Grégoire VII 66

Darras tome 22 p. 461

 

53. « A cet éloquent discours, continue le chroniqueur, les délégués de Henri répondirent par une fin de non-recevoir. Ils n'étaient pas venus, dirent-ils, pour traiter cette grave question. Son importance   exigeait  des  études  préalables  qu'ils  n'avaient point faites, une sagesse et un discernement dont ils se reconnaissaient incapables. Elle ne pouvait d'ailleurs être utilement  examinée qu'en présence du roi et dans une diète générale. Leur mission se bornait à demander un armistice qui durerait jusqu'à la mi-juin, pour que dans l'intervalle un congrès de toute la nation pût se réunir et prendre une décision qui serait commune au royaume tout entier. Les nôtres découvrirent aussitôt le piège qui leur était tendu et pénétrèrent le secret de cette proposition perfide. Les orateurs  du roi Henri ne  demandaient une si longue trêve que pour avoir le loisir d'exécuter sans aucuns risques leur expédition en Italie et de consommer l'attentat qu'ils méditaient contre le siège apostolique. La ruse une fois éventée, les nôtres répondirent

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1. Brun, Magd. Chron., loc. cit., col. 583.

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qu'ils n'entendaient ni tromper ni être trompés. En conséquence ils accepteraient la trêve pourvu qu'elle fût générale et qu'elle s'étendît à toutes les provinces du royaume germanique. Les orateurs de Henri se hâtèrent de promettre que toutes les provinces teutoniques seraient comprises dans l'armistice. A cette réponse le duc Otto de Nordheim s'écria : « Nous croyez-vous donc assez stupides pour n'avoir pas démêlé votre secrète pensée ? Vous prétendez obtenir sécurité complète pour votre propre territoire afin d'avoir le temps d'aller en Italie outrager la majesté du vicaire de Jésus-Christ. Vous nous promettez à nous la paix jusqu'à ce que vous ayez, ce que Dieu ne permettra pas, renversé le pape notre chef ! Quelle admirable paix que celle qui respecte les membres mais qui coupe la tête ! Non, non, la trêve sera universelle ou elle ne sera pas; elle comprendra la Saxe entière et tous les alliés grands et petits des Saxons. Si vous n'en voulez point dans ces termes, vous pouvez retourner d'où vous êtes venus. Mais sachez que votre pays verra bientôt arriver des hôtes incommodes, et qu'à votre retour d'Italie vous ne retrouverez pas vos demeures dans l'état où vous les aurez laissées. Nous n'avons rien à dissimuler ; tenez donc pour certain qu'au premier jour nous élirons un roi assez puissant, avec l'aide de Dieu, pour défendre nos droits et venger nos injures. » La parole vibrante d'Otto de Nordheim, sa fière attitude, son accent chevaleresque eurent un succès inattendu. Les soldats qui formaient l'escorte des orateurs de Henri éclatèrent en applaudissements. « Ce que demandent les Saxons est de toute justice, disaient-ils. Si on le leur refuse, qu'on ne compte plus sur nous pour les combattre. Vingt fois nous les avons attaqués sur les champs de bîttaille, sans nous douter que leur cause était celle de l'honneur, du droit et de la vérité1. »

    54. Honteux contraste que l'historien est  obligé de relever! La franche et simple loyauté des hommes d’armes qui avaient si long-

temps servi à leur insu une cause injuste ne fît qu’irriter les évêques représentants de   Henri. « Ils se hâtèrent de mettre

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1 Brun. Magdeb., loc. cit., col. 584.

