CHAPITRE VIII
1. Augustin enflamme Christin d'amour pour la piété.-2. Il prémunit Sébastien contre les scandales. - 3. Ainsi que Restitut. - 4. Il arrache Christin au désespoir. - 5. Il réprimande la conduite inconsidérée d'une pieuse femme nommée Ecdicie. -6. Il brise le cœur endurci de Corneil. - 7. Il ne refuse pas d'instruire Florentine par lettre3. - 8. Il avertit Fabiola qu'on doit peu désirer de se trouver d'une manière corporelle, dans la société des saints. - 9. Il prend soin d'une pupille.
1. Parmi les nombreux écrits d'Augustin, pour l'instruction et la direction des particuliers, nous ne citerons dans ce livre que ceux qui ne semblent pas pouvoir trouver place ailleurs. Un certain Christin, chrétien de profession, mais seulement catéchumène, ou du moins encore engagé dans les séductions du siècle, lui avait écrit une lettre de respectueux hommages en le priant de l'honorer d'une réponse. Augustin le remercia de sa politesse et l'exhorta à la piété par cette courte pensée: «Tandis que dans les voies de Dieu, on recule par lâcheté devant les choses faciles et avantageuses, dans les voies du monde, on en supporte sans fruit de très pénibles avec des peines infinies. »
2. Sébastien, moine et abbé, ou supérieur d'une sainte famille, avait été très lié autrefois avec Augustin, à qui il avait laissé une fort bonne opinion de sa piété. Dans la suite, il écrivit à Augustin et à Alype, parait-il une lettre qu'Augustin reçut avec beaucoup de plaisir. Comme dans cette lettre Sébastien se disait vivement ému par les fautes et les scandales des méchants, ce saint prélat loua beaucoup son zèle et l'exhorta à persévérer, à chercher sa consolation dans la sainteté de ses frères vertueux et dans les promesses infaillibles de Dieu. Alype aurait pu lui écrire une lettre particulière, mais il préféra ajouter à la suite de celle d'Augustin, quelques mots de considération afin qu'une même page lui portât ce témoignage de leur communauté de sentiments.
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1) C,,mment. deg PSaUìiie,9, LXI, U. 23. (2) Lettre CCXLVI.
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3. Déogratias (probablement le même que celui à qui Augustin a écrit ailleurs) (1), lui ayant fait connaître le trouble d'âme d'un diacre catholique, nommé Restitut, qui, comme Sébastien, semble avoir supporté bien difficilement la vue des vices des Catholiques, Augustin écrivit à ce même Restitut en lui conseillant de lire le livre du donatiste Tychonius sur l'Église; cette lecture devait lui apprendre que les bons devaient vivre mélangés avec les méchants jusqu'à la fin des siècles; il l'avertit toutefois que Tychonius n'a cité qu'un petit nombre de textes tirés de l'Écriture ayant trait à ce sujet, et qu'il faut prendre garde à ce qu'il dit en faveur du schisme auquel il appartenait.
4. Un fidèle nommé Chrysime, qui avait reçu le baptême, avait toujours écouté avec zèle la parole de Dieu ; il passait pour un homme sensé. Ayant perdu tous ses biens, il tomba dans un tel trouble d'esprit, qu'il semblait sur le point de se donner la mort. À peine Augustin eut-il connaissance de cette nouvelle, par la rumeur publique, que touché de pitié, il lui écrit une lettre remplie non seulement de bienveillance, mais encore d'estime, pour l'exciter à ne point se laisser aller au désespoir, dans les épreuves que Dieu lui envoyait pour son salut. Cette lettre est courte, mais elle abonde en sentiments de piété et de charité ingénieuse. En même temps il lui envoya la lettre qu'il avait écrite pour lui au comte.
