Darras tome 10 p. 589
43. Théodose ne répondit pas à cette lettre vraiment épiscopale. Le dimanche suivant, il assistait, avec tous les fidèles de Milan, à l'office solennel dans la basilique métropolitaine. Avant de commencer les saints mystères, Ambroise, selon sa coutume, adressa une homélie à son peuple. Le texte qu'il avait à développer, ce jour-là, était celui de Jérémie : Sume tibi baculum nucinum. «Le bâton de noyer dont parle le prophète, dit-il, est vraiment l'emblème de la verge sacerdotale, de l'autorité ecclésiastique. Le fruit du noyer est enveloppé d'une pulpe amère, d'une coque dure ; mais l'amande intérieure en est douce. De même la verge sacerdotale est dure parfois ; elle impose des amertumes : mais aussi, comme celle d'Aaron, quand elle a triomphé du temps et des résistances, elle s'épanouit en fleurs vermeilles2.» Après ce début, qui ne renfermait encore qu'une allusion voilée à l'événement actuel, l'orateur expliqua l'épisode évangélique de la pécheresse répandant un vase de parfums sur les pieds du Sauveur; il insista sur la miséricorde et la bonté du divin Maître, qui a remis l'huile de la grâce et du pardon aux mains de son Église. Enfin il termina par cette péroraison significative : « Nathan le prophète parut un jour en face du roi David, et lui transmit ce message, de la part du Seigneur : Je t'ai élu, toi, le plus jeune de tes frères; j'ai fait couler sur ton front l'huile sainte, j'ai répandu dans ton âme mon esprit de mansuétude. J'ai renversé sous tes pas le roi
----------------------------------
1 S. Ambres., Epist. xl; Pair, lat., tom. XVI, col. 1101-1112. passim.— 2. S. A'.ubros., Epist. xli, u°3 2 et 3.
===========================================
p590 ro>TincAT oe saixt sikicius (383-398).
impie que l'esprit du mal agitait et qui persécutait mes prêtres. D'exilé, je t'ai fait un puissant et victorieux monarque. Je t'ai donné une dynastie qui perpétuera ta puissance et ton trône. Je t'ai soumis les races étrangères; les rebelles abattus se courbent sous ton sceptre. Et maintenant tu vas livrer mes serviteurs au pouvoir de l'ennemi ! Tu vas spolier mes fidèles et donner la victoire à mes ennemis; —Empereur des Romains, c'est assez d'allusions; ma parole s'adresse directement à vous. Songez que plus le Seigneur vous a fait grand, plus vous lui devez une obéissance filiale. Il est écrit : Lorsque Jéhovah ton Dieu t'aura introduit dans la terre promise, et que tu mangeras les fruits d'un sol que tu n'auras pas semé, ne vas point dire : C'est ma valeur, c'est mon génie qui m'ont valu ces biens! Non, mais dis: C'est le Seigneur qui me les a donnés! Grand prince, c'est Jésus-Christ qui vous a réellement élevé, dans sa miséricorde, à ce faîte des honneurs et de la gloire. Aussi il vous faut aimer par-dessus tout le corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire son Eglise. Offrez-lui, à ce tout-puissant, l'eau pour laver ses pieds divins ; ne vous contentez pas de leur donner un baiser stérile: accordez, au nom du Dieu des miséricordes, le pardon des coupables, le repos et la paix à tant d'affligés. ! Versez l'huile de vos bienfaits sur les pieds du Sauveur; et que toute la maison du Christ, l'Église entière, soit embaumée du parfum de votre clémence! Que tous les conviés, tous ceux qui s'asseoient comme vous au banquet eucharistique, se puissent réjouir, avec les anges du ciel, à la bonne odeur de vos vertus, à l'heureuse nouvelle d'un pécheur repentant et absous! Les apôtres, les prophètes, applaudiront à cet acte de générosité chrétienne. Les yeux ne peuvent dire à la main : Je n'ai que faire de votre service; vous ne m'êtes point nécessaire. Tous les membres de Jésus-Christ sont solidaires les uns des autres, et vous avez besoin de leur concours pour être introduit dans les tabernacles éternels ! » — « Quand j'eus ainsi parlé continue saint Ambroise, je descendis de chaire et l'empereur me dit : Vous avez assez longuement parlé de moi! — Seigneur, repris-je, j'ai dit ce que je croyais utile pour le salut de votre âme. — Je l'avoue, dit Théodose; j'ai été un peu trop sévère pour
============================================
p591 CHAJ. V. — TUEODOSE A MILAN.
