Augustin 9

CHAPITRE III 


1. Augustin écrit les livres de la Genèse contre les manichéens. - 2. Il compose des livres sur la Musique. - 3. Il publie le dialogue du Maitre. -4. Puis, la livre sur la vraie Religion. - 5. Il écrit à Maxime de Madaure. - 6. A Célestin. - 7. A Gaïus. - 8. A Antonin. 


   1. Augustin ne s'était pas détaché des soucis et des occupations du siècle pour se livrer dans la retraite à un repos vain et stérile. Aussi, s'appliquait-il à être utile à ses compagnons, non seulement présents mais encore absents, en leur faisant part, au dire de Possidius, tantôt par des livres, tantôt par des discours, de ce que Dieu lui révélait dans ses méditations et ses prières (2). Il existe encore dans le livre des Quatre-vingt-trois questions, dont nous avons parlé plus haut, des traces de ces discours qu'il eut avec ses frères ; quant aux livres qu'il écrivait à cette
époque, on compte dans ses Rétractations, deux livres sur la Genèse, contre les manichéens, six livres sur la musique, le livre qu'il intitula du Maitre et celui sur la Vraie religion. Voulant venger, dans les deux livres qu'il écrivit sur la
Genèse, l'ancien Testament, des calomnies ridicules des manichéens, il explique, dans la première partie, le commencement de la Genèse jusqu'à l'endroit où il est dit que Dieu se reposa le septième jour. Dans la seconde partie, il continue son explication jusqu'à l'expulsion d'Adam et d’Ève du paradis. A la fin de ce livre, il oppose, en termes clairs et précis, la foi de la vérité catholique, aux erreurs des manichéens. Dans cette explication, il ne donne que le sens: « Je n'avais pas osé approfondir le sens littéral plein de mystères, c'est-à-dire exposer en quel sens on doit entendre, au point de vue de l'historien, le récit de l'auteur sacré (3). » Plus tard, en parlant de ces livres, il dit : «Peu de temps après ma conversion, j'ai écrit deux livres pour confondre sans retard les folies des manichéens, ou exciter le désir de chercher dans les lettres qu'ils dédaignaient, la foi chrétienne et évangélique. Comme je ne voyais alors ni le sens propre de certains passages ni même en quel sens il était possible de les entendre, ou du moins comme je, n’y trouvais qu'un sens difficile ou inadmissible, ne voulant point perdre trop de temps, j'ai exposé avec toute la brièveté et la lucidité possibles, le sens figuré de ce dont je ne pouvais saisir le sens littéral, dans la crainte qu'effrayés par une lecture trop longue on par des explications trop obscures, les manichéens ne voulussent même pas prendre mes livres en main. Je me souviens, néanmoins, que mon plus grand désir, que je ne pus satisfaire, était de tout comprendre, non au sens figuré, mais avant tout dans son sens propre, et comme je ne désespérais pas d'en venir à bout, je disais dans la première partie de mon second livre : Si quelqu'un, en voulant prendre à la lettre tout ce qui a été dit, c'est-à-dire en ne voulant rien entendre que selon le sens littéral, peut éviter les blasphèmes, et ne rien dire que de conforme à la foi catholique, non seulement il ne faut pas lui en faire un crime, mais encore il faut le regarder comme un homme d'une intelligence remarquable, digne de grands éloges (4). Plein de confiance en Dieu, il publia ses deux livres du Commentaire littéral de la Genèse, ce qu’il n'avait point osé faire d’abord, après avoir étudié la parole sacrée avec les plus grands soins. Dès le début de son premier livre contre la Genèse, qui est dirigé contre les manichéens, il nous donne un exemple d'humilité bien remarquable. Il raconte que quelques lecteurs versés dans les arts libéraux et sincèrement chrétiens lui avaient fait observer après avoir lu ses premiers ouvrages contre ces hérétiques, qu'il ne pouvait être compris qu’avec bien des difficultés par les ignorants: «Ils m’engagèrent, dit-il, avec beaucoup de bienveillance de ne pas abandonner la façon commune de parler, si je voulais chasser de l'esprit des ignorants l'erreur et la superstition. Car les savants et les ignorants comprennent un langage simple et 


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(1) Conf., XI, chau, n. 6.(2) Poss. n. 3. (3) Rétract', 1, eh. xviii. (4) Comment. littér. de la Genèse, VIII, eh. v. 
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ordinaire, tandis que les ignorants ne comprennent pas un langage recherché(l). Le saint homme reçut bien cette observation et mit le conseil en pratique dès le commencement de l'ouvrage, où il déclare qu'il va combattre la vanité des manichéens, non pas dans un langage orné et recherché, mais dans un style bien clair. 


