Grégoire VII 75

Darras tome 22 p. 569

 

55. M. Villemain ne se doutait pas que les présents laissés au Mont-Cassin par Robert Guiscard à son retour de Rome avaient été précédés d'offrandes équivalentes pieusement faites par le héros au début de son expédition. Il ne se doutait pas que l'unique passage du chroniqueur dont on lui fournissait le texte était extrait d'un chapitre entier, le LVIIIe du IIIe livre de Pierre Diacre, dont voici la repoduction intégrale. « Pour l'édification de la postérité, nous croyons devoir reproduire ici, par ordre chronologique, les dons faits à notre monastère par le glorieux duc d'Apulie et sa noble épouse Sigelgaïde en l'honneur de notre patriarche saint Benoît et par affection pour notre père Desiderius. La première fois que Desiderius eut une entrevue avec lui à Reggio, le duc lui fit don de six cents besants d'or, de cinq pallium et d'une navette d'or (naviculam aurram). Peu de temps après, il envoya au monastère un autre grannd pallium, avec des diamants et des perles estimés sept cents coufats. Dans une seconde entrevue à Castro-villare en Calabre, il lit don à notre père abbé de six cents besants, deux mille tarins arabes [tarenos Africanos), treize mules conduites par autant d'esclaves sarrasins, et avec le tout un superbe tapis

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1. Petr. Diac, loc. cit., col. 795. 2.Hist. de Grèg. VU, tom. II, p. 361.

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d'Orient. Durant une de ses maladies, il envoya à l'abbaye une somme de mille coufats. De Gallipoli, après ses victoires en Illyrie et en Grèce, il nous adressa trois cents besants et deux mille tarins. Lorsque pour la première fois il passa par notre monastère, se rendant en Campanie, il déposa au chapitre cent besants, sur l'autel de saint Benoît trois cents coufats et trois pallium, pour la construction du dortoir cent coufats, autant pour celle du réfectoire, quarante pour l'hospice, douze livres de deniers pour l'infirmerie et cent michalats (monnaie d'or frappée à l'effigie de Michel Ducas) pour les peintures de la salle capitulaire. Lors de son expédition contre la cité d'Aquino, il envoya au monastère cinq cents besants. Quand il eut repris la ville de Bari (à l'époque de l'insurrection organisée en Apulie sous la double influence des chancelleries de Henri IV et d'Alexis Comnène), il fit à Desiderius un don de douze livres pesant d'or. » Ici se placent à leur date les offrandes faites au début et à la fin de l'expédition romaine. Puis le chroniqueur continue en ces termes : « Une autre fois il nous envoya mille tarins pour fournir de poissons la table conventuelle; plus tard encore mille tarins et un navire estimé mille solidi d'Amalfi. A deux autres reprises quatre cents solidi de même monnaie, et mille michalats. Lorsqu'il fut atteint de la maladie qui devait l'enlever de ce monde, la duchesse Sigelgaïde, sa pieuse épouse, envoya au bienheureux Benoît quarante-cinq livres pesant d'or et un pallium. A sa mort, elle offrit trois cents coufats et le linge nécessaire pour couvrir toutes les tables du réfectoire 1. » Le chroniqueur énumère ensuite les vases sacrés, les ornements précieux, les territoires, fermes et villas, donnés de son vivant ou légués par acte testamentaire à la puissante abbaye de saint Benoît par Robert Guiscard. Cette liste se prolonge et occupe plus de trois pages. Nous épargnons au lecteur la fatigue d'une pareille nomenclature. Mais il importait de montrer sous son véritable jour la pieuse magnificence d'un prince qu'on a si longtemps représenté comme un chef de bandits, et d'apprendre aux modernes

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1. Petr. Diaoon., loc. cit., col. 794-796,

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spoliateurs de l'Eglise que les conquérants du moyen âge sanctifiaient leurs victoires en offrant à Dieu et aux pauvres, dans la personne des religieux voués à la pauvreté, la dîme de leurs trésors,

§ X. Derniers  mois de Pontificat.