l'évêque de Gallinique, au sujet de la synagogue juive. Mais déjà j'ai réparé ma précipitation. Cependant les moines de l'Osroène se livrent à des violences regrettables. — Le maître de la cavalerie, Timasius, saisissant cette dernière parole, se mit alors à faire une vraie diatribe contre les moines. Je l'interrompis en disant : C'est à l'empereur que je parle; il a l'esprit de crainte de Dieu. Si j'avais à traiter ce sujet avec vous, mon langage serait différent. — Cependant je restais debout en face du siège impérial, et je dis à Théodose : Je vais offrir l'auguste sacrifice en votre nom. Faites que je puisse accomplir sans crainte l'auguste mystère. Déchargez mon âme du poids qui l'accable ! — Il me fit signe que ma demande était exaucée; mais je voulais une parole formelle. Supprimez toute la procédure commencée, lui disais-je; autrement un comte, ou quelqu'autre officier subalterne, ne manquera pas d'en profiter pour accabler les chrétiens. — L'empereur me le promit. Je vais donc, repris-je, sur votre parole, célébrer le sacrifice. — Deux fois de suite, je répétai ma phrase. Il finit par me répondre : Oui, vous avez ma parole. — Je montai alors à l'autel. Car sans cela je me fusse abstenu 1. »
44. La victoire d'Ambroise était complète. A quelques jours de là, nouvel incident. Une députation du sénat romain, ayant à sa tête le fameux Symmaque, invitait les deux empereurs à se rendre au Capitole pour y recevoir les honneurs du triomphe. Par un sous-entendu habilement dissimulé aux yeux du public, mais suffisantment expliqué dans les bureaux de la chancellerie, on insinuait que la concession du fameux autel de la Victoire serait un gage de réconciliation et de paix. Ambroise eut bien vite déjoué cette manœuvre idolâtrique. « Je me rendis au palais, dit-il, et devant les deux princes, je déclarai ouvertement ma pensée. » Son objurgation fut comprise. Théodose répondit aux députés qu'il se rendrait dans la ville éternelle, mais il ne permit point qu'on insistât sur la restauration de l'autel idolâtrique» Au lieu de ce compromis qui eût déshonoré sa politique franchement chrétienne, il annonça
----------------------------------
1 &. Ambros., Epitl. xli.
=========================================
p592 PONTIFICAT DE SAINT SIRICIUS (385-39S).
qu'il supprimait tous les droits de bienvenue, de joyeux avènement, et jusqu'aux gratifications que les courriers impériaux avaient coutume de percevoir, à l'occasion des nouvelles favorables dont ils étaient parfois chargés. Symmaque accueillit cette libéralité avec reconnaissance. «Plût au ciel, s'écriait-il, que l'avarice des particuliers prît exemple sur la modération du législateur, et que les mœurs privées fussent conformes à de si sages lois 1 ! »
45. De son côté, Théodose avait dit : « Je ne veux pas qu'on fasse payer aux malheureux le prix de la joie publique!» Pour la première fois, la loi fut appliquée lorsque ses courriers entrèrent à Piome, apportant la nouvelle que les deux empereurs acceptaient les honneurs du triomphe et visiteraient en personne la capitale du monde. On les couvrit de fleurs, seuls présents qu'ils n'eussent point ordre de refuser, et, le 14 juin 389, Théodose, ayant à ses côtés son jeune collègue Valentinien II, suivit au nom du Dieu de l'Évangile cette voie triomphale que les Césars avaient parcourue tant de fois en invoquant les divinités idolâtriques. Un grand nombre de sénateurs païens, émus par ce spectacle, embrassèrent la foi de Théodose, comprenant que l'avenir du monde était à elle. Saint Prudence, qui nous a conservé le récit de ces conversions patriciennes, où la politique joua vraisemblablement un rôle plus considérable que la sincérité religieuse, décrit avec complaisance le spectacle offert alors par les pères conscrits déposant la robe prétexte pour revêtir la blanche tunique des catéchumènes. Quelle que fût la valeur réelle de ces transformations soudaines, elles eurent du moins le mérite de n'être ni imposées par la force, ni même indirectement sollicitées par les avances impériales. Pendant un mois, Rome fut tout entière à l'ivresse des fêtes. On ne se lassait pas de contempler le héros qui faisait revivre la gloire du grand Constantin et les vertus civiles de Trajan. Nous n'avons plus aucun détail sur l'entrevue qui dut avoir lieu, en cette circonstance, entre le pape Siricius et les deux empereurs. Nous sommes mieux renseignés à l'égard du sénateur panégyriste
-------------------------
1 Symiiiacb., Epist. si-xv
=========================================
p593 CHAP. v. — Théodose a milan.
Symmaque. Il se retronva à son poste, pour déclamer emphatiquemsnt l'éloge du héros. Théodose était habitué aux accents de cette éloquence mercenaire, qui célébrait tous les triomphes, et glorifiait l'un après l'autre tous les succès. Il laissa couler ce torrent d'hyperboles banales sans l'interrompre. Seulement, l’orateur s'élant permis de ramener la question de l'autel de la Victoire, Théodose l'arrêta et lui témoigna son mécontentement. Symmaque se crut perdu ; mais sa disgrâce n'était pas aussi sérieuse qu'il l'imaginait. L'empereur le fit mander quelques jours après, l'invita à ne plus renouveler sans cesse sa pétition idolâtrique, et lui promit le consulat pour l'année suivante.
46. Des traits de ce genre faisaient bénir le nom de Théodose. Il est à regretter pour sa gloire qu'il ne se soit pas montré semblable à lui-même dans une circonstance beaucoup plus grave. La ville de Thessalonique, capitale de l'illyrie, s'était révoltée à propos de l'arrestation d'un écuyer du cirque, pour lequel le peuple professait le plus vif enthousiasme (389). Les magistrats de la ville furent massacrés, et le gouverneur, Bothéric, qui avait signé l'ordre d'emprisonnement, fut lapidé par la populace. Cette émeute était d'autant plus coupable que la mesure qui l'avait occasionnée était de toute justice : l'écuyer se l'était attirée par ses mœurs infâmes. A la nouvelle de l'attentat, Théodose, dans l'excès de sa colère, s'écria qu'il fallait anéantir la ville coupable, pour frapper les esprits par un exemple terrible et prévenir à jamais le retour de pareils désordres. Saint Ambroise parvint à modérer ce premier mouvement, et l'empereur lui promit de procéder selon les règles de la justice. L'affaire fut soumise au conseil impérial : on y résolut de punir Thessalonique par la décimation des habitants. L'ordre fut tenu secret, de peur d'éveiller la sollicitude de saint Ambroise. On réunit toute la population au théâtre, sous prétexte d'une course de chars; mais, au lieu du signal des jeux, celui du massacre fut donné aux soldats qui environnaient le cirque. Le carnage continua pendant trois heures, sans distinction de citoyens ou d'étrangers, d'âge, de sexe, de crime ou d'innocence ; sept mille personnes périrent. La douleur de saint Ambroise fut sans bornes. Théodose
===========================================
p594 PONTiriCAT HE SAINT SII'.ICICS (otJÔ-3'JS).
