St Damase 1

Darras tome 10 p. 224

 

§ I. Étatdes esprits àRome.

 

   1. L'Église de Rome, à la mort de saint Liberius, offrait en résumé et comme en raccourci le tableau des luttes, des vertus, des ambitions et des vices, dont les éléments fermentaient alors sur tous les points de l'Orient et de l'Occident. A la secte Novatienne, véritable jansénisme de cette époque, était venue s'adjoindre la faction des Lucifériens. Ces derniers, ainsi nommés parce qu'ils se donnaient pour chef Lucifer de Cagliari, l'auteur involontaire du

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schisme d'Antioche, refusaient d'admettre à la pénitence et à la réabilitation les évêques, ou les clercs, compromis à un titre quelconque, durant les troubles de l'arianisme. Pour eux, comme pour les Pauliniens d'Antioche; comme jadis pour Tertullien et les Montanistes, la grâce une fois perdue l'était pour toujours. Singulière obstination de l'esprit humain, à se fermer systématiquement le chemin du repentir, quand l'expérience quotidienne lui prouve sans cesse la mobilité et la faillibilité de sa nature ! Il nous reste de la faction Luciférienne un document du plus haut intérêt, rédigé par deux prêtres de Rome, Faustin et Marcellin, sous le titre de Libellus precum ad imperatores, dont nous ferons connaître plus amplement le caractère et les tendances, à mesure que nous avancerons dans l'histoire de cette période si pleine d'agitations et de révoltes intellectuelles et sociales. Pour le moment, il nous suffit de noter que les Lucifériens, pendant la vie de saint Liberius, blâmaient hautement la condescendance avec laquelle ce pontife admettait la rétractation des évêques signataires du concile de Rimini. La mission réconciliatrice donnée par le pape à saint Hilaire et à saint Eusèbe de Verceil, en Occident, leur paraissait une apostasie déguisée. Par le même principe, ils condamnaient eu Orient la conduite de saint Athanase, de saint Basile et de Grégoire de Nazianze, lesquels avaient embrassé la communion de Mélèce d'Antioche, au préjudice de celle des Pauliniens. Le siège d'Antioche, fondé par saint Pierre en personne avait dès lors une importance considérable. On le regardais comme la métropole de l'Asie. Le schisme qui le divisait tenait tous les esprits en suspens, et les Lucifériens s'étaient déclarés énergiquement contre saint Mélèce.

 

2. Mais si les deux patriarches d'Antioche et d'Alexandrie avaient quelques ennemis à Rome, ils y comptaient un bien plus grand nombre d'admirateurs et d'amis. Saint Athanase surtout y était connu personnellement. On se souvient qu'en l'an 341, sous le pontificat de Saint Jules I, il y avait reçu l'hospitalité la plus cordiale et la plus dévouée 1. Durant son séjour dans la ville éternelle,

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(1) Cf. tom, IX de cette Histoire, pag. 369.

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Athanase avait à ses côtés deux solitaires de Nitrie, Ammonius et Isidore, formés à la vie cénobitique par les exemples et les leçons de saint Antoine, ce patriarche du désert. On dit qu'Ammonius poussait si loin l'amour de la retraite qu'il ne voulut pas visiter un seul des monuments profanes de Rome. Au sortir de la métropole de l'univers, il n'y connaissait que les tombeaux des apôtres saint Pierre et saint Paul, où il avait passé les jours et les nuits en prières 1. Plus jeune qu'Ammonius et moins enveloppé dans un manteau de silence et de solitude, Isidore seul avait accompagné saint Athanase dans ses visites aux familles sénatoriales et patriciennes. On faisait raconter au patriarche d'Alexandrie les merveilles d'austérité, de pieux labeurs et de mortifications saintes dont la Thébaïde était alors le théâtre. Athanase intervenait dans ces conversations avec l'autorité de son expérience. Il parlait de Paul premier ermite, de saint Antoine surtout, dont il avait recueilli le glorieux héritage. Si merveilleux que fussent ces récits pour l'Occident, où la ressource du désert avait manqué aux fidèles persécutés, ils n'étaient cependant pas sans analogie avec ce qui s'était pratiqué à Rome même, depuis trois siècles. Les catacombes y avaient tenu lieu des solitudes de Nitrie, de Scété et de la Thébaïde. Le désert factice et souterrain y avait remplacé le désert naturel. La longueur totale des galeries creusées par les fossores et les arenarii, représente 540 milles, c'est-à-dire une ligne égale à toute la chaîne des Apennins, depuis les Alpes jusqu'à la mer de Sicile. Aucun historien jusqu'à ce jour n'a songé à indiquer ce rapprochement entre les cénobites de l'Égypte chrétienne et les habitants des catacombes de Rome. Cependant la comparaison n'a rien d'arbitraire. Des deux côtés, c'était la même solitude, avec la différence qu'à Nitrie ou à Scété, l'anachorète vivait au grand soleil, en face de la nature et dans une liberté absolue, sous l'œil de Dieu ; tandis qu'aux catacombes, le fossor, l’arenarius qui y passaient leur vie, de même que le simple fidèle qui s'y réfugiait momentanément, devaient renoncer à la lumière, à l'air, au soleil, pour s'ensevelir vivants parmi les sé-