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fin à la conférence, reprend le chroniqueur, et en quittant les nôtres leur dénoncèrent que l'armistice cesserait dans huit jours1. » Ce défi prouvait plus d'emportement que de sagesse politique. La colère conseillait mal les évêques du roi excommunié; elle leur faisait commettre une faute dont le duc Otto de Nordheim venait de laisser entrevoir les conséquences avantageuses pour les Saxons et désastreuses pour les princes allemands. Il était clair en effet qu'après une rupture aussi éclatante, toutes les forces militaires de la Saxe unies dans un même sentiment de foi et de patriotisme poursuivraient contre l'Allemagne la guerre victorieuse dont la mort de Rodolphe n'avait interrompu que momentanément le cours. Les évêques schismatiques, députés de Henri IV, cédèrent à la fougue de leurs passions et de la haine qui les aveuglait. Leur fureur profita indirectement à la papauté qu'ils voulaient anéantir. L'expédition que le tyran leur maître projetait contre Rome et qu'il ne tarda point à exécuter ne put se faire qu'avec une partie des troupes germaniques ; Henri fut contraint de laisser l'autre à la garde de ses frontières menacées par les Saxons. Au lieu d'entrer en Italie avec tous ses contingents militaires et d'écraser d'un seul coup la petite armée de la comtesse Mathilde, affaiblie par un récent désastre, il allait courir les aventures d'une tentative mal concertée, avec des ressources insuffisantes. « Au printemps de l'année 1081, reprend Bruno de Mag-debourg, l'ex-roi franchit les Alpes, portant sur le sol italien la discorde et la guerre qu'il promenait depuis si longtemps à travers les provinces teutoniques, comme si son insatiable tyrannie eût pris à tâche de ne pas laisser dans l'étendue de ses états un seul coin de terre en repos et en paix. Les princes saxons adressèrent alors à toutes les nations de race teutonique, sans distinction d'amis ou d'ennemis, des ambassadeurs chargés de leur proposer une réunion générale pour élire en commun le roi qui serait jugé le plus digne, promettant d'accepter l'élection quelle qu'elle

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1. Sic ab invicem disceditur, tantum per septem dies altrinsecus pace data. Brun. H»3;deb. loc, cit . col. 585.

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fût, sauf le cas où la majorité des suffrages se porterait sur Henri IV ou sur l'un de ses fils. «Ainsi, disaient-ils, l'unité du royaume d'Allemagne sera rétablie sous le sceptre d'un seul et légitime souverain 1 » Les ouvertures repoussées par les provinces germaniques proprement dites ne trouvèrent un accueil favorable que chez les Souabes, depuis longtemps détachés de la cause schismatique et césarienne. Les princes saxons réunissant alors toutes leurs troupes (juin 1081) envahirent la Franconie, le fer et la flamme à la main; cruelles représailles! mais ils voulaient venger tant de massacres et d'incendies dont les plaines de la Saxe avaient été le théâtre. Sur leur passage ils laissaient une longue traînée de ruines. Ils arrivèrent ainsi non loin de Bamberg, où les Souabes «nos vieux amis, » dit Bruno, vinrent à leur rencontre et les félicitèrent de leurs succès. Ensemble ils délibérèrent dans une diète solennelle et après de longues et nombreuses conférences finirent par tomber d'accord sur la personne du roi à élire 2. »

 

55. Il répugnait au patriotisme du chroniqueur saxon d'insister sur les discussions ardentes et les compétitions rivales qui éclatèrent au sein de la diète; Bruno supprime donc cet intermède désagréable pour arriver de suite au résultat final. Mais d'autres annalistes nous apprennent que la personnalité trop ambitieuse peut-être du duc Otto de Nordheim, mise en si grand relief par la victoire de l'Elster, se créa un parti puissant qui voulait lui donner la couronne. Le duc Welf de Bavière qui avait déjà en 1077 lors de l'élection de Rodolphe donné la preuve de son désintéressement personnel, repoussa cette fois encore le sceptre qui lui fut offert, mais au lieu de porter son suffrage et ceux de ses alliés sur Otto de Nordheim, il fit prévaloir la candidature du comte Hermann de Luxembourg, « brave chevalier, dont la puissance territoriale en Lorraine et en Germanie, dit Ekkéard, égalait celle d'un souve-

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1. Quatenus omnia regni membra, sicut olirn fuerant, in unum sub uno reye convenirent. Brun. Magdeb., loc. cit. col. 585.

2. De communi negotio régis consliluendi communi consilio tractaverunt, et post multos tractatus unanimiter omnes consmserunt. [Ici. itid.)