lui-même , épouvanté de ton action, demeura huit mois sans approcher de l'église, la conscience bourrelée de remords. Saint Ambroise lui en avait interdit l'entrée ; et comme Théodose insistait , en s'appuyant sur l'exemple de David à qui Dieu avait pardonné sa faute, l'évêque lui répondit : «Vous l'avez imité dans son crime; imitez-le dans sa pénitence! » Enfin, à la fête de Noël l'empereur se présenta aux portes de la basilique. Ambroise lui fit d'abord souscrire une loi portant que les sentences de mort et de confiscation recevraient désormais leur exécution seulement trente jours après qu'elles auraient été prononcées, pour laisser le temps à la raison de revenir sur un premier mouvement de colère; ensuite, il lui donna l'absolution. Théodose entra alors dans l'église, et là, en présence de tout le peuple assemblé, ayant dépouillé ses ornements impériaux, il se prosterna sur le parvis, l'arrosant de ses larmes et répétant les paroles de David : Adhœsit pavimento anima mea : vivifica me secundum verbum tuum. Il resta dans cette attitude pendant toute la première partie du sacrifice. Au moment de l'offrande, il se leva, encore tout en pleurs, et pénétra dans le sanctuaire pour présenter lui-même ses dons. Il voulut regagner ensuite la place qu'il occupait ordinairement. C'était un siège particulier que, d'après une coutume usitée à Constantinople, il avait cru pouvoir se réserver parmi les prêtres, dans la partie la plus élevée du chœur. Il s'assit et attendit la communion. Mais Ambroise, que cette distinction importée d'Orient avait toujours choqué, crut le moment favorable pour la faire disparaître. Il lui envoya dire par son archidiacre: « Seigneur, les ministres sacrés ont seuls le droit de se tenir dans le sanctuaire. La pourpre fait les empereurs, mais non les prêtres ! » — Théodose accepta humblement cette mortification; il sortit du choeur et alla prendre rang parmi les laïques. Plus tard, retourné à Constantinople, il ne consentit plus à occuper le trône qui lui était préparé dans le sanctuaire. Il fit disposer en dehors de la balustrade un siège placé un peu an-dessus des autres fidèles, et n'en voulut pas d'autre. Nectaire lui en témoignant sa surprise, Théodose répondit : « Je sais ce que je dois faire pour honorer à la fois
============================================
p595 . V. — T1IÉ0D0SE A MILAN.
le sacerdoce et l'empire. Ici je suis entouré de flatteurs. Je n'ai rencontré qu'un seul homme qui m'ait dit la vérité sans déguisement, c'est l'évêque Ambroise! »
47. Le souvenir du massacre de Thessalonique le poursuivit tout le resta de sa vie. La pénitence publique à laquelle il venait de se soumettre à Milan avait été d'autant plus solennelle et plus méritoire qu'elle s'était accomplie en présence d'un concile des évêques d'Italie et des Gaules, réuni, sous la présidence de saint Ambroise, pour la condamnation de Jovinien. Nous avons parlé plus haut de ce moine apostat, dont les désordes avaient déjà été si énergiquement flétris par saint Jérôme. Le pape Siricius, dès l'année précédente, dans un synode tenu à Rome, avait prononcé l'anathème contre le nouvel hérésiarque. Jovinien ressuscitait les pernicieuses erreurs de Basilide et des anciens gnostiques. Il prétendait que le célibat ecclésiastique et religieux était chose fort indifférente en soi, puisque, disait-il, « les œuvres bonnes ou mauvaises n'ont aucune valeur intrinsèque. Une fois l'âme régénérée par le baptême, elle est sauvée pour jamais: nulle souillure ne pourrait l'atteindre, de même que nulle vertu la sanctifier. » Ce détestable principe ouvrait la voie aux débordements les plus monstrueux. Jovinien se permettait en outre contre le dogme de la virginité de Marie des blasphèmes qui révoltaient toutes les consciences catholiques. «A moins, disait-il, de convenir avec les Manichéens que le corps de Jésus-Christ ait été une apparence fantastique, on est forcé de reconnaître que si la mère de Dieu a pu conserver sa virginité avant l'enfantement, elle ne le put absolument point après.» En conséquence, Jovinien accusait tous les catholiques de n'être au fond que des Manichéens déguisés. Loin de se soumettre à la sentence portée contre lui par saint Siricius, il en appela à l'empereur Théodose et partit avec ses fauteurs pour Milan. Le souverain pontife écrivit alors à saint Ambroise une lettre synodale qui fut adressée à tout l'épiscopat d'Occident. Elle était ainsi conçue : « J'aurais désiré, frères bien-aimés, n'avoir à mander à votre dilection que des nouvelles de charité et de paix. Mais l'antique ennemi, jaloux de la tranquillité extérieure dont jouit en ce mo-
===========================================
p596 PONTIFICAT DE SAINT SIRICIUS (383-398).
