Henri IV de France 2

Darras tome 35 p. 548

 

   48. Au commencement de 1590, la guerre civile avait cessé dans toutes les provinces, sauf en quelques parties de la Bretagne et du Dauphiné. La royauté était partout reconnue, l'ordre rétabli, l'unité reconstituée, mais la détresse était grande, et le peuple, auquel on demandait l'impôt, était incapable de le payer. Il restait à apaiser encore quelques troubles; il fallut assiéger La Fére et reprendre Calais. La reine d'Angleterre, refroidie envers son ancien allié depuis son abjuration, faisait marchander ses secours. Les chefs des calvinistes, mécontents de l'abjuration du roi, et surtout des grâces qu'il prodiguait aux catholiques, lui refusaient leurs services, tenaient des assemblées séditieuses, et se repaissaient de ces projets d'indépendance que, dés l'origine, on avait reprochés à leur secte. Leur défection afflige le cœur de Henri IV, mais n'ébranle pas sa constance. Il convoque à Rouen une assemblée des notables du rovaume (1596) pour aviser aux meilleurs et plus puissans moyens qu'il faudrait tenir pour mieux guerroyer et matter l'Espagnol; il leur expose les besoins de la patrie, et son âme tout entière se montre dans ces nobles paroles.


   « Si je faisois gloire de passer pour un excellent orateur, j'aurois apporté ici plus de belles paroles que de bonne volonté ; mais mon ambition tend à quelque chose de plus haut que de bien parler ; j'aspire au titre glorieux de libérateur et de restaurateur de la France. Déjà, par la faveur du ciel, par les conseils de mes fidèles serviteurs, et par l'épée de ma brave et généreuse noblesse

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(1) Histoire de la Ligue, t. II, p. 4ô2.

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(de laquelle je ne distingue point mes princes, la qualité de gentil­homme étant le plus beau titre que nos possédions), je l'ai tirée de la servitude et de la ruine. Je désire maintenant la remettre en sa première force et en son ancienne splendeur. Participez, mes sujets, à cette seconde gloire, comme vous avez participé à la pre­mière. Je ne vous ai point ici appelés, comme faisoient mes prédé­cesseurs, pour vous obliger d'approuver aveuglément mes volontés; je vous ai fait assembler pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre ; en un mot, pour me mettre en tutelle entre vos mains. C'est une envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux comme moi ; mais l'amour que je porte à mes sujets, et l'extrême désir que j'ai de conserver mon Etat, me font trouver tout facile et tout honorable. » L'assemblée, vivement émue, témoigna beaucoup de zèle «et proposa plusieurs bons advis, d'aucuns desquels Sa Majesté se servit à propos, et le surplus est demeuré sans effet dans la confusion accoustumée des principales affaires de France, dit Cheverny, et ne servit qu'à grossir les tomes des ordonnances, ajoutent les OEconomies royales ». Le roi trouva des ressources plus abondantes dans le génie de Sully, qui fut alors chargé de l’administration des finances. Elles lui étaient d'autant plus nécessaires que la capitale de la Picardie tomba vers ce temps au pouvoir des Espagnols. A cette nouvelle, la terreur se répand de toutes parts ; déjà Paris se croit menacé d'un siège. Dans cette crise, Henri se voit avec douleur abandonné de ses anciens amis. Les chefs des protestants, infidèles à leur renommée, ainsi qu'à leur devoir, spéculent sur les périls du roi, se tiennent à l'écart et veulent faire acheter, par des services tardifs, d'importantes con­cessions. D'un autre côté, la Ligue paraît vouloir relever la tête ; mais tous les principaux ligueurs s'étant sincèrement réconciliés au roi, la conspiration, renfermée entre des gens de la dernière classe, est promptement réprimée par le supplice de quelques sédi­tieux obscurs. Mayenne et tous ceux qui, comme lui, ont éprouvé la clémence de Henri IV, rivalisent de zèle en cette occasion. Ils s'imposent avec une généreuse prodigalité des sacrifices volontaires et leur exemple entraîne les  provinces. Le Parlement de Paris