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rain 1. » Hermann de Lorraine, fils de Giselbert comte de Luxembourg, était allié à toutes les dynasties de l'Europe alors régnantes. Il avait épousé l'héritière du Brabant; par ses affinités il était parent de Henri IV d'Allemagne, du roi de France Philippe I, du roi d'Angleterre Guillaume le Conquérant, de la comtesse Mathilde de Toscane et de Godefroi de Bouillon, le jeune duc lorrain qui venait en qualité de primipilus de franchir les Alpes avec l'armée du roi excommunié. A tous ces titres, privilèges de sa naissance, il en ajoutait un autre beaucoup plus rare à cette époque et qui détermina en sa faveur le choix de Welf de Bavière. Il était inviolablement dévoué au saint-siége et au grand pape Grégoire VII. Le serment envoyé de Rome à saint Altmann de Passaw pour être présenté à l'acceptation du futur roi, ce serment qui faisait du successeur de Rodolphe un défenseur couronné de l'église romaine, fut souscrit sans hésitation par Hermann. A ces conditions, après un débat dont le chroniqueur saxon indique les longs et laborieux préliminaires, il fut à l'unanimité proclamé roi de Germanie et successeur de Rodolphe (19 août 1081).

 

56. « Fiers de leur nouveau roi, continue Bruno de Magdebourg, les Saxons le ramenèrent en triomphe dans leur patrie. Ils ne doutaient pas de l'accueil qui lui serait fait dans toute la Saxe. Mais les princes germains, nos adversaires, n'avaient point désappris leur art funeste, art de trahison, d'embauchage et d'intrigues, qui leur avait valu dans le passé tant de succès. L'élection d'Hermann de Luxembourg était à leurs yeux un coup mortel pour l'ex-roi Henri IV leur maître. Ils voulurent à tout prix en empêcher l'effet. Dans ce but ils nouèrent des négociations secrètes avec le due Otto de Nordheim ; à force de promesses ils parvinrent à ébranler la fidélité de ce héros. Ils ne purent cependant lui arracher un acquiescement formel, toutes leurs démarches n'aboutirent qu'à le faire tergiverser dans sa voie. L'été de l'an 1081 se passa pour lui dans cette hésitation perplexe dont la Saxe entière ressentit douloureusement le contre-coup. Enfin, au mois de novembre, appelé

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1.  Eckkeard..Uraug. Chronic. Pair. Lat. CLIV, col 953.

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à une dernière conférence par les princes germains, Otto se mit en route, décidé à conclure avec eux une alliance définitive. Mais la miséricorde de Dieu ne permit point qu'une carrière illustrée par tant de glorieux et patriotiques exploits se terminât par un acte déshonorant. En traversant une plaine unie qui n'offrait pas la moindre difficulté pour le passage, le cheval qu'il montait s’abattit soudain, et dans sa chute lui cassa la jambe. Ramené dans son château, le duc resta un mois au lit, sans pouvoir faire le moindre mouvement. La réflexion lui vint avec la solitude et la souffrance. Il rentra en lui-même, la grâce de Dieu toucha son cœur; il reconnut qu'il avait péché. Son repentir ne fut pas stérile. Il fit partir sur-le-champ des courriers dans toutes les directions. Les uns adressés aux princes de la Germanie devaient notifier sa rupture vis-à-vis d'eux; les autres, envoyés dans toute la Saxe, étaient chargés d'annoncer partout que le duc Otto de Nordheim restait fidèle à sa patrie et reconnaissait l'autorité du nouveau roi. Les messagers porteurs de cette bonne nouvelle furent reçus avec enthousiasme. Tous les princes saxons en allégresse célébrèrent à Goslar les fêtes de Noël, avec le roi Hermann qui fut sacré en grande pompe le lendemain, fête du protomartyr saint Etienne (26 décembre 1081 par l'archevêque Sigefrid de Mayence 1. » Bruno de Magdebourg dépose ici la plume et clôt par ce sacre royal son histoire de la  « Guerre de Saxe. » Deux joies se partageaient alors son âme : Otto de Nordheim le héros de ses prédilections était réhabilité ; Hermann de Luxembourg avait reçu l'onction des rois et l'épée de Charlemagne. Le pieux moine pouvait dès lors, considérant sa tâche comme terminée, laisser à d'autres le soin de raconter les luttes nouvelles que l'église romaine sa mère et la Saxe sa patrie auraient encore à subir. Mais la vie de l'humanité est un combat qui ne finira qu'avec la consommation des siècles ; les historiens se succèdent pour en transmettre d'âge en âge le récit jusqu'à la sentence finale du juge souverain des vivants et des morts.