ment l'Église de Dieu, lui suscite des discordes intestines. Il fait surgir un imposteur qui se révolte contre la vertu, tient école de luxure, dévore les âmes, proscrit la chasteté, le jeûne, la mortification, et proclame la maxime flétrie par l'Apôtre : Mangeons et buvons, car nous mourrons demain1 ! Audace insensée! Désolante perversité de l'esprit humain ! Comme un cancer qui ronge sourdement la chair vive, jusqu'à ce qu'il ait atteint le cœur, ces impies se tinrent longtemps dans l'ombre et le silence, propageant en secret leurs infernales doctrines. Mais ils viennent de lever le masque, et, de toutes parts, les chrétiens fidèles se sont adressés à mon humble personne pour protester contre tant de scandales et obtenir un jugement définitif. Certes ! Nous qui présidons chaque jour aux mariages chrétiens, nous ne saurions souffrir qu'on outrage la sainteté de ce sacrement. Nous qui bénissons les alliances spirituelles contractées avec le Seigneur par les vierges de Jésus-Christ, nous ne saurions permettre qu'on dépouille la sainte virginité de la prééminence dont elle jouit dans l'Église. Ayant donc assemblé notre presbyterium, nous avons déclaré que ces erreurs sont contraires à notre doctrine, c'est-à-dire à la loi chrétienne l. Nous avons, au nom de Dieu et par notre jugement solennel, banni de l'Église et excommunié Jovinien, Auxence, Genialis, Germinator, Félix, Plotinus, Marcien, Januarius et Ingeniosus, ainsi que tous les fauteurs et adhérents de cette hérésie sacrilège. Votre fraternité aura donc à faire exécuter notre sentence pontificale 3. »
48. L'appel de Jovinien à Théodose, dont le pape voulait prévenir le mauvais effet par ce rescrit apostolique, n'eut d'autre résultat que de rendre la condamnation de l'hérésiarque plus solennelle eu la faisant promulguer par un nouveau concile, à Milan. Saint Ambroise réunit dans cette ville Eventius, évêque de Ceno, Félix de Zader (Salone), Maximus d'Emone, Bassianus de Lauda (Lodi), Théodore d’Octodurum (Saint-Maurice, Martigny en Valais), Constance d'Arausio (Orange), et le prêtre Aper, au nom de Geminianus,
----------------------------------------
1 I Cor., xv, 32. — 2. Facto igitur presbyterio, constitil doctrinœ nostrœ, id est christianw legi, esse contrariw»— 3. S. Siric, Epist. vu ; Putr. lat., tom. XIU, col. nés.
===========================================
p597 CHAP. V. — TttEODOSE A MILAN
évêque de Mutina (Modène). Voici leur réponse au pape : « Les lettres de Votre Sainteté nous ont apporté un nouveau témoignage de la vigilance pastorale avec laquelle vous gardez la porte du bercail qui vous est confié, de la pieuse sollicitude que vous apportez à la direction du troupeau de Jésus-Christ. Toutes les brebis du Seigneur doivent vous écouter et vous suivre. Vous avez démasqué le loup qui se glissait sous l'apparence d'un agneau; vous avez poussé le cri d'alarme, pour écarter le ravisseur. Soyez-en béni, seigneur et frère bien-aimé, et recevez les actions de grâces que nous vous adressons unanimement à ce sujet. Les nouveaux hérétiques prétendent réhabiliter le mariage, comme si nous ne reconnaissions pas que Jésus-Christ a élevé le mariage à la hauteur d'un sacrement, quand il a dit : Erunt ambo in carne una : quod ergo Deus conjunxit homo non separet. Mais si le mariage, institué pour la propagation de la race humaine, est bon et saint; la profession de la virginité, instituée en vue de l'héritage du royaume des cieux, est encore plus excellente. Jésus-Christ a élu pour lui-même cet état privilégié ; il nous en a donné en sa personne le divin modèle, après l'avoir choisi dans sa mère. Quelle n'est pas l'impudence de ces blasphémateurs qui osent s'attaquer à la virginité auguste de Marie ! La foi véritable est contenue tout entière au symbole des Apôtres, que l'Église romaine a toujours conservé et maintenu inviolable 1. Marie fut vierge avant l'enfantement, vierge après. C'est elle dont le prophète avait dit Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils2. Le Temple de Jérusalem avait une porte mystérieuse, la porte extérieure tournée vers l'Orient, qui demeurait fermée, et par laquelle nul ne devait passer sinon le Dieu d'Israël seul 3. Cette porte c'est Marie par qui le Rédempteur est entré dans le monde. Marie est vraiment la porte de justice, la porte par laquelle le Seigneur a passé, et depuis cette porte est demeurée close. C'est-à-dire que la bienheureuse Marie, vierge quand elle conçut, vierge quand elle enfanta, est demeurée toujours vierge. Mais il ne nous appartient
-----------------------------------
1 Saint Ambroise et les pères de Milan font ici allusion à la parole du symbole des apôtres : Natus ex Maria virgine. — 2. Isa., vil, H. — 3. Ezech,, MJf, 2.