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seconde vivement l'impulsion du patriotisme ; il rend un arrêt par lequel il note d'infamie quiconque refusera ses services au roi. Henri déploie la plus grande activité, et en peu de temps il a ras­semblé vingt-cinq mille hommes. «Allons, dit-il, c'est assez faire le roi de France, il est temps de faire le roi de Navarre », et il court assiéger Amiens. Cette place, après une défense opiniâtre, est reprise sur les Espagnols (1). Des deux côtés on désirait la paix. Des négociations avaient été entamées pendant le siège d'Amiens. Le roi, pour en hâter la conclusion, va chercher la révolte dans son dernier asile. Il passe en Bretagne, où le duc de Mercœur s'humilie et obtient sa grâce en donnant sa fille, héritière de tous ses biens, au jeune duc de Vendôme, fils naturel de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées (2).

 

     49. Le 2 mai 1398, le traité de Vervins, ménagé par la médiation de Clément VIII, acheva de rétablir la tranquillité du royaume ; il fit plus, il lui rendit l'honneur et effaça des tristesses, parfois hon­teuses, d'un siècle d'agitations stériles et de guerres néfastes. Les Espagnols rendirent toutes les places qu'ils avaient prises en Pi­cardie, et Blavet qu'ils tenaient en Bretagne. Le roi, pour prix de ces restitutions, consentit à leur céder la possession de Cambrai. Le duc de Savoie fut compris dans le traité ; mais l'affaire qui le concernait, le marquisat de Saluces, laissée à l'arbitrage de Clé­ment VIII, ne fut tranchée, en I600, que par l'épée des maréchaux de Biron et Créqui. Plus tard il voulut le reprendre par un com­plot, où il avait engagé Biron son vainqueur ; Biron y perdit la tête. D'autres complots et divers attentats menacèrent les jours de Henri IV ; il y échappa toujours. Dans l'attentat de Jean Chatel, en 1594, on avait impliqué la Compagnie de Jésus, parce que l'as­sassin avait étudié chez les Jésuites. Rendre les maîtres respon­sables des forfaits que peuvent commettre d'anciens élèves, voilà

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(1) « Au siège d'Amiens se manioit le destin de la France, et comme en la reprise de ceste ville les Fleurs de Lys triomphèrent de la Croix-Rouge, ceste signalée victoire fit aussi estouffer beaucoup des desseins de ceux qui avoient envie de remuer encore en divers endroits de la France sous divers prétextes nouveaux. » Pal.ua Cayet.

(2) ragon, Abrégé ih; l'Histoire générale, t. II, p. 2Ô2.

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une logique étrange et une plus étrange justice. Un arrêt du Par­lement les bannit du royaume; ils sortirent de Paris le 8 janvier 1595. « Ces Pères ne manquèrent pas, dit Péréfixe, nonobstant que le temps leur fut contraire, de travailler à soutenir leur honneur, et firent plusieurs écrits pour ses justifier des choses dont on les chargeoit ; et véritablement ceux qui n'étoient pas leurs ennemis ne croyoient pas que la Société en fût coupable ; de sorte qu'à quelques années de là, en 1603, le roi (soit conviction de leur innocence, soit politique et désir de se réconcilier un ordre puis­sant), « dont l'amitié pouvoit grandement pour la tranquillité de l'État, et la malveillance encore plus pour le trouble d'iceluy, » dit M. de Sully, révoqua l'arrêt et les rappela. Il leur donna même, l'année suivante, le château de La Flèche et cent mille écus pour y établir un collège de leur société. L'arrêt de leur bannissement n'avait pas été exécuté dans toute la France, et les parlements de Bordeaux et de Toulouse avaient retenu les Jésuites (1). Le roi passa les années suivantes dans un glorieux repos ; il fit une alliance avec l'Angleterre contre l'Espagne et réconcilia le pape Paul V avec la république de Venise. A l'intérieur, il protégeait l'agriculture, réorganisait les finances et s'occupait à fermer toutes les plaies de la guerre civile. Trop heureux si, appliqué sérieuse­ment au bien de son royaume, il eût su garantir également la dignité de sa vertu en domptant les faiblesses de son cœur.