56. Ces aumônes vraiment royales dont la seule abbaye du Mont-Cassin nous donne pour Robert Guiscard et la duchesse Sigelgaïde une liste en quelque sorte officielle se produisaient pour tous les monastères en des proportions relatives, mais avec le même élan de charité chrétienne, non-seulement de la part des princes, des seigneurs ou des chevaliers, mais des plus humbles familles et du sein de ce qu'on appelait déjà les burgenses (la bourgeoisie). Des milliers de chartes remises en lumière par la paléographie moderne nous ont apporté à ce sujet de véritables révélations. Le budget des pauvres dans l'Europe du moyen âge dépassait celui des états les plus florissants de l'Europe moderne. Son administration confiée à des religieux, pauvres volontaires et par vœu consacrés personnellement à la pauvreté de Jésus-Christ, ne coûtait rien à l'Etat, et assurait une distribution aussi active qu'intelligente de ces trésors offerts par la richesse du siècle aux membres indigents du Dieu qui naquit dans une étable. Aussi le pauvre était grand et noble dans la république chrétienne. Les papes lui lavaient les pieds; les religieux le servaient à genoux. Aujourd'hui il est devenu chose vile et repoussante ; le progrès l'ayant relégué au rang d'immondice sociale, le pauvre s'est armé contre la société. On écrit sur les murs : « La mendicité est interdite, » mais l'indigence en révolte brise les murailles, incendie les palais, fusille les riches et pille les richesses. Ce point de vue mériterait de fixer l'attention des hommes d'Etat. Il échappa cependant à M. Villemain. Nous le regrettons d'autant plus qu'avec le budget

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des pauvres les monastères au moyen âge administraient encore celui de l'instruction publique, auquel l'éminent écrivain devait plus particulièrement s'intéresser. Répandus sur tous les points de l'Europe chrétienne les monastères distribuaient partout autour d'eux le pain matériel, aliment du corps et le pain de la science, science saine et non frelatée, nourriture des intelligences. Ce que faisaient les monastères, chaque évêché, chaque collégiale, chaque église, chaque paroisse le faisait également. Jamais système de charité et d'instruction publique ne fut et ne sera plus développé et plus complet que celui dont la république chrétienne avait organisé l'immense rayonnement sur le monde. Henri IV d'Allemagne en spoliant les églises et les monastères, en distribuant les évêchés, les abbayes, tous les bénéfices ecclésiastiques à des clérogames, tarissait les sources du dévouement religieux et sacerdotal, éteignait le foyer de la science, faisait main basse sur les trésors deux fois sacrés des pauvres et des ministres de Jésus-Christ serviteurs des pauvres.

 

57. Dans la lutte engagée entre le grand pape et le tyran teutonique, Grégoire VII fut donc très-réellement le défenseur de tous les droits qui constituent ce que nous avons nommé depuis la civilisation. Les contemporains de Grégoire VII ont exprimé cette pensée dans les titres qu'ils lui donnent : « Pontife aimable à Dieu, héros du catholicisme, génie plein de prudence, défenseur de l'Église contre les armes des hérétiques, libérateur des pauvres, consolateur des captifs, père des orphelins1. » Son entrée dans la capitale des États de Robert Guiscard vassal du saint siège fut celle d'un suzerain. « C'était un grand spectacle, dit M. Villemain, que le saint-père amené de Rome dans le chef-lieu de la conquête normande. Les regards des Italiens se portaient sur Grégoire VII avec un pieux enthousiasme. On attribuait à ses anathèmes 2 la

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1. Amabilis Deo, catholicus et prudentissimus vir, contra h&reticorum arma et defensor Ecclesix, liberator pauperum, captiuorum consolator, orphanorum mi-serator. [Cod. Cenc. Watterieh, tom. I, p. 307.

2. Et peut-être n'avait-on point tort.

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retraite précipitée du roi de Germanie; on admirait son courage surnaturel. L'évêque de Salerne1 avec tout son clergé était venu en procession solennelle au devant du pontife. Cet évêque fort lettré était un des plus grands admirateurs de Grégoire VII. Il avait composé un hymne à sa louange dans les premiers temps de la guerre contre Henri. « Combien est grande, lui disait-il alors, la puissance de l'anathème ! Tout ce que Marius, tout ce que Jules César ont fait autrefois au prix de tant de sang, tu le fais d'une seule parole. Rome fut-elle jamais plus redevable aux Scipions et à tous les héros Quirites, qu'à toi, qui lui fais retrouver la route de sa puissance 2 ? » Nous n'avons plus les paroles d'hommage et de dévouement que saint Alfano métropolitain de Salerne dut adresser au grand pape en ce jour mémorable, mais Paul de Bernried nous apprend que Grégoire VII y répondit par une de ces allocutions à la fois éloquentes et paternelles dont il avait le secret. « Parmi la foule des assistants, dit l'hagiographe, se trouvait un paysan, rusticus quidam, dévoué au parti césarien, maligna mente. En écoutant le pape, il se disait à lui-même, cœpit intra se dicere : « Voilà donc l'auteur de tant de guerres et de séditions! Après avoir bouleversé l'univers, il vient apporter la discorde en cette ville. » Comme ces pensées se pressaient dans son esprit, il voulut ouvrir la bouche pour les formuler, mais il était subitement devenu muet. Son mutisme persévérant, il finit par venir se jeter aux pieds de l'homme de Dieu et fit comprendre par signes au vénérable pontife qu'il avait sur la conscience un péché dont il se repentait. Grégoire VII touché de sa douleur traça le signe de la croix sur sa tête ; à l'instant le muet recouvra la parole et éclata en actions de grâces pour le Dieu tout-puissant et son glorieux serviteur 3

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1. Salerne était un siège métropolitain  dont le titulaire était aiors  saint Alfano, l'ami et le condisciple de Desiderius.

2.Villemain, Hist.   de Grèg. VII, tom. II, p. 369-370.   Cf. Alfan. Carmina; Patr. Lat., tom. CXLVII, col. 1262.

3.Paul Bernried. Vit Greg.   VII, Patr. Lat. tom. CXLVIII, col. 102. Voici comment M. Villemain ou peut-être son éditeur posthume dénature ce récit

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   58. Le moderne rationalisme ne croit pas davantage aux miracles opérés par Grégoire VII et par les autres saints qu'à ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne voit dans les uns et les autres qu'une mise en scène plus ou moins habile, un moyen d'exploiter la crédulité populaire. Mais à l'heure où nous écrivons ces lignes, l'Église catholique voit encore surgir de son sein perpétuellement fécond des miracles avérés, publics, notoires. Le rationalisme ferme les yeux, se fait volontairement sourd et passe en ricanant. Combien d'autres incrédulités ont précédé la sienne ! Et l'Église catholique est debout, toujours vivante, toujours invincible, parce que le Dieu qui l'a fondée lui a donné le privilège de l'immortalité dans le temps et de la bienheureuse éternité après la consommation des temps. Lorsque Robert Guiscard eut installé le grand pape son suzerain dans le palais ducal de Salerne (15 juillet 1084) « il passa deux mois en Apulie, dit M. Villemain, à remettre dans l'obéissance les seigneurs lombards ou normands qui s'étaient détachés de sa cause et avaient reçu l'investiture de Henri. Son propre neveu Jordano, prince de Capoue, qui avait eu cette faiblesse, fut forcé par lui de demander grâce au pape. Depuis quelques années, Guiscard faisait élever à Salerne une église consacrée à saint Matthieu (dont les reliques venaient d'y être découvertes1). Avant de retourner en Orient, il supplia le pape de faire la dédicace du nouvel édifice. Grégoire VII y consentit et cette cérémonie fut pompeusement célébrée, comme pour bénir les armes

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de l'hagiographe : « Quelques voix discordantes résistaient à l'enthousiasme de la foule. Au moment de l'entrée du pape par la principale rue de Salerne, un homme du peuple s'écria : « Voici cet auteur de dissensions qui a rempli de guerres le monde entier. Il vient aussi pour troubler le repos de notre ville. » Cet homme est aussitôt saisi comme sacrilège et traîné devant Grégoire VII. Comme il était tout tremblant et se taisait de frayeur, on publia qu'il était devenu muet, et comme le pape l'accueillit avec douceur, le fit délivrer et reçut de lui mille actions de grâces, on ajouta que ce pécheur avait miraculeusement recouvré la parole pour prix de son repentir. » (Villemain, Grég. VII, t. II, p. 369.) On ne saurait mieux travestir à l'usage du rationalisme les monuments les plus authentiques de l'histoire.

1.Cf no 2 du précédent chapitre.

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que Guiscard allait porter en Grèce. Le héros normand retint des reliques de saint Matthieu un fragment de l'os du bras enfermé dans une cassette d'or, qu'il voulait emporter dans son expédition. Au mois de septembre 1084, il mit à la voile avec cent vingt vaisseaux et un grand nombre de bâtiments de transport chargés de vivres, de chevaux et d'armes. Il emmenait ses quatre fils Boémond, Roger, Robert et Gui. La duchesse Sigelgaïde les rejoignit quelques jours après. La grande et nouvelle expédition de Guiscard s'étant dirigée vers Corfou ne tarda pas à rencontrer la flotte des Grecs augmentée de neuf galères vénitiennes. L'habileté des Vénitiens, leurs navires beaucoup plus élevés que ceux des Normands eurent d'abord un premier avantage. Roger fils du duc d'Apulie fut blessé. Mais Guiscard ayant recommencé l'attaque et tourné une partie de sa flotte contre les petits navires byzantins qu'elle dispersa sans peine, sépara les Vénitiens de leurs alliés, les mit en pleine déroute et leur enleva sept vaisseaux. Cette victoire fut grande, plusieurs milliers de Grecs périrent. Guiscard aborda à Corfou avec deux mille prisonniers de guerre. La garnison qu'il y avait laissée et qui, serrée de toutes parts, avait souffert tous les maux d'un long siège fut sauvée. La terreur des armes normandes se répandit de nouveau dans l'Archipel, et le chemin de Constantinople se rouvrit devant Guiscard1. »

 

59. M. Villemain à qui nous empruntons cette analyse d'ailleurs fort exacte des récits contemporains de Gaufred de Malaterra et de Guillaume d’Apulie, ne pouvait s'empêcher de trouver quelque peu téméraire l'audace de Robert Guiscard s'embarquant avec toute sa famille pour cette brillante expédition et abandonnant sans défense ses provinces italiennes. II reprochait de plus au héros normand la pénurie dans laquelle il laissait le grand pape. Voici ses paroles : « On eût dit que la soumission de ses états semblait à Guiscard assez assurée par la présence seule de   Grégoire VII  à

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1. Villervain, Hist. de Grég. VII, t. II, p. 375-377. Cf. Gaufred. Màlat. Hist. Sicula,\. III, cap. xxxix et Gui!l>-lm. Apulus, Gest. Norma?in. in Sicil. 1. V Pjtr. Lat. tora. CXL1X, col. 1376 et 1483.

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Salerne. Mais l'antipape Wibert venait de rentrer à Rome à la tête de quelques troupes et favorisé par un grand nombre des habitants. Grégoire VII n'entrevoyait plus qu'un long exil à Salerne. On ne venait plus de tous les royaumes chrétiens en pèlerinage aux pieds du saint-père réfugié dans une ville d'Apulie. Le génie du pontife autrefois si laborieux et si remuant demeurait stérilement enfermé dans cette cité lointaine1. Robert Guiscard malgré sa courtoisie pour l'hôte ou le captif qu'il était fier de garder dans Salerne avait réservé toutes ses richesses pour la guerre d'Orient et l'abbé du Mont-Cassin fut obligé de pourvoir à la dépense du pontife et de ses prêtres1. » L'étonnement et les reproches de M. Villemain tombent complètement à faux. Dans ce tableau du découragement, de la détresse, de l'abandon misérable où se fût trouvé Grégoire VII obligé pour vivre de recourir à la charité de Desiderius, il n'y a pas un seul trait qui ne soit en contradiction avec la réalité historique. Grégoire VII à Salerne n'était point un réfugié ; il était suzerain; en l'absence de Robert Guiscard son vassal, il régnait en Apulie, en Calabre et en Sicile. Les revenus de ces provinces étaient à sa disposition. Loin d'éprouver l'ombre du découragement, le grand pape déploya au contraire une activité qui fut l'admiration des contemporains. «Arrivé à Salerne, dit Bernold, il réunit un concile de toute l'Italie méridionale et renouvela contre l'hérésiarque Wibert, le roi Henri et tous leurs fauteurs la sentence d'anathème dans les termes où il l’avait précédemment fulminée à Rome en la fête de saint Jean-Baptiste, lorsque le roi tudesque s'était emparé de la cité Léonine. Des légats apostoliques furent aussitôt désignés pour porter cette nouvelle sentence dans les Gaules et en Germanie. Le cardinal-évêque d'Albano Pierre Igné, auquel le pape adjoignit le courageux abbé Jarento, reçut cette mission pour la France; Odo de Lagery cardinal-évêque d'Ostie fut choisi pour la légation d'Allemagne3. » Outre les décrets du concile de Salerne, ils étaient porteurs d'une ency-

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1.Villemain, tom. II, p. 377.

2. Ibid. p. 371.

3. Bercold. Chron. Patr. Lat. t. CXLVIII, col. 1387.

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clique adressée à tout l'univers chrétien. Hugues de Flavigny nous a conservé le texte de cette lettre pontificale, une des dernières qu'ait dictées le grand pape. Elle ne présente aucun symptôme de lassitude ou de découragement. En voici quelques passages : «Grégoire évêque serviteur des serviteurs de Dieu à tous les fidèles du Christ vraiment attachés au siège de saint Pierre, salut et bénédiction apostolique. — La parole du psalmiste a retrouvé de nos jours son application : « Pourquoi les nations ont-elles frémi, et les peuples médité de vains complots? Les rois de la terre se sont levés, les princes se sont réunis contre le Seigneur et son Christ1. » Nous les avons vus en effet les rois de la terre, les princes des prêtres, à la tête d'une immense multitude se lever contre le Christ Fils du Tout-puissant et contre son apôtre Pierre. Ils voulaient éteindre dans le sang la religion chrétienne et établir sur le monde le règne de l'hérésie. Mais par la grâce de Dieu, ni la terreur, ni la séduction, ni l'or, ni l'appât des honneurs de ce monde n'ont ébranlé une seule des âmes fidèles. L'Eglise catholique, notre divine mère, m'a placé jadis, malgré mon indignité et mes résistances, sur le trône apostolique. Depuis lors je n'ai cessé de combattre pour rendre à cette chaste épouse du Christ sa liberté, sa splendeur, la pureté de son antique discipline. Une telle entreprise ne pouvait que déplaire à Satan, l'ennemi des âmes ; il a armé contre nous tous les instruments qu'il possède sur la terre. Jamais depuis l'époque de Constantin le Grand, pareille puissance de nuire ne fut donnée aux persécuteurs de l'Église. Écoutez-moi donc, frères bien-aimés, vous tous qui, répandus sur tous les points de l'univers, savez et croyez que le bienheureux Pierre prince des apôtres est le père de tous les chrétiens, que la sainte Église romaine est la mère et la maîtresse de toutes les autres, levez-vous au nom du Dieu tout-puissant pour défendre l'honneur de votre père et patron céleste, de la sainte Église votre mère ici-bas2

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1. Bernold. Chronic. Patr. Lat., t. CXLVIII, col. 1387.

1.         S. Greg. VII. Epist lxix extr. Registr. Patr. Lat., tom. CXLVIII. col. 708.

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p578 PONTIFICAT  DE  GRÉGOIRE VII  (1073-1085).

 

60. Cette énergique parole eut un immense retentissement. Le cardinal Odo de Lagery la fit acclamer dans un concile tenu à Quedlimbourg en présence du roi Hermann, le 22 avril (mardi de Pâques) 1085. On y reconnut la primauté du siège apostolique, l'inviolabilité de ses décrets, la légitimité du principe canonique en vertu duquel le pape juge souverain dans l'Église ne saurait être jugé par personne. « Un clerc du diocèse de Bamberg partisan des henriciens, nommé Gumpert, voulut, dit Bernold1, protester contre cette doctrine. Il se leva en plein synode, déclarant que la primauté du siège apostolique n'était qu'une usurpation des pontifes romains, étrangère à l'institution divine de l'Église, que les papes comme les autres évêques pouvaient être mis en jugement. Toute l'assemblée lui répondit par une sentence d'anathème. Un simple laïque réfuta d'un mot le clerc schismatique, en citant la parole de l'Evangile : « Le disciple n'est pas au-dessus du maître1. » Le concile de Quedlimbourg fulmina à l'unanimité la sentence d'excommunication pontificale portée contre l'antipape Wibert, le preudo-césar Henri, les apostats Hugues le Blanc, Jean de Porto, l'ex-chancelier de l'église romaine Pierre, Liémar de Brème, Uto d'Hildesheim, Othon de Constance, Burchard de Bâle, Hozemann de Spire, Wécilon de Mayence, Sigifred d'Augsbourg et Norbert de Coire. Vainement dix-sept évêques schismatiques réunis en conciliabule à Mayence sous la présidence des légats de l'antipape Clément III, et en présence du pseudo-empereur, eurent l'audace de lancer un anathème général contre tous les chrétiens qui reconnaîtraient l'obédience de Grégoire VII. «Dieu lui-même, dit Bernold, fit éclater le tonnerre de ses vengeances contre les ennemis de la sainte Eglise. Une famine comme il ne s'en produisit jamais de mémoire d'homme sévit dans les contrées lombardes; elle fut suivie d'une mortalité qui transforma ces provinces en une véritable solitude. Tous les chefs du parti schismatique tombèrent victimes du fléau. Les ex-évêques de Modène,  Pistoie,  Reggio,   Parme,   l'intrus de   Milan Thédald,

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1.Bernold. col. 1B89. 2. Matth.. x, 21.

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p579 CHAP.   V,   —  DERNIERS  MOIS DE PONTIFICAT.

 

les marquis Adelbert et Réginher, le comte Boson et une infinité d'autres passèrent de cette vie au lieu de leur éternel supplice. La très-pieuse comtesse Mathilde, délivrée de tant d'ennemis, pourvut de pasteurs catholiques les églises depuis si longtemps profanées1. »

 

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