==========================================
p598 rcOTincAT de sai.tt sinicies (333-39S).
point de tenir ce langage et de transmettre des enseignements à vous qui êtes le maître et le docteur de la foi. Il nous suffît de mander à Votre Sainteté qu'en exécution de la sentence rendue par elle, nous avons condamné les hérésiarques frappés de ses enatbèmes. Que le Dieu Tout-Puissant daigne, seigneur et frère bien-aimé, vous conserver en prospérité et en gloire 1 ! » Le synode de Milan ratifia aussi, à la demande des évêques des Gaules, la sentence prononcée l'année précédente à Nemausus (Nîmes), dans un concile provincial, contre le fameux Ithacius. La mort de Maxime avait enlevé à ce prélat intrigant son principal appui. Ithacius fut déposé de l'épiscopat, et mourut quelque temps après en exil (292). La part qu'il avait prise, soit par lui-même, soit par ses adhérents, à l'élection du nouveau métropolitain de Trêves, Félix, fut un motif de suspicion contre ce dernier. Un grand nombre d'évêques de la Germanie et des Gaules refusèrent d'abord de l'admettre à leur communion. « Mais, dit Sulpice Sévère, Félix était un homme de vertu, de science et de piété, digne en tout point de l'épiscopat2. » Lu schisme auquel son élection donna lieu ne fut pas de longue durée, et ne renouvela point en Occident les dissensions opiniâtres de celui d'Antioche.
49. Des événements plus considérables se passaient alors en Orient et attirèrent toute l'attention de Théodose. L'essai infructueux de Symmaque à Rome et de Libanius à Constantinople, en faveur d'une restauration païenne, n'avait pas découragé les fauteurs des idoles. Serrés en faisceau compact autour de leurs faux dieux, puissamment organisés en des affiliations ténébreuses qui furent le berceau de nos modernes sociétés secrètes, les partisans du vieux culte poursuivaient sur tous les points du monde leur résistence occulte mais acharnée. Ceux qui, dans les plaines des Turones s'opposaient à l'action de saint Martin, étaient en correspon-dance avec leurs frères d'Italie et des provinces orientales. Partout les démons défendaient leur dernier asile; et comme « le fort
-------------------------------
1. S». Ambros., E/iisi. xui ; Pair, lat., tom. XVi, col. 1124, passim. — 2. Suivit, i-ev., Dialog. 111.
===========================================
p599 chap. v. — TnF.onnsE a milan.