 

50. Quelques jours avant que les plénipotentiaires signassent la paix avec l'Espagne, Henri IV avait rendu à Nantes un édit qui avait pour but de régler, en France, la condition des protestants. Cet édit contenait quatre-vingt-douze articles, sans compter cin­quante-six antres articles qui ne furent point enregistrés. Les dis­positions principales étaient :

   Que l'exercice de la religion catholique serait établi par tout le

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(1) Ils avaient dès lors, dans les provinces méridionales, des établissements à Toulouse, Auch, Àgen, Rhodez, Bordeaux, Périgueux, Limoges, au Puy, à Tournon, Aubenas et Béziers ; «et, dit Sully, voyant leur crédit augmenter tous les jours près du roy, et ne le voulant pas laisser oisif ny infructueux, faisoient tout ce qui leur estoit possible pour establir de leurs collèges et ces fonds de bons et amples revenus dans toutes les grandes villes de ce royaume ».

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royaume, que les églises et les biens appartenant aux ecclésias­tiques leur seraient rendus ;

 

   Que les protestants pourraient demeurer par toute la France et qu'ils auraient l'exercice public de leur culte par tous les lieux où il devait être établi par l'édit de 1577 ;

 

   Qu'ils jouiraient de tous les droits de citoyens, qu'ils pourraient être admis à tous les emplois et à toutes les charges, que leurs écoliers pourraient suivre les cours des universités, que leurs pauvres, sains ou malades, seraient reçus dans les hôpitaux comme les catholiques ;

 

  Qu'il y aurait, dans chaque parlement, une chambre composée d'un nombre égal de juges, catholiques et calvinistes, devant laquelle les affaires des protestants seraient portées ;

 

  Que les églises calvinistes auraient le droit d'élire des députés pour former des assemblées générales, aux temps et lieux marqués par le gouvernement du roi et sous les yeux de ses commissaires, qu'il leur serait permis de lever tous les ans sur eux-mêmes un impôt pour les besoins de leur parti ;

 

  Que d'ailleurs ils seraient assujettis à la police de l'Église catholi­que, tenu de payer les dîmes, de ne pas travailler les jours de fêtes et de ne jamais troubler, soit en paroles, soit en actions, les céré­monies ecclésiastiques ;

 

   Enfin, par des articles secrets, ou en vertu de décrets antérieurs qui étaient maintenus, le roi s'engageait à payer des appointe­ments aux ministres calvinistes, permettait à leurs chefs de garder pendant huit ans des places de sûreté et d'en nommer eux-mêmes les gouverneurs ; il s'engageait, de plus, à leur compter tous les ans quatre-vingt mille écus pour l'entretien des garnisons. Cet édit, qui n'était dans son ensemble que la reproduction de celui de 1577, excita dans toute la France le plus vif et le plus légitime mécon­tentement. Il était devenu nécessaire, sans doute, de faire, aux protestants, certaines concessions. On ne pouvait guère leur refuser la tolérance d'un culte domestique, et en certains lieux, quasi-public ; mais il ne fallait pas aller au delà, ni surtout accorder à l'hérésie des privilèges, dont la religion catholique ne jouissait plus ;

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or, c'était cette juste mesure que l'édit avait outrepassée. D'abord, dans le préambule, le roi mettait, sur le même pied, catholiques et protestants ; il reconnaissait les mêmes droits, et professait par là implicitement l'indifférence de l'Etat en matière de religion. Mais, ce qui est plus grave, la teneur de l'édit était, en plusieurs de ses dispositions, inspirée par le même esprit. L'article qui établissait, dans les parlements, des chambres composées par moitié de catho­liques et de protestants , concédait à ces derniers un privilège excessif, qui scindait en deux la justice du royaume et mettait en suspicion l'intégrité des magistrats catholiques.

