Daras tome 27
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CHAPITRE XV.
De la vision de Dieu sur le Sinaï.
25. Parlons maintenant des nuées, des voix, des foudres, de la trompette et de la fumée qui se produisirent sur le mont Sinaï : or, il est dit : « Tout le mont Sinaï était couvert de fumée, parce que le Seigneur y était descendu au milieu des feux, la fumée s'en élevait en haut comme d'une fournaise, et tout le peuple eut l'âme consternée; il se produisait des sons de
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trompette qui sortaient avec un tres‑grand éclat. Cependant Moïse parlait et Dieu lui répondait de sa voix. » (Exod., XIX, 48, et 19.) Un peu plus loin, quand la loi eut été donnée en dix commandements, l'Ecriture poursuit ainsi son récit: « Or, tout le peuple entendait ces voix et le son de la trompette et voyait les lampes et la montagne qui fumait. » (Exod., XX, 18.) Un peu après, on lit « Et le peuple tout entier se tenait à l'écart, quant à Moïse il entra dans le nuage obscur où était Dieu, et le Seigneur dit à Moïse, etc. » Que dirai‑je à ce sujet, sinon qu'il n'y a personne d'assez sot pour croire que la fumée, le feu, la nuée, le nuage obscur et le reste, soient la substance du Verbe et de la sagesse de Dieu, qui n'est autre que le Christ, ou du Saint-Esprit; car pour Dieu le Père, les Ariens même n'ont jamais osé le dire. C'est donc à l'aide de la créature que le Créateur a fait toutes ces choses et les a rendues accessibles aux sens des hommes par une dispensation convenable. A moins peut-être que d'après ces mots: «Moïse entra dans la nuée obscure où était Dieu, » un esprit charnel ne pense que la nuée était ce que voyait le peuple, tandis que Moïse, au dedans de cette nuée, voyait de ses yeux de chair, le Fils même de Dieu que, dans leur délire, les hérétiques veulent avoir été vu dans sa substance. Certainement Moïse l'a vu de ses yeux de chair, si on peut voir avec des yeux de chair je ne dis pas seulement la sagesse de Dieu qui est le Christ, mais encore la sagesse même du premier sage venu. Ou bien parce qu'il est écrit, au sujet des vieillards: «Ils ont vu l'endroit où s'était arrêté le Dieu d'Israël, et son marche‑pied paraissait un ouvrage de saphir et ressemblait au firmament du ciel,» (Exod., XXIX, 10) faut‑il croire que le Verbe, la sagesse de Dieu, s'est arrêté de sa propre substance dans un espace de lieu terrestre, quand elle s'étend depuis un bout jusqu'à l'autre avec force, et dispose tout avec douceur, et que, par conséquent, le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, est sujet au changement, puisque tantôt il se contracte, tantôt il s'étend? Que le Seigneur purifie le cœur de ses fidèles de semblables pensées. Mais comme je l'ai déjà dit bien souvent, c'est par le moyen d'une créature soumise à sa volonté, que nous sont montrées toutes ces choses visibles et sensibles, pour signifier le Dieu invisible et intelligible, non‑seulement le Père, mais le Fils et le Saint‑Esprit, de qui viennent toutes choses, par qui tout a été fait et en qui tout subsiste (Rom., XI, 36), quoique ce qu'il y a d'invisible en Dieu, aussi bien son éternelle vertu que sa divinité, est devenu visible par les choses qui ont été faites. (Rom., I, 20.)