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1.Brun. Magd., lec. cit., col. 586.

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CHAPITRE  V

SOMMAIRE

PONTIFICAT DE SAINT GREGOIRE VII (1073-1085) Sixième période (1081-1085


§   1.   EXPÉDITION  DE  HENRI IV  CONTRE ROME.

1. Travaux liturgiques de Grégoire VII. — 2. Découverte des reliques de saint Matthieu à Salerne. — 3. Concile romain de l'an 1031. — 4. Henri IV à Vérone. La lettre aux Romains. — 5. Conciliabule tenu par l'antipape Wibert à Pavie. — 6. Consistoire tenu au Latran par Grégoire VII. — 7. Saint Anselme de Lucques et la comtesse Mathilde. — 8. Premier siège de Rome par Henri IV. — 9. Comédie du sacre impérial au champ de Néron. — 10. Retraite de Henri IV et de son armée à Ravenne.


§ II.  EXPÉDITION DE ROBERT  GUISCARD EN  APULIE.

11. L'empereur Alexis et sa fille Anne Comnène.  — 12.  Les ambassadeurs de Henri IV à Byzance. — 13. Alliance d'Alexis Comnène avec Henri IV.

— 14. Siège de Dyrrachium par Robert Guiscard. — 15. Défaite d'Alexis
Comnène sous les murs de Dyrrachium. — 16. Prise de Dyrrachium. Robert Guiscard revient en Italie à l'appel de Grégoire VIL


§ III.   SECOND   SIÉGE DE  ROME  PAR  HENRI IV

17. Nouvelles recrues levées par Henri IV. Le trésor de l'église de Canosse.— 18. Encyclique de Grégoire VII. — 19. Soulèvement des provinces de
Cannes et de Bari contre Robert Guiscard. — 20. Henri IV et son armée
repoussés de Rome. —21. Polémique des théologiens. Lettre de saint Anselme de Lucques à l'antipape. — 22. Lettre de saint Gébéhard archevêque
de Saltzbourg..—23. Apologistes et accusateurs de Grégoire VII à travers
les sièeles.

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§ IV.  TROISIÈME SIEGE DE ROME PAR HENRI IV.

S4. Henri IV à Sainte-Rufine. — 25. Deux soldats milanais escaladent les remparts de la cité Léonine. — 26. Godefroi de Bouillon à l'assaut de la cité Léonine. — 27. L'antipape Wibert intronisé dans la basilique de Saint-Pierre. — 28. Pacte des Romains infidèles avec le roi Henri.


§  V.   SIMULACRE DE  PAIX.

S9. Conventions pacifiques. Levée du siège. Le Palazzuolo de César. — 30. Saint Hugues de Cluny et Henri IV. Nouvelles promesses hypocrites du roi. —31. Intrigues du parti césarien à Rome et en Apulie. — 32. Indiction par Grégoire VII à la requête de Henri d'un concile romain. La trahison du Forum-Cassii. — 33. Concile romain du 20 novembre 1083.


§  VI.   QUATRIÈME SIÈGE DE  ROME PAR  HENRI IV.

34. Revirement des Romains en faveur du pape. Vigoureuse résistance. — 35. Recrudescence de la persécution contre les catholiques d'Italie et d'Allemagne. Emigration au désert. — 36. Ambassade d'Alexis Comnène au roi Henri. — 37. Tentatives de Henri pour amener l'abbé du Mont-Cassin à une entrevue. — 33. Entrevue de Desiderius et de Henri IV à Albano.


§  VII.   OCCUPATION DE  ROME PAR  HENRI  IV.

39. Nécrologe de l'année 1084. — 40. L'œuvre de la trahison. — 41. Entrée solennelle de Henri IV à Rome. Sacre impérial de Henri par l'antipape. — 42. Résistances partielles. — 43. Lettre du pseudo-empereur à l'évêque Thierry de Verdun. — 44. Grégoire VII au château Saint-Ange.


§ VIII.  EXPULSION DE HENRI IV PAR ROBERT GUISCARD.