 

L'article qui concédait l'exercice du calvinisme à une lieue de la capitale, était une aggravation de l'édit de 1577, et violait expres­sément une des conditions du traité, fait avec le comte de Brissac, lors de la reddition de Paris. Les deux dispositions en vertu des­quelles les ministres calvinistes devaient recevoir un traitement de l'Etat et les chefs militaires tenir des places de sûreté, portaient, aux droits de la religion et de l'Etat, les plus graves atteintes. La première donnait à l'enseignement de l'hérésie, non seulement la tolérance, mais une approbation et même un encouragement offi­ciel. La seconde constituait un Etat dans l'État, au profit des seuls protestants qui ne pouvaient manquer d'en abuser. Enfin, dit Lézeau, « les articles secrets contenaient mille autres clauses qui étaient grandement à la destruction de la religion catholique, tous lesquels avantages s'était avisé de retrancher ou de modérer, sans que pour cela les protestants eussent osé se révolter ou partialiser ». La plus vive opposition se déclara donc dans toutes les classes de la société française. Le Parlement refusa d'abord l'enregistrement. On rapporte que, dans la délibération qui précéda, un vieux con­seiller, Duvivier, lorsque vint son tour d'opiner, se prit à verser des larmes et à dire qu'il se sentait bien malheureux d'avoir vécu jusqu'en ce temps-là pour voir publier un tel édit. Mais le roi, qui croyait n'avoir plus rien à craindre des catholiques et désirait réconcilier les protestants, ne voulut rien entendre ; il réitéra ses ordres et le Parlement dut enregistrer l'édit. L'édit, on le devine, ne fut pas mieux accueilli à Rome qu'à Paris. Le Pape en fut pro-

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fondement affligé et s'en plaignit amèrement au cardinal d'Ossat. «Premièrement, il voyait un édit le plus maudit (ce sont ces mots que nous réciterons ici et tout le long de cette lettre sans y rien ajouter du nôtre,) par lequel édit était permise la liberté de con­science, à tout chacun, qui était la pire des choses du monde... disait Sa Sainteté prendre en très mauvais augure, et s'affligeait entièrement de l'affliction et ardeur que Votre Majesté avait mon­trée à faire pour cet édit ; qu'en toute autre chose civile vous aviez montré grande modération, en celle-ci vous aviez découvert une extraordinaire véhémence... Que lorsqu'il était question de faire en faveur des hérétiques contre les catholiques, vous nous formali­siez, parliez d'autorité, disiez vouloir être obéi, et toutefois que pour faire recevoir et publier le concile de Trente, qui est une chose sainte en soi, et par vous promise et jurée, vous n'en aviez jamais parlé une seule fois à la cour du Parlement... Qu'il ne savait plus qu'espérer, ni que juger de vous; que ces choses lui mettaient le cerveau à parti ; qu'il vous avait absous et reconnu pour roi contre l'avis des plus grands et des plus puissants princes chrétiens, qui alors lui prédisaient qu'il s'y trouverait trompé... Que cet doit que vous lui aviez fait était une grande plaie à sa réputation et lui sem­blait qu'il avait reçu une balafre en son vidage. Et, sur ce propos, il se laissa emporter si avant, qu'il ajouta que, comme il avait alors franchi le fossé pour venir à l'absolution, il ne feindrait point de le franchir une autre fois, s'il fallait retourner, faire acte con­traire (1)». Ainsi, à l'exception de quelques politiques, indifférents sinon hostiles à l'Église, il n'y eut qu'une voix en France et dans toute la chrétienté pour protester contre une mesure qui accordait à l'hérésie, non pas la tolérance, mais une position officielle et pri­vilégiée, meilleure, à certains égards, que celle faite à la religion catholique et à l'Eglise romaine.

 

   51. A ces réserves sommaires, nous ajouterons quelques obser­vations de détail. Henri avait juré qu'il montrerait «par faits et par dits, et même en donnant les honneurs et dignités du royaume, que les catholiques lui sont très chers, de façon que chacun

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(1) Lettres de M. le Cardinal d'Ossat, p. 419.