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26. Mais pour ce qui a rapport au sujet que nous avons entrepris de traiter, je ne vois point, sur le mont Sinaï, comment conclure, d'après tout l’appareil de terreur qui frappait les regards des hommes, que ce fût proprement Dieu en tant que Trinité, ou le Père, ou le Fils, ou le Saint‑Esprit qui parlait alors. Pourtant s'il m'est permis de conjecturer avec réserve, en hésitant, et sans avoir la témérité de l'affirmer, je me demande, dans l'hypothèse où l'on pourrait comprendre qu'il s'agit là d'une des personnes de la Trinité; pourquoi on ne comprendrait point de préférence le Saint‑Esprit, puisqu'il est dit que la loi donnée sur cette montagne, et gravée sur des tables de pierre, a été écrite par le doigt de Dieu, expression par laquelle nous savons qu'est désigné le Saint‑Esprit dans l'Evangile? (Luc, XI, 20.) De plus il s'était passé cinquante jours depuis l'immolation de l'agneau et la célébration de la Pâque, jusqu’à celui où ces choses ont commencé à s'accomplir sur le mont Sinaï, comme on compte cinquante jours depuis la passion et la résurrection du Seigneur jusqu’au jour où vint le Saint‑Esprit que le Fils avait promis, et à son arrivée dont nous lisons le récit dans les Actes des Apôtres, il se manifesta par des langues de feu qui se partagèrent pour aller se reposer sur chacun des apôtres. (Act., II, 3.) Toutes choses ayant du rapport avec ce récit de l'Exode : « Or, le mont Sinaï était couvert de fumée, parce que le Seigneur y était descendu au milieu des feux. » Et un peu plus loin : « L'aspect de la majesté du Seigneur était, aux yeux des enfants d'Israël, comme un feu ardent sur le sommet de la montagne. » (Exod., 19.) Ou bien peut‑être tout cela s'est‑il passé ainsi, parce que ni le Père, ni le Fils ne pouvaient se trouver représentés sans le Saint-Esprit, par qui il fallait que la loi fût écrite; car nous savons que Dieu ne s'est point montré aux regards des hommes dans sa substance qui est invisible et immuable, mais par le moyen d'une espèce de créature. Pour ce qui est d'un signe spécial qui dénotât une des trois personnes de la Trinité, nos faibles moyens ne sauraient l'apercevoir.
CHAPITRE XVI.
Comment Moïse a vu Dieu.
27. Il y en a encore qui peuvent être embarrassés par ce passage de l'Ecriture : «Et le Seigneur parla à Moïse face à face, comme on parle à un ami, » (Exod., XXXIII, 11) d'autant plus que Moïse dit un peu plus loin : « Si donc j'ai trouvé grâce devant vous, faites‑moi voir votre visage, afin que je vous connaisse, et s'il est vrai que je trouve grâce devant vos yeux, regardez favorablement cette grande multitude
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qui est votre peuple. » (Exod., XXXIII, 13.) Un peu après il dit encore : « Montrez‑moi votre majesté. » (Ibid., 18.) Qu'est‑ce à dire en effet? dans tout ce qui s'est passé auparavant, on pensait que Dieu était vu dans sa propre substance, ce qui a fait croire à nos malheureux contradicteurs que le Fils de Dieu était visible par lui-même, non par le moyen d'une créature, et que si Moïse était entré dans la nue il semble ne l'avoir fait que pour montrer que tandis que lui‑même au dedans de la nue contemplait Dieu face à face et entendait ses propres paroles, le peuple n'aperçut que la nuée obscure. Comment encore est‑il dit: «Le Seigneur parla à Moïse face à face, comme on parle à un ami, » quand ce même Moïse dit ailleurs : « Si j'ai trouvé grâce devant vous, montrez‑vous à moi ouvertement? » (Exod., XXXIII, 13.) Evidemment il connaissait ce qu'il avait vu sous une forme corporelle, et ce qu'il demandait c'était la vision spirituelle de Dieu. En effet, l'entretien qui se faisait à haute voix se produisait de la même manière que si c'eût été l'entretien d'un ami parlant à son ami. Mais qui peut voir Dieu le Père, des yeux du corps? Qui même avec des yeux de chair peut voir l'Esprit de sagesse? Qu'a donc voulu dire Moïse quand il s'écriait : « Montrez‑vous manifestement à moi, afin que je vous voie, » sinon, montrez‑moi votre substance? Si Moïse n'avait point parlé ainsi, force serait bien à nous de supporter, n'importe comment, les sots personnages qui pensent, d'après les paroles et les faits rapportés plus haut, que la substance de Dieu fut accessible à ses yeux; mais comme il est montré ici avec la dernière évidence que son désir ne fut point exaucé, qui oserait dire que c'est Dieu même qui apparut aux yeux d'un mortel, par le moyen des formes qui frappèrent ses regards, non point par quelque créature servant à Dieu pour cela?
