trouvât un endroit guéable, et le lendemain  matin 27 janvier 1080, troisième anniversaire de l'entrevue de Canosse, il fondit tout à coup sur l'arrière-garde des Saxons 1. » Surpris par cette attaque inopinée, Rodolphe n'eut que le temps de retourner promptement ses troupes, faisant de son arrière-garde son front de bataille, en sorte que, suivant le mot du chroniqueur, les derniers devinrent les premiers. Dès le   premier  choc,  la  lance  royale que l'on portait devant Rodolphe fut enlevée par Wratislas duc de Bohême ; Henri se croyant déjà sûr de la victoire encourageait les siens de la voix

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1. Brun. Magdeb., col. 574.

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et du geste. « Il était alors neuf heures du matin, dit Berthold , une neige épaisse poussée par des rafales de vent tombait sur les deux armées et continua tout le jour au point que les ennemis ne se reconnaissaient entre eux qu'à la voix1.» Le duc Otto qui, dans le premier ordre de bataille, commandait l'avant-garde saxonne tournée vers le torrent, se porta en toute hâte au secours de Rodolphe. La mêlée devint alors terrible. Les Bohémiens qui avaient sollicité de Henri l'honneur de former son avant-garde se firent tuer à leur poste sans lâcher pied. On compta parmi eux plus de trois mille morts. Leur résistance se prolongea jusqu'à la chute du jour; mais en ce moment on apprit que le roi Henri toujours soigneux de sa sûreté personnelle avait pris la fuite. Le reste de son armée se débanda aussitôt et ne se rallia que sous les murs de la forteresse de Wartbourg. «Là, dit le chroniqueur, les fuyards harassés de fatigue firent halte pour prendre quelque repos et préparer les aliments dont ils avaient si grand besoin. Mais la garnison saxonne de Wartbourg fondit sur eux à l'improviste et les dispersa de nouveau sans leur laisser le temps de rien sauver avec eux. Le butin recueilli dans le campement abandonné fut considérable : chevaux, armes, vases d'argent et d'or, poivre et autres épices 2, pallium et vêtements précieux. Une partie de ces dépouilles appartenait au patriarche d'Aquilée, ce légat infidèle qui ne rougissant pas de soutenir ouvertement la cause du roi parjure avait escorté Henri jusque sur le champ de bataille de Flatcheim3.

 

76. La victoire de Rodolphe dans les circonstances où elle se produisait, à la veille de l'ouverture du concile romain indiqué pour le 7 mars suivant, avait une importance exceptionnelle. La nouvelle en fut aussitôt transmise à Rome par une députation spéciale du vainqueur. Cependant Henri rentré précipitamment à Ratisbonne méditait de  nouvelles perfidies. « Convaincu à son

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1. Berthold. Const., col. 4*0.

2. Piper et alia pigmenta.  On sait combien ces   objets aujourd'hui vulgaires étaient rares en Europe avant les croisades. 3. Brun. Mag.I., 'oc. vit.

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grand désespoir, dit Berthold, que ni ses armes ni son or ne pourraient triompher des Saxons, ayant d'ailleurs conscience des forfaits qui avaient attiré sur lui la colère divine et de sa révolte contre le saint-siége dont l'excommunication restait suspendue sur sa tête, il prit une attitude nouvelle. Affectant soudain un repentir profond des maux sans nombre qu'il avait causés à l'Eglise, il ne parut plus préoccupé que d'un seul désir, celui de rentrer en grâce avec le siège apostolique et de désarmer sa justice au moment où elle allait le frapper. Il chargea deux de ses anti-évêques, Liémar de Brème et Rotpert de Bamberg, de se rendre à Rome pour le représenter officiellement et plaider sa cause devant le concile. L'argument le plus décisif dont il les arma fut, dit-on, une somme énorme d'argent et d'or, avec laquelle ils devaient acheter à Rome et dans l'assemblée synodale elle-même toutes les consciences vénales. Dans le même but mais sans caractère officiel il fit partir pour le concile l'évêque Udalric de Padoue, ce légat infidèle dont le pape venait de flétrir l'apostasie. Udalric se mit en route avec une escorte magnifique et une ample provision de numéraire porté à dos de mulet à travers les montagnes de l'Apennin. L'indigne évêque corrompu par l'or se promettait avec l'or d'en corrompre beaucoup d'autres. Mais dans le chemin un des chevaliers de son escorte, trouvant sans doute l'occasion favorable pour s'enrichir d'un seul coup, lui enfonça dans la poitrine le fer de sa lance et l'étendit mort à ses pieds. Le trésor sur lequel……1