2. Pendant le court espace de temps qu'Augustin demeura à Milan, pour se préparer au baptême, il s'occupa, comme nous l'avons vu, à composer des livres d'instruction : entre autres, il commença un livre sur la musique. De retour en Afrique il en composa sur le même sujet, après un opuscule sur la Genèse, six autres qui existent encore aujourd'hui (92). Il écrivit ces livres pendant les loisirs dont il jouissait alors pour la première fois, et comme en se jouant (3). Ils ont été écrits pour ceux qui, ayant reçu de Dieu un esprit bien doué et ayant cultivé les lettres, se laissent prendre cependant aux erreurs et au prestige du siècle, et dépensent tous leurs talents à des bagatelles. S'ils savaient, du moins, ce qui les charme dans l'harmonie des créatures, ils verraient comment ils peuvent échapper de ces liens enchanteurs qui les retiennent captifs et trouver le port de la sécurité bienheureuse et de la liberté (4). En effet, dans cet ouvrage, il montre par quels moyens on peut, comme par des degrés successifs, s'élever des nombres variables, soit corporels, soit spirituels, aux nombres immuables qui existent seulement dans l'immuable vérité, et comprendre ainsi, par les choses créées, les choses invisibles de Dieu. Mais il n'arrive à ce résultat que dans le sixième livre qui résume les autres et les dépasse de beaucoup, car il renferme les choses les plus dignes à connaître (5). Dans les cinq premiers livres, il s'arrête sur les nombres, au point de vue de la mesure, et les appelle rhythmes. Ces livres sont même très difficiles à comprendre. Augustin dit lui-même que nombre de personnes les considéreront comme des bagatelles et des enfantillages; il espère, toutefois, que d'autres y verront quelques aperçus justes et bons : « Le motif qui nous a porté à entreprendre cet ouvrage, dit-il dans la préface du sixième livre, c'est de procurer aux jeunes gens ou aux hommes de tout âge, doués d'un certain esprit, le moyen de s'élever, non d'un seul bond, mais comme par degré, au-dessus des sens charnels et des lettres mondaines auxquelles il leur est difficile de ne pas s'attacher, et de s'en détacher, en prenant la raison pour guide et de se rapprocher, par l'amour de la vérité immuable, du Dieu unique et Seigneur de toutes choses, qui gouverne l'esprit de l’homme, sans le secours d'aucune autre nature. Ceux qui liront ces livres verront que si nous marchons avec les grammairiens et  les poètes, ce n'est point pour  habiter avec eux, mais parce que nous sommes contraints de voyager ensemble. Arrivé à ce livre, si, comme je l’espère et comme je le demande dans mes prières à Dieu, Notre Seigneur a dirigé mon esprit et ma volonté et les a conduits où ils tendaient, ils comprendront que ce n'est pas la voie méprisable d'une aspiration sans valeur que celle par laquelle nous avons mieux aimé, n'étant pas bien fort nous-même, marcher terre à terre avec les faibles, que de les précipiter dans l'espaces sans ailes pour s'y soutenir, et si je ne me trompe, ils jugeront que nous avons très peu ou que nous n'avons point failli, en agissant ainsi (6). » Il assure que ceux qui voudront
suivre la voie qu'il leur ouvre dans cet ouvrage, quand même ils ne seraient pas instruits, pourront la parcourir par la foi chrétienne, non à pied, mais sur les ailes de la charité; et, après cette vie, arriver d'un vol léger, avec plus de bonheur et de certitude que les autres, au but où elle conduit; tandis que ceux qui sont capables de comprendre ces choses, feront avec toute leur science, un triste naufrage, s'ils n'ont pas la foi du médiateur. Mémoire demanda ces livres sur la musique à Augustin qui lui répondit, par la main de Possidius, qu’il n'avait pas encore eu le temps de les corriger, et ne lui envoya que le sixième, le seul qu'il avait revu et corrigé et qu'il jugeait digne de lui être envoyé; il ajoute qu'il avait eu l’intention d'écrire, s'il en avait eu le loisir, six autres livres sur la mé

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(1) De la genèse contre les manichéens, i, n. 2. (2) Retrrct., I, eh. vi, n. il. (3) Lettre ci, n. 3. (4) Musique, vi, n. 1 - (5) Lettre ci. n. 4. (6) Masiq. vi, n. 1. 
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lodie, sans compter les six sur le rhythme, mais que depuis qu'il avait été promu au sacerdoce, les devoirs de sa charge l'avaient contraint à laisser ces délices (1).  


3. Nous avons mentionné plus haut le livre du  Maître, dialogue entre Augustin et Adéodat, de qui sont, en effet, au dire d'Augustin, toutes les pensées qu'il lui attribue, bien qu'il ne fût alors âgé que de seize ans (2). D'où on peut présumer qu'il fit ce livre vers le milieu de 389, puisque Adéodat avait environ quinze ans lorsqu'il reçut le baptême le 24 avril 387 (3). Dans ce livre, après une discussion et une recherche attentives, il conclut que Dieu est le seul maître qui nous enseigne la vérité (4). 


4. Il écrit aussi vers la même époque son livre de la Vraie religion, dans lequel il démontre longuement, par plusieurs raisons, que la véritable religion est celle dans laquelle on nous apprend à adorer le seul vrai Dieu, qui est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que c'est la miséricorde infinie de Dieu qui nous a donné la vraie religion, c'est-à-dire la religion chrétienne, par son Fils, dans l'incarnation de Jésus-Christ. Il montre ensuite comment l'homme, dans cette religion, est tenu de conformer sa vie à la sainteté de sa religion. Il combat ensuite tout particulièrement les deux natures des Manichéens, c'est-à-dire leur erreur sur l'origine et la nature du mal (5). Nous ne savons si parmi les ouvrages d'Augustin, il en est qui montrent mieux l'élévation de son incroyable génie. En effet, quoi de plus admirable et de plus merveilleux que d'entendre un homme tout nouvellement instruit des mystères de la religion chrétienne et qui n'a pas encore d'autre titre dans l’Église que celui de fidèle, discourir d'une manière aussi surprenante sur cette divine religion et tracer un tableau si sublime de sa dignité et de son excellence? Dans ce livre, quoiqu'il s'adresse quelquefois à tous « les hommes en général, il y parle néanmoins ordinairement à Romanien, à qui il avait promis, en 387, d'envoyer quelque chose sur ce sujet (6). Plusieurs années après, il renvoie Évode à ce livre, pour juger sainement de la question relative à la preuve de l'existence de Dieu par la raison (7). Ce livre doit être compté parmi les cinq qu'Alype envoya à Paulin, en 394 (8). Il informe aussi Romanien qu'il a publié ce livre, dans une lettre qu'il lui écrit pendant un voyage et dans laquelle il lui dit qu'il ne tardera pas à retourner à Tagaste, ce qui montre qu'il n'y était point en ce moment. Romanien l'avait informé de l'heureuse issue de ses affaires. Augustin, tout en se réjouissant de cette nouvelle, l'engage cependant à ne point mettre sa confiance dans un bonheur éphémère et encore moins à y attacher son cœur, et l'exhorte, au contraire, à profiter des loisirs que le ciel lui accorde pour rechercher de plus en plus les biens éternels (9). 


5. Augustin habitait sans doute encore dans le voisinage de Tagaste, lorsqu'il écrivit à Maxime de Madaure (10), car le commerce qu'il eut avec ce païen paraît n'avoir pas eu d'autre cause que le voisinage. Madaure est, en effet, peu éloignée de Tagaste (11). Comme il ne fait dans cette lettre aucune mention de son épiscopat, ni de son sacerdoce, et que le culte des idoles défendu par les lois des empereurs au commencement de 391, était encore public au moment où il écrit, ainsi que le prouvent plusieurs passages de sa lettre, on peut en fixer la date à l'année 390. Maxime, qu'il appelle grammairien, faisait profession publique de la superstition païenne, à laquelle les habitants de Madaure, bien des années après, étaient encore fortement attachés. Cependant une église catholique avait été fondée dans cette ville. Imbus de l'erreur des Gentils, Maxime reconnait, dans sa lettre à Augustin, un Dieu unique, souverain et éternel, dont les autres dieux sont comme les attributs et les membres. Ensuite, il fait quelques plaisanteries froides et insipides sur les martyrs de Madaure, tout en étant contraint cependant de les regarder comme bien supérieurs à son Jupiter tonnant et à toutes ses autres divinités qu'il appelle immortelles. Pour établir la vérité de ses dieux, il ajoute que c'est

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(i) Lett. ci. (2) COnf., XI, ch. vi, n. 14. (3) Ibid. (4) religion, n. 12. (7) Lettre CLXI i,',n. 2. (8) Lettre xxv, n. 1. (9) Lettre xv .

Rétraci., i,      ch. xii. (5) Ibîd., ch. xiii, n. 1. (6) Vraie
(10) Lettre xvii. (11) Conf., XI, ch. III, n. 5-
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en public qu'on les honore et que c'est aux yeux de tout le monde qu'on leur immole des Victimes, tandis que les Chrétiens prétendent voir leur Dieu présent dans les lieux cachés à tous les regards. Il prie ensuite Augustin de mettre de côté pour un moment cette éloquence dont chacun vantait la grandeur, ainsi que les raisonnements subtils et pressés de Chrysippe, ses armes ordinaires, ainsi que la dialectique qui rend tout également probable, et de lui démontrer ce qu'est en lui-même le Dieu des Chrétiens (1). Augustin en répondant à cette lettre, fait voir à Maxime qu'il avait donné grand lieu de montrer combien le paganisme est ridicule, et l'engage à prendre garde toutefois, en voulant plaisanter de Dieu, de tomber dans le blasphème. Puis il ajoute que d'ailleurs la question est digne qu'on la traite sérieusement et qu'il ne manquera point de lui répondre dès qu'il l'abordera sérieusement lui-même. Il lui dit, que pour lui, il n'a pas le temps de dire des plaisanteries, et que ses amis attendent à bon droit autre chose du genre de vie qu'il a embrassé (2). C'est ainsi ordinairement qu'il faisait allusion, à cette époque, à la vie monastique qu'il avait embrassée. 


6. Il avait déjà à cette époque envoyé à Célestin, son ami, ses ouvrages Contre les manichéens pour qu'il les lût. Dans un petit billet écrit sans doute avant son sacerdoce, car il n'en fait aucune mention, Augustin le prie de les lui renvoyer, sans retard, en lui disant ce qu'il en pense et s'il trouve qu'il y manque quelque chose pour anéantir ces hérétiques. Célestin répondit qu'il voulait lui rappeler sans cesse le conseil de renoncer à tout souci superflu pour ne plus s'occuper que de choses utiles et nécessaires. Il embrasse ainsi en deux mots tous les devoirs du chrétien: il ne doit point aimer les biens inférieurs, ni se contenter d'un bien mitoyen c'est-à-dire du bien qu'il trouve en lui-même; mais travailler à se rendre capable, de ne s'attacher qu’au souverain bien (3).  


7. Il ne semble pas qu'on doive rapporter à une autre époque sa lettre à Gaïus. On ne sait s'il était manichéen ou donatiste, mais certainement il n'appartenait pas au troupeau du Christ mais était si bien disposé qu'Augustin espérait que la miséricorde de Dieu viendrait à son secours, car dans un petit entretien qu'il avait eu avec lui, il avait remarqué son immense ardeur à rechercher la vérité, ainsi que son énergie et sa sagesse à ne point abandonner la vérité qu'il avait une fois trouvée . «Je me rappelle, » dit-il, que son ardeur admirable à poursuivre la recherche de la vérité, n'altéra jamais sa modération dans nos discussions. Jamais en effet je n'ai vu questionner avec plus d'ardeur et écouter avec plus de calme.» Augustin ne pouvait pas alors converser souvent avec lui : pour y suppléer, il lui écrivit la lettre dont nous parlons, et remit en même temps à son frère porteur de cette lettre, un ouvrage où il pouvait lire tout ce qu'il avait écrit contre l'hérésie qu'il avait embrassée . Il dit à ce sujet:«Cet ouvrage ne vous fera rien accepter de moi, malgré vous, malgré toutes les bonnes dispositions dont je vous sais animé à mon égard. Mais si vous approuvez ce que vous lirez, si vous trouvez que c'est la vérité, vous ne le regarderez pas comme étant de moi, mais comme m'ayant été donné, et vous vous tournerez vers celui de qui vous avez reçu ce qui vous permet d'approuver le vrai, quand vous le voyez. Car lorsqu'on lit quelque chose qu'on trouve vrai  ce n'est ni dans le livre où on le lit, ni dans l'esprit de celui qui l'a écrit, mais au-dedans de soi-même qu'on voit que c'est la vérité, si notre esprit a reçu l'impression de la lumière de la vérité, lumière qui n'a  rien du vulgaire éclat de notre lumière ordinaire, mais qui est complètement étrangère à la boue de notre corps. Si vous trouvez dans cet écrit des choses fausses et que vous ne pouvez accepter, vous saurez que ces choses ont été comme noyées dans le nuage des conceptions de l'homme et qu'elles sont à proprement parler notre fait à nous. » 


8. Il avait reçu, vers le même temps, d'Antonin, n'étant pas encore prêtre, une lettre pleine

 
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(1)         Lettre VI (2) Lettre xvir,
TOM. 1. n. 5. (3) Lettre xviii. 
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de bonté et d'amitié: il lui répond pour le remercier de ce qu'il regardait comme un fidèle serviteur de Dieu, nul titre ne pouvant lui faire plus de plaisir. Il dit sur ce sujet une foule de très belles choses. La femme de cet Antonin était attachée au schisme des donatistes, c'est pourquoi Augustin engage son mari à lui inspirer la crainte de Dieu, et à la nourrir de la lecture de la parole divine et d'entretiens sérieux. Quiconque en effet est inquiet du salut de son âme, et sincèrement attentif à rechercher la volonté de Dieu, peut découvrir, si toutefois il est sous la conduite d'un bon guide, ce qu'il doit fuir et ce qu'il faut faire (l). 



CHAPITRE IV



1. Augustin est ordonné prêtre d'Hippone en 391. - 2. Hippone la Royale. - 3. Valère évêque de cette ville. - 4. Augustin lui demande quelque temps pour se préparer, par la retraite, la prière et l'étude des saintes Écritures, aux devoirs du sacerdoce. - 5. Ce qui paraît lui avoir été accordé par Valère. - 6. D'après son ordre, Augustin, quoique n'étant encore que prêtre, enseigne la parole de Dieu au peuple, en présence même de son évêque.  


   1. Il y avait déjà presque trois ans qu'Augustin vivait dans la retraite, à Tagaste, avec ses compagnons, suivant la coutume et la règle des moines, quand il se vit dans la nécessité de se rendre à Hippone pour assurer le salut d'un ami (2). Il craignait tellement d'être promu à l'épiscopat, depuis que la renommée de son nom avait commencé à se répandre et à grandir parmi les serviteurs de Dieu, qu'il avait soin de ne pas se rendre dans les endroits où il n'y avait pas d'évêque. Il faisait tout ce qui dépendait de lui pour se sauver dans une humble position et éviter le péril d'un poste élevé. Il ne voyait rien en cette vie, surtout à cette époque, de plus facile, de plus commode et de plus agréable aux hommes que la charge d'évêque, de prêtre ou de diacre, pour ceux qui ne s'en acquittaient qu'en amateurs et de manière seulement à s'y attirer des louanges; mais auprès de Dieu, il n'est rien de plus misérable, de plus triste et de plus condamnable; de même il ne voyait rien, en cette vie, et surtout à cette époque, de plus difficile, de plus laborieux et de plus dangereux que la charge d'évêque, de prêtre ou de diacre, mais aussi, rien de plus heureux, aux yeux de la foi, quand on s'en acquitte de la manière voulue par notre chef. Or, c'est à peine si, lui-même, commençait à apprendre quelle était cette manière (3). Il était dans cette disposition d'esprit, lorsque, par la permission d'en haut, il fut appelé au ministère qu'il redoutait le plus ; il ne l'accepta que parce que le serviteur ne doit pas contredire le Maître: «Je me rendis, dit-il lui-même, dans cette cité, pour voir un ami que je croyais pouvoir gagner à Dieu, lorsqu'il serait avec nous dans le monastère. Je me croyais en sûreté,  car il y avait un évêque en cet endroit. Je fus saisi, fait prêtre et, par ce degré, j'arrivai à l'épiscopat (Serm., 355, n. 29). » Possidius raconte le fait un peu plus longuement. « Il arriva, » dit-il, « qu'un de ceux qu'on appelle agent d'affaires, était établi à Hippone la Royale. C'était un bon chrétien craignant Dieu, dont la science et la renommée étaient bien connues. Il désirait et souhaitait vivement voir Augustin et promettait de renoncer à toutes les convoitises et les séductions du monde, s'il avait le bonheur d'entendre la parole de Dieu de la bouche de cet homme. Cela lui étant rapporté par un témoin digne de foi,  Augustin, pour sauver son âme des périls de cette vie et de la mort éternelle, se hâta de venir à Hippone, puis rendant plusieurs visites à cet homme, il l'exhorta de toute l'ardeur que Dieu lui donna de le faire, à rendre à Dieu ce qu'il lui avait promis. Celui-ci promettait tous les jours de le faire, il ne mit cependant pas ce projet à exécution, pendant qu'Augustin était à Hippone, mais ce vase de pureté et d'honneur utile au Seigneur et prêt à toute bonne oeuvre, placé en tous lieux dans les mains de la divine Providence, ne pouvait demeurer inutile ou rester vide (Poss., ch. 111). » Nous ne savons si, par ces paroles, Possidius a voulu nous dire que cet agent d'affaires se rendit peu

 
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(1) Lettre xx. (2) Sernì. GGCLV, n. 2. (3) Lettre XXI, n- I-
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après aux conseils d'Augustin ou seulement faire allusion au profit que l'Église retira de ce voyage, à la suite duquel Augustin fut promu à la prêtrise. Il était donc venu à Hippone en toute sécurité, car cette ville avait pour évêque le saint vieillard Valère. Mais il se trouva que l'église d'Hippone manquait alors de prêtres, ce qu'ignorait Augustin. Comme le peuple était rassemblé pour ce motif, Augustin, ne se doutant de rien, vint au temple, et se mêla au peuple qui connaissait sa vertu et son savoir et l'aimait beaucoup parce qu'il avait quitté tous ses biens pour se donner entièrement à Dieu (1). Mais comme Valère parlait au peuple de la nécessité d'ordonner un prêtre, la foule s'empara à l'instant même d'Augustin (2). Ce qui n'était point contraire au droit, puisqu'Augustin n'était point agrégé au clergé de l'église de Tagaste (3). C'est pourquoi , comme il n'était encore que laïque, il fut présenté à l'évêque, suivant la coutume, pour être ordonné, tous demandant d'un plein consentement et d'une voix unanime qu'il en fût ainsi, et que la chose se fît; c'était une ardeur et un enthousiasme très grand; mais Augustin jugeant ce ministère très périlleux et prévoyant à quels flots soulevés et à quelles tempêtes il allait être exposé en se trouvant placé à la tâte d'une église, fondait en larmes (4). En les voyant couler il y en eut qui se méprenant sur les causes de sa douleur, voulaient le consoler par un remède tout à fait contraire au mal dont il souffrait; en effet, croyant que le seul désir de la vaine gloire les faisait couler, parce qu'il n'était pas promu sur le champ à l'épiscopat, ils lui dirent qu'à la vérité la prêtrise était au-dessous de ses mérites, mais qu'il ne tarderait pas à arriver à l'épiscopat.  


2. Cependant malgré la résistance d'Augustin le vœu du peuple fut satisfait (5). Ordonné prêtre de l'Église d'Hippone, il ne l'enrichit point d'or et d'argent, car il n'y apporta autre chose que les vêtements dont il était couvert(6), mais de sa science remarquable et de sa piété; et la renommée d'Augustin rendit Hippone  la Royale, peu célèbre jusqu'alors, illustre entre les plus illustres villes du monde chrétien. Cette ville, selon les géographes, est située sur la côte maritime de la Numidie, également fortifiée par la nature et par l'art; car les Vandales lui firent soutenir un siège de quatorze mois. Distante de Carthage d'environ quatre-vingt-quatre lieues, elle était à trente-huit lieues de Cirta, métropole de la Numidie. Les géographes font  remarquer que cette ville, aujourd'hui appelée Bône, située au-dessous de Constantine dans le royaume d'Alger, jouit encore maintenant d'une grande réputation. C'était une colonie et elle paraît avoir été la métropole du pays auquel elle a donné son nom; car on compte plusieurs évêques dans la région d'Hippône. Silius Italicus en parle ainsi: Hippone, la ville autrefois chère aux rois. Les latins la nomment vulgairement Hippone la Royale pour la distingujer d'une autre Hippone que l'on appelle Ziarrite ou- Diarrite, située sue la même côte de la province proconsulaire. Au concile de Carthage, sous l'évêque Cyprien, on fait mention d'un certain Théogène d'Hippone qui, dit-on, reçut la couronne du martyre. Augustin parle de la mémoire de saint Théogène comme du lieu où il avait coutume d'offrir le saint sacrifice; il fait aussi mention de vingt martyrs très célèbres à Hippone. Quoiqu'il y eût en Afrique plusieurs diocèses très célèbres, celui d'Hippone s'étendait fort loin, puisque le territoire de Fussale, éloigné de seize lieues, appartenait à l'Église d'Hippone.


3. Valère était alors évêque de cette Église. Grec de nation, c'était un homme pieux et craignant Dieu; mais comme il n'était pas familier avec le latin et se jugeait, pour cette raison, peu utile à l'Église, il ne cessait de demander à Dieu, pour son troupeau, de lui envoyer un homme capable, par sa parole et sa science d'instruire son peuple (7). Quand il eut le bonheur d'ordonner Augustin, il crut que le ciel avait exaucé ses prières, et en voyant ses vœux accomplis il rendit, avec bonheur à Dieu de nombreuses actions de grâce (8). Il aimait Augustin 
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(12 Lettre cxxvi, n. 7. (2) PossiD., eh. iv. (3) Lettre cxxvi, n. 7. (4) Lettre xxi, n. 2. (5) POSSID., eh, IV. (6) serin., CCCLv, n. 2. (7) POSS11)., eh. v. (8) Lettre xxix, n. 7. 
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de tout son cœur, et quoiqu'il n'ignorât pas de quelle gloire ce saint prêtre devait se couvrir, ce vertueux vieillard ne ressentit pas la moindre atteinte de la pâle envie dans sa belle âme. Il se réjouissait plutôt et ressentait un grand bonheur en voyant que son peuple serait instruit par lui. Bien plus, il désira de toute son âme avoir Augustin pour successeur. Dieu exauça tous ces vœux en le lui donnant de son vivant, comme nous le dirons plus bas. Augustin payait Valère de retour et poussait pour lui l'estime et la vénération au point de n'oser rien faire qui pût tant soit peu lui déplaire, pas même ce qu'il savait être utile au salut de son âme(1). Dans une lettre adressée à Aurèle de Carthage, sur la suppression de l'abus de faire des festins au tombeau des martyrs, il parle ainsi de Valère : « Dans ce diocèse où cette sorte de débauche n'existe pas, nous avons un évêque dont nous devons rendre grâces à Dieu. Sa modestie, sa douceur, sa prudence et sa sollicitude dans le Seigneur sont telles, que lors même qu'il serait Africain, il serait facile de lui persuader, par les saintes Écritures, d'apporter un remède à un abus aussi grand et à une telle licence (2). » A cette époque l'Église d'Hippone était déchirée par le schisme des donatistes. Augustin qui cherchait à la ramener à son ancienne tranquillité promet à l'évêque donatiste Proculien que Valère, alors absent, approuvera de tout cœur à son retour ce dont ils seront convenus ensemble pour atteindre ce but : « Je promets, dit-il, en toute sécurité, sur l'âme de Valère mon bienheureux et vénérable père qu'il apprendra cette nouvelle avec la plus grande joie; car je sais combien il aime la paix et méprise la futilité d'un faste ridicule (3). » Augustin raconte que Valère ayant rencontré un jour deux paysans qui parlaient Carthaginois et qui se servaient l'un et l'autre du mot " Salus » demanda à celui qui savait le latin et le carthaginois ce que signifiait ce mot. Le paysan répondit que cela signifiait «trois;» Valère reconnut alors avec joie que ce n'était point le fruit du hasard, mais d'une sainte disposition de la divine Providence, que le même mot signifiât en latin « salut » et en carthaginois «trinité, » qui est notre véritable salut (4). Augustin crut que cette remarque méritait d'être rapportée dans ses livres, pour le plaisir du lecteur. 


4. On peut penser que Valère promut Augustin au sacerdoce dans l'intention de lui confier toute l'administration de son Église. Aussi Augustin dans sa lettre à Maximin, évêque donatiste, parle-t-il avec une gravité qui dénote plutôt un évêque qu'un prêtre (5). Il avait aussi la charge de conférer le baptême, ce qui fait que Licentius l'appelle le préposé aux fonts baptismaux (6). Mais Valère en ordonnant Augustin, paraît avoir eu plus particulièrement en vue de lui confier la charge de la prédication ; ce qui fait dire à Augustin quand il commença à s'acquitter de cette charge, qu'il vit alors beaucoup mieux qu'il ne l'avait fait auparavant, les difficultés et les périls dont le sacerdoce est environné. Il connaissait bien tout ce qui a rapport au salut, mais il n'avait pas encore appris comment il devait faire servir son savoir au salut des autres. Il y voyait tant de difficultés, que, dans les humbles sentiments qu'il avait de lui-même, il crut que Dieu avait permis qu'il fût élevé malgré lui au sacerdoce, pour l'expiation de ses péchés et pour le châtiment de la témérité avec laquelle il avait, autrefois, si légèrement repris les fautes des prêtres et des évêques. « Je ne connaissais pas mes forces, dit-il, et j'en faisais quelque cas; mais le Seigneur se joua de moi et voulut me faire connaître à moi-même en me mettant à l'œuvre. » Néanmoins, confiant dans la miséricorde de Dieu, il croyait que ce qu'il voulait était, non le perdre, mais le corriger. Connaissant donc sa maladie, il résolut d'en chercher le remède dans les Saintes Écritures et de demander, tantôt à la prière, tantôt à la lecture, la force d'âme nécessaire pour un ministère si dangereux, car il ne doutait pas qu'il trouverait dans les livres saints des conseils et des préceptes, qu'un homme de Dieu ne peut entendre et 


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(1) Lettre xxi, n. 6. (2) Lettre xxii, n. IL (3) Lettre xxxiii, n. 4. (4) Exposé de la lettre aux Romaine, n. 13. (5) Lettre xxiii, (6) Lettre., xxvi, n. 3, v, 27. 
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recevoir sans être en état d'administrer avec plus d'aptitude les choses ecclésiastiques, ou du moins de vivre et mourir avec une conscience plus tranquille au milieu des méchants, pour ne point perdre la vie qui est l'unique objet que désirent les hommes doux et humbles de cœur. Mais comment arriver là? si ce n'est en demandant, en cherchant et en frappant, c'est-à-dire, en priant, en lisant et en pleurant. Pour se préparer à ces fonctions, il aurait voulu avoir quelque temps de repos jusqu'à la Pâque suivante; il le demanda et le fit demander à Valère par ses frères et ses amis; mais Valère qui le savait pourvu de tout ce qu'exige les différentes fonctions et les besoins du sacerdoce, ne répondit à sa demande qu'en lui protestant de la sincérité de l'affection qu'il avait pour lui et dont il prenait Dieu et Jésus-Christ à témoin. Augustin fut donc contraint de lui présenter un petit écrit en forme de lettre, pour lui demander quelques jours de retraite pour se livrer à l'étude des Saintes Écritures. Cette lettre remarquable existe encore (1). En nous montrant la grande humilité d'Augustin, elle avertit ceux qui se préparent à la prédication de l'Évangile (observation d'un homme illustre par sa dignité, par sa science et sa piété) (2) de se disposer à ce ministère par la prière, la retraite et la méditation de la parole divine. On voit aussi par cette lettre, combien Augustin comprenait la sainteté et la difficulté de ce ministère dont se chargent si légèrement de nos jours une foule d'hommes sans respect pour la religion et sans y être appelés de Dieu. Aussi cette ardeur et ce zèle à demander comme une grande grâce un peu de temps, sont-ils la condamnation sévère de la précipitation avec laquelle les autres acceptent ces fonctions. Du reste, cette pieuse crainte d'un ministère si auguste et si dangereux, est le propre de ceux que Dieu appelle, tandis que les autres qui se présentent à cet honneur, non par l'impulsion du Saint-Esprit, mais de leur propre mouvement, semblent imiter ceux dont le Seigneur a dit : « Je n'envoyais point ces Prophètes et ils couraient d'eux-mêmes (Jérémie xxiii , 21 ).

 5. On peut croire que Valère céda aux prières si pressantes et si justes d'Augustin, et lui accorda la permission de différer l'exercice de ses fonctions sacerdotales jusqu'au jour de la tradition du Symbole, qui était peu éloigné des fêtes de Pâques. Il fit alors son sermon sur le symbole, commençant : « Quelque jeune et quelque novice que je sois dans les éléments de la foi, la charge que j'ai reçue et l'affection que je ressens pour vous qui allez vous approcher de l'autel où j'ai maintenant le pouvoir de monter moi-même, ne me permettent point de vous priver du ministère de la parole. » Quelques jours plus tard, dans une instruction aux catéchumènes, après l'exorcisme, il leur parle ainsi : « C'est le début de mon ministère et le jour de votre naissance à la vie nouvelle (3). » En voyant que c'est quelque temps après sa prêtrise, quand il eut fait l'épreuve de sa faiblesse dans l'accomplissement des devoirs de sa charge et surtout dans la prédication de la parole divine, et qu'il eut reconnu combien il était inférieur à des fonctions si relevées, qu'il demanda la permission de se retirer quelque temps, au moins jusqu'à Pâques pour se livrer à l'étude de l'Écriture sainte, on comprend aisément que ce n'est pas au commencement du carême, comme le veut Rivius, qu'il fut ordonné, mais un certain temps auparavant. C'est pourquoi on ne peut convenablement placer le début de son ministère qu'à l'époque où, après la retraite qui lui avait été accordée, il commença à se donner entièrement à sa charge; ce serait également alors qu'il aurait renoncé lui-même aux autres fonctions qu'il exerçait avant sa retraite. On ignore l'endroit où il se retira, mais ce ne peut certainement être loin d'Hippone, car les habitants de cette ville à cette époque où très peu de temps après, auraient éprouvé une crainte trop forte de l'absence d'Augustin, s'il se fût éloigné d'eux ; ils se défiaient de lui pour cela (4) D'après ce que nous avons dit, il est donc nécessaire de placer l'ordination d'Augustin au moins au commencement de

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(1) Lettre xxi. (2) ANT. GOD. Mq11e de Grasse, Vie XXII, n. 9. d'August., 1 eh. xxviii. (3) Serin. ecxvi, n. 1. (4) LetIre

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l'année. On la reporte ordinairement à l'année 391, en se fondant sur ce que dit Possidius, qu'après son retour d'Italie en Afrique, il passa trois ans à Tagaste et avait vécu près de quarante ans dans la cléricature, c'est-à-dire dans la prêtrise et l'épiscopat, lorsqu'il mourut le 28 août 430 (1). Or, en 391, Pâques tombait le 6 avril; Augustin était alors dans sa quarantième année.

6. Ce n'était pas alors l'usage ni la coutume de l'Église d'Afrique, que les prêtres annonçassent la parole de Dieu, comme on peut le voir dans plusieurs endroits d'Optat, où il parle de la prédication comme d’une charge épiscopale(2), ou du moins qu'ils le fissent dans l'Église en l’absence des évêques. Jérôme nous apprend que c'était l’usage dans plusieurs églises, que les prêtres ne parlassent point et qu'ils se tussent en présence des évêques, usage qu'il blâme et appelle détestable parce qu'il fait accuser les évêques d’être jaloux de la gloire de leurs prêtres, ou de mépriser leur sermon (3). Valère, étranger à ces mauvais sentiments et sachant de plus que, dans les églises d'Orient, les prêtres instruisent le peuple, en présence même des évêques, que c'était un usage reçu, ne craignit pas d'aller contre la coutume, des églises d'Afrique. Voyant que la langue latine ne lui était pas assez familière pour lui permettre d'instruire le peuple, il se déchargea de ce devoir sur Augustin, à qui il ordonna d'expliquer très souvent l'Évangile dans l'Église, en sa présence (4). Plusieurs évêques blâmèrent cette action, mais ce vénérable et sage vieillard ne crut pas devoir tenir compte de ce que disaient les détracteurs, ni sacrifier à cause d'eux le bien et les avantages qu'il procurait à son Église par le ministère du prêtre qui l'instruisait à sa place. Augustin était donc comme un flambeau allumé et brillant, placé sur le chandelier de l'Église, éclairant des rayons de sa doctrine tous ceux qui se trouvaient dans la maison du Seigneur. La renommée des saintes instructions qu’il faisait aux habitants d’Hippone se répandit rapidement au loin. On suivit ce bon exemple dans plusieurs églises, où l'on accorda aussi à de simples prêtres la permission de prêcher devant leur évêque la parole du salut. Il existe encore une lettre d'Augustin et d'Alype, alors évêques, adressée à Aurèle, de Carthage, dans laquelle ils le félicitent de commencer à permettre à ses prêtres de prêcher au peuple en sa présente (5). Cette lettre semble avoir été écrite dans les premières années de l'épiscopat d'Augustin. Ce dernier, dans un de ses sermons, engage un jour les fidèles à ne pas dédaigner d'écouter les prêtres qui allaient après lui, leur prêcher la parole de Dieu (6).

 

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