armé » du récit évangélique, livraient à la foi chrétienne un combat d'autant plus redoutable qu’il paraissait être le dernier. L'histoire doit recueillir avec soin et étudier sérieusement cette lutte suprême, où les Césars retournèrent contre l'idolâtrie un glaive qu'ils avaient mis durant trois siècles à sa disposition contre les fidèles de Jésus-Christ. Il importe surtout de remarquer l'origine du germe d'insurrection déposé au sein des sociétés actuelles par les derniers tenants du paganisme et de l'idolâtrie démoniaque, fertile en fruits de mort, ce germe est le même qui, développé aujourd'hui par le rationalisme et la révolution, couvre l'Europe de ruines et dévaste les âmes. Moins on a précédemment insisté sur ce fait capital, plus nous avons l'obligation de le mettre en lumière. Les problèmes politiques et sociaux qui agitent notre époque contemporaine remontent jusque là. Il est bon qu'on le sache; ne fût-ce que pour déterminer enfin les esprits sérieux et calmes à comprendre que seul le catholicisme a le secret des solutions pacifiques et le remède à nos blessures en apparence si désespérées. Au IVe siècle, comme de nos jours, il ne manquait pas d'esprits rebelles qui repoussaient énergiquement le remède de la foi chrétienne. Loin d'en reconnaître la salutaire efficacité, ils soutenaient que les désastres de l'empire romain dataient du jour où les Césars avaient été assez aveugles pour embrasser la foi du Christ. Cette vue erronée, que saint Augustin réfuta plus tard avec tant de magnificence dans son immortel ouvrage de la Cité de Dieu, était alors populaire et séduisait les hommes les plus graves. Au fond de cette erreur, se trouvait, comme toujours, une vérité altérée. A cette époque, le dogme de la Providence, que nos rationalistes voudraient supprimer aujourd'hui, était universellement respecté. On n'avait point encore inventé un Dieu plastique et constitutionnel qui se laissât reléguer dans les régions abstraites où l'on règne et ne gouverne pas. On croyait alors que Dieu régit le monde. Or, comme le Dieu de l'Évangile ne semblait point donner à l'empire romain les prospérités matérielles dont il avait joui sous le sceptre de Jupiter, on voulait réagir contre Jésus-Christ, au nom des dieux de l'Olympe.
============================================
p600 TONTIFICAT DE SAINT SIRICIUS (383-398).
50. Telle était la signification profonde des luttes que le thaumaturge de Tours soutenait dans les Gaules contre les partisans attardés du druidisme. Tel était le sens des réactions païennes en Italie et en Orient. Théodose avait eu à se prononcer, dans ce conflit entre les deux cultes. Tous les hommes d'état en sont au même point. Il leur faut savoir se décider nettement, franchement, carrément entre la vérité et l'erreur, entre le bien et le mal, entre Jésus-Christ et Satan. Quelle que forme que revête le débat, il leur faut prendre un parti, sous peine d'échouer misérablement à la poursuite d'une conciliation impossible. On concilie des hommes, on transige avec des intérêts; jamais on n'accordera entre eux la vérité et le mensonge. Théodose le comprit, et, dès la première année de son règne, il avait ordonné à Cynegius, préfet du prétoire, de parcourir l'Asie pour y détruire les temples idolâtriques. Constantin les avait seulement fait fermer. Réouverts par Julien l'Apostat, ils avaient été une seconde fois abandonnés; le vide s'était peu à peu élargi autour de leur enceinte. Maintenant l'empire était chrétien : il était temps d'abattre des monuments de superstition et d'erreur dont la vue seule entretenait les espérances de quelques païens opiniâtres. Cynegius s'était mis à l'oeuvre. Il ne trouva guère de résistances. La ville d'Apamée entreprit cependant de défendre son temple de Jupiter. C'était un vaste édifice, décoré avec tout le luxe et toute la richesse de l'Orient. Ses assises de pierres de taille, reliées entre elles par des crampons de fer, eussent défié une armée de démolisseurs. Saint Marcel, évêque d'Apamée, conseilla au préfet de ne pas s'épuiser en vains efforts. « Je prierai Dieu, dit-il, et il saura bien renverser l'édifice infâme! » Le saint évêque pria, et, de lui-même, le temple s'écroula avec un fracas épouvantable. La rage des païens ne connut plus de bornes. Quelques jours après, saint Marcel était à Aulona, au pied du Liban, se disposant à faire démolir un édifice du même genre. Retiré à l'écart, il priait sur la montagne, quand les idolâtres fondirent sur lui, le jetèrent sur une pile de bois à laquelle ils mirent le feu, et le brûlèrent vif (14 août 387.)