Adrien IV et Barberousse 1

Darras tome 27 p. 33


   28. « Je vous en conjure donc, frère en Jésus-Christ, et tel est l’objet de ma lettre, concentrez sur ce point toute votre attention. Il n’y a qu’une seule Église, une seule arche asile de la sainteté ; nul autre moyen pour les fidèles d’échapper au déluge. Pour procurer cette union, mettez tout en œuvre. Souvenez-vous constamment dans votre sagesse que l’Église de Dieu ne peut subsister dans un état de division, que toute âme vivante doit être emportée par les flots, à moins de se rattacher au bienheureux Pierre, ce pilote de l’univers. Nous savons par la tradition comment les saints Pères, illuminés par l’Esprit divin, ont unanimement reconnu la primauté de l’Église Domaine sur toutes les autres Églises, et le droit qu’elle a de les appeler toutes à son tribunal. Au nom de votre amour pour Dieu, du salut de votre âme, de ce bonheur et de cette gloire qui ne se flétriront jamais,

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1 Ezcch. iïiiv, i. XXVII.

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déployez les suprêmes ressources de votre zèle pour mettre fin à la division, pour réunir les murs séparés. En vous-même d’abord, puis dans les autres, autant que le Seigneur vous en donnera le pouvoir, faites que le troupeau revienne au bercail de l’Église, que les brebis professant qu’elles appartiennent au Sauveur se rangent sous la boulette de Pierre, à qui Jésus-Christ les a confiées1. En vous parlant de la sorte, nous n’envisageons certes pas la gloire du temps présent, nous ne cherchons pas les futiles applaudissements des hommes, nous sur qui pèse le devoir de paître le troupeau tout entier; et du fond de notre âme nous nous déclarons le serviteur des serviteurs de Dieu. Si le divin Maître, pour ressusciter un mort qui n’avait perdu que la vie corporelle, se mit en chemin, pleura près de la tombe et s’écria: « Lazare, viens dehors2, » ne serait-ce pas une chose indigne que, laissant improductif le talent dont nous sommes les dépositaires, nous n’eussions pas le soin de ressusciter, selon notre pouvoir, ceux qui sont morts dans leur âme3?... »


   29. Voici ce que le métropolitain grec répondit : «Nous avons lu vos lettres, pape très-saint ; elles nous manifestent la sublimité de votre esprit, la profondeur de votre humilité, l’immense étendue de votre amour envers Dieu. Votre cœur apostolique ne connaît pas de bornes, les entrailles de votre charité se dilatent jusqu’à recevoir toutes les Eglises de l’univers. Nous avons reconnu votre voix parlant à l’intime de notre âme, à l’oreille de notre cœur ; nous avons entendu le père, le pasteur, ou plutôt le prince des pasteurs. Comme un père, vous rappelez à vous les enfants qui vous paraisssent égarés, en leur témoignant la plus tendre sollicitude; comme un pasteur, vous ramenez les brebis errantes; comme pasteur des pasteurs, vous nous communiquez cette science pastorale dont Dieu lui même vous a rempli, nous enseignant à ne pas négliger nos troupeaux, à soigner toute brebis malade. Oui, nous avons reconnu la voix qui nous rappelle, et

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1  Joun. Evang. xxi.

2  Joan. Evang. ix, 43.

3.  Adriani iv Epist. et Privil. ■ Pair. lai. tom. cmxviii, col. 1580, 1581.

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nous l’avons docilement écoutée. Assurément, si nous étions regardés comme des enfants retranchés de la famille, séparés de votre sainteté, étrangers à votre sollicitude pastorale, nous n’eussions pas reconnu cette voix; car, selon la parole du Maître, jamais personne n’écoute la voix d’un étranger ; on s’en éloigne au contraire. En quoi donc peut nous toucher, très-saint père, l’image de la brebis errante, ou de la drachme perdue? Nous n’admettons pas que nous soyons déshérités de notre union avec vous, du titre d’enfants de l’Eglise ; nous ne repoussons pas vos soins: nous ne méritons nullement un tel outrage. Nous sommes restés inébranlables, grâces à Dieu, dans la foi de S. Pierre ; ce qu’il a confessé, ce qu’il a prêché nous le confessons et le prêchons, n’innovant rien dans les décisions synodales des anciens docteurs, n’ajoutant pas une virgule, un iota, aux textes de l’Évangile ou des Apôtres. Nous avons appris du Docteur des Gentils quelle terrible peine encourt une pareille audace. « Alors même, dit-il, qu’un ange descendu du ciel vous annoncerait une doctrine différente de celle que vous avez reçue, qu’il soit anathème1.» ... Si nous avons imité, ce qu’à Dieu ne plaise, les pasteurs dont le prophète Jérémie déplorait la folle conduite : « Les prêtres n’ont pas recherché le Seigneur, ceux qui s’attachaient aux observances légales m’ont méconnu, les pasteurs se sont montrés impies envers moi2, » c’est en toute justice que vous nous avez nommés brebis errantes, drachme perdue, cadavre depuis longs jours dans la tombe.


    30. « N’ayez pas cependant de nous cette opinion. Nous ne reconnaissons pas d’autre fondement que celui qui fut posé dès l’origine ; nous prêchons, nous enseignons la même doctrine que vous, nous tous qui dépendons du grand siège apostolique de Constantinople. La même foi, le même sacrifice dans l’Occident et  l’Orient, bien que de légers obstacles soient interposés et maintiennent une sorte de division entre ceux qui procèdent du même

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1 Galat. i, 8.

2.  Jérém. n, 8.

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Esprit. Faire entièrement disparaître ces obstacles, enlever du chemin, comme parle le prophète, ces pierres d’achoppement, rétablir dans toute sa perfection l’unité de l’Église, ce sera l’œuvre de votre Sainteté. A l’exemple du divin Maître, voyant les choses du haut des deux, rapprochant ainsi les distances, elle a le pouvoir et la volonté de tout unir. Nous sommes en petit nombre, je n’ai qu’un petit troupeau, ma parole est loin d’être abondante, ce n’est qu’une goutte de rosée, la vertu me manque absolument, bien que vous pensiez le contraire et que vous me supposiez à tort capable de grandes choses, induit que vous êtes en erreur par la trop indulgente affection de quelques pèlerins accueillis par moi dans ces contrées. A vous qui par la dignité de votre siège, l’étendue de votre savoir, la splendeur de votre vie, retracez de tout point l’image des perfections du Sauveur, à détruire le scandale et toutes les causes de division, à constituer les Eglises dans l’unité. Vous aurez un auxiliaire aussi puissant que dévoué, le premier empereur du monde, dont la religion égale la grandeur, inexpugnable dans sa puissance, éminent par ses qualités, le plus célèbre des hommes de bien qui aient jamais excité l’admiration. Nous obéirons au moindre signe de sa volonté, nous lui devons une complète obéissance. » Ces derniers mots disent tout sur l’état d’avilissement et d’esclavage où l’église grecque était tombée. La voilà proclamant elle-même, par l’un de ses prélats les plus distingués, qu’elle est absolument à la dévotion du prince. On ne saurait mieux faire ressortir ce qu’il y a de noble, de chrétien, de légitime et de glorieux dans la lutte soutenue par les Pontifes Romains et les autres évêques occidentaux à leur exemple, contre les empiètements instinctifs et les tyranniques prétentions des pouvoirs temporels, sans en excepter souvent les moins hostiles au christianisme. L’empereur dont il est question, ainsi flatté par un évêque et proclamé par lui le souverain maître des consciences, le chef spirituel de ses états, c’est Manuel Comnène qui, depuis treize ans qu’il portait le spectre, s’abandonnait à la plus révoltante immoralité, ruinait à force d’exactions son empire et sa famille elle-même, ne mettait aucun frein à ses emportements, ne

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se mêlant aux controverses religieuses que pour les irriter ou les obscurcir. De son sage et vertueux père Calojean, il n’avait que la valeur dans les combats; pour l’astuce il avait pleinement hérité de son grand-père Alexis. La seconde croisade lui devait en grande partie les échecs et les désastres dans lesquels elle s’était anéantie.

 

   31. La lettre de l’archevêque de Thessalonique est encore plus digne d’attention sous un autre point de vue, en ce qui concerne l’union ou la séparation des Grecs et des Latins. Formaient-ils une seule Église ? Conservaient-ils au moins les rapports essentiels pour entretenir la vie commune? Il y a là des protestations qui le feraient supposer, et des restrictions qui ne permettent guère de le croire. On a vu dans les derniers temps une secte trop fameuse, celle de Jansénius, renouveler la manœuvre byzantine, s’envelopper de réserves et de subtilités, prétendre appartenir à l’Église malgré l’Église elle-même. Fallait-il que cela fût rentré dans les mœurs d’une nation, dans la trempe de ses idées, pour qu’on le retrouve sous la plume de son principal docteur, sans qu’il paraisse émettre des propositions pouvant faire douter de sa science ou de sa conscience. Les meilleurs esprits s’y trompaient en Occident. Pierre-le-Vénérable, l’illustre Abbé de Cluny, dans sa bienveillance universelle, croyait à la sincérité des Grecs, comme du reste il croyait à la sainteté d’Héloïse. « Nous voyons, dit-il, l’Église Romaine et toutes celles du Rit latin offrir à Dieu le saint sacrifice avec le pain azyme ; et nous apprenons que l’Église Grecque et la majeure partie des Églises d’Orient, ainsi que les nations barbares, emploient du pain fermenté. Bien qu’il en soit ainsi, ni les anciens ni les modernes n’ont rompu les liens de l’unité, pour ces dissonnances accidentelles dont on fait tant de bruit; car ces choses ne leur ont paru blesser en rien ni la foi ni la charité[1]. » S. Bernard n’imite pas cette extrême indulgence ; autre est son jugement. Il résume et précise ainsi la position, en écrivant au Pape Eugène : «Quant aux Grecs, ils ne sont pas avec nous; unis par la

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1 V. Petr. Clin. Epist. v, 15.

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foi, ils demeurent obstinés dans la division ; et même ont-ils décliné du droit sentier, par rapport à la foi. » Le mal avait son origine dans l’orgueil, l’inconstance et la jalousie des patriarches de Constantinople ; c’est là ce qui l’a toujours maintenu et le maintient encore. Ne pouvant objecter décemment certaines divergences cérémonielles, ils ont suscité de puérils incidents, de vaines distinctions dogmatiques, pour donner un libre cours à leurs fatales préventions, à leurs vieilles antipathies contre les Latins. La tentative faite par Adrien IV ne pouvait pas sans doute aboutir ; mais elle honore sa mémoire, en nous montrant l’ampleur de son zèle pastoral, une profonde intelligence des besoins et des dangers du monde chrétien, en face de la menaçante activité que déployait alors l’Islamisme. Ce projet de paix, qui n’était qu’un rêve, range son nom parmi ceux des pontifes et des docteurs qui n'ont cessé de poursuivre, à travers les siècles, l’union de l’Orient et de l’Occident.


   32. C’est une compensation à la paix désastreuse qu’il dut réellement accepter d’un voisin dangereux, d’un vassal rebelle. Ne quittons pas ce terrain brûlant sans dire à la décharge du Pape qu’il obligea son vainqueur, avant d’en subir les exigences, à se déclarer son vassal, son homme-lige, à s’agenouiller devant lui pour prêter serment de fidélité. N’oublions pas que dans cette circonstance, l’orgueilleux Normand répétait mot à mot une formule sévèrement contrôlée au nom du Pontife, par un noble romain, Otton Frangipani. C’est à cette condition que Guillaume fut reconnu Roi de Sicile et d’Apulie1. Ce titre ne releva pas son prestige, n’affermit nullement son autorité, parce qu’il ne modifiait en rien son caractère. Le règne du Mauvais ne fut guère qu’une série non interrompue d’agitations et de désastres. Aux ennemis qu’il avait terrassés en succéderont de non moins implacables. Le comte André ne s’était pas d’ailleurs éloigné du champ de bataille ; il survivait à la première coalition et luttait avec une indomptable énergie. On le voit bientôt après s’emparer des principales places

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1 Hue. Falcand. De Calamit. Sictl. ad annum 1155.