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cognoisse clairement qu'il désire qu'en France soit et florisse une seule religion » et non content d'appeler des hérétiques aux pre­miers postes de l'État, il érige en prince que leur indignité religieuse n'emporte aucune conséquence civile : on ne peut imaginer plus évidente contradiction et plus grossier parjure. La base des conces­sions faites par Ledit de Nantes se prend aux dispositions des traités de 1577 : ce sont les plus favorables que la lâcheté d'Henri III eût concédés aux huguenots. Cette date devait d'autant plus blesser les sentiments de la majorité du pays qu'elle coïncidait avec l'apos­tasie d'Henri de Bourhon en 1570. L'article 26, qui prononce la nullité des actes d'exhérédation faits pour cause de religion, prouve que le droit catholique ne saurait subir aucun amoindrissement sans que la puissance paternelle ne soit amoindrie du même coup. Qui ne voit quelle large porte ouvrait aux procès en matière de succession la défense de faire aucun testament ou dispositions entre vifs, pour cause de religion. C'était une provocation permanente à l'abjuration adressée aux fils de famille en discussion avec leurs parents. Le changement de religion leur offrait un moyen de paralyser les effets de la colère du chef de la maison et d'échapper au châtiment de leurs désordres. Le plus simples règles de l'équité sont violées par l'article 67. Tous les arrêts de justice rendus contre les protestants vivants ou morts, depuis Henri II, sont cassés et annulés. Non seulement les huguenots obtiennent que le sang catholique, si abondamment versé par eux, sera stérile, et qu'il ne sera pas une semence d'orthodoxie dans les lieux où il a le plus coulé, mais les tribunaux eux-mêmes n'auront pas parlé. Le cours de la justice est rétrospectivement suspendu en France pendant trente-neuf années. Les crimes des héritiques n'ont pas été des crimes. Les sentences qui les ont frappés n'ont pas été des sen­tences. Toute la magistrature est récusée pendant cinquante ans pour cause de suspicion. Après de tels excès, on ne peut plus s'étonner de l'abaissement profond de la royauté en Europe. Les articles 70, 82, 82 expliquent cette abolition des jugements ; ils don­nent la mesure de l'intérêt des huguenots à réduire l'action judiciaire. Seulement l'excès de   précaution découvre la   fraude.

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p556   pontificat de sixte-qutnt (1585-1590).

 

L'introduction du protestantisme avait été une œuvre de vio­lence ; le pur Évangile s'était imposé comme le Coran, à main armée. L'ingérence des despotes dans sa propagation n'est pas une exception locale, c'est le corollaire général de la prédication des réformateurs. Les réformateurs prétendent le contraire ; ici nous les surprenons en flagrant délit de confession. A la demande des chefs de l'hérésie, l’édit de Nantes a été promulgué comme une garantie nécessaire. Par ses dispositions, il contient l'aveu des sec­taires, que la secte a volé les deniers publics, pillé les églises, vendu leurs biens, levé des impôts, extorqué des contributions, traité en un mot les finances de leur pays, comme dans une guerre régulière on ne traite pas le pays ennemi. Voilà la netteté des mains évangéliques ; ils l'ont confessée afin que ces peccadilles ne fussent pas poursuivies par les magistrats. La réforme n'a-t-elle employé que le pillage pour propager ses doctrines ? Par Ledit, elle confesse en­core, en obtenant qu'aucun châtiment ne pourra punir les empor­tements de son zèle, qu'elle a démantelé des fortifications, démoli des villes, bourgs, bourgades, châteaux, brûlé et ruiné les églises, en un mot mis la France à sac. En déployant ces fureurs, elle n'était pas l'expression du sentiment national ; elle agissait en so­ciété secrète, en minorité, en coterie, appelant l'étranger sur le ter­ritoire national, comme font les traîtres qui n'ont pas le sentiment de la patrie. Le pillage, l'incendie, la coalition intérieure, l'intelli­gence avec l'étranger, voilà la confession générale du protestan­tisme. Les réformés font encore exempter de toutes recherches « les ravissements et forcements de femmes et de filles, bruslements, meurtres et voleries faits par prodition et par guet-apens ». Le roi excepte pourtant les cas exécrables, par vengeance particulière, hors des cas d'hostilité et sans commandements des chefs. On reconnaît par là que par ailleurs ces crimes ont été commis par ordre. — L'article 32 stipule l'exercice libre de la religion réformée. Quelque partisan qu'on soit de la liberté religieuse, c'est en altérer la signification que de l'imposer par force à une nation qui préfère l'unité. — L'article 30 élude la prescription qui interdisait aux calvinistes les lieux de résidence du souverain. Nous verrons sortir

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p557 CHAP. XVII.   HlàXRl   IV   ET   LA   PAPAUTÉ.   