45. Brusque retraite de Henri à l'approche du duc d'Apulie.—46. Arrivée de Robert Guiscard. Essai de résistance par les Romains. Escalade. Prise et soumission de la ville. — 47. Conjuration. Les Vêpres romaines. Incendie

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de Rome. — 48. Nouvelle soumission des Romains. Leur serment de fidélité à Grégoire VII. — 49. Victoire de la comtesse Mathilde à Sorbaria. — 50. Retraite de Henri IV en Germanie. Larcin royal. Echec de Henri IV en Souabe.


§ IX.  VOYAGE DE  GRÉGOIRE VII A SALERNE.

$1. Boémond au siège de Larisse. Son retour en Apulie pour chercher des renforts. — 52. Retour de Robert Guiscard à Salerne. Grégoire VII l'y accompagne. — 53. Tragique incident de voyage. — 54. Grégoire VII et Robert Guiscard au Mont-Cassin. — 55. Largesses de Robert Guiscard au Mont-Cassin.


§  X.   DERNIERS  MOIS  DE  PONTIFICAT.

56. Le budget de la charité et de l'instruction publique au moyen âge. — 57. Entrée solennelle de Grégoire VII à Salerne. — 58. Départ de Robert Guiscard pour l'Orient. Sa victoire navale dans les eaux de Corfou. — 59. Concile de Salerne. Encyclique de Grégoire VII. — 60. Mouvement catholique en Allemagne. Le doigt de Dieu en Italie. Mort des principaux schismatiques. — 61. Préparatifs de Grégoire VII pour son retour triomphal à Rome. — 62. Mort de Grégoire VII.


§ I. Expédition de Heurt IV contre Rome.


1. Dans sa lettre aux légats apostoliques en Saxe, Grégoire VII nous a fait connaître les alarmes et les terreurs des Romains en apprenant à la fois la mort de Rodolphe et la prochaine arrivée de Henri IV en Italie. Ces nouvelles qui jetaient la consternation dans le cœur des plus vaillants défenseurs de l'Église furent au contraire accueillies avec des transports d'enthousiasme par les évêques simoniaques et tous les schismatiques du royaume lombard. Un tiers parti, comme il s'en forme d'ordinaire aux époques  des grandes crises sociales, se produisit sous l'influence de la peur  et

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p470 PONTIFICAT  DE   GRÉGOIRE  VII   (1073-1085).

 

de l'intérêt personnel, affectant de garder la neutralité entre le pape et le roi, pour se réserver l'avantage de profiter de la victoire de l'un ou de l'autre. Grégoire VII n'en convoqua pas moins pour la première semaine de carême (15 février 1081) tous les évêques d'Italie, des Gaules, d'Angleterre et d'Allemagne, au concile qu'il se proposait d'ouvrir suivant sa coutume dans la basilique de Latran et qui devait être le VIIe de son pontificat. Mais un très-petit nombre de prélats se rendit à son appel : les uns s'excusèrent sur le danger d'un voyage à travers des contrées ennemies, par des chemins infestés de pillards ; d'autres plus prudents encore négligèrent d'expliquer leur absence, comptant que la gravité des événements suffirait à les justifier. La fermeté du pontife n'en fut point abattue. Les sentiments qui dominaient alors sa grande âme nous sont connus par les lettres qu'il écrivait à cette époque. « Si la fureur des flots et la violence des tempêtes sont aujourd'hui déchaînées, écrivait-il aux fidèles de Germanie, si la sainte Eglise subit tout ce que peut inventer la rage d'une persécution tyranique, aux yeux de la foi ces épreuves sont le châtiment de nos péchés, car tous les jugements de Dieu sont très-véritablement justes. Mais en entrant par la patience dans les voies de l'économie providentielle, nous trouvons à nos espérances un but assuré dans la contemplation des miséricordes célestes. La main du Tout-Puissant exaltera l'humilité des fidèles et abaissera l'orgueil des superbes. Avec son secours la rage des ennemis se brisera bientôt, et la sainte Eglise recouvrera la sécurité et la paix si longtemps désirées 1. » De ces sommets de foi et d'espérance divine où planait le génie de saint Grégoire VII, les calamités présentes ne lui apparaissaient que comme des phénomènes passagers, des épreuves accidentelles et transitoires. Sans négliger la lutte de chaque jour, il travaillait pour l'avenir, sachant que la barque de Pierre n'est jamais plus voisine du port qu'au moment où tous les politiques humains la croient plus près du naufrage. C'est ainsi qu'au milieu des agitations et

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1.         S. Greg. VII, Epist. vu, lib. VII, col. 583.