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1 Socral., liist, eccles., lib. IV, cap. xxui.

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pulcres des morts, dans une captivité volontaire. On se tromperait donc étrangement si l'on croyait que les idées de retraite, de solitude et de réclusion monastique fussent inconnues à Rome, au temps de saint Athanase. Nous avons signalé, dès le premier siècle, les collèges de vierges et de veuves qui se consacraient à Dieu sur la tombe des martyrs. Depuis saint Clément qui écrivait son Épître ad Virgines en l'an 105, jusqu'à Liberius qui donnait solennellement le voile à la sœur de saint Ambroise, Marcellina, le jour de Noël de l'an 332, il n'y eut jamais à Rome d'interruption dans la vie cénobitique ou monacale. Seulement les récits de saint Antoine et de ses deux compagnons firent naître l'idée de transporter dans des communautés spéciales ce qui se pratiquait depuis longtemps aux catacombes, ou dans le silence des maisons particulières. Parmi les clercs de l'Église romaine qui prenaient le plus de plaisir à entendre les nobles étrangers se trouvait un jeune Espagnol, nommé Damase, celui-là même que saint Liberius choisit plus tard pour son archidiacre. Damase était un familier des catacombes. Les récentes découvertes de M. de Rossi l'ont suffisamment prouvé. Il s'établit dès lors, entre le patriarche d'Alexandrie et le diacre de Rome, une intimité qui dura autant que la vie de l'un et de l'autre. Les illustres patriciennes Marcella, Sophronia, Asella, Furia, Fabiola, Paula et ses deux filles Blesilla et Eustochium, mettant en pratique les règles de vie commune dont saint Athanase leur avait décrit les merveilles, formèrent, dans un de leurs prœdia, au mont Aventin, une véritable communauté de vierges et de veuves, sur le modèle de celles d'Alexandrie. Marcella avait hérité du grand nom des Marcellus: elle rehaussait l'éclat de cette noble race par une beauté qui n'avait pas d'égale. Mariée à la fleur de l'âge, elle perdit son époux, après sept mois d'union. Renonçant dès lors à toutes les espérances du monde, elle ne voulut vivre que pour Dieu. Cerealis, beau-frère de Constantin le Grand, et oncle des Césars Gallus et Julien, la poursuivit de ses vœux inutiles. La fortune de Cerealis était l'une des plus considérables de l'empire. Lui-même était avancé en âge. Il disait à Marcella : « Laissez-moi faire de vous la femme la plus riche du monde. — Elle répondit : Ma fortune est moins grande que

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la vôtre. Telle qu'elle est cependant elle suffira pour les pauvres et pour moi. » Cerealis insistait. « Je suis vieux, disait-il, mais les vieillards peuvent vivre longtemps et les jeunes gens mourir vite. Vous en avez fait la triste expérience.» Marcella répondait : « Si je voulais me remarier, je chercherais un époux, non un héritage 1.. » Le refus persévérant de l'héroïque veuve, au lieu d'inspirer le respect que mérite toute vocation sincère, devint l'objet des calomnies les plus odieuses. Saint Jérôme ne nous fait pas connaître leur nature : mais il nous est facile de suppléer à son silence, en rapprochant ce détail de l'imputation injurieuse des prêtres Lucifériens, Faustin et Marcellin, dans leur Libellus precum. Ces deux schismatiques accusent formellement les mœurs de Damase : « Son crédit près des patriciennes, disent-ils, est assez notoire, et nous n'avons pas besoin d'insister sur ce qu'il a de déshonorant. Tout le monde sait que Rome lui a infligé l'épithète de cure-oreilles des grandes dames 2. » Ainsi Damase était mêlé dans les calomnies dont Marcella subissait la rude affliction. « Et pourtant, dit saint Jérôme, jamais Marcella ne sortait sans sa mère. Elle ne recevait chez elle les clercs, ou les moines, qu'en présence de témoins. Toujours on la voyait escortée de vierges pures, de pieuses veuves, de saintes femmes. Mais dans une ville qui est la sentine du monde, qui fait consister sa gloire à ternir les réputations les plus pures, à souiller tout ce qui est immaculé, on conçoit que la vertu de Marcella n'ait pas été épargnée. Du reste, la veuve chrétienne ne se laissa point intimider par ces vaines rumeurs. Bravant le discrédit qui s'attachait alors à la profession monastique chez les femmes, elle se résolut à fonder une communauté religieuse d'après les règles données par saint Pacôme aux monastères égyptiens de vierges et de veuves. Le patriarche Athanase les lui avait