A cette phrase inachevée s'arrête brusquement le texte mutilé des Annales de Berthold ; reliqua exciderunt, dit M. Perlz, non sans un regret que partageront tous les amis de la science historique. Les Annales du pieux moine de Constance sont en effet le monument le plus complet qui nous soit resté de la première partie du pontificat de Grégoire VII, celui qui a le mieux vengé la mémoire du grand pape contre les calomnies intéressées du césarisme schismatique, les récriminations impatientes du patriotisme saxon et les fausses appréciations des écrivains modernes.

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1 Berthold. Constant., Pair. Lat, tora. CXLV1I, col. 442.

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p366 PONTIFICAT   DE  GRÉGOIRE   VII  (1073-1083).

§ XIII. Concile romain de l’an 1080.


77. L'Europe entière avait les yeux fixés sur Rome et sur le concile qui allait s'y réunir. On savait que la sentence définitive y serait prononcée ; une encyclique pontificale adressée par Grégoire VII « à tous les fidèles clercs et laïques non excommuniés » en donnait l'assurance formelle. « Depuis longtemps, frères bien-aimés, disait le pape, nous voulions convoquer sous la présidence de l'autorité apostolique en un lieu sûr et inviolable un synode général où pussent en sécurité se rendre des diverses provinces du monde les clercs et les seigneurs laïques, amis ou ennemis, afin de terminer un conflit si déplorable. Nous nous proposons aujourd'hui à la face de l'univers de traiter cette grande question. Quel que soit l'auteur de tant de maux accumulés depuis six ans sur l'Eglise et sur le monde, nous sommes résolu à le démasquer et à le faire sortir de l'antre obscur où il cache ses trahisons et ses perfidies. L'excès de son audace et de son impiété a jusqu'ici entravé tous nos efforts pour le rétablissement de la paix entre le pontificat et la royauté: cette paix, telle que tout chrétien digne de ce nom la désire et l'appelle, avec la grâce de Dieu nous la cimenterons dans le prochain concile. Au sein de cette assemblée, pour l'honneur du bienheureux Pierre et en conformité avec les lois canoniques, nous prendrons résolument les mesures que la justice réclame, nous répondrons aux accusations contradictoires dont le siège apostolique a été l'objet en ces derniers temps, nous justifierons pleinement sa conduite en révélant toutes les conjurations impies dont il s'est vu menacé. Nous ne voulons point cependant attendre jusque-là pour déclarer en toute conscience et devant Dieu que le roi Rodolphe élu au-delà des monts l'a été sans notre ordre et sans notre conseil. Le fait est tellement vrai que nous avons aussitôt après son élection demandé la tenue d'une diète nationale où sous notre présidence la cause serait  examinée,  nous réservant d'annuler la   promotion de

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p367 III.   —  CONCILE  ROMAIN  DE  L'AN   1080.

 

Rodolphe si celle était reconnue illégitime. Qui s'est opposé avec une obstination invincible à la tenue de cette diète? Vous le savez tous et je ne l'ignore pas moi-même. Si le soi-disant roi Henri avec sa faction eût tenu les promesses d'obéissance qu'il avait faites à nous ou plutôt au bienheureux Pierre, je le dis en toute vérité nous n'aurions pas subi ce déluge de maux qui vient de passer sur nos têtes, les massacres, les parjures, les sacrilèges, et toutes les pestilentes trahisons de l'hérésie simoniaque. Vous donc, frères bien-aimés, vous que le spectacle de tant de calamités consterne ; vous qui gardez les sentiments de crainte de Dieu, de charité et de paix, joignez vos efforts aux nôtres, pour que ce concile dont nous vous parlons puisse agir efficacement, arracher la sainte Église aux flots de la tempête, rétablir le calme et assurer le triomphe de l'ordre et de la paix1. »

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon