tome 24 p. 110
CHAPITRE XXV.
Division de la philosophie en trois parties.
Autant qu'il est permis d'en juger, c'est encore là le principe de cette division en trois parties, que les philosophes ont introduite ou plutôt signalée dans la science de la sagesse; ils l'ont effectivement trouvée existante, il ne l'ont pas faite eux‑mêmes. Cette division, qui comprend la physique, la logique, l'éthique, les termes correspondants, naturelle, rationelle, morale, sont depuis longtemps en usage dans notre langue, et j'en ai touché quelque chose au huitième livre de cet ouvrage. (Çhap. iv et suiv.) Je ne veux pourtant point dire par là que les philosophes aient eu, à l'occasion de cette division en trois parties, quelque idée de la Trinité qui fût selon Dieu, bien que Platon, qui le premier, dit-on, l'a découverte ou mise en vogue, ne reconnaisse que Dieu pour auteur de toutes les natures, que lui pour dispensateur de l'intelligence et pour inspirateur de l'amour qui donne la vie sage et heureuse. Mais il est certain que malgré la diversité des opinions sur la nature des choses, le moyen de découvrir la vérité, et ce bien auquel doivent se rapporter toutes nos actions;
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tous les philosophes s'accordent à tout réunir en ces trois grandes et générales questions; sur chacune d'elles, sans doute, il y a des systèmes différents et une grande divergence d'opinions; mais personne ne refuse de reconnaître qu'il y a une cause dans la nature, une méthode clans la science, une règle pour la vie. De même aussi, dans tout homme qui produit quelque œuvre, trois choses sont à considérer, la nature, l'art, l'usage; la nature s'estime par l'esprit, l'art par la science, l'usage par le fruit et le succès. Je sais bien qu'en langage strict, le fruit se rapporte à la jouissance, l'usage à l'utilité; la différence entre les deux, paraît être (1) que nous disons; jouir d'une chose, quand nous l'aimons pour elle‑même, sans rapport à une autre; user d'une chose quand nous nous en servons pour arriver à une autre. En ce sens, nous disons qu'il ne faut pas jouir des biens présents, mais en user de façon à mériter la jouissance des biens éternels; et ne pas imiter les méchants qui veulent jouir de la fortune et se servir de Dieu, qui, au lieu d'employer leur fortune pour Dieu, honorent Dieu pour en obtenir la fortune. Toutefois, pour suivre l'usage qui a prévalu, nous disons user des fruits et jouir de l'usage. En effet, on dit très‑bien les fruits de la terre, et cependant nous en usons dans le temps. C'est donc en ce sens que je prends le mot usage, quand, désignant les trois choses à considérer dans l'homme, je les appelle nature, doctrine, usage. Et telle est l'origine de cette division en trois parties, de la science qui conduit à la vie heureuse, naturelle à cause de la nature, rationnelle à cause de la doctrine, morale à cause de l’usage. Si donc, nous tenions de nous-mêmes notre nature, assurément nous aurions aussi produit notre sagesse, et nous n'aurions point besoin de la chercher dans la doctrine, c'est‑à‑dire dans un enseignement étranger ; notre amour viendrait de nous, se rapporterait à nous, nous suffirait pour la vie heureuse, et ne tendrait en aucune façon à la jouissance d'un bien étranger. Mais notre nature ayant Dieu pour auteur de son être, assurément nous avons besoin de l'enseignement de Dieu pour arriver à la sagesse , et de l'intime suavité qui vient de lui, pour goûter un vrai bonheur.
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(1) Liv, 1, sur la Doctrine chrétienne, chap. III et IV.
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CHAPITRE XXVI.
L'image de l'auguste Trinité se trouve dans la nature de l'homme, même avant qu'il soit admis au bonheur céleste.
Et ne trouvons‑nous pas aussi en nous une image de Dieu, c'est‑à‑dire de l'Auguste Trinité; image bien inégale assurément, puisqu'elle ne lui est point coéternelle, ou pour tout résumer en un mot, puisqu'elle n'est point de la même substance que lui; mais qui toutefois s'en éloigne moins qu'aucune autre créature, bien qu'elle ait besoin d'être réformée et perfectionnée pour s'approcher de lui par la ressemblance. En effet, nous sommes, nous savons que nous sommes et nous aimons cet être et cette connaissance; et dans ces trois choses aucune illusion ne nous peut tromper. Il n'en est point ici comme des choses extérieures que nous connaissons par le témoignage des sens, les couleurs par la vue, les sons par l'ouïe, les parfums par l'odorat, les saveurs par le goût, la dureté ou la mollesse des corps parle toucher. Tous ces objets sensibles produisent d'eux‑mêmes des images fidèles, et cependant incorporelles, que nous agitons dans notre pensée, retenons dans notre mémoire, et qui nous font désirer les objets eux‑mêmes; mais ici, sans fantôme aucun, sans illusion de l'imagination, je connais, avec une complète certitude que je suis, que je connais, que j'aime. @@@###@@@ Aucun argument des Académiciens ne pourra me troubler dans cette certitude; qu'ils me disent : mais si vous vous trompiez? je réponds, si je me trompe, je suis; @@@ ce qui n’est pas ne peut pas se tromper, si donc je me trompe, je suis; et puisque je suis, même alors que je me trompe; comment me tromper en jugeant que je suis, quand il est certain que je suis, même si je me trompe (1)? Puisque je serais, moi qui me tromperais, lors même que je me tromperais; évidemment je ne me trompe pas, quand je dis que je suis; et il en faut conclure que je ne me trompe pas non plus quand je connais que je sais, car je connais que je suis absolument comme je sais que je suis. Et quand j'aime cet être et cette connaissance, cette troisième chose, cet amour m'est connu absolument comme tout le reste; je ne me trompe pas sur cet amour, puisque je ne me trompe pas sur les choses que j'aime; il y a plus, quand même ils seraient faux ces objets de mon amour, il resterait vrai que j'aime au moins des faussetés, et comment pourrait‑on justement me reprendre d'aimer des choses fausses, si cet amour n'était pas lui-même une vérité? Mais quand ces choses sont
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(1) on ne saurait douter que ce raisonnement ait fourni à Descartes l'origine de son fameux raisonnement; quiconque a lu le discours de la Méthode trouvera que saint Augustin l'emporte ici et par la précision et par la clarté sur le fondateur du Cartésianisme.
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p113 LIVIIE M. ‑ CHAPITRE XXVII.
certaines, qui pourra dire que l'amour qu'on leur porte, ne soit lui‑même quelque chose de vrai et de certain? Il n'est personne qui ne désire être, comme il n'est personne qui ne désire être heureux. Comment, en effet, peut‑on être heureux si l'on n'est pas?
CHAPITRE XXVII.
La substance, la science et leur amour.
1. L'amour de l'existence est une chose si naturelle que les malheureux eux‑mêmes ne voudraient pas cesser d'être; et quand ils sentent le poids de leur malheur, ils ne demandent que la suppression de ce malheur, mais non celle de leur existence. Ceux mêmes qui se croient le plus malheureux, qui le sont en effet, non pas seulement dans l'opinion des sages, à cause de leur folie, ou dans celle des soi‑disant heureux, à cause de leur pauvreté, de leur état de mendicité; ceux‑là, dis‑je, si on leur proposait l'immortalité pour eux et aussi pour leur misère, à condition que s'ils ne voulaient pas demeurer toujours dans cette misère, ils cesseraient eux‑mêmes d'exister; vous les verriez tressaillir de joie, et préférer d'être toujours ainsi, plutôt que de n'être plus. J’en appelle à leurs sentiments connus de tous. D'où vient qu'ils craignent la mort, et aiment mieux vivre dans leur triste sort que de le voir finir avec le trépas, sinon par ce fait très‑évident, que la nature a horreur de la non‑existence? C'est pourquoi, sachant bien qu'ils devront mourir, ils désirent, comme un grand bien, comme une grâce singulière, de prolonger tant soit peu leur vie misérable et d'éloigner leur dernier jour. Cela nous fait voir avec quelle reconnaissance ils accepteraient l'immortalité, même accompagnée des misères sans fin de l'état de mendicité. Il y a plus, les animaux mêmes dénués de raison et ne pouvant penser à tout cela, aussi bien les immenses dragons que les invisibles vermisseaux, ne prouvent‑ils pas par tous les mouvements qu'ils font pour fuir la mort, combien ils tiennent à l'existence ? Que dis‑je? les plantes, les arbres privés de cette sensibilité qui se dérobe à la mort par un mouvement manifeste; ne les voyez‑vous pas pour porter sans danger leur sommet dans les airs, descendre profondément leurs racines dans la terre, afin d'y chercher l'aliment et conserver ainsi leur être ? Les corps inertes eux-mêmes privés non‑seulement de la sensibilité, mais encore de cette vie qui se reproduit par semence, s'élèvent, s'abaissent ou se balancent
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p114 DE LA CITÉ DE DIEU.
dans une région intermédiaire pour conserver les conditions d'existence de leur nature.
2. Mais combien la nature humaine désire savoir, combien elle redoute l'erreur, c'est ce que nous pouvons apprécier par ce fait que tous aimeraient mieux la douleur avec une raison saine, que la joie dans la démence. Grande et admirable chose, dont l'homme seul de tous les animaux mortels se trouve capable; il en est qui ont le sens de la vue plus pénétrant pour saisir la lumière commune; mais pas un ne peut atteindre à cette lumière incorporelle, qui éclaire notre âme de ses rayons et la met en état de juger et d'apprécier; ce que nous pouvons d'autant mieux faire que nous participons davantage à cette lumière. Toutefois, les animaux sans raison ont dans leurs sens, non pas la science à aucun degré, mais quelque chose qui ressemble à une certaine science. Tous les autres objets corporels sont appelés sensibles, non parce qu'ils sentent eux‑mêmes, mais parce qu'ils peuvent être sentis, et parmi eux, les plantes ont quelque chose qui ressemble à la sensibilité active en ce qu'elles se nourrissent et se reproduisent. Tous ces êtres corporels ont dans la nature leurs causes cachées, et ces formes qui font la beauté de ce monde visible, il les étalent devant nos yeux, comme si à défaut de la connaissance qui leur manque, ils voulaient prendre place dans la nôtre. C'est notre sens corporel qui les aperçoit, mais il est impuissant à prononcer un jugement c'est pourquoi nous avons un autre sens, celui de l'homme intérieur, bien supérieur au premier, et qui connait ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, l'un par l'espèce intelligible, l'autre par la privation de cette espèce. Pour l'exercice de ce sens il n'est besoin ni de la pupille de l'œil, ni de l'ouverture de l'oreille, ni de l'aspiration des narines, ou de la sensation du goût, ni enfin d'aucun tact corporel. C'est par lui que je sais qui je suis, que je suis assuré de le savoir, enfin que j’aime cet être et cette assurance, et que je suis certain de cet amour.
CHAPITRE XXVIII.
Si cet amour même par lequel nous aimons et l'être et la connaissance, nous le devons aimer d'autant plus que nous avons plus de ressemblance avec la divine Trinité.
Mais c'est assez parler de ces deux choses,
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p115 LIVRE XI. ‑ CHAPITRE XXVIII.
l'être et la connaissance, aussi bien que de l'amour que nous leur portons, et de la ressemblance éloignée, qui s'en trouve à un certain degré pourtant, dans les êtres inférieurs; c'est assez pour le dessein que nous nous étions proposé dans cet ouvrage. Nous n'avons point dit encore si cet amour qui fait aimer le reste est aimé lui‑même. Il l'est assurément, et la preuve en est que dans les hommes les plus dignes d'amour, il est aimé davantage. On n'appelle pas homme de bien celui qui connaît le bien, mais celui qui l'aime. Pourquoi donc n'aimerions-nous pas en nous cet amour même, qui nous fait aimer tout le bien que nous aimons? Il y a aussi un amour qui fait aimer ce qu'il ne faudrait pas aimer, et cet amour on le déteste en soi, quand on aime l'amour qui nous attache à ce qui est digne d'être aimé. Ces deux amours peuvent, en effet, exister ensemble dans l'homme; et c'est le bien de l'homme que les progrès de l'amour qui nous fait bien vivre, soit la ruine de celui qui nous fait mal vivre, jusqu'au jour de la parfaite guérison, et de la transformation en bien de tout ce qu'il y a de vie en nous. Si nous étions brutes, nous aimerions la vie charnelle et sensuelle, cela suffirait à notre bien, et heureux avec cela, nous ne chercherions rien autre chose; si nous étions arbres, nous ne manifesterions d'amour par aucun mouvement des sens, seulement nous aurions l'apparence d'un désir pour une fertilité plus riche et plus fructueuse; si nous étions pierres, flots, vent, flamme ou quelque chose d'analogue, nous n'aurions ni sens, ni vie, et pourtant il y aurait en nous comme le besoin de notre place et de notre ordre naturel. Car les poids sont comme les amours des masses corporelles, soit que par la pesanteur elles descendent en bas ou par leur légèreté s'élèvent en haut. N'importe où aille le mouvement, le corps est entraîné par son poids comme le cœur par son amour. Puis donc que nous sommes des hommes créés à l'image de Dieu dont l'éternité est véritable, la vérité éternelle, la charité éternelle et véritable, comme il est lui‑même éternelle, vraie et bienaimée Trinité, sans confusion, sans séparation; parcourons la série de ces êtres placés au‑dessous de nous; s'ils ont l'être à un certain degré, avec la différence des espèces, la tendance à garder ou à poursuivre leur ordre naturel, c'est uniquement parce qu'ils ont été créés par celui qui est souverainement, qui possède la souveraine sagesse, la souveraine bonté. Suivons toutes ces oeuvres d'un regard immobile pour y reconnaître les traces plus ou moins marquées de l'action du créateur ; nous admirerons ensuite son image en nous, et comme ce plus jeune fils dont parle l'Évangile, revenus à
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p116 DE LA CITÉ DE DIEU.
nous-mêmes, nous nous lèverons pour revenir à celui dont nous nous étions séparés par le péché. En lui, notre être ne connaîtra pas la mort, notre connaissance n'aura point d'erreurs, et notre amour point d'égarements. Assurés maintenant que ces trois choses sont en nous; assurés, dis‑je, non par un témoignage étranger, mais par le sentiment de leur présence, et la vue intérieure et infaillible que nous en avons ; incertains toutefois par nous-mêmes de leur durée à toujours, ou de leur fin plus ou moins rapprochée ; incertains aussi du but où elles doivent aboutir selon la bonté ou la malice des actes ; incapables de pénétrer ces secrets par nos seules lumières, il nous faut avoir ou chercher des témoins étrangers dont la foi ne puisse laisser aucun doute. Le moment d'en parler n'est pas encore arrivé, il viendra en son temps. En ce livre où je traite de la Cité de Dieu, qui exempte de la mortalité et de l'exil d’ici‑bas, possède le bonheur éternel des cieux, réunion des anges fidèles à Dieu, qui n'ont jamais failli et ne failliront jamais, bienheureux esprits dont Dieu a séparé dès le commencement, comme nous l'avons dit, ceux qui, déserteurs de l'éternelle lumière, sont devenus ténèbres; il me faut achever avec le secours
d'en haut, d'expliquer de mon mieux, ce qui tient à ce sujet.
CHAPITRE XXIX.
De la science des Anges; ils connaissent la Trinité dans sa substance même, ils voient les causes premières de la création dans la science de son auteur, avant de la considérer en chaque chose créée.
Ce n'est point par le son des paroles que les saints anges reçoivent la connaissance de Dieu, mais par la présence même de l'immuable vérité, c'est‑à‑dire par le Verbe son fils unique. Et le Verbe lui‑même et le Père et le Saint-Esprit, Trinité inséparable avec la distinction des personnes et l'unité de substance, non pas trois dieux mais un seul Dieu; ils connaissent mieux ces vérités, que nous ne nous connaissons nous‑mêmes. Là encore, c'est‑à‑dire dans la sagesse de Dieu, ils connaissent la créature, en son idéal premier beaucoup mieux qu'en elle‑même; et, par suite, si bien qu'ils se connaissent en eux‑mêmes, ils se connaissent dans l'art divin de leur création beaucoup mieux encore qu'en eux‑mêmes. Là est donc pour eux la lumière du jour, et en eux‑mêmes la lumière du soir, comme nous l'avons dit déjà. Il
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p117 LIVRE XI. ‑ CHAPITRE XXX.
y a en effet une grande différence, entre connaître une chose dans la raison ou le plan de son être, et la connaître en elle‑même. Ainsi, la rectitude des lignes, la vérité des figures géométriques se connaissent tout autrement dans les conceptions de l'intelligence que dans le tracé effectif, et la justice tout autrement dans la vérité immuable que dans l'âme du juste. Il en est ainsi de tout le reste; du firmament placé entre les eaux supérieures et les eaux inférieures avec le nom de ciel; des eaux réunis sous le ciel et laissant émerger la terre ; de la formation des plantes, des arbres, du soleil, de la lune, des étoiles; des animaux issus des eaux comme les oiseaux, les poissons, les monstres de la mer; de ceux qui marchent ou rampent sur la terre, et de l'homme enfin la plus excellente des créations terrestres. Tous ces êtres sont connus des anges dans le Verbe divin où sont immuables et éternels, l'art et les causes de leur création, bien autrement qu'en eux-mêmes, là plus clairement, ici plus confusément, différence nécessaire entre l'art et l'ouvrage ; toutefois quand l'ouvrage est rapporté à la louange et à la gloire du Créateur, il se produit comme la lueur du matin dans l'esprit de ceux qui le contemplent.
CHAPITRE XXX.
De la perfection du nombre six, le premier qui se forme de ses parties.
C'est à cause de la perfection du nombre six que l'Écritupe attribue à la création, six jours, ou le même jour six fois répété. Aucun laps de temps n'était nécessaire à Dieu, qui pouvait assurément tout créer à la fois, et faire ensuite marquer le temps par les mouvements réguliers des créatures; mais le nombre six, par sa perfection, indique celle de l'œuvre de Dieu. Ce nombre est en effet le premier qui se forme par la réunion de ses parties, la sixième, la troisième, la moitié, un, deux et trois, dont l'addition donne six. Les parties comme je les entends ici sont celles qui sont un quotient exact de l'entier, comme la moitié, le quart ou toute autre fraction dont un nombre entier est le dénominateur; soit pour exemple le nombre neuf; quatre est bien une partie de ce nombre, mais elle n'en est pas pour cela partie aliquote, un le sera parce qu'il est la neuvième partie, trois aussi parce qu'il est la troisième partie. Si vous réunissez ces deux parties aliquotes de neuf, un et trois, vous aurez quatre qui est bien loin du total neuf. De même pour dix;
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p118 DE LA CITÉ DE DIEU.
quatre en est une partie, comment dire laquelle? On le peut de un puisque c'est tout juste le dixième : dix a encore sa cinquième partie, qui est deux et sa moitié qui est cinq, mais ces trois parties, le dixième, cinquième et moitié, c'est‑à‑dire un, deux, cinq, si vous les additionnez vous ne trouvez pas dix mais huit. Pour le nombre douze, il est surpassé par la somme de ses parties; il a le douzième qui est un, le sixième deux, le quart trois, le tiers quatre, la moitié six; or tous ces nombres réunis font seize et non pas douze seulement. J'ai cru devoir indiquer sommairement ces choses pour relever l'excellence du nombre six, le premier, ai‑je dit, qui se forme de la somme de ses parties; c'est dans ce nombre de jours que Dieu a achevé son ouvrage. Ainsi il ne faut point mépriser la raison numérique, plusieurs passages de la Sainte‑Écriture en marquent toute l'importance aux esprits attentifs. Ce ne peut être en vain qu'il est dit à la louange de Dieu : « Vous avez tout disposé selon la mesure, le nombre et le poids. » (Sag. xi, 21.).
CHAPITRE XXXI.
Du septième jour, en lequel sont la plénitude et le repos.
Mais au septième jour, ou au même jour répété sept fois, (nombre également parfait pour une autre raison); au septième jour est le repos de Dieu, et l'ordre de la sanctification. Dieu n'a pas voulu sanctifier ce jour par aucune oeuvre, mais par son repos qui n'a point de soir. Il n'y a plus en effet de créature nouvelle dont la connaissance, différente dans le Verbe de Dieu et en elle‑même, nous fasse distinguer un jour et un soir. On pourrait disserter longuement sur la perfection du nombre sept«; mais déjà ce livre est bien étendu, et peut-être, me faut‑il prendre garde qu'on ne m'accuse à ce propos, d'avoir voulu faire un vain étalage de science, an lieu de m'attacher à ce qui est vraiment utile. Il faut donc ici tenir compte de ce qu'enseignent la modération et la gravité, pour ne pas laisser croire qu'en parlant trop du nombre, j'oublie le poids et la mesure. Il suffira d'avoir averti que le premier
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p119 LIVRE XI. ‑ CHAPITRE XXXII.
nombre tout impair, trois; et le premier nombre tout pair, quatre; pris ensemble donnent le nombre sept. C'est pour cela que ce nombre est souvent pris pour la généralité; ainsi : « Le juste tombera sept fois et se relèvera » (Prov. xxiv, 26); c'est‑à‑dire malgré toutes ses chutes, il ne périra point, ce qui doit s'entendre, non du péché, mais des tribulations qui nous abaissent et nous humilient; ainsi encore : « Je vous louerai sept fois le jour » (Ps. cxviii, 161) ce qui ailleurs est exprimé ainsi : « sa louange sera toujours dans ma bouche » (Ps. xxxiii, 1. » On citerait une foule d'autres passages dans lesquels la divine Écriture prend, comme j'ai dit, le nombre sept pour l'universalité. C'est pourquoi ce nombre désigne souvent aussi le Saint‑Esprit, dont Notre‑Seigneur a dit : « Il vous enseignera toute vérité. » (Jean, xvi, 13.) Là est le repos de Dieu, là on se repose en Dieu. Le repos en effet se trouve dans le tout, c'est‑à‑dire dans l'entière perfection, et le travail dans la partie. C’est pourquoi nous sommes dans le travail, dans la connaissance partielle (I. Cor. xiii, 9), c'est pour cela aussi que nous scrutons péniblement les Écritures. Mais les saints anges, dont l'union et la société glorieuse est l'objet de tous nos vœux dans ce laborieux exil, ont avec leur immuable éternité, et le bonheur du repos et la facilité de la connaissance. Ils nous aident sans peine; la fatigue étant absolument étrangère à la spirituelle et pure liberté de leurs mouvements.
CHAPITRE XXXII.
Il en est qui veulent que la création des Anges soit antérieure à celle du monde ; ce qu'il faut penser de cette opinion.
Si quelqu'un n'admet point mon interprétation, et dit qu'il ne s'agit pas des anges dans ces paroles : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite, » (Gen. 1. 3) mais bien et seulement de la lumière corporelle; enseignant que les anges avaient été créés auparavant, non‑seulement avant le firmament appelé Ciel, et placé entre les eaux pour les séparer, mais aussi avant ce qui est exprimé par les paroles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » (Gen. 1, 1) et que ce mot : « au commencement, » ne signifie point la première des créations, celle des anges ayant précédé, mais indique seulement que Dieu a tout fait dans sa sagesse qui est son Verbe, et que l’Écriture appelle quelquefois de ce nom de principe ou commencement, par exemple quand aux Juifs qui lui demandent qui il est, le Sauveur répond qu'il est le commencement (Jean, viii, 25) ; si quelqu'un, dis‑je, m'apporte ces doctrines, je
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p120 DE LA CITÉ DE DIEU.
me garderai bien de les combattre et de répliquer quoi que ce soit; d'autant que je suis ravi de trouver ainsi, au début du livre sacré de la Genèse, une mention de la Trinité. En effet, quand il est dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » nous devons entendre que le Père a créé par le Fils, comme chante le Psaume : « Que vos oeuvres sont magnifiques, Seigneur! Vous avez tout fait dans la sagesse: » (Ps. ciii, 24) et presque aussitôt vient une excellente mention de l'Esprit‑Saint. En effet, après avoir dit en quel état était d'abord la terre, ou plutôt ces amas confus des éléments, qui devaient fournir la matière du ciel et de la terre, l'Écriture ajoute aussitôt : « La terre était sans forme et sans aspect, et les ténèbres étaient sur l'abime; » (Gen. 1, 92) puis pour compléter la mention de la Trinité, elle dit : « Et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » Que chacun adopte l'interprétation qui lui plaira davantage, car de ces profondeurs peuvent fort bien sortir des opinions diverses, qui ne s'écartent point de la règle de la foi; seulement qu'il soit reconnu de tous: que les saints anges règnent avec Dieu dans le ciel, qu'ils ne sont point éternels, mais qu'ils ont reçu cependant une assurance certaine de leur félicité vraie et désormais sans fin. Société sainte à laquelle sont appelés ces petits, dont le Seigneur a dit : « Ils seront égaux aux anges de Dieu : » (Matth. xxii, 30.) et de plus indiquant cette bienheureuse contemplation qui fait le bonheur des anges, il a dit: « Prenez garde de scandaliser un de ces petits, car je vous déclare que leurs anges, dans les cieux, voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux. » (Matth. xviii, 10.)