5. La lettre à Ecdicie a rapport à un sujet plus sérieux. Cette femme était chrétienne et mariée à un chrétien, dont elle avait eu un fils. Néanmoins sans prendre l'avis de son mari elle fit le vœu de continence, ne remarquant pas qu'elle aurait certainement la récompense de cette vertu, bien que ne la pratiquant pas, si elle ne cédait dans l'usage du mariage qu'à la faiblesse de son mari non à la sienne. Toutefois un heureux concours de circonstances répara cette faute; car le mari suivant l'exemple de sa femme, se lia par le même vœu. Les deux époux vécurent ainsi pendant plusieurs années dans une concorde et une justice d'autant plus grandes qu'ils étaient plus saints et plus chastes. Dans l'accomplissement de leur commun dessein, la femme semblait plus courageuse à renoncer aux mœurs du siècle et à faire l'aumône aux pauvres; mais comme elle ne se préoccupait pas du tout de plaire à son mari et de faire sa volonté, elle ne le traitait pas avec la prudence convenable, et son zèle de femme n'était point modéré par l'expérience et la charité, car si elle était enchaînée par son vœu de continence, elle ne devait pas moins obéir à son mari pour tout le reste. Cependant son mari lui ayant ordonné de porter les vêtements en usage chez les femmes mariées, au lieu de prendre un costume simple et modeste comme elle le devait, auquel son mari aurait certainement consenti, elle se revêtit d'une robe noire comme font les veuves et les religieuses. Elle mit le comble à cette faute par une autre. Son mari se montrait peu ardent à faire l'aumône soit par vice d'esprit, soit à cause des dépenses qu'il était obligé de faire pour son fils, encore en bas âge, qu'il voulait porter à la perfection, mais qu'il ne pouvait contraindre à embrasser la vie monastique, Ecdicie, au contraire, voulait donner tous ses biens aux pauvres. Aussi, un jour en l'absence de son mari, deux moines étrangers étant venus chez elle, elle leur distribua tout on presque tout ce qu'elle avait. Son mari en ayant en connaissance entra dans une grande colère, contre elle et contre ces deux filous qui, sous un déguisement de moines (car il le croyait ainsi), étaient venus piller sa maison. Augustin lui-même avoue qu'il y a lieu de douter si des hommes capables de recevoir une si grande somme d'une femme inconnue et mariée, étaient de vrais serviteurs de Dieu. Mais un malheur bien plus grave s'ensuivit; car, le mari tournant contre lui sa colère viola le vœu qu'il avait fait et se précipita dans l'abîme de l’adultère. Dans ce déplorable état Ecdicie écrivit à Augustin pour savoir ce qu'elle avait à faire. Augustin consacre la plus grande partie de sa réponse à lui faire re-
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(1) Lettre CCXLIX. TOM. 1.
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marquer toutes les fautes qu'elle avait faites dans sa conduite passée. Quant à l'avenir, son mari ayant approuvé son vœu de continence, elle était tenue de l'accomplir jusqu'à la fin et de racheter la faute de son mari autant qu'il était en elle (1). «C'est pourquoi, lui dit-il, revêtez-vous de l'humilité d'esprit pour que Dieu vous conserve dans la persévérance et ne méprisez pas votre mari qui se perd. Répandez pour lui de pieuses et continuelles prières; faites un sacrifice de larmes, qui seront comme le sang de votre cœur immolé. Écrivez-lui une lettre de réparation, implorez votre pardon, car vous avez péché contre lui, en faisant, de votre bien, l'usage qu'il vous a plu, sans son consentement ni sa volonté. En faisant cela, ne regrettez pas d'avoir donné aux pauvres, mais de n'avoir pas voulu laisser votre mari diriger votre bonne oeuvre et en partager le mérite. Promettez-lui qu'à l'avenir, s'il veut se repentir de sa faute et pratiquer la continence qu'il a violée, de lui obéir, en toutes choses, comme il convient, moyennant la grâce de Dieu. " Il l'exhorte ensuite à tout faire pour rentrer dans les bonnes grâces de son mari avec d'autant plus que, sans cette concorde mutuelle, il était impossible d'élever son fils dans la crainte de Dieu et dans les principes de la sagesse, comme elle le désirait; car l'enfant appartenait au père à qui l’on ne pouvait le refuser s'il le réclamait. Ce qu'Augustin dit en cet endroit, qu'une femme peut conserver un coeur humble dans (de) l'éclat de la toilette, quand elle ne se pare que pour plaire à son mari, est en rapport avec ce qu'il écrivit à Possidius que la parure ne doit pas être entièrement interdite aux femmes mariées, si on excepte le fard et ce qui sent la superstition et la magie.
6. S'il réprimande fortement Ecdicie, ses paroles sont bien plus sévères encore à l'égard de Corneil, qui avait autrefois partagé comme lui la pernicieuse hérésie des manichéens. Bien que plus âgé qu'Augustin, il était encore d'une réserve et d'une modestie très grandes, il s'était tenu à l'écart de l'amour des femmes; mais plus tard il s'y plongea tout entier. Sa vie se trouvant en danger, il demanda le baptême. Augustin avait déjà vieilli dans l'épiscopat; par conséquent Corneil lui-même n'était plus jeune. Il guérit cependant, mais non de l'habitude du péché, et continua à vivre entouré de concubines dont le nombre augmentait tous les jours. Augustin qui l'aimait toujours beaucoup, l'avait engagé souvent à changer ses moeurs ; mais en vain. Corneil épousa cependant Cyprienne, femme d'une grande chasteté, et quoique bien différente de son mari, elle l'aimait, malgré ses amours obscènes et brûlait du désir de le convertir. Cyprienne mourut et fut reçue dans la société des âmes chastes et fidèles; après sa mort, Corneil écrivit à Augustin et lui demanda une longue lettre pour se consoler de la mort de sa femme, comme il se souvenait que saint Paulin avait agi à l'égard de Macaire. Augustin lui répondit que sa femme n'avait pas besoin d'être louée par les hommes, qu'on devait réserver les louanges pour les vivants et non les donner aux morts; que pour lui, il devait, par le changement de sa vie, mériter les éloges de son épouse. Il le lui promet, s'il remplit la condition que son épouse désire morte, aussi vivement qu'elle l'avait fait pendant sa vie. Vouloir calmer autrement son chagrin, c'était vouloir le flatter, non le consoler. Ensuite, il lui ouvre les yeux sur l'état honteux où il se trouve, et l'engage avec force et amitié à se corriger.
7. Il y avait hors des limites du diocèse d'Hippone, une jeune fille nommée Florentine, embrasée, quoique bien jeune encore, d'un vif amour de la piété et de la vraie sagesse. Heureux de la piété de leur fille ses vertueux parents demandèrent à Augustin, alors dans ces contrées, de vouloir bien s'occuper de son éducation en ce dont elle avait besoin. Augustin ne put s'y refuser. Et non seulement il s'intéressa à elle, dans ses prières, mais encore, lorsqu'il écrivait à sa mère, il lui donnait des conseils. La mère écrivit à Augustin que sa fille désirait une lettre de lui, et que, lorsqu'elle l'aurait reçue,
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(1) Lettre ccLxii, n. 2.
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elle lui écrivait avec plus d'abandon et lui demanderait les explications dont elle avait besoin. Augustin lui écrivit donc pour la disposer à la confiance, et en même temps il l'exhorta à lui dire elle-même ce qu'elle pouvait avoir à lui demander : " Ou je sais ce que vous me demanderez et je ne manquerai pas de vous le dire, ou c'est quelque chose que je ne sais pas, mais qu'on peut ignorer sans inconvénient pour la foi et le salut, et je vous en instruirai si je puis, pour vous satisfaire; si c'est quelque chose que j'ignore, mais que je doive savoir, je tâcherai d'en obtenir la connaissance du Seigneur, pour ne vous pas manquer au besoin; car souvent l'obligation de donner aux autres, nous fait recevoir ce dont nous avons besoin; ou je vous ferai au moins savoir, par ma réponse, à qui nous devons nous adresser pour connaître ce que nous ignorons vous et moi. J'ai cru devoir commencer par ce que je viens de vous dire, de peur que vous ne vous crussiez assuré de recevoir de moi une réponse à tout ce que vous pourrez me demander, et que, s'il n'en était pas ainsi, vous ne pensassiez qu'il y avait plus de présomption que de prudence dans les offres que je vous ai faites, de répondre à ce que vous jugerez à propos de me demander. Car, en cela, ma très chère et très honorée fille, et très illustre dame en Jésus-Christ, je me donne, non pour un docteur consommé, mais pour un homme qui cherche à se perfectionner avec ceux qu'il doit instruire. Dans les choses même que je sais à peu près, j'aimerais mieux vous trouver instruite et savante que dans le besoin de ce que je sais. Car nous ne devons pas souhaiter que les autres soient dans l'ignorance pour avoir lieu de les instruire de ce que nous savons. Il vaut beaucoup mieux que nous soyons instruits par Dieu. » Il montre ensuite le danger qu'il y a à instruire les autres; pour lui la seule consolation de ceux qui instruisent les autres est d'amener ces derniers à ce point d'avancement dans la piété, qu'ils n'aient plus besoin désormais du ministère d'un docteur humain.
8. Une autre jeune fille, nommée Fabiola, lui écrivait pour lui dépeindre son chagrin, de se voir retenue dans son pèlerinage sur cette terre, et de ne pouvoir jouir du moins, sans cesse, de la présence des saints, ce qu'elle semblait dire en parlant d'Augustin. Celui-ci crut devoir lui écrire pour louer son amour des choses du ciel, et lui apprendre en même temps qu'il vaut mieux être présent de cœur que de corps. Cette Fabiola paraît être la même que celle que Jérôme appelle sa sainte fille dans la lettre qu'il écrivit en 411 ou 412 à Marcellin en Afrique, et dans laquelle il l'informe qu'il pouvait lui prêter les deux premiers livres sur Ezéchiel par l'entremise de cette même Fabiola à qui il les avait envoyés.
9. Il y avait à Hippone la Royale une jeune fille qui avait perdu son père, à ce qu'il parait, et dont la mère avait aussi disparu. Un homme respectable, dont Augustin ne dit pas le nom, l'avait confiée à la tutelle de l'Église, pour la mettre, sous cette protection, à l'abri des violences des méchants. Il ne semble pas que cet homme fût Bienné, qu'il n'aurait pas été nécessaire de désigner par l'épithète d'homme respectable, et qui se serait chargé lui-même du soin de cette jeune fille, si elle avait été en son pouvoir. Cependant nous ne pouvons nier que Bienné ait été parent de la jeune fille, puisqu'il écrivit à Augustin pour lui proposer un parti pour elle. Augustin qui s'occupait avec zèle de ses devoirs de tuteur, répondit que le parti qu'on lui offrait lui convenait, mais que la jeune fille était en trop bas âge pour être promise à quelqu'un. En attendant qu'elle grandît d'ici là, disait-il, sa mère qui a, plus que toute autre, le pouvoir de donner sa fille, reviendra peut-être ; peut-être aussi se présentera-t-il un meilleur parti que je serai obligé d'accepter dans la pensée des jugements de Dieu; enfin, on ne sait si cette enfant veut se marier; car elle dit sans cesse qu'elle veut être religieuse; si son âge empêche de s'arrêter à ce qu'elle dit, il faut néanmoins attendre jusqu'à ce qu'elle puisse choisir elle-même le genre de vie qui lui plait. Il ajoute que Félix qui avait épousé une tante de cette jeune fille, et avec qui il avait dû parler de cette affaire, approuvait le parti qui s'offrait, mais se plai-
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gnait au nom de l'amitié de ce qu'on ne l'en eût pas averti par lettre. Un païen, nommé Rustique, demanda cette jeune fille, en mariage, pour son fils païen comme lui, qui ne promettait pas d'embrasser la foi du Christ. Augustin aurait eu une grande répugnance à la lui donner, comme il écrivit à Rustique même, quand même il n'en aurait pas été empêché par les raisons qu'il avait dites, dans sa lettre à Bienné, et qui ne lui permettaient pas de la promettre alors en mariage. Il est difficile de croire que ce parti soit le même que celui qu'Augustin, dans sa lettre à Bienne, déclare lui plaire. Car, si Bienne avait proposé ce parti à Augustin, à condition toutefois, que le fils de Rusticus aurait embrassé la foi chrétienne, Augustin aurait certainement parlé d'une circonstance aussi grave. Ce même Félix avait écrit à Augustin, comme on le voit au sujet de cette fille, sa nièce, en lui faisant remettre la lettre de l'homme respectable qui l'avait confiée à l'Église. Augustin lui répondit que n'osant confier cette enfant au premier venu, sans distinction, il attendra l'arrivée de celui dont il lui avait envoyé la lettre ; qu'il délibérera avec lui sur ce qu'il y aura à faire et fera ce que le Seigneur lui inspirera. Nous ignorons si c'est encore de cette jeune fille qu'il est question dans la lettre où Augustin dit à Bienne, qu'il a appris qu'il s'occupait de terminer cette affaire. Il ne peut, dit-il, se résoudre à le croire ; si cependant c'est vrai, Bienne doit savoir ménager les intérêts de l'Église et placer cette jeune fille dans une maison catholique, en état d'être utile plutôt que nuisible à l'Églîse.
CHAPITRE IX
1. Augustin s'efforce de convertir les habitants de Madaure à la religion chrétienne. - 4. Il presse aussi par lettre, Longinien prêtre païen, d'embrasser cette religion. - 3. Il console et fortifie Maximin que troublaient les erreurs qui avaient surgi dans sa province. - 4. Il combat plusieurs hérétiques, et écrit à Seleucienne contre un novatien. - 5. Hérésie des tertullianistes détruite de son vivant. - 6. Les abélonites ou les abéboïtes disparaissent des environs d'Hippone par ses soins et ses peines.
1 - Ce sont surtout ses combats avec les ennemis de l'Église qui donnèrent à la renommée d'Augustin toute sa gloire et son éclat. Il attaqua les païens dans plusieurs ouvrages, mais surtout dans sa Cité de Dieu. Un certain Florentin, qui semble avoir été un des notables de la ville de Madaure, étant venu à Hippone pour affaire, tous les ordres de sa cité le chargèrent pour Augustin d'une lettre où ils le priaient de l'aider dans son entreprise. La lettre portait cette inscription : « A notre frère Augustin, salut éternel dans le Seigneur ». Elle se terminait en ces termes - «Nous souhaitons, notre très honoré seigneur, que Dieu et son fils vous fassent jouir au milieu de votre clergé d'une longue et heureuse vie. » Depuis longtemps, Augustin voyait avec peine que les idoles n'existaient pas moins dans le coeur des habitants de Madaure que dans leurs temples. Aussi, l'adresse de leur lettre fut-elle pour lui un sujet d'étonnement. « J'ai ressenti, dit-il, au premier mot de votre lettre un bien grand espoir, que j'allais vous voir converti au Seigneur et au salut éternel, ou du moins sur le point de l'être par mon ministère. Mais en poursuivant ma lecture, j'ai dû bien rabattre de mes espérances. J'ai néanmoins demandé au porteur de la lettre si vous n'étiez pas déjà chrétiens, ou si vous n'aviez point envie de le devenir. Sa réponse m'ayant fait connaître que vous étiez toujours les mêmes, l'espérance que j'avais conçue n'a servi qu'à augmenter ma douleur, en me montrant que, non contents de rejeter le nom de Jésus-Christ, à qui vous voyez présentement toute la terre soumise, vous osez
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encore l'outrager en ma présence tout en me chargeant, du soin de vos affaires. » Néanmoins il aida Florentin de tout son pouvoir, mais l'affaire dont il était chargé ne présentait aucune difficulté. Il crut que la pensée de lui écrire lui avait été envoyée par Dieu aux habitants de Madaure pour lui donner l'occasion de leur annoncer la vérité. Il ne la laissa point échapper, il leur montre qu'ils s'étaient moqués de lui s'ils avaient voulu faire semblant de lui témoigner de l'honneur, et du respect au nom du Christ, en demeurant eux-mêmes ennemis du Christ. Puis il ajoute quelques arguments en faveur de la religion, chrétienne et il les exhorte à l'embrasser, tout en leur disant que s'il agit ainsi ce n'est pas sans trembler pour eux: « Car je sais, dit-il, de combien ce discours même augmentera votre crime et votre châtiment ainsi que le compte que vous aurez à rendre à Dieu s'il demeure sans effet. Car cette page est un témoin de mes sentiments pour vous, qui tournera contre vous au jugement de celui qui doit confirmer ceux qui croient en lui, et couvrir de confusion ceux qui ne croiront point. Il les appelle ses frères et ses parents, probablement parce qu'étant enfant, il avait étudié les belles-lettres à Madaure. Dans cette lettre, il leur rappelle que les empereurs mêmes ont incliné leur diadème devant le tombeau du pêcheur Pierre; et un peu plus loin, il montre qu'il écrivait cette lettre peu de temps après la promulgation des lois contre les idoles, qui datent de 390.
2. Augustin avait eu, paraît-il, quelques entrevues avec Longinien païen et prêtre des idoles, et avait vu dans ses paroles, comme dans un miroir, qu'il reconnaissait qu'on doit honorer Dieu, qu'il pensait bien du Christ et aspirait à la vertu, de toute la force de son âme. C'étaient là d'excellentes dispositions pour l'obtenir. Augustin se mit donc à l'aimer, et Longinien le payait de retour. Le saint évêque persuadé que des amis ne pouvaient aborder entre eux un sujet d'entretien plus utile que de rechercher ensemble les moyens d'arriver à être bons et heureux, entama volontiers, sur ce sujet, un commerce de lettres avec Longinien. Il lui demanda donc de lui écrire pour lui dire comment il pensait qu'on doit honorer Dieu, ce qu'il pensait du Christ Notre Seigneur; s'il croyait qu'on pût parvenir à la vie éternelle, par une autre voie que celle qu'il nous a enseignée ou s'il reconnaissait qu'il n'y en a pas d'autre, pourquoi il différait de s'y engager? Longinien répondit par un éloge remarquable et vrai d'Augustin qu'il appelle le meilleur des Romains, un homme de bien, s'il en fut jamais. «Oui, j'en jure et j'en prends Dieu à témoin sans craindre de me parjurer, à l'exception d'un seul (peut-être Cyrus) je n'ai trouvé parmi les hommes que j'ai vus, dont j'ai lu les écrits ou l'histoire, personne aussi appliqué que vous à connaître Dieu et aussi capable d'y arriver par la pureté du cœur et le dégagement de tout ce qui appesantit l'âme, et de le posséder, par l'espérance que donnent une conscience parfaite et une foi que nul doute n'ébranle (1).» Il répond aux questions que lui avait faites Augustin en disant qu'on doit arriver au seul unique et vrai Dieu, incompréhensible artisan de toutes choses, par la pureté de la vie, dans la société des dieux (les anges des Chrétiens), et par les purifications des rites antiques. Il n'ose ou ne peut dire son sentiment sur le Christ et sur le don de l'Esprit-Saint, parce qu'il ne les connaît point. Il prie Augustin de vouloir bien lui écrire ce qu'il en pense. Augustin conçut un bonheur incroyable de ces heureux commencements, et pria Dieu que la fin répondît au début. Pour ne pas manquer une si belle occasion il répondit à Longinien qu'il ne le blâmait pas, de n'avoir voulu affirmer ni nier quoi que ce fût touchant le Christ qu'il ne connaît pas, puis il le prie de lui expliquer ce qu'il entend par les expiations des rites antiques, si elles sont nécessaires pour la bonne vie ou si elles sont la cause ou l'effet, ou une partie de cette bonne vie, et lui dit qu'il faut résoudre cette difficulté avant de passer outre. Quel échange de lettres s'ensui-
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(1) Lettre ccxxxiv n. i.
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vit-il et quel en fut le résultat, c'est ce que nous ne savons. Nous rapporterions volontiers ce fait au temps où Augustin n'était encore que laïque, si Longinien ne lui donnait le nom de père, ce qui ne parait convenir qu'à un évêque ou à un vieillard.
3. Personne ne peut imaginer, encore moins raconter tous les travaux que, pendant toute sa vie épiscopale, ce saint docteur entreprit pour la défense de la foi catholique contre les hérétiques. Une servante de Dieu, nommée Maxime, lui écrivit, sans doute d'Espagne, que son pays courait de grands dangers, à cause des funestes erreurs qui y étaient répandues de tous côtés. Elle lui expose également sa foi sur le mystère de l'incarnation, en la soumettant à son jugement, et semble lui demander quelques-uns de ses écrits contre les hérétiques. Augustin lui répond qu'elle peut envoyer, quand il lui plaira, une personne pour copier ses ouvrages, et la prie de vouloir bien lui envoyer, si elle le peut, quelques-uns des livres de ces hérétiques, afin de mieux connaître leurs doctrines et de les réfuter plus efficacement; il se dit très affligé de voir les hérésies s'augmenter. Cependant il se console en pensant que Dieu ne permettrait pas ces choses, s'il ne devait en résulter un plus grand bien pour ses élus. Il ne les permet, en effet, qu'autant qu'elles peuvent êtres utiles pour exercer ses saints et les avertir de se tenir sur leurs gardes. Aussi nous console-t-il des hérésies en nous disant que la tristesse même qu'elles nous causent est un bien qui nous soulage. La joie que nous cause la conversion d'un hérétique qui revient dans la société des saints ne saurait se comparer à aucune autre en cette vie. C'est pourquoi j'approuve et je loue entièrement la douleur que vous produit la vue de ces sortes de gens et la vigilance avec laquelle vous vous tenez sur vos gardes contre eux. Je vous engage, autant que je le puis et parce que vous me demandez de le faire, à continuer dans cette voie, c'est-à-dire à avoir pitié d'eux, avec toute la douceur et la simplicité de la colombe, tout en vous tenant en garde contre eux avec toute la prudence du serpent; enfin, à faire en sorte, autant que vous le pourrez, que ceux qui ont quelque liaison avec vous demeurent comme vous, dans la pureté de la foi où y reviennent, s'il leur est arrivé de s'en écarter.
4. Il fit deux livres contre un adversaire de la Loi et des Prophètes ainsi que contre les marcionistes et d'autres hérétiques du même genre. Nous verrons plus loin qu'il écrivit aussi contre les priscillianistes d'Espagne, à Orose, à Consentius et à Cérétins. Dans son livre à Orose, il combat quelques erreurs attribuées à Origène. L'hérésie des novatiens était alors commune et fort répandue en occident. Une dame nommée Séleucienne, qui avait eu un entretien avec un de ces hérétiques et désirait le gagner au Christ pria Augustin de lui donner quelques documents sur cette erreur. Elle lui écrivit en même temps que ce novatien ne reconnaît d'autre pénitence que celle faite avant le baptême, et il prétendait que Pierre n'avait pas été baptisé; il paraissait croire également que les apôtres avaient imposé aux néophytes la pénitence, à la place du baptême; cependant ce n'était point le sentiment des novatiens; Augustin répondit à Séleucienne et lui rappela en peu de mots les trois pénitences que reconnaît l'Église, il lui fit voir qu'il n'y a aucun doute que Pierre ait été baptisé. Mais il ne veut pas se servir de l'exemple de cet apôtre pour prouver l'existence de la pénitence canonique après le baptême.
5. L'hérésie dont le célèbre Tertullien était le père, d'où le nom de tertullianistes, subsistait encore à Carthage du temps d'Augustin : mais comme elle allait en s'affaiblissant tous les jours, elle s'éteignit enfin entièrement avant la mort de ce saint prélat. À l’époque où Augustin était à Carthage, le peu de tertullianistes qui existaient encore furent certainement ramenés à l'unité de l'Église catholique par ses exhortations et remirent à l'Église, entre les mains de l'évêque Aurèle, la basilique qu'ils avaient conservée jusque-là.
6. Il y avait, du temps d'Augustin, une autre hérésie dans le territoire d'Hippone et, sans aucun doute, Dieu se servit de son ministère pour l'étouffer comme les autres, bien que, par modestie, le saint évêque n'en parle pas. Voici
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ce qu'il en dit dans le livre des Hérésies : « Il y a, ou plutôt il y a eu dans nos campagnes, je veux dire dans la campagne d'Hippone, une hérésie parmi les gens des champs; mais elle a diminué peu à peu ; elle était confinée dans une petite villa dont tous les habitants, fort peu nombreux, étaient dans cette erreur, Mais ils se sont tous corrigée et sont redevenus catholiques, et il ne reste plus un seul partisan de cette erreur. On les appelait Abelioniens, nom dérivé d'un mot punique. Quelques-uns prétendent qu'ils furent ainsi appelés du fils d'Adam, nommé Abel, ce qui fait que nous pouvons les appeler abéliens on abéloïtes. Ils n'avaient aucun commerce avec les femmes; néanmoins les lois de leur secte ne leur permettaient point de vivre sans femme. Le mari et la femme habitaient donc ensemble en faisant profession de continence, et adoptaient pour enfants un jeune garçon et une jeune fille qui devaient leur succéder dans le pacte de leur union. Ceux qui venaient à mourir étaient remplacés par d'autres, en sorte que toujours deux personnes de sexe différent succédaient à deux autres personnes également de sexe différent, dans la société de cette villa. Quel que fût celui des parents qui mourût, les enfants servaient le survivant jusqu'à sa mort. Après sa mort, ces deux enfants adoptifs en adoptaient à leur tour deux autres. Jamais ils ne manquèrent d'enfants à adopter, leurs voisins se chargeant d'en avoir pour eux et leur donnant volontiers des enfants pauvres dans l'espérance de les voir devenir leurs héritiers (1). ».
7. Quant aux écrits de notre saint contre les manichéens, les donatistes et les pélagiens, la suite de son histoire nous les fera connaître. Nous placerons ce qu'il a écrit contre les ariens, à différentes époques, à la fin de sa vie.