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1. S. Hicronym., Epist. cxxvn; Pair, lat., tom. XXII, col. 10S7.

Quem in tantrn malronœ ililigebant, ut malronarum aun'sca/pius vitlereiui (Faustin. et Marcellin., Libell. prec. ad Imperat.; Pair, lat., tom. XIII, col. 83). Nous avons déjà prévenu le lecteur que nous dirions, sans réticenses, toutes les calomnies dont les papes furent l'objet, à travers les siècles. On voit que nous tenons parole.

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apprises. Ce grand homme lui avait raconté les prodiges opérés dans la solitude par saint Antoine qui vivait encore 1. Enflammée par ces exemples, Marcella ne rougit point d'une profession qu'elle savait plaire à Jésus-Christ 2. » Elle inaugura donc, sur le mont Aventin, la première communauté religieuse de femmes qu'on ait vue dans la ville éternelle. Les grands noms de la Rome païenne vinrent tout d'abord s'inscrire sur la liste des servantes du Crucifié. Furia était la descendante des Camilles ; Fabiola se recommandait du nom de Quintus Fabius Maximus et rappelait la gloire du fameux Cunctator; les Paul-Émile revivaient dans la veuve Paula et ses deux filles Blesilla et Eustochium. La sœur de saint Ambroise, Marcellina 3, se joignit à cette légion d'illustres chrétiennes qui reçut encore dans son sein la veuve Asella et la vierge Félicité, sur lesquelles nous n'avons pas d'autres détails. Damase était l'âme de cette réunion sainte, où plus tard saint Jérôme trouva lui-même tant de satisfactions pour sa piété, et un champ si fécond pour sa parole ardente et son zèle ascétique.

 

3. Qu'on ait calomnié, à propos même de ces relations vraiment sacerdotales, saint Damase et saint Jérôme, nous ne nous en étonnerons point. La vertu, et c'est son plus magnifique privilège, n'éclate jamais sans éveiller l'œil de la jalousie. Il y avait dans la composition intime du clergé de Rome, à cette époque, un élément de discorde que Liberius put comprimer de son vivant, mais qui devait éclater à la mort du saint Pontife. On se rappelle que

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1. C'est à tort que M. Amédée Thierry, s'appuyant de cette parole de saint Jérôme, a écrit la phrase suivante : «Lorsque Athanase partit de Rome, il laissa pour souvenir à ses hôtes un exemplaire de sa Vie d'Antoine, le premier qu'on ait encore vu en Occident. Marcella garda ce livre comme un trésor et un guide qui décida plus tard de sa vie.» (Am. Thierry, S. Jérôme, tom. I, pag. 26.) La vérité est que la Vie de S. Antoine ne fut écrite par Athanase qu'en l'an 363, vingt-quatre ans après le voyage de S. Athanase à Rome. (Cf. Vitu. S. Athan., edit. Benedict.; Patrol. grœc.,tom. XXV, col. 104.)

2. S. Hieronym., Epistol. cxvil.

3. « Nous ne savons rien de Marcellina et de Félicité, deux autres sœurs du conventicule, » dit M. Am. Thierry (.S. Jérôme, tom. I, pag. 32). Si le savant académicien s'était reporté au discours de Liberius pour la prise de voile de sainte Marcellina, il aurait, comme nous, acquis la certitude que Marcellina, fille d'un ancien préfet des Gaules, était sœur de S. Ambroise.

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l'élection de Félix II avait été très-vivement contestée. Une fraction considérable du peuple, et quelques membres influents du clergé avaient toujours refusé d'en reconnaître la légitimité. Les deux prêtres Faustin et Marcellin étaient de ce nombre. A leur tête se trouvait Ursicinus, esprit ambitieux et remuant, qui visait dès lors au pontificat. Dans leur pensée, Félix avait été un usurpateur et un antipape. Seul Liberius représentait pour eux la véritable et l'unique légitimité pontificale. Or Damase, déjà archidiacre de Liberius, lors de l'exil de ce dernier, avait ouvertement communiqué avec Félix, son successeur intérimaire. Il paraît même qu'il avait reçu de Liberius, au moment où celui-ci partait en exil, l'ordre de retourner à Rome et d'y pourvoir, par une élection nouvelle, à la vacance du Saint-Siège. Ce point d'histoire, qui aurait une importance considérable, parce qu'il impliquerait la première démission spontanément donnée par un pape, ne saurait malheureusement être élucidé, tant qu'on n'aura pas découvert un texte complet des Gesta Liberii. Il est certain toutefois que Damase quitta Liberius à Milan, sur l'ordre même du pontife exilé. II est certain qu'il revint à Rome et communiqua avec Félix, dont il trouva à son arrivée l'élection accomplie. Enfin il n'est pas moins constant que Liberius, restauré sur le siège de Rome, ne se plaignit nullement de cette conduite de Damase, et qu'il le conserva dans ses fonctions d'archidiacre. On peut donc conjecturer, avec beaucoup de vraisemblance, que Damase en tout cela n'avait agi que d'après les instructions de Liberius lui-même. Toutefois le parti des purs, c'est ainsi que se nommaient les sectateurs d'Ursicinus, n'interprétait point aussi favorablement la conduite de Damase. Ils lui reprochaient, comme une apostasie, son adhésion à Félix II ; ils blâmaient la condescendance de Liberius à son égard; ils épuisaient tout le vocabulaire des injures contre Damase, cet auriscatpius des grandes dames, comme ils l'appelaient; enfin ils couronnaient tout leur échafaudage de calomnies par l'articulation d'un grief infamant, pareil à celui dont les Ariens prétendaient souiller la gloire d'Athanase. Ils osaient soutenir que Damase s'était, dans sa jeunesse, rendu coupable d'adultère.

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p231 CHAP. ».  — t'ÉLECTrON  PONTIFICALE.

 

II. L'élection pontificale

 

   4. Telle était la situation des esprits à Rome, à la mort du pape Liberius. Tout faisait prévoir un schisme, à propos de l'élection du successeur. Le schisme eut lieu. Écoutons d'abord la notice du Liber Pontificalis, dont nous éclaircirons ensuite les données sommaires par les témoignages plus étendus des auteurs contemporains. «Damase, espagnol de race, avait pour père Antonius. Il siégea dix-huit ans, deux mois et dix jours. Une faction rivale ordonna en même temps que lui le diacre Ursicinus. Réunis en conseil, les prêtres confirmèrent l'élection de Damase, parce qu'elle était l'œuvre de l'immense majorité du clergé et des fidèles. On chassa de Rome Ursicinus, qui fut plus tard évêque de Naples, et Damase demeura en possession du siège apostolique. Ce pontife érigea deux basiliques : l'une dédiée à saint Laurent, près du théâtre de Pompée; l'autre sur la voie Ardeatina, dans laquelle il choisit sa sépulture. Damase fit revêtir de plaques de marbre et décora d'inscriptions le cubiculum des catacombes (de sainte Cécile), où les corps des bienheureux apôtres Pierre et Paul avaient reposé durant le temps des persécutions. Il déploya tous les efforts de son zèle pour rechercher les tombes des martyrs, et les illustra par des vers qu'il composait lui-même à leur louange. Il adressa un constitutum à l'Église universelle. Calomnieusement accusé pour un prétendu crime d'adultère, il voulut se justifier dans un synode de quarante-quatre évêques, qui condamnèrent ses accusateurs, les diacres Concordius et Callixte, et les bannirent de l'Église. Damase enrichit la basilique de la voie Ardeatina qui porte son nom. Il lui donna une patène d'argent du poids de quinze livres; un calice ciselé de même métal de dix livres; cinq calices ministériales pesant chacun trois livres ; cinq couronnes lampadaires pesant chacune huit livres; un candélabre d'airain de seize livres. Il lui assigna en biens fonds les maisons contiguës à la basilique, d'un revenu annuel de cinquante-cinq solidi ; la villa Papyriana, sur le territoire Ferentin (aujourd'hui Fiorentino), rapportant deux cent vingt solidi; la villa Antoniana au territoire de Cassinum (Mont-Cassin),

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de cent-trois solidi : enfin les termes voisins, d'un revenu de vingt-sept solidi. Ce pontife régla par une constitution le chant des psaumes, aux diverses heures du jour et de la nuit, dans toutes les églises et monastères, ainsi que leur récitation par les évêques et les prêtres. Il fit à Rome cinq ordinations en décembre, et imposa les mains à trente et un piètres, deux diacres et soixante-deux évêques destinés à diverses provinces. Il fut enseveli, le III des Ides de décembre (11 décembre 384), dans la basilique qu'il avait fondée sur la voie Ardeatina, près du tombeau de sa mère et de sa sœur. Après lui, le siège épiscopal demeura vacante trente et un jours. »

 

5. Les renseignements patronimiques sur saint Damase, tels qu'ils nous sont fournis par cette notice du Liber Pontificalis, sont complétés par une inscription autobiographique placée par le pontife lui-même dans la basilique de Saint-Laurent. Il nous apprend que son père, dont le Liber Pontificalis nous a fait connaître le nom d'Antonius, avait été successivement greffier (exceptor 1), lecteur, diacre, et enfin prêtre de cette église; que la basilique de Saint-Laurent avait été pour lui-même le berceau de sa vocation sacerdotale, et que, promu au sommet de la puissance ecclésiastique, il avait voulu non pas construire à neuf la basilique Laurentienne 2, comme le texte du Liber Pontificalis pourrait le faire croire, mais seulement y ajouter un bâtiment pour les archives, et deux colonnades latérales 3. Cette

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1. Le titre d'Exceptor semble avoir été, à cette époque, donné à ceux qui transcrivaient les rapports, ou procès-verbaux des Notarii. C'est du moins ce qui résulte d'un passage d'Ennodius, qui dit de saint Epipaane, évêque de Pavie : Annorum ferme octo lecloris suscepit officium... Notarum in scribenda compendia, et figuras varias verborum mullitudinem comprehendentes brevi asse-cutus,in exceptorum numéro dedicalus enituit, cœpitque jam talis excipere, gualit posset sine bonorum oblocutione dictare (Ennod., Yit. B. EpipUanii Ticinensis ; Patr. lut., tom, LXIII, col. 208).

2 On se rappelle en effet que la Basilique de S. Laurent avait été édifiée par la piété de Constantin le Grand. Cf. tom. IX de cette Ilist., pag. 66.

Hinc paler axceplor, leciva, levila, sacerdos Crèverai hinc meritis quoniam melioribus actif. Jlinc mil.i provecto Clirislus, cui summn poleslas, Sedit apostolicœ voluit concedere honorem.

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p233 CHA.V.   II.   -— L'ÉLECTIOH   PONTIFICALE.

 

Inscription dont l'authenticité est incontestable répond, d'une part aux objections des critiques du XVIIe siècle, qui croyaient trouver une contradiction inconciliable entre les deux notices consacrées par le Liber Pontificalis à saint Sylvestre et à saint Damase. Dans la première, disaient-ils, on attribue à Constantin le Grand l’érection de la basilique Laurentienne ; on stipule les riches dons mobilières et immobilières qu'elle reçut de son prétendu fondateur. Et voici que, dans la seconde, c'est saint Damase qui érige une basilique déjà construite un demi siècle auparavant. Tel était le dilemme. Les adversaires du Liber Pontiftcalis avaient beau jeu pour accuser l'ignorance et la mauvaise loi d'Anastase le bibliothécaire, auquel ils attribuaient la composition intégrale de ce monument le plus précieux de l'antiquité romaine. Tout se réduisait, comme on le voit, à une expression impropre de la notice de saint Damase, expression rectifiée pour nous par l'inscription Laurentienne. Le Liber Pontificalis, dans son style laconique, s'exprime ainsi : Damasus fecit basilicas duas, unam juxta theatrum sancto Laurentio, et aliam via Ardeatina, ubi reçuiescit. Puis il insiste sur les magnificences dont le pontife enrichit la basilique de la voie Ardeatina, sans plus faire mention de la basilique Laurentienne. Évidemment si Damase avait eu deux basiliques à construire à neuf, il n'aurait pas doté l'une si richement et laissé l'autre dans une pauvreté complète. C'est donc qu'il fit seulement des additions, des embellissements à la basilique Laurentienne. Voilà ce qu'on pouvait répondre, par une conjecture pleine de vraisemblance, à l'objection des critiques. Mais depuis qu'on a retrouvé l'inscription autobiographique de saint Damase, la conjecture est devenue un fait acquis à la science, et l'objection a disparu. Sous un autre rapport, cette inscription a fourni matière à une récrimination nouvelle contre le Liber Ppntificalis. Saint Damase nous apprend lui-même, disait-on, que son berceau fut la basilique Laurentienne, où son

 

Archibiis (archiviis) fateor volui nova condere tecta

Addire prœierea dexlrd lœvâque columnas

(Ju<w Darnasi teneant yroprium per scecula nornen.

^unag., Carm. xxxvj Fatr, lat., tom. XIH, col. ktHJk

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p234 rosTinCAT de saint damase (ooC-îi&i).

 

père exerça les fonctions de la hiérarchie ecclésiastique jusqu'au sacerdoce inclusivement. Dès lors, ajoutait-on, saint Damase nous indique assez clairement qu'il était originaire de Rome ; et pourtant le Liber Pontifwalis le fait espagnol ; Damasus, natione Hispanus, ex patre Antonio. La prétendue contradiction n'est qu'une véritable argutie. Damase, né en Espagne, a pu être amené enfant à Rome par son père, à l'époque où celui-ci vint se fixer dans la ville éternelle. Tillemont affirmait que saint Damase était né à Rome. Jusqu'à preuve péremptoire, nous ne le croirons pas. Mais enfin, quand même saint Damase fût né à Rome, si sa famille était originaire d'Espagne, le Liber Pontificalis n'en devait pas moins le constater et dire : natione Hispanus. Du reste l'Ibèrie antique s'est toujours fait gloire d'avoir donné naissance à ce glorieux pape, et la tradition constante lui assigne pour patrie la ville maintenant portugaise de Guimarraens.

 

6. Quoi qu'il en soit, Damase avait soixante-deux ans, à l'époque de la mort de Liberius. Depuis longtemps, il remplissait près du pape défunt les fonctions vicariales d'archidiacre 1. Son père était mort en laissant le souvenir d'une vertu sans tache. Sa sœur Irène, avait, à l'âge de vingt ans, emporté au ciel la couronne de sa virginité qu'elle avait consacrée au Seigneur. Les antécédents personnels de Damase et ceux de sa famille le désignaient donc au choix du clergé et du peuple fidèle. Il fut élu canoniquement, le dimanche 1er octobre 366, sept jours après la vacance du siège, et fut sacré solennellement par l'évêque d'Ostie. L'élection avait eu lieu à la majorité des suffrages; la consécration était légitime puisqu'elle se faisait un dimanche, et qu'elle était donnée par l'évêque suburbicaire auquel appartenait dès lors, ainsi que nous l'avons dit, le privilège de sacrer les papes. Cependant les opérations électorales ne s'étaient point accomplies pacifiquement. Ursicinus et ses fauteurs, les diacres Amantius et Lupus, avaient recruté, dans les quartiers populeux de Rome, une tourbe de vagabonds, de cochers du cirque, de mimes « mangeurs de saucisses et de trognons de

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1. Babelis vicarium ecce fralrem et pres&ylerum Damatum [Âcta Libéria*

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p235 chap. il. — l'élection tokiificale.

….ux. » ainsi que les appelle Ammien Marcellin, et les avaient ….tés dans toutes les rues adjacentes à la basilique du Latran, où devait faire l'élection. La consigne de cette foule immonde était de ne laisser pénétrer dans la basilique que les partisans notoires d'Ursicinus et d'en écarter tous les autres électeurs. En présence de cette manifestation violente, les évêques, le clergé et les magistrats de Rome convinrent de changer le lieu de l'élection et de le transférer dans l'église de Saint-Laurent. Ce fut là que le nom de Damase fut proclamé au peuple, en la teneur déjà usitée et empruntée, comme nous l'avons vu, à la formule des préconisations impériales : habemus pontificem nomine Damasum. A cet instant, la minorité factieuse vociféra le nom d'Ursicinus et se rua en tumulte dans l'église. On en vint aux mains, le parvis sacré fut inondé de sang. La lutte dura plusieurs heures, enfin l'ordre se rétablit, grâce à l'intervention des troupes du préfet de Rome, et le sacre de Damase put avoir lieu le même jour. C'était la première fois que le successeur de Pierre, l'apôtre qui était venu verser son sang pour Rome, voyait le sang des Romains couler pour sa défense. Les païens triomphaient de ces désordres et de cette lutte sacrilège. Les catholiques en gémissaient; le grand cœur de Damase était plein de tristesse et d'angoisses. Mais la faction schismatique, loin de reculer

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