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du bruit des armes dont l'Italie tout entière retentissait alors, le grand pape envoyait en Espagne un légat apostolique, le cardinal Richard abbé de Saint-Victor de Marseille, successeur du pieux et héroïque Bernard   dont nous  avons précédemment raconté les luttes glorieuses 1. La mission de Richard ne touchait en rien aux questions politiques. Elle avait pour objet de féliciter le roi de Castille, Alphonse VI le Vaillant, de la mesure que ce prince, en reconnaissance de la prise   de Tolède sur les Maures, venait de rendre obligatoire pour toutes les églises de ses états en y rétablissant la liturgie romaine2. Grégoire VII, comme jadis Grégoire le Grand, attachait au principe de l'unité liturgique une importance capitale. La forme de la prière doit être la règle de la foi. Les travaux du grand pape en matière liturgique nous sont attestés par un fragment de Sacramentaire publié dans la collection des conciles de Mansi. En voici les termes : « Le pape Grégoire VII et après lui Urbain II par décrets apostoliques élevèrent d'un degré les fêtes des saints pontifes de Rome. Ils fixèrent le nombre des leçons à réciter pour l'office de chaque saint, neuf pour les martyrs, trois pour les confesseurs ; à l'exception des patrons dans chaque église et des confesseurs plus illustres, tels que saint Sylvestre, Grégoire le Grand et les autres insignes docteurs, pour lesquels le nombre des leçons fut aussi porté à neuf. Si chaque église célèbre sous le rite le plus solennel la mémoire de ses patrons spéciaux, l'Église universelle doit également combler d'honneurs les confesseurs insignes, ses patrons et ses pères, qui s'ils n'ont pas versé leur sang pour elle, parce que l'occasion du martyre leur a fait défaut, n'ont pourtant pas cessé de la soutenir par la puissance de leur parole et la vertu de leurs exemples. Pour leur fête comme pour celle des martyrs, Grégoire VII détermina les invitatoire, hymne, répons et versets qui doivent être chantés par le chœur. C'est

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1 Epuisé par les souffrances de sa longue détention dans les prisons de Germanie, Bernard était mort dans l'été de 1079 près de Florence sans avoir pu revoir sa chère abbaye de Saint-Victor où il retournait.

2. S. Greg. VII, Epist. n, lib. IX, col. 604.

 

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472 PONTIFICAT DE  GRÉGOIRB  VU   (1073-1085).

 

ainsi que Grégoire le Grand dans son graduel avait prescrit pour l'office de saint Marcel I, pape et martyr, l'introït Statuit ei Dominus et
pour saint Félix I également martyr l'introït Sacerdotes1. » A ce détail liturgique se rattache le souvenir d'un autre pape calomnié, et
d'une nouvelle injure de Benno contre Grégoire VII. « On n'en finirait pas, dit le cardinal schismatique, s'il fallait énumérer tous les
crimes d'Hildebrand. Sa langue sacrilège a été un glaive avec
lequel il a versé le sang de l'Église et consommé une exécrable trahison. C'est très-justement que l'Eglise l'a rejeté de son sein et que
les Césars de nos jours ont fait, en se séparant de sa communion, ce
que firent les empereurs romains à l'égard du pape apostat Liberius. Hildebrand a rendu un décret pour rendre obligatoire la fête
de ce Liberius. Il ne pouvait mieux afficher sa propre hérésie qu'en
autorisant le culte d'un pape hérétique2.» Nous avons, à l'époque
du pontificat de Libérius 3, vengé la mémoire de ce saint pontife
des outrages posthumes de Benno. Les attaques de ce cardinal
dévoyé contre Grégoire VII n'ont besoin que d'être reproduites
pour se trouver suffisamment réfutées.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon