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CHAPITRE XIII.
En exposant ce qu'est Saturne et ce qu'est Génius, on enseigne que l'un et l'autre ne sont toujours que le seul Jupiter.
Mais pourquoi en dire davantage sur ce Jupiter avec lequel il faudra peut‑être encore identifier les autres dieux, en sorte que l'opinion de la pluralité des dieux demeure sans réalité? Et, en effet, tous les dieux se réduiraient à lui seul; soit qu'ils passent pour être ses parties ou ses puissances; soit que la vertu de cette âme du monde, que l'on croit répandue dans tout, reçoive différents noms de divinités, rappelant ou les différentes parties de cette masse immense qui constitue ce monde visible, ou les différentes opérations de la nature. Car, examinons bien, qu'est‑ce que Saturne? Varron dit: C'est l'un des principaux dieux qui exerce sa puissance sur toutes les semences. Mais son explication des vers de Valérius Soranus ne se réduit‑elle pas à cette proposition que Jupiter est le monde, qu'il fait sortir de lui toutes les semences, et qu'il les y fait rentrer? C'est donc lui qui exerce la puissance sur toutes les semences. Qu'est‑ce que Génius? C'est, dit toujours le même Varron, un dieu qui est préposé et a puissance sur tout ce qui doit être engendré. Mais quel autre dieu a cette puissance, croit‑on, sinon le monde pour qui on a dit : «Jupiter père et mère. » Et lorsque, dans un autre endroit, Varron dit que Génius est l'âme raisonnable de chaque homme, et que chacun a son Génius; quand il ajoute que l'âme, c'est‑à‑dire le Génius du monde, est dieu,
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il en revient à dire que l'âme du monde est regardée comme le Génius universel. Ce Génius alors est donc celui qu'on appelle Jupiter. Car si tout Génius est dieu, et si l'âme de tout homme est Génius, il s'ensuit que l'âme de tout homme est dieu. Que si cette conséquence absurde les fait reculer, il ne leur reste plus qu'à appeler particulièrement et exclusivement Génius, le dieu qu'on dit être l'âme du monde. Mais ce dieu, c'est Jupiter.
CHAPITRE XIV.
Fonctions de Mercure et de Mars.
Quant à Mercure et à Mars, on n'a pas trouvé moyen de les rattacher à quelque partie du monde, ni à aucune action divine sur les éléments. On les a donc au moins fait présider aux oeuvres de l'homme, comme ministres de la parole et de la guerre. Si le premier des deux, Mercure, exerce aussi sa puissance sur la parole des dieux, il commande donc au roi même des dieux, ‑ en ce sens que Jupiter parle avec sa permission, ou qu'il a reçu de lui la faculté de parler, ce qui assurément est absurde. Mais, si on dit que c'est seulement la parole humaine sur laquelle la puissance lui est attribuée; il n'est pas croyable que Jupiter ait voulu s'abaisser jusqu'à donner la mamelle aux enfants, bien plus aux animaux eux‑mêmes, ce qui lui a fait donner le nom de Ruminus, et qu'il n'ait pas voulu s'intéresser du soin de notre parole, faculté qui nous met audessus des animaux. Ainsi donc il faut admettre que Jupiter est le même que Mercure. Mais que sera‑ce si l'on dit que Mercure est la parole même, comme le prouvent toutes les explications qu'on donne sur lui? Car on dit Mercure pour signifier, qui court au milieu (ARNOBE, liv. 111), parce que la parole court au milieu parmi les hommes. Et en grec on dit ermès, parce que la parole et l'interprétation de la parole s'appellent ermèneia. Egalement on le fait présider au commerce, parce que c'est la parole qui est l'intermédiaire entre les vendeurs et les acheteurs. Ses ailes à la tête et aux pieds, signifient que la parole est portée comme sur des ailes à travers les airs. On l'appelle messager, parce que la parole est la messagère de toutes nos pensées. Si donc Mercure est la parole, de leur aveu même, il n'est plus dieu. Mais, comme ils se font des dieux, qui ne sont pas non plus des démons, en suppliant les esprits immondes, ils se mettent en la possession de ceux qui ne sont pas des dieux, mais des démons. Egalement, n'ayant pu trouver pour Mars aucun élément, ni aucune partie du monde à lui assigner, pour y administrer n'importe quoi dans les opérations de la nature, ils l'ont appelé le dieu de la guerre; la guerre, œuvre des hommes, et qu'ils ne devraient jamais
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désirer! Si donc la Félicité accordait une paix perpétuelle, Mars n'aurait rien à faire. Mais si Mars est la guerre même, comme Mercure est la parole, plût au ciel que la guerre, divinisée à tort, soit aussi absente qu'il est manifeste qu'elle n'est pas une divinité.
CHAPITRE XV.
Etoiles que les païens désignent par les noms de leurs dieux.
Peut‑être dira‑t‑on que ces étoiles sont les dieux mêmes dont elles portent les noms. En effet, il y a une étoile qu'on appelle Mercure, il y en a une également qu'on appelle Mars. Mais il y a aussi celle qu'on appelle Jupiter; et cependant, Jupiter passe pour être le monde. Il y a aussi l'étoile appelée Saturne, et avec cela on ne lui donne pas une petite importance, elle donne le développement à toutes les semences. Il y a aussi celle qu’on appelle Vénus, la plus brillante de toutes, et néanmoins on veut que la même Vénus soit aussi la lune; quoique pour cet astre si brillant, comme pour la pomme d'or, il y ait débat entre Junon et Vénus. Car les uns disent que l'étoile du matin appartient à Vénus, les autres disent que c'est à Junon; mais, comme à l'ordinaire, Vénus l'emporte. En effet, ceux qui attribuent cette étoile à Vénus sont en bien plus grand nombre, on trouve à peine quelqu'un qui les contredise. Mais qui ne rirait pas, en entendant proclamer Jupiter roi de tous les dieux, et en voyant son étoile effacée par l'éclat de celle de Vénus? Ne devrait‑elle pas, parmi les autres étoiles, être d'autant plus brillante que lui-même est plus puissant? On répond, qu'elle paraît ainsi moins brillante, parce qu'elle est beaucoup plus élevée et plus éloignée de la terre. Si donc la place est plus élevée en raison de la dignité plus grande, pourquoi Saturne est‑il plus élevé que Jupiter? Sans doute ces fables vaines, qui donnent la royauté à Jupiter, ne sont point parvenues jusqu'à la région des astres, et ce que Saturne ne put obtenir ni dans son royaume, ni au Capitole (1), il le possède du moins dans le ciel! Mais pourquoi Janus n'a‑t‑il pas une étoile quelconque? Si c'est parce qu'étant le monde, toutes les étoiles sont en lui, Jupiter est aussi le monde, et cependant il a son étoile. Pauvre Janus! plaidant sa cause le mieux qu'il a pu, et ne pouvant obtenir une étoile au ciel, peut‑être est‑ce comme compensation qu'on lui donne tant de visages sur la terre? Ensuite, je suppose que c'est à cause de
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(1) Saturne, chassé, dit‑on, de la Crète, où il régnait, par son fils Jupiter, ne fut pas plus heureux au Capitole. Après avoir habité cette colline où il avait fondé Saturnia, il fut obligé de la céder à Jupiter auquel elle fut consacrée.
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leurs seules étoiles que Mercure et Mars passent pour être des parties du monde, afin de pouvoir être regardés comme dieux. Car assurément, la parole et la guerre ne sont pas des parties du monde, mais des actes humains. Et alors, pourquoi en est‑il autrement du Bélier et du Taureau, et du Cancer, et du Scorpion, et autres constellations, que l'on compte parmi les signes du ciel, qui ne sont pas de simples étoiles, mais qui forment chacune un groupe d'étoiles, et qui sont placées bien plus haut et jusqu'au sommet de l'éther, là où un mouvement plus constant assure aux astres une marche invariable? Pourquoi ne leur a‑t‑on décerné ni autels, ni sacrifices, ni temples; pourquoi ne les a‑t‑on même pas placées, je ne dis pas, parmi les dieux choisis, mais au moins, parmi ceux que j'appellerai la plèbe des dieux?
CHAPITRE XVI.
D'Apollon, de Diane et des autres dieux choisis dont on a voulu faire des parties du monde.
Bien qu'on veuille qu'Apollon soit oracle et médecin, cependant, pour le placer en quelque partie du monde, on a dit aussi qu'il était le soleil. Et de Diane sa soeur, on a dit pareillement qu'elle était la lune, et on l'a préposée aux chemins. De là, on l'a proclamée vierge, parce que le chemin ne produit rien. C'est aussi pour cela qu'on leur donne des flèches à tous deux, parce que ces deux astres envoient leurs rayons du ciel jusqu'à la terre. Selon la même théologie, Vulcain est le feu, Neptune l'eau, le vieux Dis ou Orcus la partie terrestre et inférieure du monde. Pour Liber et Cérès on les fait présider aux semences, Liber aux mâles, Cérès aux femelles; ou bien, le premier à l'élément liquide des semences, la seconde à leur élément sec. Et tout cela se rapporte encore au monde, c'est‑à‑dire, à Jupiter, qui pour cela même a été appelé père et mère (voyez plus haut, chap. XI), faisant sortir de lui toutes les semences et les y faisant rentrer. Quelquefois aussi on veut que la grand'mère des dieux soit Cérès, qui n'est autre, dit‑on, que la terre, et on prétend encore que c'est Junon. Et voilà pourquoi on lui attribue les causes secondes des choses, bien que, cependant, on ait appelé Jupiter père et mère des dieux, parce que, selon la même doctrine, le monde tout entire est Jupiter lui‑même. Et comme on a fait présider Minerve aux beaux arts, et qu'il ne s'est trouvé aucune étoile pour l'y placer, on a dit qu'elle était ou l'éther supérieur, ou même la lune. Vesta elle‑même aussi a été regardée comme la plus grande déesse, parce qu'elle est la terre, quoiqu'on ait cru devoir lui attribuer ce feu du monde plus léger qui sert aux usages
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p684 LA CITÉ DE DIEU.
ordinaires, et non pas ce feu plus ardent tel que celui de Vulcain. Et ainsi, ils veulent que tous ces dieux choisis soient le monde, les uns pour une partie, les autres pour le tout. Les uns sont le monde entier comme Jupiter, les autres ne sont que les parties du monde, comme Génius, la Grande Mère, le Soleil et la Lune, ou plutôt Apollon et Diane. Tantôt aussi un seul dieu est plusieurs choses, tantôt une seule chose est plusieurs dieux. Et d'abord, un seul dieu est plusieurs choses, comme Jupiter. Jupiter est le monde tout entier, et puis il est le ciel seul, et enfin, il n'est plus seulement qu’une étoile. Il en est de même pour Junon. Elle est la reine des causes secondes, et puis elle est l'air, et puis elle est la terre, et si elle pouvait l'emporter sur Vénus, elle serait encore une étoile. De même pour Minerve. Elle est la partie supérieure de l'éther, elle est encore la lune, qui est, comme on le pense, à la dernière limite de l'éther. Par contre, plusieurs dieux font une seule et même chose; Janus est le monde et Jupiter aussi; Junon est la terre, la Grande Mère l'est aussi, et Cérès l'est également.
CHAPITRE XVII.
Que Varron lui‑même a déclaré douteuses ses opinions sur les dieux.
Ce que j'ai cité pour exemple, et il en est de même du reste, ne se trouve guère éclairé par les explications des païens. Tant s'en faut, ils ne font, au contraire, que l'embrouiller davantage. Suivant le mouvement précipité que leur imprime l'erreur, ils se réfugient dans telle ou telle hypothèse, ou ils se hâtent de s'en retirer. C'est au point que Varron lui‑même, plutôt que de rien affirmer, a préféré douter de tout. Car après avoir terminé sur les dieux certains le premier de ses trois derniers 1ivres, voici comment dans le second il entre en matière sur les dieux incertains. Il dit : « Si, dans ce livre, j'exprime au sujet des dieux des opinions douteuses, il ne faut pas m'en faire de reproches. Car celui qui pensera qu'on doit et qu'on peut se prononcer, n'aura qu'à le faire après m'avoir entendu. Quant à moi, on m'amènerait à révoquer en doute ce que j'ai dit dans mon premier livre, plutôt que de me faire tirer une conclusion quelconque sur tout ce que je vais raconter dans celui‑ci. » Ainsi, non‑seulement il a jeté l'incertitude sur son livre touchant les dieux incertains, mais il a même ôté tout caractère de certitude à son premier livre sur les dieux certains. En outre, dans son troisième livre sur les dieux choisis, il fait d'abord les réflexions préliminaires qui lui paraissent résulter de la théologie naturelle; puis, avant d’entrer dans le récit des fables, des folies et des mensonges de
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la théologie civile, où non‑seulement, il n'était pas guidé par la vérité, mais où il lui fallait encore subir la pression que lui imposait l'autorité des ancêtres, il s'exprime ainsi : « Je vais parler en ce livre‑ci des dieux publics du peuple romain, auxquels on a dédié des temples et dressé des statues. Mais, comme Xénophanes de Colophon, je déclare ce que je pense sans vouloir le soutenir. Car là‑dessus l'homme en est réduit à des conjectures ; à la nature divine appartient la science. » C'est donc de choses qu'il ne s'explique pas, et qu'il ne croit pas bien fermement, de choses qui ne sont en lui qu'à l'état d'opinion, dont il doute même, qu'il promet timidement de parler, se proposant de faire connaître comment les hommes les ont réglées. Il savait que le monde existe, que le ciel et la terre existent; que le premier est tout brillant d'étoiles, que la seconde fournit beaucoup de semences. Il croyait que tous les êtres, de même que toute cette masse et tout cet ensemble de la nature, sont gouvernés par une force invisible et toute‑puissante, et qu'ils sont dirigés par un esprit supérieur dont l'immutabilité est assurée. Mais il ne pouvait pas également affirmer de Janus qu'il fut le monde; il ne pouvait pas non plus découvrir comment Saturne, étant le père de Jupiter, était devenu son sujet, sans compter tous les autres problèmes semblables qu'il ne pouvait résoudre.
CHAPITRE XVIII.
Cause la plus vraisemblable du paganisme.
De tout cela, la raison la plus vraisemblable, c'est que les dieux ont été des hommes, et qu'en l'honneur de chacun d'eux, ceux qui les ont faits dieux pour les flatter, ont établi des cérémonies et des solennités d'après leur caractère, leurs mœurs, leurs actions et les différentes vicissitudes de leur vie. Ces traditions de mensonge se sont peu à peu fait accepter des âmes humaines semblables à celles des démons et avides de toute vanité. Elles se sont répandues de tous côtés, embellies par les fictions des poètes, et présentées d'une manière séduisante par les esprits imposteurs. En effet, qu'un fils impie chasse son père de son royaume, soit à cause de la crainte qu'il a d'être mis à mort par ce père inhumain, soit à cause de la passion qu'il ressent pour le trône, cela est plus naturel que l'explication de Varron, quand il dit que Saturne, vaincu par Jupiter, son fils, représente la supériorité de la cause représentée par Jupiter sur la semence qu'on attribue à Saturne. Car, s'il en était ainsi, jamais Saturne n'aurait précédé ni engendré Jupiter, parce que la cause précède toujours la semence, et n'en est jamais
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p686 DE LA CITE DE DIEU.
engendrée. Mais quand ces hommes, si pénétrants pourtant, s'épuisent en efforts pour faire à ces fables toutes puériles ou à ces actions humaines l’honneur d'une explication naturelle, alors ils se trouvent réduits à de telles extrémités, que nous sommes forcés de déplorer leur malheureuse détresse.
CHAPITRE XIX.
Explications qui donnent la raison du culte de Saturne.
Les païens, dit Varron, ont raconté que Saturne dévorait ce qui naissait de lui. C'était parce que les semences retournent là où elles ont pris naissance. Pour ce qui est de la motte de terre qu'on lui présenta à dévorer au lieu de Jupiter, cela signifie, dit toujours le même Varron, que l'homme a commencé d'abord par enfouir les semences à la main avant l'utile découverte de la charrue. Saturne aurait donc dû être appelé la terre, et non pas la semence. Car c'est la terre qui, d'une certaine manière, dévore ce qu'elle a produit, puisque les semences qui sortent de son sein y rentrent de nouveau. Et ce qu'on dit de la motte de terre que Saturne a prise pour Jupiter, en quoi cela signifie‑t‑il que la semence fut d'abord enfouie par la main de l'homme. Est‑ce que par là même ce que la terre recouvre n'est pas dévoré comme le reste? Et cependant, ce qui est dit de Saturne, auquel la motte de terre fut présentée à la place de Jupiter soustrait ainsi à sa voracité, fait entendre que celui qui dans l'ensemencement jette la terre dans le sillon, a ôté préalablement la semence au lieu de la faire dévorer plus sûrement en la déposant sous la terre. Ensuite, d'après cette comparaison, Jupiter serait la semence, et non la cause de la semence, comme on le disait tout à l'heure. Mais à quoi voudriez-vous voir aboutir ceux qui, expliquant des inepties, ne trouvent rien de raisonnable à dire? Varron dit encore : Saturne a une faux, à cause de l'agriculture. Assurément, quand il régnait, il n'y avait point encore d’agriculture. Aussi, l'époque de Saturne est appelée l’époque primitive; parce que, suivant l’interprétation que le même Varron donne de ces récits mensongers, les premiers hommes vivaient de ce que la terre produisait sans culture. Est‑ce qu'il a reçu la faux en échange de son sceptre perdu, afin qu'après avoir été dans les premiers temps un roi oisif, il devînt, sous le règne de son fils, un travailleur actif? Ensuite, Varron ajoute que certains peuples, comme les Carthaginois, lui immolaient des enfants, que même certains autres, comme les Gaulois, lui immolaient des hommes; parce que, de toutes les semences, la meilleure, c'est le genre humain. Sur cette sauvage erreur qu'est‑il nécessaire de parler davan-
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p687 LIVRE VII. ‑ CHAPITRE XX.
tage? Remarquons plutôt et tenons comme certain, que ces explications ne se rapportent point au vrai Dieu, nature vivante, incorporelle, immuable, à qui il faut demander la vie éternellement heureuse; mais qu'elles se terminent toutes aux choses corporelles et limitées par le temps, le changement et la mort. Quant à ce que la fable raconte de Saturne, qu'il enleva la virilité à son père le Ciel, cela, d'après Varron, signifie que c'est à Saturne et non au Ciel que la semence divine appartient, parce que, autant que l'on en peut juger, rien au ciel ne naît de semence. Mais voici autre chose : Si Saturne est fils du Ciel, il est fils de Jupiter. Car c'est une chose affirmée universellement et expressément que Jupiter, c'est le ciel. Ainsi, ce qui ne vient pas de la vérité se renverse de soi‑même, et ordinairement sans l'impulsion de personne. Varron dit encore qu'on appelle Saturne Kronos, ce qui en grec, signifie la durée du temps. Sans le temps, explique‑t‑il, la semence ne peut être féconde. Voilà ce qu'on dit de Saturne, et beaucoup d'autres choses encore, qui toutes se rapportent à la semence. Mais au moins, avec une si grande puissance, Saturne devrait suffire aux semences. Pourquoi donc va‑t‑on pour cela rechercher d'autres dieux, surtout Liber et Libera ou Cérès? Au sujet de ces dieux, Varron reprend ses explications sur les semences, et il en dit autant que s'il n'avait point du tout parlé de Saturne.
CHAPITRE XX.
Mystères sacrés de Cérès à Eleusis.
Entre les mystères de Cérès, on parle beaucoup de ceux d'Eleusis, qui, chez les Athéniens, furent très‑renommés. Varron n'en explique rien. Il ne fait mention que de ce qui regarde l'invention du froment, que l'on attribue à Cérès, et la perte de sa fille Proserpine enlevée par Pluton. Il trouve que Proserpine signifie la fécondité des semences. Cette fécondité ayant manqué pendant un certain temps, et la terre étant désolée par la stérilité, on commença à croire que c'était Pluton qui avait enlevé et retenait aux enfers la fille de Cérès, c'est‑à‑dire, la fécondité appelée Proserpine, du verbe proserpere, qui signifie pousser, sortir de terre. Cet événement malheureux ayant été célébré par un deuil public, et la fécondité ayant reparu avec Proserpine, on fit de nouveau éclater la joie, et on institua à cet effet des solennités. Varron ajoute qu'il y a dans ces mystères beaucoup d'autres rites qui ne peuvent se rapporter qu'à l'invention des blés.
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p688 DE LA CITÉ DE DIEU.
CHAPITRE XXI.
Infamie des fêtes célébrées en l'honneur de Bacchus.
Pour les mystères de Liber ou de Bacchus, ce dieu qu'ils font présider aux semences liquides, c'est‑à‑dire, non‑seulement aux différentes liqueurs des fruits, parmi lesquelles le vin tient en quelque sorte le premier rang, mais encore aux semences animales, dire à quelles infamies les païens sont descendus, en vérité j'en ai honte, à cause des longueurs dans lesquelles il me faudrait tomber. Toutefois, en face d'une stupidité aussi insolente, j'en parlerai. Entre autres horreurs que je suis forcé d'omettre à cause de leur trop grand nombre, Varron nous dit qu'en certains endroits de l'Italie, il y avait des fêtes de Liber, que l'on célébrait avec un si grand excès d'infamie, qu'en son honneur on adorait les parties honteuses de l'homme, et cela, non pas dans le secret qu'exigerait encore une pudeur non complétement perdue, mais au grand jour et avec tous les transports d'une corruption qui s'étale. Car, pendant le temps que duraient les fêtes de Liber, ce membre honteux, déposé sur un char avec grand honneur, était promené d'abord au dehors dans la campagne et dans les bourgs, et ensuite, il était introduit jusque dans la ville. A Lavinium, on consacrait un mois tout entier au seul Bacchus. Tous les jours de ce mois se passaient à faire résonner les airs des paroles les plus infâmes, jusqu'à ce que le membre en question eut traversé le forum en triomphe, pour être replacé là où il demeurait ordinairement. Et il fallait qu'à ce membre honteux, la mère de famille la plus honnête allât publiquement porter une couronne. C'est ainsi qu'on devait rendre le dieu Liber propice au succès des semences; c'est ainsi qu'on devait détourner des champs tout funeste enchantement. Il fallait qu'une femme respectable fit en public ce qu'on n'aurait jamais dû permettre, sur le théâtre‑même, à une femme publique en présence de femmes honnêtes. C'est pourquoi on n'a pas cru que Saturne seul pût suffire aux semences, afin que l'âme immonde trouvât les occasions de multiplier les dieux, et que, justement abandonnée du seul véritable Dieu à cause de ses impuretés, et se prostituant à une multitude de fausses divinités, par une passion de plus en plus ardente pour l'ignominie, elle pût donner un nom vénérable à ces sacriléges et qu'elle se livrât à toutes les souillures et à tous les déshonneurs que lui infligerait cette foule d'impures divinités.
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p689 LIVRE VII. ‑ CHAPITRE XXII.
CHAPITRE XXII.
De Neptune, de Salacia et de Vénilia.
Neptune avait déjà pour épouse Salacia, qu'on a dit être l'eau de la partie inférieure de la mer. Pourquoi lui a‑t‑on ajouté encore Vénilia? Ne serait‑ce pas pour satisfaire la passion de l'âme, qui se livre à la corruption, et pour multiplier, sans motif et sans nécessité, l'invocacation des démons ? Mais faisons connaître l'explication de cette belle théologie; qu'elle arrête nos reproches, en nous donnant de bonnes raisons. Vénilia, dit Varron, c'est l'eau qui va frapper le rivage, Salacia, c'est celle qui va à la pleine mer. Pourquoi donc en faire deux déesses, puisque c'est la même eau qui vient et qui retourne? Oui, c'est bien la passion en délire qui s'épuise en transports, et se jette dans cette multitude de divinités. Car, bien que cette eau qui va et qui revient ne soit pas double, cependant, saisissant l'occasion d'une vaine apparence, elle appelle à elle deux démons et se flétrit encore davantage, cette âme qui s'en va et ne revient pas. (Ps. LXXVII, 41.) Je t'en prie, Varron, ou plutôt je vous en conjure, ô vous qui avez lu de pareils écrits provenant d'hommes aussi savants, et qui vous vantez d'y avoir beaucoup appris, donnez‑moi là‑dessus une explication favorable, je ne dis pas à cette nature éternelle et immuable qui est Dieu seul, mais au moins à ce que vous dites de l'âme du monde, et de ses parties, que vous regardez comme de véritables dieux. La partie de l'âme du monde, qui pénètre la mer, vous en avez fait un dieu, c'est Neptune; voilà une erreur en quelque sorte plus tolérable. Mais en est‑il ainsi de l'eau qui va au rivage et qui retourne en pleine mer? Y a‑t‑il là deux parties du monde, ou deux parties de l'âme du monde? Qui de vous a perdu l'esprit au point d'admettre cela? Pourquoi donc vous a‑t‑on fait de cela deux déesses; sinon parce que vos sages ancêtres ont pris leurs mesures, non pas pour vous mettre sous la garde de plusieurs divinités, mais pour vous donner, comme maîtres, un plus grand nombre de démons, de ces démons qui se complaisent dans toutes ces vanités et dans tous ces mensonges? Et, avec cette explication, pourquoi Salacia a‑t‑elle perdu la partie inférieure de la mer qui la soumettait à son mari? Car, en disant qu'elle est le flot qui revient, vous l'avez mise à la surface. Ou bien s'est‑elle irritée de voir son mari prendre Vénilia pour concubine, et l'a‑t‑elle dans sa colère chassé des régions supérieures de la mer?