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de la terre de Labour et tenir en échec toutes les forces royales. La ville de Sora mettait à mort son gouverneur nommé Simon, délégué par Guillaume, et bravait les fureurs de ce dernier, qui ne put jamais emporter la citadelle. L’amiral Maïo, son homme de confiance, l’instigateur et souvent l’exécuteur de ses résolutions les plus tyranniques, tombait au pouvoir de ses ennemis et mourait dans d’horribles tortures. Plus tard, il était détrôné lui-même, surpris et jeté dans les fers par une conspiration que guidait son propre fils Roger pour le remplacer sur le trône1. Il trouvait ensuite le moyen d’échapper à sa prison et poignardait de sa propre main ce fils si digne d’un tel père. Son manteau royal, selon la remarque d’un historien de l’époque, parut désormais avoir été trempé, non dans la pourpre tyrienne, mais dans le sang de son enfant. Sa lignée masculine n’ira pas à la fin du siècle, dont nous avons déjà franchi la moitié.

 

   33. « Le doux Pontife, continue le manuscrit du Vatican, s’éloigna de la ville, théâtre de son humiliation, et se dirigea vers Rome. Passant par le Mont-Cassin et par les montagnes de la Marsique, il se rendit d’abord à la ville de Narni. Celle d’Urbevetana, qui depuis bien longtemps s’était volontairement soustraite à la juridiction de S. Pierre, venait d’être de nouveau soumise par les soins et les efforts de son successeur ; celui-ci jugea bon, et ce fut l’opinion des cardinaux ses frères, de visiter cette partie de son troupeau tout-à- l’heure rentrée dans le bercail. Jusque-là, disait tout le monde, jamais Pontife Romain n’était entré dans cette ville et n’avait exercé sur les habitants une prérogative quelconque du pouvoir temporel. Raison de plus pour le clergé, le peuple et les hommes d’armes, d’accueillir le suprême pasteur avec tous les témoignages d’une vénération et d’une joie sans bornes: ils semblèrent avoir dépassé dans leur élan ce que leur permettaient leurs modestes ressources. Adrien, touché de leur réception, prolongea son séjour au milieu d’eux ; il les regardait comme sa famille, puisqu’ils ap-

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1 Sicoxirs. Ilist. reg. Uni. Iib. xn.: — Joakv.  de Ceccaxo chron.  regn. N'ea-pol.

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partenaient maintenant à celle de S. Pierre ; petits et grands obtenaient de lui la même bienveillance et lui causaient la même satisfaction. L’hiver approchant et l’année 1156 tendant à sa fin, il descendit à Viterbe, cité bien autrement considérable, où tout était mieux disposé pour lui-même et sa cour. De là cependant il voulut se rendre à Rome, et bientôt il revit avec bonheur son palais de Latran, parmi les flots empressés de la population urbaine, heureuse elle-même de revoir son pontife et son roi1. »

 

§ IV. SCHISME FOMENTÉ PAR CÉSAR.

 

   34. Depuis son retour en Allemagne, l’empereur Frédéric n’était pas resté dans l’inaction. Les puissants seigneurs, qui tendaient toujours à l’indépendance ou n’étaient jamais satisfaits dans leur am-bition, apprirent à leur détriment qu’ils avaient désormais un maître. Ce maître abusa de son pouvoir, sa modération n’était pas au niveau de son énergie : il venait de répudier sa femme légitime, Adélaïde de Vohburg, sous l’éternel prétexte de consanguinité, pour épouser Beatrix, fille unique de Renaud III, comte de Bourgogne ; ce qui devint une cause de mécontentement et d’irritation, non-seulement pour les grandes familles lésées dans leur honneur ou leur intérêt, mais encore pour les gardiens de la morale évangélique, pour les défenseurs des lois humaines et divines qui sauvegardent l’indissolubilité du lien conjugal. Quelques auteurs prétendent que le Pape donna son approbation, que les légats apostoliques étaient même présent à la célébration du second mariage ; mais le chroniqueur allemand Dodechin, témoin oculaire, dit expressément : « De là survint dans l’Église le schisme le plus désastreux. » Bien qu’il se trompe sur le nom de la princesse, qu’il appelle Agnès, son observation n’en est pas moins importante. D’autres causes de division, qui devaient avoir plus de retentissement, s’étaient produites dans ce court intervalle. Frédéric n’avait pas appris sans une profonde indignation, sans un violent dépit, la