28. Le Seigneur dit encore un peu plus loin à Moïse : « Vous ne pourrez voir mon visage et vivre encore, car nul homme ne me verra sans mourir. Le Seigneur dit encore; il y a là près de moi un endroit, vous vous y tiendrez sur la pierre, et lorsque ma majesté passera je vous placerai dans l'ouverture de la pierre, puis je vous couvrirai de ma main, jusqu'à ce que je sois passé; j'ôterai ensuite ma main et vous me verrez par derrière, mais vous ne pourrez voir mon visage. » (Exod., XXXIII, 20 à 23.)
CHAPITRE XVII.
Comment Moïse vit Dieu par derrière.
Ce n'est point sans quelque raison de conve-
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nance que ce passage s'entend ordinairement de la personne de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ; le derrière de Dieu ne serait donc pas autre chose que la chair de Jésus‑Christ, dans laquelle il naquit de la Vierge, il mourut et ressuscita, soit qu'on lui ait donné ce nom, parce que la condition mortelle du Christ vint s'ajouter à son premier être, soit parce qu'il n'a daigné la prendre qu'à la fin des siècles, c'est‑à‑dire postérieurement. Quant à sa face, c'est la forme de Dieu, dans laquelle il ne crût point faire une usurpation, en se faisant égal à Dieu le Père, mais absolument personne ne peut voir cette forme et être encore en vie, soit parce que ce n'est qu'après la vie présente, pendant laquelle nous sommes en exil loin du Seigneur (II Cor., V, 6), et dans l'état où le corps appesantit l'âme (Sag., IX, 4.5), que nous verrons Dieu face à face, selon l'expression même de l'Apôtre. (I Cor., XIII, 12.) C'est, en effet, de la vie présente que le Psalmiste a dit: «En vérité, tout homme qui vit sur la terre est une vanité, » (Ps. XXXVIII, 6) et ailleurs : « Car nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous. » (Ps. CXLII, 2.) Dans la vie présente, en effet, selon saint Jean, « ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons, » continue le même apôtre, « que , lorsque Jésus‑Christ se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » (I Jean, III, 2.) Il a voulu dire après cette vie, quand nous aurons payé notre dette et que nous recevrons la promesse de la résurrection; soit encore parce que maintenant en tant que nous entendons d'une manière spirituelle la sagesse divine par qui tout a été fait, nous mourons aux affections charnelles, et réputant le monde même mort pour nous, nous mourrons aussi pour le monde, et nous dirons avec l'Apôtre : « Le monde est crucifié pour moi, et moi je le suis pour le monde. » (Gal., VI, 14.) C'est, en effet, de cette mort qu'il parlait quand il disait : «Si donc vous êtes morts avec Jésus‑Christ, pourquoi vous laisez‑vous imposer des lois, comme si vous viviez dans ce monde? » (Col., II, 20.) Ce n'est donc point sans cause que personne ne pourra voir la face, je veux dire la manifestation même de la sagesse de Dieu, et être encore vivant. C'est, en effet, après la contemplation de cette face que soupire quiconque s'efforce d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. (Deut., VI, 5; et Matth., XXII, 39.) C’est également pour cette contemplation qu'il édifie son prochain autant qu'il le peut, quiconque l'aime comme soi‑même. C'est dans ces deux préceptes que se trouvent la loi et les prophètes. C'est aussi ce qui se trouve signifié dans Moïse lui‑même. En effet, après avoir dit, à cause de
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l'amour de Dieu dont il était consumé: «Si j'ai trouvé grâce en votre présence, montrez‑vous à moi manifestement, afin que je sache si je trouve grâce devant vous,» (Exod., XXXIII, 13) il poursuit en ces termes, à cause de son amour pour son peuple : « Afin que je sache que ce peuple est votre peuple. » C'est donc là la beauté qui ravit toute âme raisonnable, par le désir de la posséder, désir d'autant plus grand qu'il est plus pur, et d'autant plus pur que l'âme ressuscite pour les choses spirituelles, et elle ressuscite d'autant plus pour les choses spirituelles, qu'elle meurt davantage aux choses charnelles. Mais tant que nous continuons notre voyage loin de Dieu et que nous ne marchons que par la foi, non point encore par une claire vue (Il Cor., V, 6), nous ne devons voir par la foi le Christ que par derrière, c'est‑à‑dire, nous ne voyons de lui que sa chair, en d'autres termes, nous ne le voyons qu'en demeurant fermes sur le solide fondement de la foi, figuré par la pierre. C'est de cet observatoire plein de sécurité, c'est‑à‑dire de l'Eglise catholique, qu'il est dit : « Et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, » (Matth., XVI, 18) que nous regardons cette chair. En effet, il est d'autant plus certain que nous aimons et désirons voir la face du Christ, que nous savons reconnaître dans sa chair, combien le Christ nous a aimés le premier.
29. Mais la foi même à la résurrection dans
la chair, sauve et vivifie les hommes. « En effet, dit l'Apôtre, si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts vous serez sauvé, » (Rom., X, 9) et ailleurs « Il a été livré à la mort pour nos péchés et il est ressuscité pour notre justification. » (Rom., IV, 25.) Par conséquent, le mérite « de notre foi, c'est la résurrection du corps de Notre‑Seigneur. Quant à la mort de sa chair sur la Croix de la Passion, ses ennemis même l'ont crue, mais ils ne croient point qu'il soit ressuscité. Pour nous, nous le croyons très‑fermement, et nous le regardons comme du haut d'un rocher inébranlable, aussi est‑ce avec une espérance certaine que nous attendons l'adoption divine qui sera la rédemption de notre corps (Rom., VIII, 23); attendu que nous espérons qu'il arrivera dans les membres du Christ, ce que nous savons d'une foi saine, accompli en lui, comme en notre chef. Aussi ne veut‑il être aperçu par derrière que lorsqu'il sera passé, afin qu'on croie à sa résurrection, car le mot hébreu pâque, signifie la même chose que passage. Aussi l'Evangéliste Jean dit-il : «Avant la fête de Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père. » (Jean, XIII, 1.)
30. Tous ceux qui croient cela, sans le croire toutefois dans l'Eglise catholique, mais seule-
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nient dans le schisme ou l'hérésie, ne voient point Dieu par derrière, de l'endroit placé près de lui. En effet, qu'est‑ce que le Seigneur veut dire par ces mots : « Il y a là près de moi, un endroit, vous vous y tiendrez sur la pierre ? » (Exod., XXXIII, 21.) Quel endroit sur la terre se trouve près du Seigneur, à moins que, par l'endroit placé près de lui, on n'entende ce qui le touche d'un contact spirituel? En effet, quel endroit n'est point près du Seigneur, quand il atteint d'un bout du monde à l'autre, avec force et dispose tout avec douceur (Sag., VIII, 1) quand le ciel est son trône, la terre l'escabeau de ses pieds, et lorsqu'il dit lui‑même : « Quelle maison me bâtirez‑vous, et où me donnerez-vous un lieu de repos? N'est‑ce pas ma main qui a créé toutes ces choses?» (Isa., LXVI, 1.) Mais par cet endroit près de lui où l'on se tient sur la pierre, on entend l'Eglise catholique même, c'est là que quiconque croit à la résurrection du Seigneur, voit d'une vue salutaire la pâque, c'est‑à‑dire le passage du Seigneur, il le voit par derrière, en d'autres termes, il voit son corps. « Et vous vous y tiendrez sur la pierre, aussitôt que passera ma gloire.» (Exod., XXXIII, 21.) En effet, dès que la majesté du Seigneur a passé dans la gloire dont il fut entouré, lorsque ressuscitant d'entre les morts, il monta vers son Père, nous avons été affermis sur la pierre. Et Pierre lui‑même se trouva affermi alors au point de prêcher avec hardiesse celui qu’il avait renié par crainte auparavant, bien que dès ce moment il se trouvât placé par sa prédestination, sur l'observatoire de la pierre, mais alors la main du Seigneur était encore posée sur lui, pour qu'il ne le vît point. (Matth., xxvi, 70.) En effet, il devait le voir par derrière, mais le Seigneur n'était pas encore passé, je veux dire de la vie à la mort, et il n'avait point encore été glorifié par la résurrection.
31. Après cela on lit dans l'Exode: « Je vous couvrirai de ma main jusqu'à ce que je sois passé, puis je retirerai ma main, et alors vous me verrez par derrière. » (Exod., XXXIII, 22.) Beaucoup d'Israélites dont Moïse était alors la figure, crurent en Notre‑Seigneur, après la résurrection, comme s'ils le voyaient alors par derrière, parce qu'il avait retiré sa main de dessus leurs yeux. Aussi l'Evangéliste rappelle-t‑il une prophétie pareille d'IsaÏe : «Epaississez le coeur de ce peuple, bouchez‑lui les oreilles, et appesantissez‑lui les yeux. » (Isa., VI, 10.) Enfin il n'y a rien d'absurde à croire que c'est de ce peuple qu'il est dit dans un psaume : « Car votre main s'est appesantie sur moi la nuit et le jour. » (Ps. XXXI, 4.) Peut‑être par « le jour, » faut‑il entendre le temps où il faisait des miracles manifestes, et nonobstant cela, n'était point reconnu par eux, et, par « la nuit, » le moment où il mourait dans sa Passion, alors
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que les Juifs tenaient pour certain qu'il avait été mis à mort, et qu'il avait disparu de dessus la terre, comme le premier homme venu. Mais comme, après être passé de manière à ce qu'ils ne le vissent que par derrière, l'apôtre Paul leur annonçant dans ses prédications qu'il fallait que le Christ souffrit et ressuscitât, ils furent pénétrés de sentiments de componction et de pénitence, il se produisit en eux, après qu'ils eurent reçu le baptême, ce qui est dit au commencement d'un psaume : « Heureux ceux à qui leurs iniquités ont été remises et dont les péchés sont couverts. » (Ps. XXXI, 1.) Aussi après avoir dit: « Votre main s'est appesantie sur moi, » comme pendant le passage du Seigneur, afin que après cela, il pût la retirer, de manière qu'on le vît par derrière; on entend une parole de douleur et de confession, un cri d'une âme qui reçoit la rémission de ses péchés par la foi à la résurrection du Seigneur. « Je me suis tourné vers vous,» dit le Psalmiste, « dans mon affliction, lorsque je me sentais percé par la pointe de l'épine. J'ai connu ma faute, et je n'ai point jeté un voile sur mon injustice. J'ai dit : Je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et vous m'avez remis l'impiété de mon cœur. » (Ps. XXXI, 4 à 6.) En effet, la chair ne doit point nous entourer d'un voile si épais que nous puissions croire la face du Seigneur invisible quand son dos ne le serait point, attendu que dans la forme d'esclave l'une et l'autre paraissaient très‑visiblement, mais dans la forme de Dieu, que le ciel nous garde de penser à rien de pareil, et de croire que le Verbe, la sagesse de Dieu, ait une face d'un côté, et un dos de l'autre, comme le corps de l'homme, ou même de penser qu'il change d'aspect en se mouvant, selon les lieux ou les temps.
32. C'est pourquoi, si dans les paroles rapportées dans l'Exode et dans toutes les apparitions corporelles dont il y est fait mention, ce n'était que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qui se montrait aux hommes, ou bien si c'était tantôt le Christ, comme cela ressort de l'examen attentif de ce passage, tantôt le Saint‑Esprit, comme nous porte à le croire ce que j'ai dit plus haut, il ne s'ensuit point que Dieu le Père ne soit jamais apparu sous telle ou telle forme. En effet, il y a eu dans ces temps‑là beaucoup d'apparitions semblables, sans que soit le Père, soit le Fils, soit le Saint‑Esprit se trouvent clairement nommés ou désignés, mais pourtant, à cause de certaines significations très‑faciles à démontrer et de certains indices, il serait par trop téméraire, d'avancer que Dieu le Père ne s'est jamais manifesté sous une forme visible, soit aux patriarches, soit aux prophètes. Ceux qui ont inventé cela ne pouvaient rapporter à l'unité de la Trinité ces paroles : « Mais au roi immortel des siècles, au seul Dieu invisible, » (1 Tim., I, 17)
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non plus que celles‑ci : « Nul homme ne l'a vu et nul ne peut le voir; » (I Tim., VI, 16) paroles que la saine foi entend de la substance même suprême, souverainement divine et immuable dans laquelle le Père, le Fils et le Saint‑Esprit ne font qu'un seul et même Dieu. Or, ces visions d'un Dieu immuable se sont produites par le moyen de créatures muables, soumises à sa volonté, non point proprement tel qu'il est, mais figurativement, selon que le demandaient les circonstances des choses et des temps.
CHAPITRE XVIII.
Vision de Daniel.
33. Cependant je ne sais point comment nos contradicteurs s'expliquent que soit apparu à Daniel, l'Ancien des jours des mains de qui, le Fils de l'homme, fait homme à cause de nous, a reçu son royaume, et qui lui parle en ces termes dans un Psaume: « Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui, demandez‑moi ce que vous voudrez, et je vous donnerai les nations en héritage, » (Ps. II, 7 et Ps. VIII, 8) et qui, en effet, a mis toutes choses à ses pieds. Si donc Daniel a vu dans une apparition corporelle, le Père donnant le royaume au Fils, et le Fils l'acceptant, comment peut‑on dire que le Père n'est jamais apparu aux Prophètes et que c'est pour cette raison qu'on doit le regarder comme étant seul invisible et tel que nul ne l'a jamais vu et ne peut le voir? Or, voici le récit de Daniel : « J'étais attentif à ce que je voyais, jusqu'à ce que des trônes eussent été placés et que l'Ancien des jours se fût assis. Son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme la laine la plus blanche et la plus pure. Son trône était de flammes ardentes et les roues de ce trône un feu brûlant. Un fleuve de feu coulait devant lui en le tirant; un million le servaient et cent mille l'assistaient. Il ouvrit le jugement et les livres furent ouverts (Dan., VII, 9 et 10); un peu plus loin il continue : «Je considérais ces choses dans une vision de nuit, et je vis comme le Fils de l'homme qui venait dans les nues du ciel et qui s'avança jusqu'à l'Ancien des jours, à qui ils le présentèrent. Il lui donna la puissance, l'honneur et le royaume; tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues le serviront. Sa puissance est une puissance éternelle qui ne lui sera point ôtée, et son royaume ne sera jamais détruit. » (Ibid., 13 et 14.) Voilà donc le Père qui donne et le Fils qui reçoit un royaume éternel, tous les deux présents aux yeux du Prophète sous une forme visible. Rien ne s'oppose donc à ce qu'on croie
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que Dieu le Père soit apparu ordinairement aux hommes de cette manière.
34. Peut‑être dira‑t‑on qu'il ne s'ensuit point que le Père soit visible pour être apparu en songe aux yeux d'un homme, tandis que le Fils et le Saint‑Esprit sont visibles, puisque c'est bien éveillé que Moïse a vu tout ce qu'il a vu. Comme si c'était des yeux du corps que Moïse eût vu leVerbe, la sagesse de Dieu, ou comme si on pouvait voir ainsi l’âme humaine qui vivifie le corps, ou même seulement cet être corporel appelé vent. Combien moins peut‑on voir l'Esprit de Dieu qui surpasse par l'excellence ineffable de sa substance tous les esprits d'hommes ou d'anges? Faut‑il être dans l'erreur pour oser dire que le Fils et le Saint‑Esprit sont visibles aux yeux d'hommes éveillés, tandis que le Père ne peut se montrer qu'à des hommes endormis! Comment donc entendent‑ils du Père seulement ces paroles : « Personne ne l'a vu, et personne ne saurait le voir ? » (l Tim., VI, 16.) Est‑ce qu'en dormant les hommes cessent d'être hommes? Ou bien celui qui peut faire une similitude de corps pour se montrer à des hommes plongés dans le sommeil, ne peut‑il point faire une créature corporelle pour le représenter aux yeux d'hommes éveillés? Car la substance par laquelle il est ce qu'il est, ne saurait se montrer sous une apparence corporelle, à un homme endormi, ni sous une forme corporelle à un homme éveillé. Ce que je dis de la substance du Père, je le dis également de celle du Fils et du Saint-Esprit. Certainement ceux que touche la vision d'hommes endormis, au point de leur faire croire que le Fils et le Saint‑Esprit seuls, non le Père, sont apparus aux yeux des hommes, pour ne point transcrire ici l'immense étendue des pages saintes, non plus que les nombreuses manières de les interpréter, d'où il suit que nul homme sain d'esprit ne peut affirmer que jamais et en aucun endroit la personne du Père ne s'est rendue visible aux yeux d'hommes éveillés, oui, dis‑je, pour ne point parler de tout cela que disent-ils du fait de notre père Abraham, certainement bien éveillé, puisqu'il s'occupait des devoirs de l'hospitalité, au moment où il est rapporté dans l'Ecriture que : « Le Seigneur apparut à Abraham, » et qui ne vit pas seulement une on deux, mais trois personnes, dont rien ne fait entendre que l'une parût plus grande, ni plus maîtresse, ni plus entourée de gloire que les autres?
35. C'est pourquoi ayant établi plus haut dans notre division en trois points (Voir le chap. VII), que nous commencerions par chercher si c'était le Père, le Fils ou le Saint‑Esprit, ou bien si ce
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fut tantôt le Père, tantôt le Fils et tantôt le Saint‑Esprit, ou enfin, si sans aucune distinction de personnes, c'est, comme on dit le seul Dieu Unique, c'est‑à‑dire la Trinité même, qui apparut par le moyen d'êtres créés aux patriarches, nous avons commencé par interroger, autant qu'il nous a paru nécessaire, les saintes Ecritures. L'examen modeste et prudent des divins secrets, ne nous a rien appris autre chose, je pense, qu'à ne point avancer avec témérité, laquelle des trois personnes divines est apparue aux patriarches ou aux prophètes dans un corps ou dans un semblant de corps, à moins que la teneur du récit ne donne quelques indices probables. Car, l'essence même, la substance ou la nature de ce qui est Dieu, quelque nom, qu'on lui donne, et quel qu'il soit, ne peut être vue d'une manière corporelle. Toutefois, on doit croire que non‑seulement le Fils, ou le Saint-Esprit, mais aussi le Père, peut se montrer à des sens mortels, sous une apparence ou un semblant de corps, par le moyen d'une créature soumise à sa volonté. Les choses étant ainsi, comme je ne veux point allonger outre mesure ce second volume, nous verrons la suite dans les autres.