 

de là des intrigues et des séditions. — L'article 44 pour l'alloca­tion d'un traitement aux ministres constitue une prime d'encoura­gement aux rêveurs et aux séditieux qui trouvent une mission dans leurs caprices ou leurs appétits. — L'article 50, qui revient sur l'abolition des crimes des réformés, montre combien ils craignaient les recherches de la justice. Ces bandits, qui avaient opéré sous les couleurs de Calvin, entendaient bien que ce pavillon devait cou­vrir le résidu de leurs forfaits.

 

   52. L'édil de Nantes est la Charte constitutive du protestantisme en France, l'acte d'inauguration d'un ordre nouveau qui s'élève sur les ruines de l'ordre chrétien. Quelque jugement qu'on porte sur les détails de l'édit, il faut reconnaître qu'il marche en sens inverse de la civilisation catholique et du christianisme positif enseigné par l'Église romaine. Politiquement parlant, loin de pacifier des que­relles religieuses, il engagea des guerres que la main de Richelieu saura comprimer. Au point de vue de l'avenir, il est un pas décisif dans le mépris de la vérité religieuse, et comme il a suffi pour dé­truire en partie, à la fin du XVIe siècle, les résultats de la vic­toire remportée par les pontifes romains, il est la préface lointaine de la Déclaration des droits de l'homme. « En considérant, dit Ségrétain, la lutte de Sixte-Quint et de Henri IV comme la crise orga­nique de la société chrétienne, on a la raison des progrès constants de la révolution dans le monde et l'explication du peu de solidité des digues qu'on lui a opposées. Il ne faut pas que l'éloignement des dates, non plus que les intermittences de gloire et de sécurité, qui se sont produits après les plus grands cataclysmes, fassent illu­sion sur la continuité des rapports entre les effets et leurs causes. Le socialisme moderne (et la révolution de 89) sont les fils du pro­testantisme, quoique le protestantisme n'ait pas même entrevu les principes du socialisme moderne. Mais comme la Réforme a nié le principe générateur de la société catholique, elle a engendré néces­sairement un principe antagoniste, qui ne se pourra définir nette­ment, tant qu'il n'aura pas porté toutes ses conséquences, mais dont l'essence est la haine du christianisme et de tout pouvoir religieux »(1).

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(1) Sixte-Quint cl Henri IV, p. 230.

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p558      PONTIFICAT   DE   SIXTE-QUINT    (1583-1500).

 

   L'édit de Nantes eût produit beaucoup plus promptement ses détestables fruits, si l'œil des rois n'eût discerné et si leur main n'eût comprimé la logique radicale de ses développements. Riche­lieu, Mazarin, Louis XIV virent très clairement que le calvinisme était, à leur époque, l'organe de la révolution ; ils le combattirent avec une résolution qui retarda l'effet des connivences de la diplo­matie. Mais ni Richelieu, ni Mazarin ne comprirent dans toute son étendue la nécessité d'une réaction anti-calviniste ; malgré la supé­riorité numérique des croyants, le premier rendit nécessaire, le se­cond accomplit ce traité de Westphalie qui a consacré la défaite politique et sociale du catholicisme en Europe. Et Louis XIV, qui révoqua l'édit de Nantes, ne fut-il pas ce même Louis XIV qui, dans la Déclaration de 1682, posa le principe essentiellement révolu­tionnaire de l'autonomie de l'État et osa tenter de faire entrer la révolution jusque dans la constitution de l'Église.

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