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1 Act. Alexand, III sum. Pont, ad annum 1155.

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paix conclue entre le Pontife romain et le roi de Sicile : elle venait tout à coup déranger ses gigantesques plans. Son alliance avec l’héritière de Bourgogne les servait trop bien pour qu’elle put paraître désintéressée. La politique en avait formé les nœuds, beaucoup plus que l’affection ou la conscience. L’empereur était allé lui-mème à Besançon ; et, profitant de ce voyage pour revendiquer ses anciens et nouveaux droits sur les royaumes évanouis de Bourgogne et de Provence, dont vingt-deux ans plus tard il se fera couronner roi, il tenait dans cette ville une diète solennelle, qui n’était en réalité qu’une prise de possession. Il allait se retourner du côté de l’Italie, pour ajouter ce fleuron à sa couronne impériale, quand lui fut annoncé le fatal traité de Bénévent. L’indépendance amoindrie de l’Eglise et ses droits méconnus ne le touchaient guère ; sa fureur était pure jalousie de métier, rivalité de despotisme : c’est lui, qui voulait seul dominer la Religion, asservir la papauté comme tout le reste. Son intime pensée éclata du premier coup : il défendit aux évêques de son empire, à tous les clercs sans distinction, de communiquer désormais avec Rome. Le tyran, sicilien n’était pas allé si loin et n’avait fait que gêner ces communications en vue de les restreindre.

 

   35. Le Teuton ne s’en tint pas là ; dans la mesure de sa puissance, il étendit aux étrangers l’arbitraire interdiction faite à ses, en les empêchant de passer sur les terres de sa domination pour aller à Rome ou pour en revenir. Terribles seront pour la société chrétienne, nous allons le voir, les conséquences et la première application de cette loi plus que draconnienne. Ce ne fut pas encore assez; il édicta le retour absolu des investitures ecclésiastiques au pouvoir temporel : dans sa hiérarchie comme dans son ministère, l’épiscopat était violemment séparé du Vicaire de Jésus-Christ ; il devenait l’humble créature et le docile instrument de César. Les Investitures ! voilà le vrai mot prononcé, la guerre qui recommence. D’un seul trait, Barberousse radie l’héroïque histoire de tout un siècle ; il anéantit les serments de ses prédécesseurs, les victoires spirituelles des Grégoire VII et des Calixte II, la vieille constitution de l’Eglise, le fondement même de ses propres états. Il rouvre l’ère

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des antagonismes religieux et des convulsions politiques. La terreur qu’il répand autour de lui semble au premier moment étouffer le cri des consciences, mais n’en arrêtera pas les revendications. Beaucoup de prélats se soumettent : Albert de Marcy, évêque élu de Verdun, donne l’exemple de ces honteuses défaillances; l’empereur l’investit par la crosse et l'anneau. Le Pape ignorait sans nul doute les proportions du mal, les mesures déjà prises, lorsqu’il résolut d’envoyer des légats à l’empereur avec une lettre autographe. Quels furent les cardinaux choisis et quel était leur caractère? C'est Radevic, un historien du temps, ostensiblement favorable à l’empire, qui nous l’apprend ; et c’est pour cela même que, dans une telle situation, nous invoquons son témoignage: «Les deux légats étaient Roland, cardinal prêtre du titre de Saint-Marc, chancelier de l’Église Romaine, et Bernard, cardinal prêtre du titre de Saint-Clément, remarquables, l’un et l’autre, autant par leur fortune que par leur sagesse et leur maturité, remplissant les plus hautes fonctions dans la curie romaine. Ils venaient, comme on pouvait le penser, animés d’intentions droites et sincères ; mais il fut bientôt aisé de s’apercevoir que leur visite serait la cause des plus grands maux. Un jour que le prince, fuyant le bruit extérieur et l’agitation populaire, était allé chercher le calme dans son oratoire privé, les envoyés du Pape furent introduits auprès de lui, se disant porteurs d’un heureux message, et dès lors accueillis avec bienveillance et distinction. On rapporte qu’en entrant ils s’exprimèrent ainsi : « Notre bienheureux père le pape Adrien et le collège tout entier des cardinaux de l’Église Romaine vous saluent, lui comme un père, eux comme des frères1 »

   36.  Ayant ajouté quelques mots dans le même sens, ils présentèrent la lettre pontificale. D’après l’auteur que nous citons et plusieurs autres venus à sa suite, ce fut là le brandon qui donna

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1. Radevic. in Frid. lib. I, cap. 8. L'historien que nous voyons apparaître ici pour la première fois est le continuateur et le disciple d'Otton  de Freisingen. Il avait même été son secrétaire. A la mort de  l'illustre prélat,  étant  cha­noine de la cathédrale, il ne voulait pas laisser l'œuvre inachevée ; nous ver­rons plus loin par quels obstacles il fut contraint de l'abandonner.

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p43 SCHISME FOMENTÉ TAR CÉSAR.

 

naissance à l’incendie. Heureusement nous avons cette pièce historique ; la voici : «Adrien évêque serviteur des serviteurs de Dieu, à son très-cher fils Frédéric, illustre empereur des Romains, salut et bénédiction apostolique. — Nous nous rappelons avoir écrit, il y a peu de jours, à votre Majesté impériale, pour signaler à son attention, en même temps qu’à sa justice, cet excécrable attentat, ce hideux sacrilège, que rien ne semble égaler dans le passé, récemment commis dans vos contrées teutoniques ; et nous ne pouvons assez nous étonner que vous ayez jusqu’à cette heure laissé sans réparation et sans châtiment une pareille audace. Votre sérénissime grandeur ne saurait pourtant pas ignorer comment notre vénérable frère l’archevêque de Lunden, revenant de visiter le tombeau des Apôtres, est tombé dans les mains d’hommes impies et pervers, qui le retiennent encore dans les chaînes, ce que je ne puis énoncer sans une profonde tristesse ; « ces hommes d’iniquité, cette race perverse, ces fils criminels1» ont accompli leur horrible entreprise, le fer à la main, avec les plus violentes menaces et les traitements les plus honteux, le spoliant lui-même et tous ceux qui l’accompagnaient, avant de les plonger dans les cachots. Le bruit d’un tel crime a déjà retenti chez les nations les plus reculées. Vous eussiez dû cependant, vous que nous tenons pour un prince qui aime le bien et qui déleste le mal, vous à qui la divine sagesse a remis le glaive pour la punition des méchants et la protection des justes, réprimer sans retard et sans ménagement ces actes révoltants de scélératesse. Et voilà, nous dit-on, que vous avez paru n’en tenir aucun compte, négligeant sur ce point votre devoir ; aussi les coupables sont-ils loin de se repentir, dans la persuasion que leur conduite restera toujours impunie. Impossible à nous de savoir quelle est la cause de cette tolérance ou de cet oubli. Aurions-nous porté la plus légère atteinte à votre gloire? C’est ce que notre conscience ne nous reproche pas. Vous regardant plutôt et d’une manière spéciale comme notre fils le plus cher, comme le prince le plus chrétien, ne doutant pas que vous ne soyez affermi

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1 Isa. i, 4.

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44 PONTIFICAT d'adrien IV (iloi-1139).

 

par la divine grâce sur la pierre de la confession apostolique, nous vous avons traité avec toute la bienveillante affection qui vous était due1.

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[1] V. Petr. Clin. Upist. v, 15

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